Entretien avec Gabriel Osson

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Entre ici et là-bas | un parcours de renaissance



Propos recueillis par Albert Gblokpor-Koffi – 1er décembre 2023

Écrivain, poète, homme d’expériences, Gabriel Osson est né à Port-au-Prince et vit actuellement à Toronto où il a été le président de la Maison d’Haïti son pays natal. Dans cette entrevue, il partage ses sources d’inspiration, les épreuves de la vie qui l’ont transformé et galvanisé au Canada, sa terre d’adoption. Dans son dernier ouvrage D’ici et d’ailleurs, il raconte son expérience de l’immigration, entre souvenirs, errance, quête d’identité, expérience de la maladie, déchirement et projections dans le futur.

 
Albert Gblokpor-Koffi: Pourquoi avez-vous donné le titre D’ici et d’ailleurs à votre dernier ouvrage ?
Gabriel Osson : Pour exprimer une réalité intrinsèque à mon histoire d’immigration au Canada, parce qu’on a beau quitter un pays, le pays ne nous quitte pas. Il y a toujours quelque chose qui nous ramène.
 
Pouvez-vous nous parler de votre parcours d’immigration?

G.O : L’objectif de mon départ d’Haïti était d’abord pour les études. J’étais prédestiné à étudier aux États-Unis. Conseillé par un ami, j’ai dû finalement choisir Montréal. Je devais étudier chez les Jésuites – ordre religieux que je connaissais déjà en Haïti avant d’immigrer au Canada – afin de devenir prêtre. Cependant, les circonstances de la vie m’ont orienté vers une autre option, celle d’étudier plutôt dans un collègue Laïc. Après mes études, j’ai rencontré ma première épouse avec laquelle j’ai eu des enfants. Actuellement, je vis à Toronto.
 
Loin de votre terre et de votre mère, la mort de cette dernière, celle de votre fille, de votre sœur et avec votre état de santé suite à l’ACV, il a fallu dans un cas ou dans l’autre vous attacher à quelque chose sur une terre étrangère. Pouvez-vous nous en parler?
G.O : Je pense que la majeure partie des ressources était en moi. Ce sont des choses qui me dépassent. Je n’arrive pas à les nommer, peut-être Dieu, les anges ou les saints, etc. Bref, c’est une force supérieure qui m’a boosté et m’a soutenu durant toutes ces périodes. Je vous raconte une anecdote. Lorsque j’étais sur mon lit d’hôpital au moment de mon ACV, par exemple, entouré des machines, je disais à ma neurochirurgienne que dans deux semaines, je pars pour faire le chemin de Compostelle. Je pense qu’à ce moment, il y avait quelque chose dans mon inconscient qui me poussait à reprendre vite le dessus. Bien évidemment, sur ma civière, je ne sentais pas ma main ni mes pieds. Mais ce qui est certain, dans ma tête, j’étais sûr que mes sens allaient se réveiller.
 
Avez-vous expérimenté le lâcher-prise à un moment dans votre expérience de la maladie?
G.O : Pour moi, le lâcher-prise est de considérer qu’on n’est pas toujours en contrôle de tout. Dans mon cas, le lâcher-prise a été plus mental. À un certain moment, je parlais à mon cerveau, je lui disais de faire confiance à l’équipe soignante. Au niveau physique, je vois aussi le lâcher-prise dans la vie de tous les jours en m’allégeant de ce que je possède. C’est faire confiance.
 
En tant qu’immigré, peut-on dire que l’intériorité occupe une place dans votre expérience? Pour vous, l’intériorité est-elle essentielle à l’immigration? Dans quelle mesure l’intériorité peut-elle constituer un ancrage pour celui qui arrive dans un autre pays?
G.O : Quand je suis arrivé au Canada, j’étais dépaysé. L’intériorité m’a beaucoup aidé, car cela me recentre sur le pourquoi j’étais venu et m’aide à me concentrer sur les bonnes expériences que j’avais j’eues dans mon parcours d’immigration au-delà des aspects moins stimulants comme le climat. J’étais arrivé au mois d’octobre. Première neige, le soleil et la nature me manquaient. Il n’y avait pas de feuilles dans les arbres. Je me suis dit : qu’est-ce que je fais ici? Mais avec la pratique de mon intériorité, j’ai pu dépasser ces aléas. Ce qui me motivait est cette phrase que je me redis devant les obstacles : « tout ceci aussi passera ».
 
En parlant de votre voyage à Compostelle, est-ce qu’il y a un lien entre votre départ d’Haïti et votre voyage à Compostelle?
G.O : À première vue, je dirais non…parce que mon départ d’Haïti est un départ involontaire en ce sens que c’était ma mère et le reste de la famille qui étaient partis d’Haïti pour des raisons économiques. C’était la fin du régime dictatorial des Duvaliers. Compostelle est venu pour une autre raison. J’ai eu un cancer des glandes thyroïdes. Durant mes traitements, je suis tombé sur un documentaire qui parlait de ce chemin. Je me suis dit : « quand je vais guérir, je vais faire ce pèlerinage à Compostelle ». Ainsi, après ma rémission, j’ai fait ce chemin pour respecter mon engagement!
 
Qu’avez-vous retenu de ce voyage?
G.O : J’ai vécu un bouleversement durant ce pèlerinage qui m’a fait prendre conscience d’avoir un nouveau regard sur le monde et ma vie, d’apercevoir une rupture d’avec ma vie d’avant sans m’en rendre compte de ce qui n’allait pas bien. J’ai vécu une expérience de cheminement profond qui m’a permis de prendre une décision à mon retour. En, effet, j’ai mis un terme à ma relation avec mon épouse d’alors. Et pourtant, c’était une relation de 30 ans. Comme mon départ d’Haïti, je peux dire que j’ai pu faire un deuxième deuil, celui de la fin de ma relation.
 
Lorsque vous nous parliez de votre expérience de la maladie, vous avez mentionné un point percutant. Vous disiez : « quand je vais guérir » et non si je guéris. Que pouvons-nous comprendre de cette affirmation?
G.O : Je me dis que la façon dont nous parlons a une grande influence sur nos vies. Si je dis si je guéris, c’est que je pense qu’il y a une possibilité que je guérisse. C’était l’expression de ma croyance et de ma spiritualité. Et je faisais tout ce qui est en ma possession pour que je guérisse. Je crois que le mental a une fonction dans notre relation par rapport à nos désirs ou nos souhaits. Je crois que si je pense assez fort que je vais guérir, je vais guérir. Je ne dis pas que les gens qui ne guérissent pas ne croient pas, mais me concernant, je crois que mon mental a joué un rôle assez prépondérant dans ma guérison. C’est une philosophie, une conduite de vie, un principe que je me suis donné. Je vois toujours le verre à moitié plein. J’essaie d’être positif. C’est ma croyance jusqu’à présent.
 
Ne peut-on pas considérer qu’avec la découverte de Compostelle, l’expérience du confinement et le souvenir de vos origines, vous avez fait une expérience d’exil, du temps de l’éveil à l’essentiel, qui pourrait dévoiler votre spiritualité personnelle?
G.O : La pandémie m’a appris plein de choses. Elle m’a rappelé cette facilité que nous avons de pouvoir se ressourcer. Ce que j’ai trouvé extraordinaire durant cette période est de pouvoir m’asseoir et de ne pas être distrait par tout ce qui était autour.
 
Je n’ai jamais autant écrit que pendant la pandémie. D’autres amis m’ont dit qu’ils n’ont pas été capables d’écrire une seule ligne pendant cette période. C’est une question de laisser aller. Je cherche des fois l’inspiration à l’extérieur. Certains cherchent à combler l’esprit à l’extérieur, alors qu’on a déjà tout en nous. Bien évidemment, j’ai vécu l’isolement comme tout le monde. Mais je n’ai pas eu besoin d’avoir des gens autour de moi pour pouvoir avancer. J’ai eu plus de temps que jamais pour réfléchir au sens de la vie, parce que du jour au lendemain, nos vies peuvent basculer.
 
Quel serait votre mot de la fin?
G.O : J’ai deux petites choses. Premièrement, j’ai parlé tout à l’heure du détachement. De tout ce qu’on perd quand on quitte son pays. Mais il faut aussi penser à tout ce qu’on gagne quand on immigre ailleurs. Pour revenir, il faut partir. Mais il faut aussi arriver pour pouvoir repartir. Dans mon cheminement d’étranger, j’ai constaté que j’ai toujours eu le choix de rester à l’étranger toute ma vie là où j’ai immigré, ou de rester toujours attaché à l’endroit d’où je suis parti. En faisant la paix avec ce dilemme, cela me permet de vivre différemment, de savoir que mon ailleurs c’est ici maintenant.
 
La deuxième chose c’est le temps dont j’avais besoin pour changer. De me créer de nouvelles habitudes. J’avoue que ce n’est pas un cheminement facile. Mais à force de faire des répétitions et cela devient une nouvelle manière d’être. Certains disent que le changement se fait en 21 jours. Moi, je dis que cela prend au moins 30 jours. L’essentiel, selon moi, est de fixer des objectifs de changement et de me poser des questions pertinentes à ma vie d’immigré. Qu’est-ce que je veux changer? Pourquoi je veux changer ces choses-là? Qu’est-ce que cela va m’apporter et qu’est-ce que cela va apporter aux gens qui m’entourent?
 




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