Crédit photo : Nadia Gauvin, Espace Mémoire, Lac-Mégantic
Un soutien unique aux immigrants après un AVC
Par Sarah Ben Karim et Nadia Gauvin – 1er décembre 2023
Pour plusieurs immigrants, la vie prend un tournant inattendu en cas d'AVC. Outre les défis d'adaptation culturelle et linguistique, ils doivent surmonter des obstacles médicaux dans un nouvel environnement. En tant que travailleuses sociales, nous les soutenons avec une approche inclusive en tenant compte de leurs valeurs, croyances et culture.
Chaque personne est unique et a sa propre histoire
Imaginez que vous traversez une épreuve de vie au sein d'un environnement qui vous est étranger. Vous avez perdu vos points de repère, vous êtes inquiet pour votre avenir. Votre corps ne réagit pas tel qu’il le devrait. Vous n’arrivez pas à le contrôler facilement. Pourtant, il n’y a aucune fracture, aucune lésion visible. Vous cherchez vos mots, tentez de faire des phrases, mais votre bouche n’arrive pas à émettre les bons sons. Le personnel médical vous parle dans une langue que vous avez de la difficulté à comprendre. Ils s’adressent à votre entourage et vous saisissez quelques mots sur votre état de santé. Vous avez de la difficulté à réfléchir. Vous êtes inquiet pour vous, mais aussi pour votre famille. Vous ressentez le désarroi dans le regard de votre partenaire.
Ceci est la réalité d’un nombre considérable de personnes et de familles immigrantes au Québec, qui se trouvent confrontées à des enjeux de santé majeurs. Non seulement ces personnes doivent composer avec leur condition médicale et les conséquences qui y sont associées, mais elles doivent aussi naviguer au sein d'un labyrinthe d'exigences administratives et bureaucratiques, dont la complexité peut sembler insurmontable. En effet, certaines familles immigrantes disposent de peu de connaissances sur le fonctionnement du pays d’accueil.
Faire face à un AVC
Faire face à un accident vasculaire cérébral (AVC) représente une épreuve de vie, un accident qui vient bouleverser le quotidien. Il est rempli de questionnements et d’émotions et surtout de peurs et de préoccupations face à ce que l'avenir pourrait réserver. Cet événement de vie a le potentiel de marquer la réalité des personnes touchées ainsi que celle de leur entourage.
Nombreux, les impacts aussi imprévisibles et uniques peuvent être physiques et cognitifs, mais ils ont également des conséquences sur les sphères économiques, psychologiques, familiales, professionnelles et sociales.
Nous pouvons donc dire que le rétablissement d’un AVC demande beaucoup d’efforts et d’implications autant pour l’individu que pour son entourage et entraîne des processus d’adaptations sur plusieurs plans.
Le Centre de réadaptation de l’Estrie du CIUSSSE de l’Estrie-CHUS
Au Centre de réadaptation de l’Estrie en déficience physique, notre mandat en services spécialisés est d’accompagner l’usager dans une récupération optimale de ses capacités, développer son autonomie afin qu’il puisse retourner dans un milieu de vie adapté à ses capacités et limitations.
Nous formons une équipe interdisciplinaire qui offre des services en santé et en services sociaux. Nous travaillons conjointement afin que l’usager soit au cœur de nos interventions.
Monsieur Samir
Pour illustrer cette situation, nous vous présentons l’histoire fictive de notre accompagnement auprès de monsieur Samir qui rassemble plusieurs éléments d’une personne immigrante que nous rencontrons au centre de réadaptation.
Monsieur est originaire de Syrie, réfugié avec sa femme et ses deux enfants d’âge mineurs. Dans le cadre de sa réadaptation et du retour à son domicile, nous avons reçu un mandat en travail social afin de l’accompagner dans l’adaptation à sa condition suite à son AVC et de lui offrir un soutien administratif dans ses démarches.
Comment ça va?
Lors de notre première rencontre, nous demandons tout simplement « comment ça va? » à monsieur Samir. Bien qu’il vient de subir un AVC, il n’adresse pas ses difficultés liées à sa condition, mais plutôt ses défis d’adaptation linguistiques et professionnelles à son arrivée au Québec. Il explique comment il a eu l’impression de recommencer sa vie à 50 ans dans un milieu inconnu et sans repères. Nous écoutons et abordons ses difficultés d'intégration au Québec ainsi que les répercussions sur sa famille et sa vie sociale, notamment les soucis financiers, le besoin de travailler et de se sentir utile, l'apprentissage d'une nouvelle langue à un âge avancé, et les difficultés à soutenir ses enfants dans leurs études. Monsieur s’illumine lorsqu’il nous parle de ses nouvelles amitiés depuis son arrivée à Sherbrooke et comment son entourage est important pour lui.
Monsieur partage également son histoire personnelle, sa fierté pour sa culture, les traditions culinaires de son pays d'origine, ainsi que l'importance de sa foi et de sa religion. Il nous confie que c'est à travers sa croyance en Allah et dans l'islam qu'il puise la force nécessaire pour surmonter les moments difficiles. Il explique sa conviction que tout ce qui arrive dans la vie est pour une raison. C’est ce qu’il appelle mektoub, symbolisant la destinée et la volonté de Dieu.
Lors d’une première rencontre en travail social, il est nécessaire d’écouter l’être humain et d’adresser ce qui est important pour lui. Il faut considérer chaque détail qui est partagé, car il est rempli d’une panoplie d'informations qui orientent notre accompagnement. En effet, les aspects culturels et spirituels enrichissent notre compréhension et guident notre accompagnement.
Prendre le temps de connaître la personne devant nous en état de vulnérabilité, c’est avant tout l’accueillir dans ses forces. En effet, les récits de vie sont souvent empreints de résilience personnelle et notre rôle consiste à identifier les forces qui les sous-tendent. Ces forces seront essentielles pour la réadaptation et le cheminement de la personne. Ainsi, être à l’écoute, c’est découvrir ce qui a du sens pour la personne et qui pourrait nous être utile pour guider l’usager à surmonter l’épreuve d’un AVC.
J’ai besoin de raconter
Lors de la deuxième rencontre, monsieur nous parle de sa vie en Syrie et de sa vie professionnelle. Il était avocat spécialisé dans la défense des droits humains. Sa femme Idra était enseignante à l’université en sociologie. La guerre s’est présentée dans leur vie et a laissé de graves traumatismes. Monsieur évite plusieurs sujets, certains étant trop sensibles à être dévoilés. « J’en ai jamais parlé. C’est difficile. J’ai vu la mort. » Nous respecterons ce besoin de silence et de dévoilement.
Il nous parle de son arrivée au Québec et du programme de francisation pour maîtriser la langue française. Il nous exprime ses difficultés lors de son évaluation de compétence linguistique et des échecs consécutifs, ce qui a compromis sa reconnaissance académique et professionnelle. N’étant pas en mesure de poursuivre sa carrière d’avocat, monsieur nous raconte avoir occupé divers emplois, notamment en tant que machiniste, pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille.
En fin de rencontre, monsieur aborde tranquillement les impacts de son AVC. Il nomme qu’il se sent inutile. « Je ne travaille plus. Je ne rapporte plus d’argent. Je suis un fardeau pour ma famille. Je suis en fauteuil roulant et je ne peux plus jouer avec mes enfants. Je suis incapable d’aider ma femme à cuisiner et de faire les courses nécessaires. Elle fait tout et je crains qu’elle s’épuise. »
Le sentiment d’impuissance, les deuils, les peurs et la perte des rôles sociaux sont des éléments clés dans un accompagnement en travail social. Lorsqu’un travailleur social prend le temps de connaître l’histoire et les événements significatifs de la vie de la personne, l’intervention devient basée sur une démarche personnelle. Cela permet de reconnaître la résilience propre à chaque individu, qui sera ensuite intégrée tout au long de son parcours d'accompagnement.
Mme Idra: Se comprendre et s’allier
Lors de la troisième rencontre, nous avons rencontré Mme Idra, l'épouse de monsieur, en compagnie de Mme Khaisara l'interprète, car elle maîtrise peu le français. Son visage reflétait une grande inquiétude, de l'anxiété et du désespoir, tandis que son corps était courbé et fatigué, témoignant de la pression qu'elle subissait. Mme Idra a eu du mal à partager les difficultés qu'elle rencontrait pour prendre soin de sa famille. Elle s'exprimait d'abord à travers l'interprète, qui traduisait ensuite ses paroles. Elle mentionne sa préoccupation quant au paiement du loyer, recevant des lettres des assurances de son mari sans en comprendre le contenu ni les étapes à suivre.En raison de l'absence de permis de conduire, elle était également incapable de faire les courses, tandis que son mari restait constamment devant la télévision, incapable de l’aider. Elle se posait des questions sur l’état physique actuel et futur de son mari. Elle se sentait perdue dans les démarches à entreprendre. Cependant, elle a exprimé sa foi en affirmant qu'elle croyait qu'Allah veillait sur elle et sa famille.
Pendant près de 75 minutes, nous regardons tour à tour Mme Idra et Mme Khaisara et collaborons à bien nous comprendre. Au-delà des mots et des regards, des sourires viennent renforcer le lien de confiance avec madame. Peu à peu, le visage de Mme Idra se transforme, s'allège et nous percevons de l’espoir dans ses yeux.
La conjointe d’un usager qui a subi un AVC est notre principale alliée. Nous devons en prendre soin. Elle est un pilier de la structure familiale. Nous assurer qu’elle puisse répondre aux besoins de la famille tout en prenant soin d’elle-même est primordial. Notre rôle consiste à la soutenir dans ce processus d’adaptation. Elle est souvent la mieux placée pour nous informer des difficultés rencontrées à la maison, des limites qui se présentent, et elle peut nous orienter vers les ajustements et l'aide nécessaires de la part de notre équipe. En reconnaissant son importance et en la soutenant adéquatement, nous contribuons au bien-être de l'ensemble de la famille confrontée à cette épreuve.
L’importance des croyances, des valeurs et de la langue
Valoriser les croyances et les valeurs des individus joue un rôle dans l'établissement d'une relation de confiance. En reconnaissant et en respectant les perspectives individuelles, nous démontrons notre compréhension et notre respect de la culture et nous permettons à la personne d’utiliser ses propres valeurs et croyances comme levier face à la situation qu’elle vit. De plus, nous reconnaissons l'importance des caractéristiques linguistiques uniques de chaque personne. Pour surmonter les obstacles linguistiques, l'utilisation d'interprètes se révèle être une composante essentielle de notre approche. Néanmoins, nous sommes conscients que cette méthode peut présenter des défis potentiels. De plus, il est pertinent de noter que les interventions auprès de cette clientèle ont tendance à être plus longues en raison de la complexité de leurs situations, des barrières linguistiques, et de la nécessité de fournir davantage d’explications. Nous considérons la nécessité d’éclairer toute méconnaissance concernant le système de santé et les services disponibles. Dans cette optique, nous nous efforçons de fournir des informations claires et compréhensibles concernant les diagnostics médicaux ainsi que l’ensemble des services/aides disponibles et utiles à la personne. Cela nous paraît important, étant donné que certaines personnes et familles se trouvent dans une situation de flou et d'incertitude par rapport au système de santé. Nos interventions s'étendent sur une période de réadaptation, généralement s'échelonnant de quelques semaines à quelques mois, afin de permettre un suivi approfondi et une intégration harmonieuse dans leur nouvelle réalité.
En résumé | L’intervention en contexte d’immigration
En contexte d’immigration, notre approche d'intervention adopte une perspective globale et inclusive, mettant en avant l'importance de considérer le parcours personnel unique de chaque individu. Cette approche englobe plusieurs aspects de l’identité de la personne, soit son patrimoine culturel, ses croyances religieuses et spirituelles. Dans notre engagement envers les familles immigrantes, nous attachons une grande signification aux caractéristiques culturelles spécifiques à chaque unité familiale. Pour garantir que nos services soient facilement accessibles, nous maintenons une approche flexible et adaptable, visant à comprendre les expériences de chaque personne et de chaque famille. Le respect des valeurs et croyances culturelles, religieuses et spirituelles est une pierre angulaire de notre approche. Nous personnalisons nos interventions en fonction de la réalité de l'immigration, en les adaptant pour refléter les valeurs intrinsèques à chaque individu. Tout au long de ce processus, l'écoute attentive et bienveillante demeure un élément central, renforçant ainsi le lien de confiance.
Sarah Ben Karim est travailleuse sociale depuis quelques mois au Centre de réadaptation de l’Estrie du CIUSSSE-CHUS en déficience physique au programme Atteintes neurologiques. Elle est investie dans la réflexion autour de l'immigration et considère que les valeurs et croyances sont des atouts qui peuvent être utilisés comme leviers et forces pour favoriser la réadaptation et l’intégration sociale.
Nadia Gauvin est travailleuse sociale depuis 23 ans. Elle œuvre aussi au Centre de réadaptation de l’Estrie du CIUSSSE-CHUS au programme Atteintes neurologiques. Elle se distingue par sa compassion, la quête de sens et la spiritualité. Elle accorde une grande importance à ce qui résonne avec chaque personne, plaçant ainsi leur singularité au cœur de ses interventions. Cette approche centrée sur l'individu reflète l'importance qu'elle accorde à la diversité humaine.