L’immigration à Québec et dans sa région

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Un portrait et des constats



Par Corinne Béguerie – 1er décembre 2023

La ville de Québec attire depuis plusieurs années de plus en plus de personnes immigrantes. En effet, entre les politiques de régionalisation du gouvernement Québécois, les besoins de main-d’œuvre des entreprises de la ville, le recrutement international et l’accueil de personnes réfugiées, le portrait de l’immigration a changé. Dans cet article, nous présentons l’évolution de l’immigration à Québec et présentons un portrait des personnes immigrantes qui ont décidé de s’installer dans la ville et sa région, entre enracinement et parfois vulnérabilité, selon leur statut d’immigration.

 
Le Canada accueille depuis de nombreuses années des personnes immigrantes afin de répondre notamment aux besoins économiques du pays. Si la première moitié du XXe siècle a surtout connu une immigration blanche, généralement européenne, assez homogène et majoritairement chrétienne, l'après-guerre marque un tournant dans la composition du portrait de l'immigration et des caractéristiques des immigrants reçus, y compris au Québec. En effet, la deuxième moitié du XXe siècle est plutôt marquée par l'internationalisation de l'immigration. Les politiques mettent en place un processus de sélection de l’immigration basé sur le capital humain des personnes immigrantes (qui sont sélectionnées selon leur niveau d’études, leur expérience professionnelle ou encore leur âge), des critères économiques et humanitaires sont appliqués avec pour objectif de développer la croissance économique et démographique ; le pays s’ouvre à une plus grande diversité d’origine des immigrants (Boudarbat et Boulet, 2010; Fortin et Piche, 2004; Knowles, 2000).
 
En 1991, avec la signature de l'Accord Gagnon-Tremblay-McDougall, que l’on appelle généralement Accord Canada-Québec, le Québec obtient du gouvernement fédéral de pouvoir sélectionner les personnes immigrantes de la catégorie économiques et de déterminer le nombre de personnes immigrantes que la province désire accueillir chaque année. L’immigration est non seulement un levier économique pour répondre aux besoins de main-d’œuvre des entreprises québécoises, mais elle permet également de préserver le poids démographique de la province et devrait contribuer à soutenir l’usage du français au Québec.

Les lois canadiennes et québécoises sur l’immigration distinguent deux types d’immigration : une immigration permanente et une immigration temporaire. Pour chacun de ces types d’immigration, les gouvernements ont déterminé plusieurs catégories de personnes immigrantes (Immigration Réfugiés et Citoyenneté Canada, 2023; Ministère de l'Immigration, 2023).
 
Ainsi, les personnes qui viennent s’installer au Québec à travers un processus d’immigration permanente devront d’abord recevoir un certificat de sélection du Québec du gouvernement provincial puis le gouvernement fédéral délivre le visa de résidence permanente. Trois grandes catégories de personnes composent l’immigration permanente : 1) les personnes immigrantes de la catégorie économique dont les travailleurs qualifiés sélectionnés selon une grille de points octroyés selon notamment leur niveau d’études, le domaine d’étude, l’expérience professionnelle, l’âge ou encore la connaissance du français ; 2) les personnes réfugiées et 3) les personnes parrainées (aussi appelé regroupement familial). Les personnes résidentes permanentes ont les mêmes droits et obligations que les Québécois, sauf le droit de vote et le passeport canadien. Après quelques années passées sur le territoire canadien, ces personnes peuvent demander leur résidence permanente. Les personnes qui viennent avec un statut temporaire sont des travailleurs temporaires ou encore des étudiants de l’international. Ces personnes reçoivent un certificat d’acceptation du Québec et c’est le gouvernement fédéral qui délivre les permis d’études et de travail qui ont une durée limitée. Selon certaines conditions, elles peuvent ensuite demander leur résidence permanente, puis obtenir leur citoyenneté. Ces personnes ont des droits plus limités que les personnes résidentes permanentes et des obligations bien encadrées.
 
Enfin, les personnes demandeuses d’asile sont autorisées à rester sur le territoire sous certaines conditions en attendant d’obtenir, ou pas, un statut de personne réfugiée. Elles peuvent obtenir un permis de travail temporaire.
 
La majorité des personnes immigrantes s’installent à Montréal et dans sa périphérie. La métropole est très attractive pour les personnes immigrantes, mais les programmes de régionalisation et le recrutement international des entreprises des autres régions du Québec accueillent de plus en plus de personnes immigrantes. La ville de Québec a vu une croissance très importante la population immigrante qui est passée de 11685 personnes en 1991 à 45 235 en 2021, comme on peut le voir sur la figure 1.
 

Figure 1 : Croissance de la population immigrante permanente de la Ville de Québec


Source : Ville de Québec (2023)
 



Le nombre de nouvelles personnes immigrantes résidentes permanentes est en constante augmentation depuis 2001 comme on peut le constater sur la figure 2, ce qui confirme le pouvoir d’attraction de Québec et de sa région.
 

Figure 2 : Nombre de personnes immigrantes qui s'installent dans la RMR de Québec depuis 2001


Source : Statistique Canada (2023)
 



Le recrutement international contribue grandement aussi à attirer des personnes immigrantes temporaires. L’Université Laval reçoit beaucoup d’étudiants internationaux, tout comme certains collèges de la ville. Les entreprises de Québec et de la région sont aux prises avec d’importantes pénuries de main-d’œuvre, elles se tournent donc vers le recrutement international depuis 2008.
 
Selon le dernier recensement de Statistique Canada (2023), on comptait 22% de personnes avec un statut temporaire dans la RMR de Québec en 2021 et 78% de personnes résidentes permanentes.
 
L’immigration temporaire et l’immigration permanente façonnent le visage de la ville de Québec et de sa région. En effet, la majorité des personnes immigrantes viennent d’Europe et d’Afrique. On note une très légère majorité d’Européens chez les temporaires (40% vs 34%) alors que pour les personnes résidentes permanentes, le pourcentage d’Africains est légèrement plus élevé (38% vs 31%) comme on peut le constater sur les figures 3 et 4.
 

Figure 3 : Lieu de naissance des résidents non permanents par continent - RMR de Québec (2021)


Source : Statistique Canada (2023)
 



Figure 4 : Lieu de naissance des immigrants par continent - RMR de Québec (2021)


Source : Statistique Canada (2023)
 



Si l’on regarde plus précisément le pays de naissance des personnes immigrantes (figure 5 et 6), on constate que les personnes nées en France forment une très grande majorité. Sont ensuite très présentes des personnes originaires du Maghreb (Algérie, Maroc et Tunisie) dans les deux catégories, ainsi que des personnes originaires d’Afrique de l’Ouest (Côte-d’Ivoire, Cameroun, Sénégal). Il est intéressant de mentionner que l’on parle français dans tous ces pays, ce qui est donc un élément qui facilite l’intégration socioprofessionnelle de ces personnes. Ces personnes répondent donc bien à l’objectif du gouvernement provincial de recevoir des personnes immigrantes qui contribuent à soutenir l’usage du français au Québec.
 

Figure 5 : Les 10 premiers pays d'origine des résidents non permanents - RMR de Québec (2021)


Source : Statistique Canada (2023)
 




Figure 6 : Les 10 premiers pays d'origine des immigrants - RMR de Québec (2021)

 
Source : Statistique Canada (2023)
 



Les personnes immigrantes installées dans la RMR de Québec se retrouvent majoritairement dans le groupe d’âge de 25 – 64 ans (figure 7), donc c’est une catégorie de personnes actives sur le marché du travail qui contribue donc à la prospérité économique de la province.
 

Figure 7 : Personnes immigrantes par groupe d'âge et par catégorie d’immigration dans la RMR de Québec (2021)


Source : Statistique Canada (2023)
 




Pour terminer ce portrait statistique de l’immigration à Québec, on constate dans la figure 8 que les personnes immigrantes sont installées un peu partout dans la ville mais on les retrouve en plus grand nombre dans les arrondissements de La Cité-Limoilou et de Sainte-Foy-Sillery-Cap-Rouge.
 
Figure 8 : Lieux d’installation des personnes immigrantes dans les arrondissements de la ville de Québec (2021)


Source : Ville de Québec (2023)
 




Au-delà des chiffres et des statistiques, il est important de souligner que le statut migratoire des personnes immigrantes a un impact sur leur intégration socioprofessionnelle, notamment en ce qui concerne les personnes avec un statut temporaire. En effet, même si l’objectif des employeurs qui font du recrutement international est de garder les travailleurs étrangers temporaires à l’emploi dans leurs organisations et de les enraciner dans la région, avec leur famille, des défis peuvent se présenter.
 
Ainsi, en fonction du type de permis délivré à la personne immigrante temporaire, la mobilité professionnelle va être très différente. Une personne qui vient travailler au Québec avec un permis de travail fermé est liée à son employeur pour toute la durée du permis, pour le meilleur mais parfois pour le pire puisqu’elle ne peut pas changer d’employeur. Plusieurs situations dramatiques ont mis en lumière à quel point certains de ces travailleurs étaient vulnérables1. Également, les activités professionnelles de ces personnes sont strictement limitées à ce qui est inscrit sur leur permis et à leur contrat. Il n’y a donc aucune flexibilité pour changer de poste dans son organisation ou prévoir un retour aux études pour faire un bac ou une maitrise.
 
S’agissant des étudiants qui viennent de l’international, si certains peuvent bénéficier d’exemption de frais de scolarité (leur pays d’origine doit avoir signé une entente avec le Québec), pour les autres, les droits de scolarité sont beaucoup plus élevés que pour les personnes citoyennes canadiennes ou résidentes permanentes.
 
Un autre exemple concerne l’entrepreneuriat. Les personnes avec un statut temporaire qui veulent se lancer en affaires, ne bénéficient pas de tous les programmes de prêts, de subventions ou de financement offerts aux autres catégories de personnes.
 
Si de beaux succès d’intégration socioprofessionnelle sont à souligner, il n’en reste pas moins certains défis, quel que soit le statut migratoire, notamment dans le domaine du travail. Une étude a montré en 2019 que certaines personnes immigrantes étaient encore victimes de discrimination à l’embauche (Beauregard et al., 2019). De plus, malgré des investissements importants dans l’offre de francisation, les longues listes d’attente pour s’inscrire à un cours reste un défi de taille pour certaines personnes non francophones qui se trouvent en difficulté dans l’accès au marché du travail. Enfin, la reconnaissance des compétences de certaines personnes immigrantes par les employeurs reste un enjeu, notamment s’agissant des métiers et professions réglementées.
 
Si l’on se penche spécifiquement sur le secteur de la santé et des services sociaux, les personnes immigrantes et les employeurs peuvent vivre des enjeux et des défis liés, par exemple, à la reconnaissance des compétences et des diplômes. Citons par exemple le cas des médecins et des infirmières immigrantes qui doivent passer à travers un processus complexe afin de faire reconnaitre leurs compétences par les ordres professionnels et les établissements d’enseignement (Béguerie-Goddaert, 2023). Des avancées ont été réalisées, notamment avec les arrangements de reconnaissances mutuelle signés avec la France, qui facilitent le parcours des personnes diplômées de France et exerçant une de ces professions. Mais cela ne concerne pas les personnes diplômées d’autres pays et certaines ne peuvent malheureusement pas terminer les parcours de mise à niveau et reconnaissance exigés, sont exclues de leur groupe professionnel et vivent des déqualifications (Béguerie-Goddaert, 2023).
 
Dans un autre ordre d’idées, des employeurs du domaine de la santé, mais pas seulement, ont rapporté avoir vécu des expériences inconfortables liées à des demandes concernant des pratiques religieuses sur les milieux de travail et durant les heures de travail. En effet, dans des établissements de santé, certains gestionnaires reçoivent des demandes liées à des pratiques religieuses, comme la possibilité d’avoir accès à un lieu pour faire leur prière plusieurs fois par jour, réorganiser les horaires de travail durant la période du Ramadan, avoir des jours de congés pour les fêtes religieuses qui ne sont pas celles des catholiques et qui sont institutionnalisées. On s’aperçoit que ces gestionnaires sont malheureusement peu outillés et formés pour répondre à ces demandes (Beji, 2016).
 
La Ville de Québec a un bon pouvoir d’attraction des personnes immigrantes. Son économie est florissante et les entreprises ont besoin de cette main-d’œuvre pour honorer leurs commandes et faire tourner l’économie. La consultation sur la planification de l’immigration 2024-2027 qui s’est tenue en septembre 2023 a permis aux différents acteurs du milieu de faire des propositions au gouvernement afin d’améliorer les conditions de travail de certaines personnes immigrantes tout en répondant aux besoins des entreprises. L’avenir nous dira dans quelle mesure ces propositions seront ou pourront être appliquées.
 

Références

Beauregard, J.-P., Arteau, G. et Drolet-Brassard, R. (2019). Testing à l'embauche des Québécoises et Québécois d'origine maghrébine à Québec. Recherches sociographiques, 60(1), 35-61. https://doi.org/https://doi.org/10.7202/1066153ar

Béguerie-Goddaert, C. (2023). L'évaluation des compétences professionnelles des médecins et infirmières immigrants au Québec : une analyse de la structure de coordination entre les acteurs institutionnels [Universté Laval]. http://hdl.handle.net/20.500.11794/113864

Beji, K. (2016). La gestion de la diversité : quelles sont les pratiques innovantes des employeurs dans une situation de rareté de main-d’œuvre? Le cas de la Capitale-Nationale

Boudarbat, B. et Boulet, M. (2010). Immigration au Québec: Politiques et intégration au marché du travail. CIRANO.

Fortin, S. et Piche, V. (2004). Un siècle d’immigration au Québec: de la peur à l’ouverture. Conférence Métropolis Atlantique.

Immigration Réfugiés et Citoyenneté Canada. (2023). Immigrer au Canada. https://www.canada.ca/fr/immigration-refugies-citoyennete/services/immigrer-canada.html

Knowles, V. (2000). Les artisans de notre patrimoine [ressource électronique]: la citoyenneté et l'immigration au Canada de 1900 à 1977. Citoyenneté et immigration Canada.

Ministère de l'Immigration, d. l. F. e. d. l. I. (2023). Lois et règlements. https://www.quebec.ca/gouvernement/ministere/immigration/lois-et-reglements

Statistique Canada. (2023). Tableau 98-10-0347-01 Statut d'immigrant et période d'immigration selon le genre et l'âge : Canada, provinces et territoires

Ville de Québec. (2023). Une ville en action pour l'immigration. Bilan du plan d'action en immigration 2020-2023. www.ville.quebec.qc.ca/apropos/planification-orientations/immigration/docs/bilan-2020-2023_plan-action-immigration.pdf
 

Note

1   Radio Canada. Romain Schué (2021) La face sombre du recrutement de travailleurs étrangers temporaires. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1824317/immigration-quebec-penurie-travailleurs-canada-legault

Radio Canada (2023) Abus contre des travailleurs étrangers : « On a besoin d’actions ». https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2015293/abus-travailleurs-etrangers-mauvais-traitements.
Le Devoir. Sarah R. champagne (2023) Les travailleurs temporaires craignent de perdre leur emploi à cause d’un problème de santé. https://www.ledevoir.com/societe/793348/travailleurs-etrangers-temporaires-en-agriculture-le-travail-avant-les-soins-une-etude-montre-que-les-temporaires-craignent-de-perdre-leur-emploi-a-cause-d-un-probleme-de-sante.
 



Corinne Béguerie est professionnelle de recherche à l’institut EDI2, faculté des sciences de l’administration de l’Université Laval et membre chercheure de la Chaire de recherche sur l’intégration et la gestion des diversités en emploi (CRIDE).
 



 
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