L’hospitalité des hôpitaux | art, religion et guérison

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Par Cory Andrew Labrecque

On s’interroge rarement sur l’importance de la beauté quand il s’agit de l’aménagement des chambres d’hôpitaux. Cependant, la qualité esthétique des lieux dans lesquels évoluent les patients hospitalisés influence, selon l’auteur, leur retour à la santé. En s’inspirant d’un très ancien hôpital italien, le Santa Maria della Scala, l’article démontre comment l’art participe à la guérison.

 
Les chambres d’hôpitaux sont rarement accueillantes, d’après mon expérience du moins. Les murs sont généralement nus et sans couleurs. Les fenêtres sont peu accessibles. Les lits sont très éloignés de la définition du confort de quiconque. L’équipement et le bruit constant sont un signe certain que l’endroit n’est pas fait pour être un foyer loin de chez soi. En effet, l’environnement stérile, pour ainsi dire, est un autre rappel, pour le patient, que son histoire vivante a connu une rupture radicale.
 

Un environnement de guérison

Les spécialistes en éthique narrative nous rappellent que « tout se trouve dans les récits » (Montello 2014). Lorsque notre histoire est interrompue par la maladie et que nous nous retrouvons déracinés à cause de cela, l’environnement étranger (une chambre d’hôpital, par exemple) dans lequel nous devons vivre influence beaucoup notre guérison. L’Organisation mondiale de la santé a longtemps adhéré à l’idée selon laquelle « la mauvaise santé ou la maladie est engendrée par une instabilité ou un déséquilibre de l’homme dans son système écologique et pas seulement par l’agent pathogène et son évolution » (1978, 13). Cela n’est donc pas une surprise si des études ont démontré que le lieu — et, ici, nous voulons dire l’espace clinique — compte (Ulrich et Giplin 2003; Walch et al. 2005; Trevisani et al. 2010; Huisman et al. 2012).
 
Récemment, une attention croissante a été accordée à une vision selon laquelle la chambre d’hôpital est moins un lieu de travail pour les professionnels de la santé qu’un environnement de guérison pour les patients. À propos de ce dernier aspect, des discussions concernant les bienfaits thérapeutiques des arts regagnent graduellement un terrain perdu. Même si la valeur des arts dans le cadre de la guérison a été grandement négligée par la médecine contemporaine, la relation entre ces deux est connue depuis des siècles.
 

À l’origine de l’hôpital | un lieu d’accueil

Prenez, par exemple, l’un des plus vieux hôpitaux du monde : Santa Maria della Scala à Sienne, en Italie. Pendant à peu près un millénaire (1090 à 1990 de notre ère), ce lieu a été témoin, grâce aux arts, des origines communes d’« hôpital » et d’« hospitalité ». À présent, cela nous incite à vouloir réviser la définition de la mission de nos hôpitaux pour y inclure l’ancien mandat d’être un lieu accueillant. Rappelons que la racine latine hospes — qui, curieusement, peut être traduite par hôte ou invité, ami ou étranger — suggère que l’hospitalité consiste d’abord et avant tout à éliminer l’« altérité » et à donner à l’autre personne le sentiment qu’elle est chez elle.
 
Étant à lorigine un abri pour les pèlerins se rendant à Rome le long de la via Francigena, l’hôpital Santa Maria della Scala — qui est rapidement devenu un important centre culturel à Sienne — prenait soin des bébés abandonnés sur ses marches, soignait les pauvres, distribuait l’aumône quelques fois par semaine, servant une portion double aux femmes enceintes, et accueillant les malades « avec un esprit charitable et bienveillant » (Baron 1990, 1450).
 
Cependant, l’étendue de cette bienveillance n’était pas la seule chose pour laquelle l’hôpital était reconnu. On raconte que lorsque Francesco Sforza, le condottiero italien et quatrième duc de Milan, envisagea la construction d’un hôpital dans sa ville, il convoqua son ambassadeur de Sienne pour récupérer un rapport sur Santa Maria della Scala provenant de son recteur de l’époque, Pietro di Nicolo Bolgarini (Baron 1990, 1451). Le recteur a souligné les œuvres d’art de l’hôpital, décrivant les pulchros muros (beaux murs) qui entouraient les malades, les pauvres et les pèlerins (Baron 1990, 1451).
 
Et nous voyons cela assez clairement dans le cycle des fresques — par Domenico di Bartolo, Lorenzo Vecchietta et Priamo della Quercia — qui ont embelli l’hôpital Santa Maria della Scala jusqu’à présent, exprimant à maintes et maintes reprises la riche histoire de ce lieu. Mon œuvre favorite du complexe est la Cura e governo degli infermi (Baron 1990, 1440-1441) ou Les soins aux malades de di Bartolo, qui reflète parfaitement, je crois, l’intégration des arts, de la religion et de la guérison : une triade valorisée, en ces lieux, comme étant essentielle pour les soins de la personne dans son intégralité.
 
Le tableau est une représentation occupée de la réalité dans l’hôpital et on y trouve plusieurs personnages qui réalisent leurs tâches quotidiennes. Dans le coin inférieur gauche de l’œuvre, un patient émacié tient fermement le bras de la personne soignante, alors que celle-ci le soutient doucement dans ce qui ressemble à une étreinte rassurante. En arrière-fond, un clerc écoute attentivement la confession d’un homme mourant, au-dessus duquel se trouve une tablette où l’on peut voir une carafe d’eau, un peu de pain et une grenade (de riches symboles théologiques, dailleurs) (Baron 1990, 1450). Mais c’est au centre du chef-d’œuvre qu’on trouve l’élément le plus révélateur. Nous avons là un homme entièrement dénudé, à l’exception d’un pagne, avec une grave blessure au travers de la cuisse droite. Le soignant est agenouillé devant lui, lavant les pieds du patient dans un bassin d’eau et utilisant un linge qui lui entoure les épaules et la taille pour les sécher. Une paire de chaussons repose près du bassin, indiquant le confort qui sera trouvé ici.
 
L’image est familière. Laver les pieds d’une autre personne était une importante tradition d’hospitalité et d’hygiène — de la part d’un hôte (ou, plus souvent, du serviteur de l’hôte) accueillant un invité dans sa maison — pratiquée pendant des siècles dans plusieurs civilisations anciennes. Dans l’imagination chrétienne, il s’agit d’un moment d’enseignement identifiable : un geste de service, d’humilité et d’amour de Jésus pour que ses disciples en fassent de même (Jn 13, 1-15). L’action de s’agenouiller et de nettoyer les pieds représente le lavage de tout ce qui divise les uns des autres. Le visiteur n’est plus un étranger ou un inconnu, mais un membre du foyer. Dans ce cas, cette personne n’est pas seulement un membre de la résidence hospitalière, mais est, comme le disent les Saintes Écritures, un concitoyen des saints qui fait partie de la famille de Dieu, rien de moins (Eph 2, 19). S’il existe une beauté dans l’ordre, comme certains le prétendent, alors la beauté réside dans le remaniement spirituel du statu quo.
 

L’art | une ouverture vers l’infini

À part Les soins aux malades de Domenico di Bartolo, il y a encore un autre motif qui parle de combler l’écart entre les pauvres et les riches, les malades et les sains, les derniers et les premiers. Des représentations artistiques des échelles et des escaliers se trouvent un peu partout dans l’hôpital; rappelons que Santa Maria della Scala doit son nom à la volée de marches qui raccorde la cathédrale de Sienne à l’hôpital. Ces images — qui évoquent la montée et la descente des anges dans le rêve de Jacob (Gn 28, 10-17) — ne rapprochent pas seulement les différences, elles incitent la personne qui observe à contempler l’alliance entre l’humain et le divin, entre la terre et le ciel. Cela me rappelle Pie XII qui a déclaré, en 1952, que « la fonction de tout art est en effet de briser le cercle étroit et angoissant du fini dans lequel l’homme est enfermé tant qu’il vit ici-bas, et d’ouvrir comme une fenêtre à son esprit aspirant à l’infini » (Pie XII 1952).
 
Plus encore, Pie XII a décrit un autre rôle que l’art a joué tout au long de l’histoire, mais d’une façon qui trouve un écho, je crois, chez ceux et celles qui travaillent dans le milieu de la santé contemporain :

À juste titre, on appela « Bible du peuple » les chefs-d’œuvre artistiques tels que, pour citer des exemples connus, les vitraux de Chartres, la porte de Ghiberti (dite du Paradis en une heureuse appellation), les mosaïques de Rome et de Ravenne, la façade du Dôme d’Orvieto. Ces chefs-d’œuvre, ainsi que d’autres, non seulement traduisent en caractères de lecture facile et dans une langue universelle les vérités chrétiennes, mais ils communiquent la signification et l’émotion intimes de celles-ci avec une efficacité, un lyrisme, une ardeur, que ne possède peut-être plus la plus fervente prédication. (Pie XII 1952)

 
En d’autres mots, l’art est un moyen de communication puissant (Parker, Labrecque, et al. 2013) et il peut être très éloquent lorsque les mots nous manquent. À l’hôpital Santa Maria della Scala, les fresques ont répété, pendant des siècles, une vérité fondamentale aux invités, une génération après l’autre : dans la mesure où la vulnérabilité est universelle, la compassion doit alors l’être aussi.
 

Références

Baron, J. H. “The Hospital of Santa Maria della Scala, Siena, 1090-1990.” British Medical Journal 301 (1990) 1449-1451.

Huisman, E.R.C.M., E. Morales, J. van Hoof, et H.S.M. Kort. “Healing Environment : A Review of the Impact of Physical Environmental Factors on Users.” Building and Environment 58 (2012) 70-80.

Montello, M. “It’s All in the Stories.” Hastings Center Report 44 (2014).

Parker, Ruth, Cory Andrew Labrecque, et al. “Communicating Through the Arts: Lessons for Medicine and Public health.” Journal of Health Communication 18.2 (2013) 139-145.
Pie XII. “The Function of Art.” 8 avril 1952. 23 décembre 2017. http://www.papalencyclicals. net/pius12/p12art.htm

Trevisani, Franco, Rachele Casadio, Francesca Romagnoli, Maria Paola Zamagni, Chiara Francesconi, Angela Tromellini, Antonio Di Micoli, Marta Frigerio, Gianluca Farinelli, et Mauro Bernardi. “Art in the Hospital : Its Impact on the Feelings and Emotional State of Patients Admitted to an Internal Medicine Unit” Journal of Alternative and Complementary Medicine 16.8 (2010) 853–859.

Ulrich, R.S., et L. Giplin. “Healing Arts : Nutrition for the Soul.” Dans Putting Patients First: Designing and Practicing Patient Centered Care. Eds. S.B. Frampton, L. Giplin, P. Charmel. San Francisco : Jossey-Bass, 2003.

Walch, Jeffrey M., Bruce S. Rabin, Richard Day, Jessica N. Williams, Krissy Choi, et James D. Kang. “The Effect of Sunlight on Postoperative Analgesic Medication Use: A Prospective Study of Patients Undergoing Spinal Surgery” Psychosomatic Medicine 67 (2005) 156-163.

World Health Organisation. “The Promotion and Development of Traditional Medicine” Geneva, 1978. 23 décembre 2017. http://apps.who.int/medicinedocs/documents/s7147e/ s7147e.pdf
 



Cory Andrew Labrecque, Ph. D. est professeur agrégé en éthique théologique et bioéthique, et titulaire de la Chaire de leadership en enseignement (CLE) en éthique de la vie à la Faculté de théologie et des sciences religieuses de l’Université Laval. Son enseignement et sa recherche se concentrent en grande partie sur la manière dont les religions (avec une attention particulière à la tradition morale catholique) traitent les enjeux éthiques du milieu médical, biotechnologique et environnemental. Il est intéressé par l’impact des technologies émergentes transformatrices sur les perspectives philosophiques et théologiques de la nature humaine et de la relation entre Dieu, l’être humain et la nature.


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Dernière révision du contenu : le 17 juin 2021

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