La beauté comme prémisse de conception architecturale des milieux hospitaliers

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Cour intérieure du nouveau CHSLD de l’Hôpital de Baie-Saint-Paul. Architecture Lemay – Groupe A.




Par Érick Rivard - 1er avril 2018

« La beauté de nos environnements quotidiens représente de grands bénéfices» À une époque où plusieurs grands projets architecturaux sont d’abord évalués à l’aune de la rationalité budgétaire, l’auteur insiste sur l’importance de prendre en compte l’aspect esthétique. Il appuie sa réflexion sur deux projets réalisés au Québec au cours des dernières années.


S’il est un concept difficile à définir, c’est bien celui de la beauté. En effet, dans sa grande subjectivité, la beauté est un terme particulièrement personnel qui fait rarement consensus. On n’a qu’à penser à l’appréciation d’une œuvre d’art : rares sont celles qui font l’unanimité. Aujourd’hui, trop souvent coincée dans une gestion des projets architecturaux qui élèvent les échéanciers et les contextes budgétaires au titre de dogmes absolus de la réussite d’un « bon » projet, la réflexion esthétique semble parfois reléguée au second plan. Pourtant, la beauté dans nos environnements quotidiens représente de grands bénéfices. Alors que des chantiers hospitaliers majeurs sont en cours au Québec et que plusieurs établissements de santé subiront des travaux importants dans les prochaines années, il est intéressant de se questionner sur la place accordée à la beauté dans ces milieux consacrés à la guérison et au bien-être. Cet article tente d’apporter un éclairage sur le sujet en définissant la beauté en architecture et les valeurs qui forgent son appréciation pour l’individu, en reconnaissant les retombées que représente le beau au quotidien et en se questionnant sr la place de la beauté dans notre société et plus particulièrement dans le milieu de la santé.
 


Nouveau hall d’entrée de l’Hôpital de Baie-Saint-Paul. Architecture Lemay – Groupe A.
 

La beauté | émotion et sens

La beauté n’est pas une affaire d’expert; elle est liée au plaisir et à la satisfaction et elle est définie par l’évaluation et la perception de l’observateur. Cette évaluation se réalise à travers une série de « filtres » liés à des valeurs souvent très personnelles, qui peuvent être sociales, écologiques, perceptuelles, fonctionnelles ou même expérientielles. Lorsqu’une chose ou un objet suscite une émotion positive, nous le trouvons beau! Un bâtiment n’est pas une œuvre d’art : c’est un espace fonctionnel, habité, vécu. Susciter des émotions n’est pas son unique objectif et c’est pourquoi l’évaluation de la beauté architecturale nécessite des regards croisés où interagissent le design, la fonction et l’utilisateur, notamment.
 
Dans l’appréciation de la beauté d’un élément architectural, certaines valeurs dominent tant et si bien qu’elles pourraient occulter les qualités esthétiques intrinsèques de l’œuvre. Les valeurs économiques en sont un exemple : pensons quelques instants au stade olympique, une œuvre architecturale grandiose, photographiée et visitée par des milliers de touristes… et pourtant mal-aimée des Québécois pour qui le traumatisme du gouffre financier n’est pas encore cicatrisé. Nous faisons collectivement confiance aux architectes pour créer des bâtiments et des lieux significatifs qui, on l’espère, pourront susciter des émotions, mais ils sont souvent plutôt appelés à régler des problèmes d’ordres économique et administratif. Un projet d’architecture est un équilibre précieux entre la raison et l’émotion.
 
Un objet ou un bâtiment peut posséder des qualités esthétiques indéniables, avoir des formes séduisantes, des couleurs stimulantes, mais sa beauté vient aussi du sens qu’on lui donne. Cette notion de « sens », entendue ici comme le caractère identitaire, est une caractéristique fondamentale qui permet de saisir qu’un cadre bâti est en phase avec son milieu d’appartenance. C’est cette quête d’identité qui a guidé la conception du nouvel hôpital de Baie-Saint-Paul. En effet, léquipe d’architectes de Lemay – Groupe A s’est inspirée des paysages de Charlevoix pour insuffler à l’architecture un caractère profondément ancré dans les réalités locales. Les espaces extérieurs de ce nouvel hôpital mettent en valeur le paysage culturel local. Par exemple, une nouvelle place publique accueille le visiteur et marque la relation directe entre le bâtiment et le cœur de la municipalité et plusieurs prolongements des fonctions intérieures évoquent les particularités de l’environnement.
 
L’architecture de cet hôpital est aussi composée de plusieurs éléments évoquant l’appartenance au milieu : l’envolée d’oiseaux dans le hall d’entrée, les larges fenêtres mettant en scène le paysage naturel, ou la lanterne qui rappelle les clochers présents dans le paysage charlevoisien en sont des exemples. Un concours de photographies auprès de la population et des employés a même permis de doter les chambres des unités de soin d’immenses murales représentant des paysages marquants de Charlevoix : la glace sur le fleuve, les récoltes dans les champs, les vallées et les montagnes. La conception de ce bâtiment invite le patient, le visiteur ou le personnel à vivre dans un espace convivial, accueillant, en forte relation avec le lieu et à se l’approprier.
 


La nouvelle place publique de l’Hôpital de Baie-Saint-Paul permet de lier l’institution au cœur de la ville. Architecture Lemay – Groupe A. 
 

La beauté | l’appropriation des lieux

D’ailleurs, l’appropriation est peut-être une autre qualité permettant de définir la beauté en architecture. En effet, au-delà des qualités artistiques ou formelles des espaces, ceux-ci deviennent beaux quand les citoyens se les approprient. C’est pourquoi, par exemple, les corridors d’hôpitaux devraient être conçus non seulement comme des lieux de circulation, mais aussi comme des lieux d’attente et de réunion. La cafétéria, quant à elle, devrait être aménagée comme un lieu de rencontre stimulant où l’on a envie de passer du temps. Les corridors du CHSLD et du nouvel hôpital de Baie-Saint-Paul sont dotés de banquettes intégrées permettant de prendre une pause et d’apprécier les paysages. Les espaces d’hébergement de plus longue durée devraient systématiquement s’ouvrir vers des terrasses ou des jardins et être en relation avec l’environnement urbain et le paysage. Les matériaux utilisés peuvent eux aussi contribuer à briser le sentiment d’évoluer dans des atmosphères sans âme et sans chaleur. Le bois, par exemple, permet de créer une sensation plus chaleureuse et accueillante. Il apparaît essentiel de rechercher la beauté à travers l’espace créé par l’architecture plutôt qu’à travers l’objet lui-même.
 
Quels bénéfices la beauté peut-elle apporter dans les institutions consacrées aux soins, comme les hôpitaux ou les CHSLD? Au-delà des soins prodigués dans les milieux hospitaliers, le cadre physique ne pourrait-il pas, lui aussi, favoriser la guérison, accompagner les proches, faciliter un deuil? « Le potentiel thérapeutique des environnements hospitaliers pour réduire le stress des patients et augmenter le moral du personnel est documenté par nombre de recherches scientifiques quantitatives, de recherches psychologiques qualitatives et dans la théorie du design démontrant les bénéfices pouvant être obtenus sur la convalescence par l’usage de la lumière naturelle, la couleur, les textures et le son et en intégrant l’art, le design intérieur et l’architecture du paysage à la conception. » (Monk  2004)
 
C’est dans cette optique qu’au cœur du Centre mère-enfant Soleil du CHU de Québec – Université Laval, l’équipe d’architectes de Groupe A a été appelée à concevoir une verrière permettant de maximiser l’apport de lumière naturelle au cœur du bâtiment. Des œuvres d’art ressemblant à un mobile d’enfant y ont été intégrées et un espace en mezzanine permettant aux familles de se recueillir pour vivre les épreuves plus difficiles y a été aménagé.
 
On oublie souvent que les hôpitaux sont aussi des lieux de travail importants et, au même titre que tout environnement de travail, l’architecture peut jouer un grand rôle sur le bien-être, la motivation et la rétention du personnel. Le personnel, tout comme les patients, bénéficierait d’un environnement « beau » : une vue vers l’extérieur, un apport de lumière naturelle, une œuvre d’art ou un jardin parfaitement intégré à l’architecture sont tous des moyens d’y parvenir.



Cour intérieure du Pavillon Centre-Mère Enfant, CHU de Québec, Architecture : Groupe A.

 

La beauté | confrontation entre les valeurs

Le secret serait donc dans la commande! Lorsque l’architecte reçoit son mandat, si les seules valeurs mises de l’avant sont d’ordre économique ou liées à un calendrier de réalisation, si les seuls critères de réussite et d’évaluation sont d’ordre quantitatif, la qualité risque d’être reléguée au second plan. Inclure la beauté dans le quotidien n’est pas coûteux. Il ne s’agit pas d’embellir un projet banal, mais plutôt d’accorder, à travers toutes les étapes de la programmation et de la définition du projet, une place prépondérante aux valeurs que nous jugeons importantes pour définir la beauté : l’expérience, l’appropriation, le bien-être, la perception ou les relations sociales.
 
En plaçant la beauté comme prémisse de conception architecturale des milieux hospitaliers au Québec, c’est toute une société qui pourrait y gagner. D’ailleurs, l’Ordre des architectes du Québec milite depuis plusieurs années pour que le Québec se dote d’une véritable politique nationale de l’architecture qui pourrait encadrer les processus et décisions de tous les organismes et ministères. Cette politique aurait comme principales ambitions de faire émerger les conditions favorables pour la production d’une architecture de grande qualité. Parions qu’une telle politique aurait des répercussions importantes dans le milieu de la santé.
 

Références

Monk, Tony (dir.) (2004) Hospital Builders. West Sussex: Wiley-Academy.

Powell, Philip (dir.) (2004) « Foreword », In MONK, Tony (dir) Hospital Builders (p. 7). West Sussex : Wiley-Academy.
 



Érick Rivard est architecte et designer urbain au sein de Groupe A / Annexe U à Québec. Il est titulaire de deux maîtrises en architecture et spécialiste en gestion des paysages bâtis. Son rôle d’expert est reconnu dans plusieurs domaines de l’aménagement; il est régulièrement consulté par les milieux universitaires et par divers paliers gouvernementaux et participe à plusieurs colloques et séminaires à titre de conférencier. Il est membre de la Commission d’urbanisme et de conservation de Québec et enseigne sur une base régulière à l’École d’architecture de l’Université Laval. Depuis 15 ans, il a participé à la conception de nombreux projets institutionnels importants dont l’agrandissement du centre de recherche de l’Institut de cardiologie à Montréal et le nouvel hôpital de Baie-Saint-Paul.


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