Par François Leblanc - 1er août 2017
Une information adéquate est essentielle pour que nos choix soient les plus cohérents possible avec ce que nous souhaitons réellement quand la maladie nous touche. L’auteur propose une synthèse des informations médicales de base à connaître de manière à éclairer les différentes options qui s’offrent à nous, particulièrement en fin de vie.
Tout être humain est confronté, un jour ou l’autre, à la finalité de sa vie. Vaut mieux tard que tôt diront la grande majorité d’entre nous. Personnellement, je dirais… le plus tard possible! La vie est belle! En fait, il nous apparaît intolérable de penser autrement. De surcroît, l’exercice de se projeter vers la réalité de cette fin peut être anxiogène et douloureux. Les sages ne nous enseignent-ils pas de vivre et savourer le moment présent? De vivre notre journée comme si c’était la dernière, en chérissant ceux qu’on aime et en apportant bien et bonheur au prochain? Pourtant, l’acte de planifier demain reste quelque chose d’important. Ce n’est pas en contradiction avec la sagesse. Bien au contraire, bien planifier nous permet de mieux apprécier le moment présent.
Nous sommes dans une ère de choix. Bien sûr, la mort n’est pas un choix. Elle nous est imposée de par notre condition humaine. Et la façon dont la mort se présentera à nous ne sera pas un choix non plus. Se présentera-t-elle d’une façon subite, en plein sommeil? Ou sous la forme d’une longue maladie au déclin inéluctable? Sous la forme d’une courte maladie incurable peut-être? Et pourquoi pas dans le décours d’une maladie aiguë réversible, mais aux conséquences inacceptables? En bref, la mort sera présente au bout de notre chemin, d’une façon et à un moment inattendu. Mais la façon dont on y fera face sera un choix pour bon nombre d’entre nous. Souhaitons-nous affronter la mort dans un ultime combat au résultat incertain? Souhaitons-nous tenter notre chance avec telle ou telle technologie nouvelle? Souhaitons-nous un décès à la maison? Ou un décès serein, veillé en tout temps par ceux qui nous sont chers?
Pour faire un choix éclairé, ça prend de l’information. Et le processus d’acquisition de l’information prend du temps et de la réflexion. Pour le meilleur ou pour le pire, les considérations technologiques doivent faire partie de notre réflexion. Inévitablement, on nous posera ces questions : Voulez-vous être réanimé? Voulez-vous être intubé? Accepteriez-vous l’alimentation artificielle de type « gavage »? Accepteriez-vous la dialyse si vos reins flanchaient? Et si cette dialyse était possiblement temporaire, l’accepteriez-vous? Sachant qu’il n’y a véritablement aucun choix sans information, aucun consentement éclairé sans réflexion, on doit approfondir un peu nos connaissances sur le sujet. Cet article, bien que très imparfait, propose des éléments de réponse à certaines questions.
Réanimation
La réanimation cardio-respiratoire est un terme générique. Ce terme est beaucoup plus vaste qu’il n’en a l’air. En milieu hospitalier, lorsqu’on parle de réanimation, on parle de réanimation suite à un arrêt de l’activité mécanique cardiaque. Dans une telle situation, il n’y a plus de pouls, il n’y a plus de pression artérielle.
La réanimation est une des rares interventions médicales qui peut être faite sans consentement explicite. L’arrêt de l’activité mécanique cardiaque est une situation à ce point urgente qu’il est impossible d’obtenir un consentement explicite au moment où l’évènement survient. Sur la base du principe du caractère sacré de la vie, et à moins d’instruction contraire, les équipes soignantes doivent présumer du consentement et entreprendre les manœuvres. Si on ne désire pas ce genre de manœuvres, il faut en informer les soignants bien avant que l’épisode ne se produise.
Bien avant, mais quand? … dès que notre idée est faite sur le sujet, il faut en parler avec son médecin au bureau ET à l’hôpital. Mais comment faire son idée sur le sujet? En prenant des informations sur ces manœuvres, leurs risques et leurs bénéfices.
Mais de quelles manœuvres parle-t-on? Les manœuvres de réanimation consistent normalement à un massage cardiaque, suivi le plus souvent de la mise en place d’un tube dans la gorge pour être branché – temporairement souhaite-t-on – à un respirateur. Les manœuvres peuvent durer de quelques minutes à plus d’une heure. Plus la réanimation doit se prolonger, moins bonnes sont les chances d’un retour à sa vie antérieure.
Le massage cardiaque n’est pas quelque chose de banal. Il entraîne fréquemment des fractures de côtes, et rarement des traumatismes thoracoabdominaux plus graves. De plus, les taux de succès de la réanimation nécessitant un massage cardiaque sont faibles. On parle généralement de moins de 15 % de retour à domicile. Pour bien des catégories de patients, les résultats attendus peuvent être encore plus sombres, moins de 10 % de retour à domicile. Pour certains patients, le pire scénario pourrait être le succès à ramener à la vie… mais sans ramener à la qualité de vie souhaitée. Enfin, une réanimation sera suivie le plus souvent d’une hospitalisation de plusieurs jours dans une unité de soins intensifs, avec tous les désagréments qu’une telle hospitalisation peut comporter. Une hospitalisation encore plus longue est également souvent nécessaire pour la phase de réadaptation.
Ne pas souhaiter de manœuvres de réanimation ne veut pas dire que l’on souhaite la mort. Ça ne veut pas dire que l’on ne souhaite pas combattre non plus. Pour certains patients qui souffrent de maladie grave et débilitante, une ordonnance de non-réanimation veut simplement dire qu’il y a une ligne à ne pas franchir.
Alors voilà la première limitation thérapeutique possible à ce qui pourrait apparaître comme de l’acharnement : l’ordonnance de non-réanimation si arrêt cardiaque. Il est important de discuter de son choix ou non d’ordonnance de non-réanimation avec son médecin. En effet, il est sage de s’assurer que, comme patient, notre compréhension de la portée de cette ordonnance de non-réanimation s’inscrit dans le cadre de nos valeurs, de notre condition médicale antérieure et de la situation médicale actuelle.
Ventilation assistée
La deuxième limitation thérapeutique à considérer serait l’intubation de la trachée, aussi appelée ventilation assistée par un respirateur. Il s’agit de placer un tube dans la gorge jusqu’à la trachée. Ce tube sera branché à un « respirateur artificiel » pour maintenir en vie, le temps que la condition médicale mettant la vie du patient en danger se corrige et permette d’enlever ce tube en toute sécurité.
L’intubation n’est pas une expérience plaisante pour un patient. Le patient doit habituellement être sous contention (attaché) pour le protéger de l’envie souvent irrésistible de retirer ce tube. Le patient reçoit de la sédation pour son confort. Cependant, la condition médicale commande le plus souvent de mettre la sédation au minimum nécessaire pour maintenir un certain état d’éveil. L’intubation peut avoir une durée de quelques jours, voire quelques semaines.
La majorité des patients intubés survivent et peuvent être libérés du tube en moins de 14 jours. Cependant, bon nombre de patients sortent de l’épisode d’intubation avec un déconditionnement physique important. Une phase de réadaptation de plusieurs semaines doit être accomplie pour espérer un retour à l’autonomie.
Les conditions médicales qui peuvent nécessiter une intubation sont nombreuses : pneumonie sévère, autre infection grave entraînant un état de choc circulatoire, asthme sévère, insuffisance cardiaque sévère, coma, traumatismes graves. Cette liste est non exhaustive. Dans de telles conditions, l’intubation doit être considérée comme une option pour améliorer les chances de survie du patient. L’alternative à l’intubation serait l’usage de narcotiques et de sédatifs pour rendre le patient confortable, tout en espérant que les traitements « conventionnels », c’est-à-dire antibiotiques et autres traitements, améliorent sa situation. Une ordonnance de non-intubation signifie que le décès est une éventualité plus acceptable pour le patient que le maintien possiblement temporaire sur un respirateur.
L’intubation ne guérit rien. Elle permet de supporter les fonctions vitales du patient le temps que la maladie sous-jacente puisse être guérie. Si la maladie sous-jacente n’a pas de chance significative de régresser, l’intubation risque d’être prolongée. En bref, le choix ou non d’accepter une potentielle intubation dépend de la balance entre la capacité à accepter l’inconfort et l’incertitude sur la durée du traitement d’une part et les chances de revenir à une qualité de vie acceptable d’autre part.
Options de soins
Le formulaire de directives médicales anticipées qui découle de la loi concernant les soins de fin de vie propose de se prononcer sur les options de soins dont :
A. la réanimation cardiorespiratoire
B. la ventilation assistée
Ces deux premières options sont abordées plus haut. Trois autres options à caractère beaucoup moins urgent existent également :
C. la dialyse
D. la nutrition forcée ou artificielle
E. l’hydratation forcée ou artificielle
Dans le formulaire de directives médicales anticipées, on suggère des circonstances particulières qui amèneraient à se prononcer sur ces options de soins : situation de fin de vie et situation d’atteinte sévère et irréversible des fonctions cognitives.
En raison du caractère urgent des interventions médicales A et B, ces options doivent être approchées différemment des options C, D et E. En effet, si on ne souhaite en aucun cas être réanimé (option A), intubé et placé en ventilation assistée (option B), il est important de le préciser par écrit bien avant leur survenue. La raison est simple : le médecin ne peut jamais être absolument certain du moment d’une fin de vie ou de l’irréversibilité de problème cognitif. Et lorsqu’un arrêt cardiorespiratoire, ou une détresse respiratoire se produit, le patient n’est plus apte à consentir. Les soins deviennent urgents et il ne peut y avoir de doute sur la mise en place ou non de ces manœuvres vitales. S’il y a arrêt cardiorespiratoire, on réanime ou on ne réanime pas; il ne peut y avoir de tergiversation sur le potentiel de réversibilité ou non. La situation est urgente.
Pour les options de soins C, D, et E, il en va autrement. D’abord, si le patient est apte, et peu importe ses directives médicales anticipées, il conserve son droit de consentir ou de refuser ces options. S’il est inapte, une réflexion doit quand même avoir lieu entre le médecin et les proches avant d’appliquer ou non les directives. Cette réflexion doit se poser sur le côté irréversible des atteintes cognitives. Et en dehors des situations de démence bien diagnostiquées et très avancées, il est très difficile de se prononcer sur le caractère irréversible de l’atteinte cognitive ou sur le pronostic à court terme d’une situation de potentielle fin de vie.
Dialyse, nutrition et hydratation forcées : que doit-on savoir?
La dialyse
La dialyse (option C), est un traitement qui permet de remplacer les reins défaillants. Les reins sont des filtres à déchets. Si le filtre (rein) ne fonctionne pas, le patient accumule des déchets qui peuvent mener à des complications et à la mort. La dialyse (traitement de remplacement du rein) nécessite la mise en place d’un gros cathéter dans une grosse veine du cou ou de l’aine. Ce cathéter permet de faire circuler le sang dans une machine qui nettoie les déchets et qui retourne le sang propre au patient par ce même cathéter. En général, les traitements de dialyse (nettoyage du sang par une machine branchée au cathéter) peuvent durer environ quatre heures (quatre heures branché à une machine), et ce, jusqu’à trois fois par semaine. Le besoin de dialyse peut être temporaire (quelques jours à quelques semaines) ou permanent quand les reins ne guérissent pas.
La nutrition forcée
La nutrition forcée (option D) implique la mise en place, le plus souvent temporaire, d’un tube du nez à l’estomac, pour permettre le gavage. Ce gavage permet de prolonger la vie et éviter les complications de la dénutrition. Ce tube est inconfortable et est souvent arraché par le patient. Lorsqu’il est arraché, le tube doit être remis en place malgré l’inconfort significatif que cela comporte.
L’hydratation forcée
L’hydratation forcée (option E) nécessite la mise en place d’un « soluté » généralement bien toléré par le patient. Mais ce qu’il est important de retenir, c’est que sans hydratation (forcée ou naturelle) un malade décède en l’espace de quelques jours à quelques semaines.
Obligation de consentement
En définitive, on doit se rappeler qu’aucun soin ne peut être prodigué sans consentement. Advenant que, comme patient, nous soyons dans l’incapacité de consentir aux soins requis par notre état, un consentement doit tout de même être obtenu par l’équipe soignante auprès d’un proche.
Il y a une exception à cette règle d’obligation de consentement préalable aux soins. Il s’agit des conditions médicales urgentes mettant notre vie en danger imminent. De plus, ces événements qui mettent notre vie en danger amènent fréquemment une incapacité concomitante (temporaire ou permanente) à décider. Dans de telles situations, et à moins d’indications contraires, tout ce qui est médicalement requis pour nous sauver sera tenté par les équipes soignantes. Si nous souhaitons des « limitations » à certains soins qui nous apparaissent comme déraisonnables, il faut y penser et en informer nos proches et les soignants avant les événements.
Nous sommes dans une ère de choix. Nous nous devons de faire une réflexion sur ces enjeux. C’est l’acte de planifier demain dans le but de trouver une tranquillité d’esprit sur ce sujet.
Trois étapes pour un choix éclairé
En conclusion, pour prendre la bonne décision, celle qui correspond le mieux à nos valeurs et à notre volonté, trois étapes doivent être franchies. Première étape, on doit obtenir toute l’information médicale pertinente de la part de notre équipe soignante, en gardant en tête les implications de la réanimation et de la ventilation assistée dans un premier temps, de la dialyse, de la nutrition forcée et de l’hydratation forcée dans un second temps. Deuxième étape, on doit estimer le poids de notre attachement à ce que l’on juge une qualité de vie minimale, une vie pour laquelle ces options médicales vaudraient la peine d’être tentées. Troisième étape, on doit estimer notre capacité à encaisser l’inconfort et les souffrances associées aux options technologiques ci-haut mentionnées.
La mort n’est pas un choix. Mais la façon dont on l’affrontera relève le plus souvent d’un choix. Et un choix doit être éclairé. Souhaitons que cet article éclaire sensiblement le processus de réflexion.
François Leblanc est médecin interniste intensiviste au CHU de Québec – Université Laval. Il a reçu sa formation en médecine interne à l’Université Laval et sa formation en médecine de soins intensifs à Rochester NY, É.-U. Il pratique la médecine de soins intensifs depuis 1998.