Consentir aux soins | l’expression d’une autonomie individuelle?

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Par Caroline Maltais - 1er août 2017

Que signifie consentir? Voilà une question fort importante quand il s’agit de soins et de vulnérabilité! L’auteure appuie sa réflexion sur certains philosophes ayant posé la question de l’autonomie du sujet. L’article met en lumière les défis liés au consentement, notamment dans un contexte de vulnérabilité, en posant la relation à l’autre comme fondamentale.

 
Demander l’accord de l’autre avant de poser un geste l’impliquant n’est-il pas l’une des plus belles marques de reconnaissance de son autonomie? Et donner son accord ne vient-il pas marquer un lien de confiance? Voilà des énoncés qui nous invitent à réfléchir au geste de consentir à la lumière de l’autonomie de la personne et de sa dimension relationnelle. Mais avant d’aller plus en avant, une première interrogation s’impose à nous : que signifie consentir?
 
La philosophie nous dit que le consentement est « acte de volonté par lequel on décide ou même on déclare expressément qu’on ne s’oppose pas à une action déterminée dont l’initiative est prise par autrui » (Lalande, 2010). De par sa définition, le consentement laisse place à une nuance de réserve qui ouvre la porte à la possibilité de s’opposer, donc à la possibilité du refus. Ainsi, l’obtention d’un consentement ne peut pas être considérée comme une simple formalité; elle nécessite un espace de dialogue qui sinscrit dans une relation à lautre. Lorsqu’il s’agit de soins de santé, cette relation à l’autre prend un sens tout particulier, notamment en raison d’une certaine forme d’asymétrie de pouvoir. Alors que la personne faisant appel au professionnel de la santé se retrouve en situation de vulnérabilité, le professionnel de la santé se présente comme la personne possédant le savoir, la réponse au besoin d’aide de cette personne vulnérable. Avant de s’attaquer à cette question de la vulnérabilité et de la relation à l’autre, prenons un court détour sur le terrain juridique pour mieux saisir cette entreprise du consentement aux soins.
 

L’émergence du consentement aux soins dans l’ordre juridique

C’est à la suite des grands scandales qu’a connus la recherche sur l’être humain lors de la Deuxième Guerre mondiale que l’exigence du consentement aux soins prend place dans l’ordre juridique. Le code de Nuremberg1 constitue le premier document normatif à accorder une place centrale au consentement lors d’expérimentation sur l’être humain. À son article premier, il pose trois critères pour définir le consentement soit la capacité légale de donner son assentiment, être en situation pour donner son assentiment librement et disposer des informations pertinentes et en avoir une compréhension adéquate. Précisons ici que les préceptes énoncés dans le code de Nuremberg s’enracinent « […] dans une conception du sujet comme personne essentiellement vulnérable plutôt qu’essentiellement autonome » (Amiel, 2011). Plusieurs textes législatifs ont repris cette exigence du consentement, mais cette fois dans l’univers clinique. Aujourd’hui, non seulement le droit civil, mais également les lois encadrant les différents professionnels de la santé reconnaissent cette exigence d’obtenir le consentement de la personne avant de prodiguer des soins.
 
L’évolution de la doctrine du consentement aux soins ainsi que l’élaboration et la mise en place de son appareillage juridique s’accompagnent d’un changement de paradigme important dans la relation entre le professionnel de la santé et la personne malade. On s’est déplacé d’une relation régie par le principe de la bienveillance considérée comme paternaliste vers une relation régie par l’autonomie où le consentement aux soins joue un rôle fondamental (Tétaz, 2014).
 

Les implications du changement de paradigme

Ce changement de paradigme s’est incarné dans l’approche centrée sur la personne et la prise de décision partagée. En effet, l’approche centrée sur la personne propose de placer la personne au cœur de la relation et de la considérer dans sa globalité plutôt qu’uniquement sous l’angle de la maladie. Cette approche a conduit à penser d’une nouvelle façon le processus de prise de décision dans le choix d’un soin ou d’un traitement, en donnant ici une place centrale à la personne et au respect de son autonomie. Dans la perspective du modèle de prise de décision partagée, le processus décisionnel est dynamique et se définit comme un échange d’information entre la personne requérant les soins et le professionnel de la santé. D’une part, le patient transmet l’information à propos de ses valeurs, ses préférences, son histoire de vie et d’autre part, le professionnel transmet l’information concernant les options possibles de soins et de traitements. L’autorité décisionnelle est partagée par le patient et le professionnel de la santé. Ce modèle vise un équilibre entre l’autonomie du patient et l’intérêt supérieur de ce dernier dans le choix d’un soin ou d’un traitement.

Ce partage d’information se situe à l’intérieur d’une rencontre de l’un avec un autre dont la vulnérabilité est exacerbée par la condition de santé. Or, c’est justement à partir de cette situation particulière de vulnérabilité qu’émerge toute la difficulté de la conception de l’autonomie de la personne sur laquelle repose la règle du consentement aux soins. En toile de fond, on exige de considérer l’autonomie de la personne dans une perspective individuelle. Or, comment cette personne malade peut-elle exercer son autonomie en situation de grande vulnérabilité? N’est-il pas nécessaire de considérer la place du professionnel de la santé accompagnant la prise de décision et soutenant l’exercice de l’autonomie?

Cet enjeu renvoie à une réflexion d’ordre éthique parce qu’il interroge la signification de l’autonomie chez la personne vulnérable. Est-il possible de penser l’autonomie dans le temps ou les conditions de la vulnérabilité? Alors que l’idée d’autonomie suppose une capacité à agir de manière rationnelle et indépendante, la vulnérabilité nous renvoie à la fragilité ontologique de l’être humain dont la maladie est l’une des expressions. Faut-il voir là une tension irréconciliable entre autonomie et vulnérabilité ou plutôt une possibilité d’atténuer cette tension à partir de la voie relationnelle?

Pour mieux saisir ce questionnement, revenons à cette idée de l’autonomie qui nous renvoie à des présupposés à l’endroit d’un sujet nourri de l’époque des Lumières. En effet, l’esprit de cette époque et ce qu’elle a généré exhorte l’être humain à utiliser sa raison et sa liberté pour s’émanciper de différentes tutelles (naturelles, religieuses, hiérarchiques) et affirmer son identité individuelle (Citot, 2005).
 

Les limites d’une autonomie individuelle

Une des figures marquantes liées à cette époque, le philosophe allemand Emmanuel Kant, propose une conception de l’autonomie qui s’inscrit dans la philosophie morale. Kant s’intéresse tout particulièrement à l’intention de l’action plutôt qu’au résultat. Il pose ainsi la volonté comme bien suprême. Cette dernière se définit comme le pouvoir d’agir en accord avec l’idée de lois. La raison joue ici un rôle clé permettant d’établir des principes moraux valables universellement. Ainsi, cette propriété qu’a la volonté d’être à elle-même sa propre loi constitue pour Kant, l’autonomie de la volonté (Kant, 1985)

Retenons de cette conception kantienne de l’autonomie, qu’elle constitue une capacité qui s’appuie sur la liberté de l’être humain, sa raison, ainsi que la volonté bonne et qu’elle soumet l’agir à une exigence d’universalité. Avant tout, l’autonomie, chez Kant, est à saveur pratique et éthique dans un sens absolu. Elle affirme la capacité de la personne à prendre des décisions pour elle-même, mais également à porter un jugement moral sur ses actions. Elle pose aussi les fondements de lagir déontologique dans le champ de la pratique des soins.

Deux autres figures importantes, les philosophes américains Beauchamp et Childress, ont influencé largement la conception de l’autonomie utilisée dans les soins de santé. Ils proposent une conception de l’autonomie pragmatique qui s’intéresse à l’action autonome plutôt qu’à la personne autonome. Trois conditions sont nécessaires pour qu’une action soit considérée comme autonome : 1/ l’intentionnalité; 2/ la compréhension; et 3/ l’absence de contraintes externes et internes. L’intentionnalité de l’action réfère au plan (finalité et moyens) proposé par l’auteur en vue de l’exécution de l’action (Beauchamp, 2013).

Quant à la compréhension, elle réfère à la capacité de la personne d’appréhender la nature de l’action ainsi que ses conséquences ou ses résultats possibles (Beauchamp, Childress, 2010). Enfin, l’absence de contrôle signifie que la personne est exempte de contrôle de source externe ou d’un état interne qui empêche cette dernière de se diriger elle-même (Beauchamp, Childress, 2010).

Les conceptions de l’autonomie évoquées précédemment montrent qu’elles ne permettent pas de rendre compte de manière satisfaisante de la réalité de l’autonomie de la personne au sein de la relation soignante en contexte de prise de décision difficile. On constate que certains enjeux relatifs au consentement et à la prise de décision partagée renvoient à une notion d’autonomie dont la compréhension et l’application posent certains dilemmes. En ce qui concerne par exemple la conception kantienne, il propose un sujet idéalisé, rationnel, libre et indépendant assez loin de la réalité de la personne malade et vulnérable qui a nécessairement besoin de l’autre pour être accompagnée dans la prise de décision et favoriser l’expression de son autonomie. Par ailleurs, en privilégiant l’action autonome plutôt que la personne autonome, Beauchamp et Childress délaissent lacteur principal de la décision. Mais peut-on réellement penser laction autonome sans penser l’autonomie du décideur?
 
Alors que l’autonomie de la personne est au fondement même de la règle du consentement, ces constats nous amènent à réfléchir à la question de la vulnérabilité de la personne au sein même de son autonomie.
 

Le paradoxe de l’autonomie et de la vulnérabilité

À ce propos, le philosophe français Paul Ricœur nous invite à penser l’autonomie et la vulnérabilité comme un paradoxe (Ricœur, 2001). Faisant appel au vocabulaire des capacités corrélées à celui des incapacités, il soutient que l’homme autonome est le même que celui qui est vulnérable, mais sous des points de vue différents. Pour bien saisir cette thèse, on doit dans un premier temps porter notre attention sur la dimension capacitaire de l’être humain telle que Ricœur la conçoit dans son anthropologie philosophique à travers sa phénoménologie de l’homme capable. Cette dernière s’inscrit dans une herméneutique du soi et s’intéresse à l’agir humain sous l’angle de la puissance et de l’acte faisant ici référence à l’ontologie de l’être chez Aristote. Ricœur décline ainsi les différentes formes des capacités de l’être humain : pouvoir dire, pouvoir agir, pouvoir raconter et se raconter et enfin pouvoir s’imputer ses propres actions (Ricoeur, 2004).
 
Ricœur va donc corréler chacune de ces capacités de base, inscrites dans l’ordre de la puissance, à la non-puissance ou encore à la puissance moindre, caractéristique de la personne vulnérable. Cette corrélation lui permet de rendre compte de l’autonomie comme condition de possibilité et non comme un donné absolu. Dans ce sens, Ricœur affirme que « c’est la vulnérabilité qui fait que l’autonomie reste une condition de possibilité » (Ricoeur, 2004); cette non-puissance ou puissance moindre pouvant aller jusqu’à se dire comme souffrance. L’introduction de la vulnérabilité permet de comprendre l’être humain non seulement comme un être agissant, mais également comme un être souffrant dont l’autonomie est une tâche à accomplir. La souffrance comme figure de la vulnérabilité est particulièrement intéressante et illustre bien ce paradoxe de la puissance et de la puissance moindre ou de la non-puissance de l’agir.
 
La vulnérabilité ainsi comprise fait voir la nécessaire présence de l’autre pour permettre à l’autonomie de se déployer. Il est maintenant temps de s’attarder à cet autre qui nous invite à tourner notre regard vers la dimension relationnelle de l’autonomie.
 

La place de l’autre

En effet, cette tension entre l’autonomie et la vulnérabilité soulève la question de la place de l’autre dans l’exercice de l’autonomie, cet autre appelé par la situation de vulnérabilité. Qui est cet autre et comment peut-il favoriser la capacité d’agir dans la prise de décision? D’abord au singulier, cet autre est celui présent dans la relation soignante, le professionnel de la santé. Celui qui accompagne, qui guide tout au long du processus décisionnel de manière à favoriser l’exercice de l’autonomie. C’est aussi ces autres, au pluriel, que sont la famille, les amis, mais également un système, une société, un cadre social. Cela nécessite de se préoccuper de l’ancrage social et de la dimension relationnelle de tout être humain. L’autonomie n’est pas l’autarcie (Voyer, 2009); il est par conséquent illusoire de penser l’autonomie uniquement en termes individuels. La présence de l’autre est non seulement inévitable, mais surtout essentielle pour accompagner et réhabiliter les capacités de cet autre soigné afin de lui permettre de poser un geste des plus autonomes sans nécessairement atteindre chez lui une pleine autonomie.

Au terme de ce parcours, nous constatons l’insuffisance de l’autonomie individuelle à rendre compte de la réalité clinique. Il est par conséquent essentiel de penser la dimension relationnelle de l’autonomie, tout particulièrement lors du processus décisionnel qui mène au consentement aux soins.
 

Références

Amiel, Philippe, Des cobayes et des hommes. Expérimentation sur l’être humain et justice, Paris, Les Belles Lettres, collection « Médecine et sciences humaines », 2011, p. 78.
 
Beauchamp Tom L. et J. F. Childress, Standing on principles. New York, Oxford University Press, 2010.
 
Beauchamp, Tom L. et James F. Childress, Principles of Biomedical Ethics, 7e éd., New York, Oxford University Press, 2013.
 
Citot, Vincent. « Le processus historique de la Modernité et la possibilité de la liberté (universalisme et individualisme) », Le philosophoire, vol. 25, no. 2 (2005), p. 35-76.
 
Kant, Emmanuel. Fondement de la métaphysique des mœurs (trad. V. Delbos). Dans F. Alquié (éd.), Kant, Œuvres philosophiques. Tome 2, Paris, Éditions Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1985, p. 243-337.
 
Lalande, André. Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Paris, Presses universitaires de France, collection « Quadrige », 2010, p. 177.
 
Ricoeur, Paul Le juste 2, Paris, Éditions Esprit, 2001, p. 85-105.
 
Ricoeur, Paul Parcours de la reconnaissance, Paris, Éditions Stock, 2004, p. 137-219.
 
Tétaz, Jean-Marc. Les limites du consentement dans une médecine de mort, Paris, Vendémiaire, 2014, p. 195.
 
Voyer, Gilles. La mort à son heure, Paris, Médiaspaul, 2009, p. 11.
 

Note

 Le code de Nuremberg reprend les dix critères permettant de déterminer les expérimentations juridiquement acceptables établies par le tribunal militaire américain lors du procès de Nuremberg contre les médecins nazis.
 



Diplômée de l’Université Laval en sciences infirmières et en droit, Caroline Maltais prépare actuellement une thèse de doctorat portant sur la dimension relationnelle de l’autonomie de la personne malade en situation de prise de décision de soins de santé menant au consentement aux soins. Après avoir œuvré pendant une quinzaine d’années dans le milieu clinique en soins postopératoires, elle s’est tournée vers l’enseignement universitaire. Elle enseigne à l’Université Laval notamment les aspects éthiques et déontologiques de la profession d’infirmière.


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