Connaissez-vous bien les niveaux de soins?

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Par Lucie Baillargeon et Lise Tremblay - 1er août 2017

Les niveaux de soins1 ou niveaux d’intervention médicale sont apparus au Québec vers la fin des années 1980 (Nazerali, Ska, Lajeunesse, 1998). Ils font partie des outils de planification préalable des soins permettant au patient d’exprimer ses préférences concernant les soins à recevoir. Cet article rédigé sous forme de questions/réponses présente le concept de niveaux de soins et les éléments importants pour que le processus décisionnel soit réalisé conformément aux meilleures pratiques cliniques.

 

Qu’est-ce qu’un niveau de soins?

Le niveau de soins est un outil de communication entre le patient, le médecin et l’équipe soignante (Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS) 2015). Il précise de façon anticipée les préférences du patient concernant ses objectifs de soins et les interventions qu’il est prêt à recevoir si son état de santé se dégrade et qu’il n’est plus en mesure d’exprimer ses choix. Le niveau de soins est habituellement déterminé à l’issue d’une discussion entre un médecin et un patient ou, si ce dernier est inapte, son représentant.
 

Pourquoi en parler?

Établir un niveau de soins permet daméliorer la concordance entre les souhaits du patient et les soins qui lui sont donnés (INESSS, 2015). Le niveau de soins guide l’équipe traitante lorsqu’une détérioration de l’état de santé se produit et qu’un consentement ne peut être obtenu en temps utile par le patient ou son représentant. Dans certains cas, un niveau de soins permet d’éviter qu’une décision contraire aux souhaits du patient soit prise dans une situation d’urgence (ex. : entreprendre des manœuvres de réanimation cardiorespiratoire (RCR) alors que le patient ne veut pas être réanimé). Il faut souligner qu’un niveau de soins ne remplace pas le consentement aux soins. Enfin, il faut rappeler qu’en tout temps, la personne apte à consentir aux soins ou son représentant peut révoquer un niveau de soins (INESSS, 2016).
 

Qu’est-ce qui distingue les niveaux de soins des autres outils de planification préalable des soins?

Il existe plusieurs outils de planification préalable des soins, les principaux étant : les niveaux de soins, le mandat en cas d’inaptitude, les directives médicales anticipées (DMA) et le testament de vie (tableau 1). Toutes ces modalités de planification préalable s’appliquent uniquement lorsqu’un patient devient inapte à consentir aux soins. Les niveaux de soins sont le seul outil qui implique un dialogue entre le médecin et le patient.

Tableau 1 

Une autre distinction importante est que les niveaux de soins sont discutés lorsqu’une personne présente un état de santé susceptible de se détériorer significativement dans un délai prévisible alors que les autres outils peuvent être remplis à n’importe quel moment de la vie.
 
Les niveaux de soins incluent un large éventail de situations cliniques et de traitements alors que les DMA définies par la loi québécoise – Loi concernant les soins de fin de vie et les directives médicales anticipées (DMA) – sont limitées à trois situations cliniques : fin de vie, atteinte sévère et irréversible des fonctions cognitives (coma irréversible ou état végétatif permanent), toute autre atteinte importante et irréversible des fonctions cognitives (ex. : démence grave) (Recueil des lois et des règlements du Québec (RLRQ), 2014). Contrairement aux niveaux de soins, les DMA sont limitées à cinq soins : réanimation cardiorespiratoire, ventilation assistée par un respirateur, dialyse, alimentation forcée ou artificielle, hydratation forcée ou artificielle (RLRQ, 2014).
 
Enfin, les DMA sont contraignantes, c’est-à-dire qu’elles ont la même valeur qu’un consentement advenant le cas où un patient devient inapte, ce qui n’est pas le cas des niveaux de soins, du mandat en cas d’inaptitude et du testament de vie. En cas de divergences entre deux outils de planification préalable (ex. : DMA et niveaux de soins), les choix indiqués dans les DMA ont préséance.
 

Qui doit en parler?

Le médecin a la responsabilité d’établir le niveau de soins et il prend habituellement l’initiative de la discussion avec le patient ou son représentant (Béland, Bergeron, 2002). Tous les médecins doivent développer les compétences pour discuter des niveaux de soins. Dans certains milieux de soins, les infirmières ont le rôle d’informer le patient en première instance et d’amorcer le processus de discussion qui sera complété ou validé par le médecin (INESSS, 2015).
 
La collaboration des autres membres de l’équipe est importante, particulièrement dans les situations complexes et lors de divergences d’opinions sur les soins appropriés. Tous les soignants ont des responsabilités communes (ex. : transmission d’une information susceptible de remettre en question un niveau de soins). Certaines responsabilités sont spécifiques à une profession (ex. : les infirmières doivent communiquer le niveau de soins au médecin de garde) (INESSS, 2016).
 

Quand et avec qui en parler?

Une discussion sur les niveaux de soins devrait être amorcée avec toute personne dont l’état de santé est susceptible de se détériorer à court ou à moyen terme (INESSS, 2016). En voici quelques exemples :

  • personne ayant une espérance de vie limitée, un risque élevé de détérioration en raison de problèmes de santé aigus ou chroniques ou d’un état de fragilité;
  • personne à risque de complications majeures lors d’une chirurgie ou d’autres interventions invasives;
  • personne recevant des soins palliatifs;
  • personne souffrant de troubles cognitifs;
  • personne admise dans un établissement de soins de longue durée.

 
Un patient apte à consentir aux soins peut faire participer toute autre personne qu’il souhaite à la discussion et à la détermination de son niveau de soins. Dans les situations où un patient est inapte à consentir aux soins, le niveau de soins sera déterminé avec son représentant, si possible en présence du patient (INESSS, 2016).
 

Comment discuter du niveau de soins avec un patient?

Le médecin doit créer un contexte favorable, c’est-à-dire prévoir du temps pour la rencontre dans un endroit approprié et éviter les interruptions. La discussion peut être amorcée avec le patient seul ou en présence de certains proches selon le contexte clinique. Prendre le temps de connaître le patient et gagner sa confiance est important même si ce n’est pas toujours facile, particulièrement dans une situation urgente. Le médecin peut lui demander comment il évalue sa qualité de vie et vérifier s’il a une bonne compréhension de ses problèmes de santé. Le médecin doit vérifier si le patient a déjà discuté de ses préférences pour la fin de vie ou complété des DMA. Dans ce dernier cas, le médecin doit vérifier si elles correspondent toujours aux volontés du patient et les déposer au dossier si ce n’est déjà fait.
 
S’il s’agit d’une discussion de routine, elle pourra débuter par : « Votre état ne m’inquiète pas, mais je veux parler avec vous de quelque chose dont je discute avec tous mes patients : que voulez-vous qu’on fasse si votre état de santé se détériorait? « Si la discussion a lieu lors dune situation clinique instable, le médecin peut débuter par : « Suite à ce nouveau problème de santé, c’est important que je discute avec vous de ce que vous voulez qu’on fasse si votre état se détériore. » L’expression « niveau de soins » a peu de sens pour le public et elle ne devrait pas être utilisée avec le patient. On devrait plutôt discuter d’objectifs des soins compte tenu de la condition du patient.
 
La plupart des patients et des familles souhaitent que la décision concernant le niveau de soins soit partagée (Heyland, Frank, Groll et coll. 2006). Le médecin doit s’assurer que le patient a une bonne compréhension de sa situation et de son pronostic vital et fonctionnel. Une étude montre que les patients dont le pronostic fonctionnel est moins bon (ex. : séquelles cognitives) sont peu enclins à accepter des traitements invasifs (Fried, Bradley, Towle, Allore, (2000). Lorsque le pronostic est incertain, le médecin a avantage à partager cette information avec le patient et ses proches, car ceux-ci se disent plus satisfaits lorsque le pronostic a été discuté (Heyland, Allan, Rocker, Dodek, Pichora, Gafni, 2009). Après s’être informé des objectifs, des préférences et des volontés du patient, le médecin expose les options thérapeutiques indiquées et il fera une recommandation sur les soins personnalisés. Le patient prendra la décision par la suite. Deux personnes ayant des conditions similaires pourront opter pour des niveaux de soins différents. Par exemple, un homme ayant un cancer du poumon métastatique dont le pronostic est de quelques semaines pourrait opter pour des soins visant le confort exclusivement et refuser toute intervention thérapeutique pouvant prolonger sa vie (ex. : refuser les antibiotiques intraveineux s’il fait une pneumonie). Un autre patient ayant le même problème, mais souhaitant prolonger sa vie afin de revoir un proche qui vit à l’étranger, pourrait accepter une investigation et des antibiotiques intraveineux s’il fait une pneumonie.
 
Il arrive qu’un niveau de soins ne puisse être déterminé dès la première discussion parce que le patient ou ses proches ont besoin d’un temps de réflexion. Dans ces cas, le médecin établit un niveau de soins temporaire en indiquant qu’il sera à rediscuter. Par exemple, le médecin pourrait cocher sur le formulaire l’objectif A (prolonger la vie par tous les moyens nécessaires) et inscrire « à rediscuter » attendant quun patient prenne une décision.

Comment remplir le formulaire de niveaux de soins?

Le médecin doit documenter la décision au dossier en remplissant le formulaire de niveaux de soins utilisé dans l’établissement. En 2016, un formulaire harmonisé a été élaboré par l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS) à la demande de l’Association médicale du Québec après qu’elle ait constaté que la diversité des échelles de niveaux de soins utilisées au Québec entraînait de la confusion et un manque de continuité des soins (INESSS, 2015). Il serait souhaitable que ce formulaire soit adopté éventuellement dans tous les contextes de soins.

Figure 1 : Niveaux de soins et réanimation cardiorespiratoire

 
Le nouveau formulaire « Niveaux de soins et réanimation cardiorespiratoire » est adapté à tous les contextes de soins (ex. : établissements de soins de courte durée et de longue durée, domicile) et aux services préhospitaliers (figure 1). Le formulaire distingue quatre objectifs de soins, soit :

  • prolonger la vie par tous les moyens nécessaires;
  • prolonger la vie par des soins limités;
  • assurer le confort prioritairement à prolonger la vie;
  • assurer le confort uniquement sans viser à prolonger la vie.

 
Des sections distinctes du niveau de soins permettent de consigner la décision sur la RCR et celles en lien au soutien ventilatoire d’urgence à l’intention des services préhospitaliers. On recommande fortement au médecin d’utiliser la section prévue pour rapporter les noms des participants ainsi que les mots utilisés durant la discussion et toute information qui pourra aider à préciser les volontés du patient. Enfin, le médecin doit signer et inscrire la date où le formulaire a été rempli.
 

Comment rendre le formulaire de niveaux de soins accessible?

Une fois rempli, le formulaire de niveaux de soins est déposé au dossier médical par le médecin. Les responsables de l’établissement doivent prendre les mesures pour que le formulaire soit facilement repérable dans le dossier. Le formulaire de niveaux de soins le plus récent doit être facilement accessible. Ce formulaire doit accompagner le patient lors de tout transfert.
 
Si le formulaire est rempli à l’extérieur d’un établissement (ex. : au bureau d'un médecin), une copie doit être remise au patient qui a la responsabilité de l’apporter lorsqu’il consulte dans un centre hospitalier.
 

Quand valider ou mettre à jour un niveau de soins?

Il n’y a pas de validité préétablie d’un niveau de soins qui peut évoluer en fonction de l’état du patient et du risque de complications. Un niveau de soins établi antérieurement doit être rediscuté à l’occasion de chaque nouvel épisode de soins ou d’un changement de l’état de santé (ex. : après un séjour aux soins intensifs). Le niveau de soins devrait être révisé à l’occasion de tout changement de l’état de santé, à la demande du patient ou de son représentant ou périodiquement si la condition est stable (INESSS, 2016).

Les discussions autour des niveaux de soins sont extrêmement importantes pour assurer au patient des soins appropriés à son état de santé et personnalisés. Être à l’écoute du patient et de ses proches permet au médecin de bien comprendre les volontés du patient. Transmettre l’information sur la situation clinique et le pronostic aidera à orienter les soins en fonction des valeurs et des préférences du patient. L’adoption par les milieux cliniques du formulaire développé par l’INESSS devrait assurer une meilleure continuité des soins offerts aux patients, particulièrement lors des transferts. Enfin, tous les membres de l’équipe traitante peuvent participer selon leurs rôles au processus décisionnel et assurer une cohérence dans les interventions offertes au patient.
 

Note

1   Dans cet article, l’expression « niveaux de soins » qui est mieux connue dans nos milieux cliniques est utilisée plutôt que niveau d’intervention médicale.
 

Références

Béland G, Bergeron R. « Les niveaux de soins et l’ordonnance de ne pas réanimer « Le Médecin du Québec, 2002; 37(4) : 105-111.
 
Fried TR, Bradley EH, Towle VR, Allore H. “Understanding the treatment preferences of seriously ill patients”. N Eng J Med 2002; 346:1061-1066.
 
Heyland DK, Allan DE, Rocker G, Dodek P, Pichora D, Gafni A. “Discussing prognosis with patients and their families near the end of life: impact on satisfaction with end-of-life care”. Open Medicine 2009; 3 :101-110.
 
Heyland DK, Frank C, Groll D et coll. “Understanding cardiopulmonary resuscitation decision making: perspectives of seriously ill hospitalized patients and family members”. Chest 2006; 130:419-428.
 
Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS). « Les niveaux d’intervention médicale – niveaux de soins : portrait de la situation et revue de la littérature », juin 2015. https://www.inesss.qc.ca/nc/publications/publications/publication/les-niveaux-dintervention-medicale-niveaux-de-soins.html
 
Institut national d’excellence en santé et en services sociaux. Les niveaux de soins – Normes et standards de qualité, janvier 2016. https://www.inesss.qc.ca/nc/publications/publications/publication/les-niveaux-de-soins.html
 
Nazerali N, Ska B, Lajeunesse Y. “A new health care directive for long-term care elderly based on personal values of life”. Canadian Journal on Aging 1998; 17(1):24-39.
 
Recueil des lois et des règlements du Québec (RLRQ) c. S-32. 000. Loi concernant les soins de fin de vie - S-32.0001 [Internet]. LégisQuébec. 2014 [cité 2 nov. 2016]. Disponible sur: http://legisquebec.gouv.qc.ca/fr/showdoc/cs/S-32.0001
 



Lucie Baillargeon est professeure titulaire et membre du département de médecine familiale et médecine d’urgence de la Faculté de médecine de l’Université Laval depuis 1986. Elle est directrice de la section des soins palliatifs, responsable du comité interdépartemental de soins palliatifs de la Faculté, présidente du comité directeur de la Chaire de soins palliatifs, représentante de la Faculté au Réseau universitaire de soins palliatifs du Québec et responsable de la Bourse Alain-Cloutier-Leadership clinique. Outre les soins palliatifs et la médecine familiale, ses champs d’intérêt sont la pédagogie, la médecine fondée sur les données probantes et la philanthropie. Sa pratique clinique se déroule à l’UMF Laurier en médecine familiale et en soins palliatifs à la Maison Michel-Sarrazin.
 
Lise Tremblay est pneumologue à l’Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec (IUCPQ) depuis 10 ans; son parcours de formation s’est complété par un postdoctorat en oncologie thoracique et en médecine palliative. Professeure agrégée à la Faculté de médecine de l’Université Laval, elle participe à quelques projets de recherche dont l’un a pour objet « l’identification des stresseurs et les stratégies d’adaptation des aidants de personnes atteintes de cancer du poumon pour améliorer le soutien à leur offrir. »


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