Par Sandy Lavoie - 1er août 2017
En se basant sur ses travaux de recherche réalisés dans le cadre d’une maîtrise en service social, l’auteure décrit la transition vers la phase palliative telle que vécue par des personnes atteintes de cancer recevant des soins et des services au Centre de jour de la Maison Michel-Sarrazin. Les résultats de l’étude montrent notamment que l’ensemble des éléments marquants pouvant influencer le processus de transition s’inscrit dans l’expérience du lien avec l’autre, que ce soit avec l’équipe soignante, la famille, les proches ou les pairs. La présence de relations significatives soutient l’adaptation de la personne atteinte devant les bouleversements engendrés par la progression de la maladie, rappelant ainsi l’importance de mettre le lien à l’autre au cœur des soins.
Lorsqu’une personne fait face à une maladie telle que le cancer, celle-ci voit s’ériger devant elle de nombreux obstacles. Le diagnostic entraîne dans son sillage divers bouleversements et annonce le début d’une trajectoire parsemée de périodes de transition. La transition peut s’expérimenter sous différentes formes : les transitions liées aux phases de soins; aux pertes que la maladie engendre; aux lieux où les soins sont octroyés ainsi que les transitions d’ordre psychologique et spirituel (Kralik, Visentin, van Loon, 2006; Duggleby, Berry, 2005). Toutefois, la transition vers les soins palliatifs est considérée comme étant l’une des plus difficiles. En effet, cette transition, qui est souvent marquée par la peur, l’incompréhension et l’incertitude (Marsella, 2009), introduit des changements quant à la nature des soins et des services qui sont offerts à la personne atteinte. De plus, puisqu’elle évoque la mort dans un avenir prévisible, elle produit de nombreux impacts d’ordre affectif, tant chez la personne malade que chez celles qui l’entourent.
Alors que les écrits scientifiques qui s’intéressent à ce sujet mettent en lumière un certain nombre d’éléments susceptibles d’exacerber les difficultés observées lors de cette transition, la perspective des personnes atteintes de cancer qui vivent cette expérience a peu été explorée (Marsella, 2009). Ainsi, afin de mieux soutenir les personnes qui y font face, il s’avère essentiel de mieux comprendre leur vécu et les caractéristiques qui parsèment ce passage critique. Dans l’optique d’offrir quelques éléments de réponse, les résultats issus d’une étude réalisée dans le cadre d’une maîtrise en service social seront ici mis à l’appui. En effet, cette étude avait pour objectif d’explorer ce que représente la transition pour les personnes qui en font directement l’expérience et d’identifier les éléments contraignants et facilitants qui influencent le déroulement de ce processus. La démarche entreprise afin de réaliser ce projet de recherche ainsi que le détail des résultats qui en découlent font l’objet d’un article paru antérieurement1.
Ainsi, afin de mieux comprendre l’expérience des personnes atteintes de cancer avancé qui vivent le passage de la phase curative à la phase palliative, des entrevues ont été réalisées auprès de onze personnes bénéficiant des soins et services du centre de jour de la Maison Michel-Sarrazin et ayant fait l’expérience du passage vers la phase palliative. Les personnes rencontrées ont accepté de partager leur expérience de transition et de décrire ce qui, pour elles, a été soutenant ou non au cours de ce processus.
La transition vers la phase palliative : ses particularités telles que perçues par les malades
Selon les personnes rencontrées, certaines caractéristiques précises distinguent le processus de transition vers la phase palliative. Tout d’abord, celles-ci révèlent qu’il est essentiel de reconnaître sa situation médicale, soit d’être conscient de l’évolution de sa maladie vers un état dont la guérison n’est plus envisageable. En effet, la reconnaissance de la phase palliative est indispensable au commencement du processus de transition et ouvre la voie à la réorientation et la redéfinition de soi, permettant ainsi à la personne de composer avec le changement (Bridge, 2004).
De plus, alors que les données suggèrent que la transition est une réalité reconnue par les personnes qui en font l’expérience, il est toutefois difficile pour elles de circonscrire avec précision cet événement dans le temps. Parce qu’il n’y a pas de coupure nette entre le curatif et le palliatif, le malade ne peut identifier un début au processus de transition. En outre, une fois qu’il apparaît clair pour lui qu’il se situe dans cette phase dite « palliative », celui-ci se retrouve à nouveau en recherche de sens et d’équilibre afin de s’adapter aux changements que l’avancement de la maladie impose. Il s’avère donc que la transition vers la phase palliative s’inscrit dans un changement continu, qui requiert un effort d’adaptation constant.
Par ailleurs, différents points critiques jalonnent ce processus et révèlent à la personne qu’un changement a lieu, appelant ainsi à une transformation. Ces points critiques marquent le parcours de la personne et peuvent créer des périodes d’instabilité et de grande vulnérabilité. Ces événements peuvent être entre autres l’annonce de l’incurabilité de la maladie, l’annonce de l’arrêt des traitements ou les nombreuses pertes physiques et cognitives qui deviennent des indicateurs de la progression de la maladie. Une grande capacité d’adaptation est donc requise afin de faire face à l’épreuve ainsi que pour trouver un sens aux pertes vécues.
L’importance des relations interpersonnelles
Au fil des rencontres et des récits obtenus, de nombreux éléments pouvant influencer le processus de transition ont été soulevés. Il s’avère intéressant de constater que l’ensemble des éléments recensés s’inscrivent dans l’expérience du lien avec l’autre. En effet, la présence et la qualité des relations interpersonnelles vécues par la personne atteinte de cancer, que ce soit avec l’équipe soignante, la famille, les proches ou les pairs, représentent une influence centrale sur la façon dont la transition sera vécue.
Les relations avec l’équipe soignante
Tout d’abord, les relations entretenues avec les professionnels de la santé peuvent influer positivement ou négativement sur l’expérience de transition. Un premier élément qui découle de cet environnement relationnel est la continuité des soins. De fait, les patients atteints de cancer doivent rencontrer différents professionnels de la santé de divers milieux, ce qui laisse place à une fragmentation des soins ainsi qu’à des problèmes de coordination. Il semble toutefois essentiel pour les patients de sentir qu’ils sont pris en charge par l’équipe soignante et que les soins appropriés leur sont offerts aux moments opportuns.
Un autre élément identifié est la qualité de la communication, tout particulièrement avec le médecin. En effet, la façon dont les informations concernant le diagnostic, le pronostic et les traitements sont communiquées au patient peut avoir une incidence sur l’expérience de ce dernier. Le savoir-être entre également en ligne de compte, soit le fait d’agir avec considération et empathie envers la personne malade et ses proches. Grâce à ses aptitudes personnelles et à ses qualités humaines, le soignant peut ainsi apaiser les aspects négatifs imposés par la maladie et ses traitements, tout particulièrement lors de changements liés à la visée des traitements.
Enfin, le soutien lors des prises de décision est également ressorti comme un élément important. Les expériences de prises de décisions jugées satisfaisantes étaient décrites, entre autres, comme s’étant déroulées en accord avec les désirs du patient, tout en ayant bénéficié de l’expertise du médecin.
Les relations avec la famille, les proches et les pairs
Les relations significatives que la personne atteinte de cancer entretient avec sa famille ainsi que ses proches représentent un second environnement relationnel fondamental. Ces derniers contribuent au bien-être de la personne en offrant un soutien tant tangible qu’émotionnel. À l’opposé, le manque de soutien peut devenir source de souffrance, soit par le manque de compréhension, l’indifférence ou l’invalidation, causant ainsi l’isolement du malade. À cela s’ajoutent les relations entretenues avec des pairs, soit des personnes étant aux prises avec une situation médicale similaire. En effet, ce contact privilégié occasionne de nombreux bénéfices, tels que la normalisation de l’expérience de la maladie. La possibilité de créer des liens avec des personnes qui vivent également la maladie ainsi que des problématiques semblables, et avec qui il est possible d’échanger sur son expérience permet de se sentir compris et de briser l’isolement. De plus, par le contact des pairs, la personne devient témoin de différentes réalités. Les pairs jouent donc un rôle essentiel de modèle, ce qui peut être inspirant ainsi que rassurant pour les personnes qui craignent les conséquences de l’avancement de la maladie sur leur état physique et psychologique. Enfin, le fait de jouer un rôle de guide auprès d’autres personnes peut contribuer au sentiment d’utilité. Ce sentiment est d’autant plus important pour la personne qui a peut-être perdu de l’estime de soi et qui a subi plusieurs pertes en raison de la maladie.
Les indicateurs de mouvement et de création de sens
Dans ce passage ponctué de périodes d’instabilité et de vulnérabilité qu’est la transition vers la phase palliative, le malade est en recherche d’équilibre constant. Toutefois, si les conditions favorables sont réunies, telles que la présence de relations significatives, celui-ci est alors en mesure d’enclencher sa capacité d’adaptation. Les récits rapportés par les participants ont permis d’observer qu’il est possible pour eux de retrouver leurs repères ainsi que de donner un sens à leur expérience. Les principaux indicateurs de cette forme de résilience face à l’épreuve sont le renouvellement de l’identité personnelle et la découverte de forces internes insoupçonnées; le renouvellement de la représentation de la vie, soit la capacité de se recentrer sur ses valeurs profondes et de modifier ses priorités en fonctions de celles-ci; ainsi que la préparation à la mort. À travers eux, la personne nous révèle qu’elle est en mesure d’affronter des situations qui peuvent être désignées comme étant des impasses. En effet, la souffrance, les pertes et les deuils multiples occasionnés par la progression de la maladie peuvent créer un tel état de paralysie chez la personne, compromettant ainsi l’accès au sens de son expérience et à sa capacité de se mettre en mouvement (Nickner, 2014). Toutefois, en raison des liens entretenus et du soutien qu’elle en reçoit, la personne peut reprendre contact avec ses repères, avec le sens attribué à son expérience ainsi qu’avec sa capacité d’être et d’agir. Bien que la maladie n’offre pas d’issue, la personne malade prend conscience qu’elle peut tout de même renouer avec son pouvoir d’action qui peut être déployé sur ce qu’elle considère comme ayant une valeur et un sens.
Le lien avec l’autre : condition à l’adaptation
À la lumière des récits obtenus, il s’avère apparent que la transition vers la phase palliative implique beaucoup plus qu’un simple changement de la visée des traitements. Elle ouvre également la voie à un ensemble de bouleversements qui peuvent affecter les différentes sphères de la personne, tant sur les plans physique, social, psychologique que spirituel. Face à une étape de soins qui évoque la fin de vie, la personne perçoit difficilement une finalité claire au passage qu’elle a entamé lors de l’annonce de la progression de la maladie ou de l’arrêt des traitements. Les résultats nous permettent toutefois de prendre conscience de l’importance des liens significatifs que la personne en transition entretient avec son environnement. Sous ses formes variées, le rapport à l’autre facilite ou compromet le passage harmonieux vers la phase palliative en permettant à la personne malade de reprendre contact avec des points de repère ou d’en identifier de nouveaux sur lesquels elle peut s’appuyer. De plus, grâce à la relation, l’individu peut prendre conscience de qui il est, de ses faiblesses, mais surtout de ses forces. C’est donc à travers une relation authentique avec l’autre que la personne peut reprendre contact avec sa capacité « d’être », ce qui est particulièrement bénéfique lors d’une période de la vie où la capacité de « faire » décline. Ainsi, les résultats nous ramènent à l’essentiel, soit de placer la relation au cœur des soins offerts aux patients.
Références
Bridge, W. (2004) “Transitions: Making sense of life’s changes”. Cambridge, MA: Da Capo Press.
Duggleby, W., P. Berry (2005). “Transitions and shifting goals of care for palliative patients and their families”. Clinical Journal of Oncology Nursing, 9(4), 425-428.
Kralik, D., K. Visentin et A. van Loon (2006). “Transition: A literature review”. Journal of Advanced Nursing, 55(3), p. 320-329.
Marsella, A. (2009). “Exploring the literature surrounding the transition into palliative care: A scoping review”. International Journal of Palliative Nursing, 15(4), 186-189.
Nickner, G. (2014). « Se sentir pas grand-chose parce qu’on n’est plus capable de rien » : Quand le pouvoir d’agir nous échappe, l’identité semble inaccessible… Les Cahiers francophones de soins palliatifs, 13(2), 10-26.
Note
1 Lavoie, S. et Dumont, S. (2015). « La transition de la phase curative à la phase palliative : l’expérience de personnes atteintes de cancer avancé ». Cahiers francophones de soins palliatifs, 15, 2, 17-32.
Sandy Lavoie est professionnelle de recherche au sein de l’Équipe de recherche Michel-Sarrazin en oncologie psychosociale et soins palliatifs (ERMOS), au Centre de recherche du CHU de Québec – Université Laval. Après avoir réalisé un stage à la Maison Michel-Sarrazin en 2011 dans le cadre de ses études de deuxième cycle en service social, elle œuvre maintenant auprès des usagers de ce milieu en tant que travailleuse sociale.