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Magali Parent - 1 août 2020
Entre les inégalités sociales de santé, économiques et le poids des pressions sociales et individuelles, il est possible de créer des espaces temps où peuvent se développer et se vivre une panoplie de types de citoyennetés et faire émerger un sens commun et collectif. Des lieux pouvant même être des leviers pour sortir de l’itinérance.
Encore faut-il se croire capable de faire les choses pour entamer un nouveau projet. Personne ne s’inscrit dans un programme d’études en étant convaincu que ce sera un échec au bout du compte. Il en va de même pour un changement de travail, pour débuter ou mettre fin à une relation ou encore pour tous types d’apprentissages qui se présentent à nous. C’est impressionnant de réaliser à quel point la perception que nous avons de soi a de l’impact sur notre parcours de vie. Évidemment, les types d’impacts sont infinis et peuvent nous amener dans tous les lieux, incluant la rue.
Aucune des situations dans lesquelles nous nous retrouvons n’est le résultat d’une seule variable. Pas même la réussite! Nous ne devenons pas une personne reconnue socialement par le simple fait que nous avons été de bons garçons ou de bonnes filles. Tellement de facteurs entrent en ligne de compte autant du point de vue individuel que structurel tels que le lieu de notre provenance, le revenu familial de notre enfance à celui d’aujourd’hui, notre apparence physique, l’éducation à laquelle nous avons eu accès, etc. En plus de nos tempéraments singuliers, nos parcours de vie sont remplis d’événements, d’opportunités, d’embuches et de circonstances qui forgent ce que nous sommes.
Non seulement nous ne naissons pas tous égaux, n’ayant pas tous accès au même confort matériel ou social, mais nous ne vivons pas selon les mêmes paramètres de ce que devrait être un mode de vie adéquat, responsable et agréable. Il n’est pas nécessaire de se retrouver en instabilité résidentielle pour être victime des jugements de valeur, tout comme il nous arrive d’en porter sur les autres.
Que veut dire être un bon citoyen?
Il existe bien une forme de pression sociale plus ou moins ressentie par chacun d’entre nous provenant de la moyenne des gens du groupe social auquel nous nous identifions. Mais encore? Nombreuses sont les interprétations. Il n’apparaît pas simple ni nécessaire de dresser un portrait unique de ce que devraient représenter un mode de vie et un profil du bon citoyen.
Il n’en tient pas moins que les situations de marginalisation, dont celles reliées à l’itinérance, provoquent parfois les regards les plus « durs » que l’on puisse porter sur les autres. Tantôt parce que ce que l’on voit est très confrontant humainement, tantôt parce que certains comportements qui en découlent peuvent nous paraître ou être répréhensibles aux yeux de certaines lois, ou simplement par l’effet que l’inconnu et la différence ont sur chacun d’entre nous.
Mais comment maintenir, développer et apprendre à exercer sa citoyenneté si les lieux ou les espaces pour ce faire ne nous sont généralement pas accessibles en raison du regard que porte notre communauté locale sur notre réalité vécue?
Une partie de la réponse vient probablement de l’engagement que chaque personne arrive à investir dans le dialogue social qu’elle propose, mais nous sommes plusieurs à observer que la collectivité y a aussi son rôle à jouer.
Dans la vie, comme dans la rue
Ce qu’on appelle l’itinérance ne se vit pas que dans la rue. En 2014, une politique de lutte à l’itinérance a vu le jour au Québec, après plus de neuf ans de consultations auprès de la population (les organismes communautaires d’aide en itinérance, les milieux d’enseignements, le réseau de la santé et des services sociaux et les personnes expertes de vécu en la matière). Cette politique a été accueillie de façon unanime auprès des groupes consultés. Dans plusieurs extraits du document de 74 pages, on fait référence au principe de la désaffiliation sociale, qui rapporte davantage aux ruptures sociales ou simplement à l’absence de liens sociaux ; des conditions de vie qui précarisent énormément les parcours de vie. Il n’est donc pas seulement question de ne plus avoir de toit sur la tête, qui plus est, les toits ne sont pas tous des abris sécuritaires :
Errance dans les espaces publics et vie dans la rue, recours à l’hébergement d’urgence, instabilité résidentielle chronique, « squattage » ou vie dans des espaces inappropriés ou insalubres, bref, un recours à des espaces non résidentiels pour se loger. Au-delà de ces situations visibles d’itinérance, où l’absence d’un « chez soi » est manifeste, certaines situations moins visibles présentent des risques élevés, voire imminents, de basculer dans l’itinérance. L’absence d’un chez soi n’est pas un phénomène homogène. (Ensemble, pour éviter la rue et en sortir, Direction des communications du ministère de la Santé et des Services sociaux, 2014).
Il est indéniable de reconnaître ici les nombreux besoins auxquels doivent répondre les divers organismes communautaires, ainsi que les milieux de soins de la santé et de services sociaux. Il est clairement identifié dans la politique nationale l’importance d’un continuum de services diversifiés et intersectoriels. Les gens qui travaillent sur le terrain doivent jongler entre le déploiement de réponses cliniques, d’accompagnements multiples, de gestion de crise, de décès, etc. La lutte à l’itinérance n’est pas chose simple et les approches doivent être multiples.
Comment concevoir qu’une personne puisse arriver au moment déterminant pour la suite des événements dans sa vie et qu’elle ne fasse pas ce qu’il faut rationnellement pour éviter l’itinérance?
Et si on ouvrait la question en la posant plus largement : qui d’entre nous va chercher de l’aide au moment même où il en ressent le besoin?
Vous savez, ces moments où l’on n’est plus certain d’être en maîtrise de ce que l’on vit, que nous ne savons plus comment gérer la suite des événements, où nous nous sentons dépassés par ceux-ci et que les issus ne nous apparaissent pas.
Et que faisons-nous la grande majorité du temps? Nous allons nous coucher sur le bobo en essayant de croire que la situation va se régler d’elle-même, que les difficultés n’existent pas vraiment, que ce qui se passe n’est pas vraiment de notre faute, ou encore que ce n’est finalement pas bien grave.
Il va sans dire que les problèmes des uns et des autres ne peuvent pas être pris en totale comparaison face à face, parce que la vie est complexe et même si c’est parfois ce que l’on aimerait croire, il n’existe pas de formule magique pour régler chacun des états problématiques. Par contre, sans prétendre que l’on puisse régler chacune des situations, chercher collectivement à ce que chaque concitoyen puisse trouver sa place dans la communauté joue en la faveur de tout le monde. Encore une fois, cette « place » peut avoir plusieurs degrés de participation sociale, d’actif économique ou de présence aux autres.
Mais comme mentionné plus haut, comment pouvons-nous réellement comparer le degré de mérite auquel chacun d’entre nous devrait avoir accès? Il n’en tient pas moins que d’avoir une place dans la vie est un des paramètres essentiels au sentiment de bien-être et donc, à ce qui nous aide à tendre vers une paix sociale.
Faire de la place pour tout le monde
Quoi de plus agréable que de pouvoir se réunir avec des proches pour partager un moment ludique et sans souci? Ou encore, de sortir dans un lieu public pour boire, manger ou profiter d’une prestation artistique ou d’un événement sportif? Pouvoir se rassembler et avoir du plaisir, n’est-ce pas ce qui nous garde de quelques moments de bascule vers la déprime?
Photo : Émile Piché
Au même titre que de s’informer, que de continuer d’apprendre et de se nourrir du partage de connaissances ou d’avoir un rôle d’implication dans un milieu donné de façon rémunérée ou bénévolement.
Si le besoin d’être ensemble, d’être liés aux autres plus largement ou d’avoir des lieux d’appartenance et donc de trouver sa place est un besoin primordial, il n’est pas pour autant accessible de façon équitable à tous. Les lieux où nous nous rencontrons, où nous prenons du temps en collectivité, où nous nous divertissons, sont généralement des lieux qui demandent de payer afin de pouvoir en bénéficier. De plus, sans toutefois que nous le réalisions d’emblée, plusieurs normes sociales resserrent leurs accès et notre façon de pouvoir s’y encrer (habillement, comportements, façon de parler ou d’interagir avec les autres, etc.).
Photo : Émile Piché
Et pourtant, ces composantes de la vie peuvent contribuer à faire de nous les citoyens que nous sommes et agir comme des facteurs de protection à la détérioration de notre condition de vie. Un des éléments marquants amplement soulignés par les personnes qui ont connu une période d’itinérance est celui de la perte de dignité et celle de son statut social reconnu. Ces pertes peuvent grandement influencer la mise en action et le démarchage de certaines personnes permettant de répondre à leurs besoins.
Créer des lieux et des espaces temps de rencontres favorisant des fenêtres de mixité sociale, afin de mettre en lien les personnes d’une même communauté et que celles-ci puissent prendre ou reprendre contact avec leurs intérêts, leur désir de participation citoyenne et potentiellement découvrir ce dont elles sont capables peut représenter un levier important dans la lutte à l’itinérance. Encore faut-il se croire capable de faire les choses pour entamer un nouveau projet…<
Référence
Ensemble, pour éviter la rue et en sortir – Politique nationale de lutte à l’itinérance, La Direction des communications du ministère de la Santé et des Services sociaux, Québec, 2014.
Note
1 « Un lieu où l’on prend plaisir à se rassembler, où l’on tient des conversations, où l’on échange. Une sorte d’agora publique ou privée, un café du commerce, ou comme dans son temps le lavoir » (Ray Oldenburg, The Great, Good Place, 1989).
Magali Parent travaille au sein de l’équipe du Centre Jacques-Cartier pour le développement d’un espace partagé, un tiers lieu accessible aux jeunes de 16 à 35 ans en cohabitation avec la communauté. Elle navigue dans le milieu des organismes communautaires d’aide en itinérance de la ville de Québec depuis 2004, dont plusieurs années comme intervenante psychosociale à Lauberivière et plus récemment comme organisatrice communautaire au RAIIQ (Regroupement pour l’aide aux itinérantes et itinérantes de Québec). En partant de sa pratique, de celles de ces collègues et du vécu en lien avec l’itinérance des personnes rencontrées à travers les années, elle a eu l’occasion d’expérimenter différentes formes de sensibilisation aux réalités reliées à la désaffiliation sociale, et ce, auprès de plusieurs groupes.
Photo de l'article : Noémie Blanquart
CENTRE JACQUES-CARTIER
Le Centre Jacques-Cartier est un OBNL qui, par ses valeurs de respect, d'ouverture, de démocratie, de solidarité et de confiance en leurs capacités, encourage les jeunes de 16 à 35 ans à définir et prendre leur place dans la société par des processus d'accompagnement, d'apprentissage et de mise en action individuels et collectifs et par le soutien à l'amélioration de leurs conditions de vie.
Depuis le printemps 2019, le Centre Jacques-Cartier travaille sur le développement d’un tiers-lieu dans l’espace qui a été occupé pendant 20 ans par le Tam Tam café (récemment renommé Le Dôme).
L’équipe du centre expérimente de nouvelles façons de prévoir la programmation de diffusion socioculturelle et d’éducation populaire. Par le biais de la médiation communautaire, diverses stratégies seront déployées afin de valoriser le contenu et l’essor de plusieurs moments de cette programmation, afin de rendre les événements réguliers plus inclusifs et participatifs, dans un contexte de mixité sociale à intensité variable.
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