Image : Le message d’un participant du Centre de jour lors de l’évènement Journées de la culture – Centre de jour - Maison Michel-Sarrazin, 2014
Par Marcia Lorenzato - 1er avril 2015
L’implantation de l’approche d’expression artistique est motivée par sa congruence avec la visée de l’accompagnement commune aux milieux de soins palliatifs en vue de l’amélioration de la qualité de vie de la personne malade et de ses proches. L’auteure évoque, dans cet article, les différentes répercussions de l’expression artistique sur le parcours des personnes en fin de vie.
L’apport des ateliers d’expression artistique en milieu de soins palliatifs est reconnu dans divers contextes de santé et dans divers pays, dont l’Angleterre où cela a commencé, de même qu’aux Pays-Bas, en Australie, en France, en Suisse et aux États-Unis. De nombreuses publications rendent compte des balises utiles pour soutenir les expériences pionnières au Québec (Lorenzato et Dumont, 2013; Stuckey et Nobel, 2010; Lorenzato, 2008a, 2008b; Hatley et Payne, 2008). Les expériences d’atelier en milieu de soins palliatifs faites ailleurs concluent que ce volet d’accompagnement peut viser particulièrement la stimulation de l’estime de soi, l’apaisement du sentiment d’isolement, la diminution des tensions, des angoisses et des douleurs, la motivation à exercer son autonomie dans la mesure du possible et le renforcement du sentiment d’accomplissement. L’intervenant par l’art a la tâche de concevoir une approche adaptée en termes de stratégies et de moyens d’expression, selon ses compétences.
Une approche artistique singulière
L’approche P.E.R.A.1 propose l’intégration, aux milieux de soins, des ateliers d’expression artistique et symbolique, avec leurs activités de peinture, de collage, de sculpture, d’images photographiques et autres. Dans cette approche, l’expérience du plaisir esthétique est une voie de stimulation des plaisirs existentiels (Csikszentmihalyi, 2006), tels que le plaisir d’apprendre, le plaisir de la rencontre et du partage, le plaisir d’être actif et productif, le plaisir d’exercer son autonomie, le plaisir de l’altruisme ou le plaisir de cultiver des valeurs transpersonnelles. Par la mise en action de la personne, nous visons à favoriser la réalisation de désirs simples, de façon à provoquer l’exercice de la volonté habile (Assagioli, 1987). Par le processus de création d’objets expressifs suivie d’échanges centrés sur cette expérience, nous pouvons cultiver des moments de joie et de partage, remplis de sens. Cette activité offre la possibilité de redécouvrir sa capacité d’expression, de faire des rencontres uniques et riches de surprises, d’expérimenter son espace d’intimité et de créer des occasions de valorisation de soi qui adoucissent l’exigeant chemin vers la fin de la vie.
Le processus d’intériorisation et de création
Dans une rencontre en atelier, nous visons à ce que chacun des participants puisse percevoir et constater son attirance personnelle à l’égard de certaines images, couleurs, formes ou mouvements. Le participant est invité à porter attention à ses résonances intérieures, comme dirait Kandinsky (1989). Fréquemment, nous assistons à sa réaction de surprise lorsqu’il voit se matérialiser ses représentations personnelles porteuses de sens.
En voici une illustration : Mme A. dit être attirée par l’image de la peinture de Monet, qui représente un petit pont. De prime abord, elle exprime son manque de confiance en ses capacités artistiques. Elle n’est pas certaine de vouloir tenter l’expérience de faire de la peinture, en raison de ses mains qui tremblent. Elle dit aimer aussi les couleurs vibrantes, surtout le bleu et le vert. L’intervenante l’invite à rester attentive à l’image du pont comme source d’inspiration, plutôt qu’un modèle à reproduire. À partir d’un simple dessin de ce pont qui traverse la toile, elle explore les mouvements de son pinceau et le mélange des tons de vert et de bleu. Elle apprend à produire des effets d’ombre et de lumière, tout en considérant le tremblement de ses mains comme une partie intégrante de son style pictural. À l’image initiale inspirée d’une peinture de Monet, elle ajoute son style de gestes et des images personnelles, comme les papillons, qu’elle nous révèle plus tard être la représentation d’elle-même et de ses proches. À la fin du processus de trois rencontres, elle est très étonnée du résultat de son travail. C’est ravissant. Motivée par ses apprentissages, elle s’engage à poursuivre les expériences d’expression de soi par la peinture. En regardant sa réalisation finale, elle verbalise le sens qu’elle donne à son pont. Ce pont faisait partie, au départ, d’un de ses souvenirs heureux. Elle y ajoute maintenant un nouveau sens : il représente sa façon de traverser les moments exigeants de la vie, en nourrissant des pensées et des sentiments qui favorisent son bien-être. Elle a hâte de partager avec sa famille et ses amis son vécu, ses apprentissages et ses significations. Son nouveau projet est d’installer chez elle un atelier mobile de peinture et de continuer à faire des peintures et d’en offrir en cadeau à ses proches.
Les expériences d’expressivité personnelle par des moyens artistiques comportent un volet exploratoire qui ouvre la possibilité de renforcer la confiance du participant en sa capacité de rester productif tout en suivant la voie de sa sensibilité.
Dans le cadre de ce type d’atelier, le climat de travail favorise les explorations gestuelles, l’expérimentation de mélanges de couleurs, la prise de risques, la confiance en soi et le lâcher-prise devant l’émergence de l’imaginaire personnel. Ces attitudes, motivées par la liberté intérieure et la bonne humeur, facilitent la reconnaissance des contenus symboliques personnels. Par cette approche, le processus expressif et les œuvres qui en résultent sont imprégnés d’une écoute intérieure sensible. Ces œuvres toutes simples deviennent significatives pour la personne qui les a réalisées et aussi pour ses proches.
Les partages
La découverte de la fidélité à soi par l’intermédiaire de son œuvre suscite la volonté de partager celle-ci. Une rencontre significative est latente. L’objet de création réalisé dans ce contexte crée un trio de communication : la personne, son œuvre et celui avec qui elle choisit de partager.
Tout d’abord, la personne est accompagnée par l’intervenant dans son exploration d’une voie d’expression de soi qui lui est propre. Elle trouve un mode d’expression de soi authentique, agréable et énergisant. Après avoir constaté que l’œuvre stimule les échanges valorisants, la personne est motivée à partager son expérience intérieure avec les autres. Ce mode de communication ouvre un dialogue différent où l’autre se rend disponible à la rencontre. Chacun est invité à prendre le temps d’observer l’objet artistique, de ressentir, de s’étonner. La personne qui a créé peut dire ce qu’elle vit, ce qu’elle découvre et apprend.
Ce dialogue à partir de l’objet artistique est une situation inédite. L’objet est nouveau, à la fois simple et surprenant, parfois étrange, souvent touchant. Il ouvre la voie à une rencontre en apparence légère et informelle, mais qui se révèle subtilement urgente, puisque le temps de vie d’une personne est compté. Celle-ci est souvent pleine de délicatesse et de nuances, dans sa recherche d’un langage verbal qui renouvelle ses relations affectives avec ses proches, souvent usées par l’expérience de la maladie et par la mort qui rôde. La personne qui a créé est fière de son coup et elle est poussée, naturellement, à communiquer ses valeurs et ce qu’elle souhaite transmettre à l’autre comme message. Sa vitalité est présente dans ses yeux.
Ces rencontres significatives renforcent l’estime de soi. Comme le dit Monbourquette (2013, p. 111), cultiver l’« estime de soi permet de jouir d’une solitude habitée. » Dans cette étape de vie où la personne cohabite avec la mort annoncée, cette solitude habitée est souhaitée et désirée, consciemment ou inconsciemment. Paradoxalement, la personne porte une attention renouvelée à ses liens affectifs en même temps qu’elle vit des détachements et des deuils; elle a grand besoin de communiquer son ressenti, que ce soit ses douleurs ou son amour.
01 Une participante fière du résultat de sa première expérience avec la peinture acrylique / 02 Une participante utilisant le pastel / 03 Peinture d’une participante combinée à son expressivité corporelle, « L’envol » et « La paix dans la diversité » – Centre de jour - Maison Michel-Sarrazin, 2014
La sculpture des empreintes de mains
Le processus de réalisation de cet objet artistique lui donne un statut spécial. Inexorablement, cet objet traite, sans mots, de l’annonce du départ, en touchant au délicat sujet du détachement.
Le processus est marqué par trois moments : d’abord, la manifestation de la motivation de réaliser la sculpture des empreintes de mains de la personne, seule ou avec ses proches; ensuite, la prise des empreintes de mains et des images photographiques et enfin, la rencontre pour la remise de la pièce sculpturale et des images qui en témoignent. Ce processus peut déclencher l’évocation des souvenirs et des prises de conscience en favorisant l’expression des participants. Ce contexte ouvre des portes et des fenêtres pour des échanges sur les accomplissements affectifs. Le geste figé dans la sculpture offre la possibilité de susciter des deuils et des célébrations. Il va mobiliser des dialogues intérieurs et des échanges. Il peut faciliter la reconnaissance des apprentissages existentiels et stimuler la réalisation de projets de dernière étape de vie.
L’objet artistique devient une représentation de l’héritage des expériences vécues entre proches, des sentiments cultivés à travers leurs vies et peut-être même d’un message de pardon, de joie ou de gratitude. Grâce à l’expressivité de l’œuvre et aux histoires qu’elle condense, elle garantit la survie de la mémoire des relations significatives. En raison de tout ce qu’elle représente, l’existence même de l’œuvre ouvre la porte à la consolation.
L’art : un lieu d’accomplissement
Il est inévitable que l’annonce de la fin de la vie laisse des projets inachevés ou qui ne seront jamais réalisés. « J’aurais aimé voir mes petits-enfants », « je viens de prendre ma retraite et je partirais en voyage », « j’aurais aimé être heureux dans ma vie de couple », « je ne vais pas voir mes enfants grandir ni pouvoir les accompagner dans leurs difficultés et leurs choix ». Il est fréquent que les participants expriment de la déception, de la frustration et même de la révolte face à cette réalité. L’objet de création artistique peut être un catalyseur de l’expression et de l’intégration des pertes ou une occasion de s’accomplir malgré les besoins non comblés (Maslow, 2008). Les images et les objets créés peuvent refléter les projets accomplis et l’espoir de cultiver l’amour jusqu’au bout de la vie.
Les rencontres de l’intervenant avec les participants dans ce contexte sont une occasion pour motiver l’expression des reconnaissances, des moments marquants d’une vie et des vertus cultivées ou apprises. Dans les cas où les conflits intérieurs font surface ou persistent, le soutien psychosocial est aussi souhaitable, dans un accompagnement en équipe interdisciplinaire.
Un autre exemple étonnant résulte du dialogue avec l’œuvre quand l’interaction de la personne avec sa peinture ou son collage l’amène à choisir de transformer sa frustration en sentiment de résilience ou même de réalisation : « Je peins un paysage de coucher de soleil, chaud, tel que je l’ai vécu l’an passé. Cette année, je ne peux pas revivre cela. Je vais mettre la peinture à côté de mon lit. » Dans cette situation, la personne ouvre une voie de transformation de cette perte. Qu’il s’agisse d’un voyage ou de la rénovation d’une maison, ou même de la paix dans une relation, tout peut être peint, représenté consciemment ou inconsciemment et ainsi concrétisé en suivant l’étrange chemin de l’expression artistique. Elle peut agir comme source d’espoir d’une nouvelle façon de se mettre en mouvement pour régler autrement des situations non résolues, pour transformer le senti intérieur, ou pour enlever l’attention sur ce qui devient impossible à réaliser. «En regardant ma peinture, j’ai vu que je pouvais ajouter un bateau et eurêka! J’ai tourné la page sur mon projet de voyage dans le Sud. Nous avons constaté qu’on peut éviter l’avion et continuer à voyager. Nous allons faire un voyage en bateau. »
Comme dit Kandisky (1989), « L’art, dans son ensemble, n’est pas une création sans but qui s’écoule dans le vide. C’est une puissance dont le but doit être de développer et d’améliorer l’âme humaine. »
L’expérience artistique et symbolique fait partie de la réalité la plus profonde de l’humain. Elle est une ressource non négligeable en situation de crise ou de changement, mais elle peut aussi être vécue et ressentie comme étant fondamentale dans la phase de conclusion de la vie. Elle ouvre les possibilités de sens, elle résonne du sens de toute une existence et relie avec les proches qui y participent aussi. Par divers chemins, l’expression artistique peut être un outil d’accompagnement, en mobilisant les désirs et la volonté, en nourrissant les plaisirs existentiels, en ouvrant des pistes pour la paix intérieure, la joie et l’espérance, en célébrant les sentiments amoureux, en cultivant des relations significatives et en trouvant la lumière au-delà des ombres inévitables.
Références
ASSAGIOLI, R. (1987). L’Acte de volonté. Centre de psychosynthèse de Montréal.
CSIKSZENTMIHALYI, M. (2006) La créativité. Psychologie de la découverte et de l’invention, traduit par C. Farny. Paris : Robert Laffont.
HARTLEY, N. et M. PAYNE (2008) The Creative Arts in Palliative Care. Londres : Jessica Kingsley.
KANDINSKY, W. (1989) Du spirituel dans l’art. Paris : Éditions Denoël.
LORENZATO, M. (2008a) « L’atelier d’expression artistique en milieu de soins palliatifs de cancer, une réponse à un besoin essentiel. Rapport d’expérience pilote ». Cahiers francophones de soins palliatifs, 9 (1), p. 41-56.
LORENZATO, M. (2008b) « L’atelier d’expression artistique, un lieu pour produire des objets symboliques porteurs de mémoire ». Bulletin du Réseau de soins palliatifs du Québec, vol. 16, no 3 automne, p. 22-23.
LORENZATO, M. et S. DUMONT (2013) « La contribution de l’accompagnement par l’art aux soins de santé, en particulier aux soins palliatifs». Cahiers francophones de soins palliatifs, 13 (1) hiver.
MASLOW, A. (2008) L’accomplissement de soi, de la motivation à la plénitude. Paris: Eyrolles.
MONBOURQUETTE, J. (2013) De l’estime de soi à l’estime du Soi; de la psychologie à la spiritualité. Paris : Novalis.
STUCKEY H. et J. NOBEL (2010) «The Connection Between Art, Healing, and Public Health : a Review of Current Literature”, American Journal of Public Health, 100 (février), p. 254-263.
Note
1 Approche P.E.R.A. : Plaisir esthétique qui conduit au plaisir existentiel, Expression de soi par la voie artistique et symbolique, Rencontre avec soi qui nourrit la rencontre significative avec l’autre, Action sensible guidée par la volonté habile.
Marcia Lorenzato, Ph.D., est psychopédagogue, éducatrice, artiste en arts visuels et chercheure. Sa passion pour l’intervention par l’art l’a conduite à explorer les façons d’utiliser l’expression artistique et symbolique comme moyen d’améliorer la qualité de vie et de favoriser l’épanouissement des personnes. Au cours des sept dernières années, elle a implanté les ateliers d’expression artistique dans l’accompagnement des personnes en soins palliatifs et de leurs proches, au Centre de jour de la Maison Michel-Sarrazin et au secteur de soins palliatifs pédiatriques du Centre hospitalier de l’Université Laval (CHUL). Elle a consolidé son approche en s’appuyant sur les résultats d’une recherche menée dans le cadre d’un stage postdoctoral. Cette approche a obtenu, en 2012, la reconnaissance comme « pratique exemplaire » par le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec.