Par Lise Pelletier - 1er avril 2015
Depuis quelques décennies, on évoque souvent l’art-thérapie dans certaines approches en psychologie. Mais qu’est-ce au juste que l’art-thérapie? Quels sont ses bienfaits? L’auteure développe de manière particulière les liens étroits entre art-thérapie et spiritualité.
L’art-thérapie1 est une approche d’intervention spécifique qui utilise le processus de création et l’image comme une forme de langage unique, témoignant de tout ce qui est contenu dans l’univers interne de la personne. L’art, utilisé dans un contexte thérapeutique, est un outil de projection de soi et des conflits internalisés, mais également des ressources psychiques disponibles. Pour C. G. Jung (1875-1961), médecin et père de la psychologie analytique, l’art est le langage de l’âme2 (psyché) et il est le seul langage en mesure de témoigner de sa présence.
C’est dans cet esprit que s’inscrit le travail de l’âme en art-thérapie. Car inclure l’âme, c’est considérer l’individu dans sa globalité cognitive, psychologique, physique, sociale et spirituelle. Cette dernière dimension est composée de tout ce qui fait appel aux valeurs, à la recherche de sens, aux croyances s’inscrivant ou non dans une religion donnée. Et elle est particulièrement ébranlée devant la maladie mentale, la maladie physique ou tout événement venant bouleverser l’ordre des choses, au moment où la vie elle-même semble perdre tout son sens.
Des recherches récentes en psychologie tendent à démontrer la valeur de la dimension spirituelle dans un processus de rétablissement, alors qu’elle a longtemps été repoussée ou plus souvent, reniée comme facteur favorable. La formation en elle-même en tient peu compte si ce n’est que lorsqu’il est question de deuil où de maladies graves comme peut l’être le cancer, soit au moment où devant l’impasse médicale et l’impuissance, la spiritualité devient une bouée. Pourtant, à tout moment, la dimension spirituelle peut s’exprimer et doit être non seulement accueillie, mais stimulée.
Enfin, la spiritualité s’expose également contre toute attente, dans l’art et dans la création, tant pour exprimer une douleur profonde que dans la recherche du beau, du bon et du bien. Elle colore le mystère devant une image créée par un client surpris par sa profondeur, tout comme elle se présente silencieusement à l’intérieur d’images spontanées transcendantes et transformatrices.
Se pencher ainsi sur la thématique de la spiritualité en art-thérapie ouvre de nouvelles perspectives thérapeutiques si nous considérons la spiritualité sous l’angle d’un principe organisateur. Car plus que les autres dimensions de la personne (physique, sociale, psychologique et spirituelle), la spiritualité a intrinsèquement une fonction organisatrice en ce sens que la descente dans la souffrance permet à l’âme, au sens large du terme, de se manifester et ainsi, de sortir du chaos, de transcender l’expérience et finalement, d’y trouver un sens.
L’art-thérapie
L’art est un phénomène ancien. La relation entre art et thérapie, ou entre art et psychologie, remonterait au XVIIIe siècle3; toutefois, l’utilisation formelle des arts dans une optique complémentaire à une thérapie médicale est beaucoup plus récente dans l’histoire. On en trouve les premières traces à la fin des années 1800 et début 1900, notamment auprès des « malades mentaux », mais cette alliance prendra véritablement son envol après la Première Guerre grâce au travail réalisé auprès des vétérans affectés aux plans physique et psychologique.
L’art-thérapie est une approche thérapeutique qui se situe à la frontière de la psychologie et des arts visuels4. Elle est « une discipline des sciences humaines qui étend le champ de la psychothérapie en y englobant l’expression et la réflexion tant picturale que verbale »5. Plus qu’un exercice de création, elle constitue une démarche orientée, à travers les arts et la création, sur l’expression de soi, de ses pensées, de ses émotions ou de ses conflits intériorisés6, lorsque ceux-ci font obstacle à l’atteinte d’un bien-être.
Souvent confondue et mal comprise, il importe de savoir que l’art-thérapie s’adresse aux personnes en difficulté (psychologique, physique, sociale ou existentielle) et favorise une prise ou une « re-prise » de pouvoir sur sa vie en utilisant divers moyens d’expression et de création. Par le développement du potentiel créateur, elle accroît l’estime de soi, valorise un cheminement vers une santé mentale positive et agit efficacement sur le mieux-être psychologique de la personne7.
De l’avis de plusieurs auteurs, l’art-thérapie prend appui sur la croyance que le processus créateur généré par l’art stimule l’autoguérison et améliore les différents aspects de la vie psychique, physique, sociale et spirituelle. Cependant, s’il est reconnu que l’art-thérapie agit positivement sur ces dimensions de la personne, la littérature commence à peine à documenter comment cette approche agit sur le processus de changement. En effet, des recherches récentes se sont intéressées à la contribution de l’art-thérapie au processus de guérison ou d’apaisement des symptômes reliés à la maladie physique tels le cancer, la douleur chronique ou encore la maladie de Parkinson8. D’autres recherches se sont attardées sur les maladies cognitives dégénératives pour s’apercevoir que l’utilisation de médiums artistiques pouvait apaiser le stress et l’anxiété en début de maladie, notamment au cours des premières phases, et qu’en tout temps, l’art-thérapie agissait sur le sentiment de bien-être et le développement d’une image positive de soi. La dimension émotionnelle a également été explorée, notamment en regard des liens entre le corps et les émotions. À cet égard, l’art-thérapie somatique contribue à une meilleure connaissance du processus de rétablissement en situation de choc post-traumatique9 et du fonctionnement neuropsychologique. La dimension sociale quant à elle, est portée notamment par l’art-thérapie en groupe et plus récemment encore à travers l’art-thérapie sociale qui commence à poindre au Québec et ailleurs dans le monde10-11. Concernant la dimension spirituelle et l’art-thérapie, la littérature demeure plutôt silencieuse.
01 Jeu de sable - Montagne sacrée / 02 Jeu de sable - Arbre sacré / 03 Sculpture - Naissance - renaissance
L’art-thérapie se fonde sur les aspects fondamentaux de l’imaginaire, de la matière et du symbole dans le processus de rétablissement. De l’imaginaire, nous retiendrons surtout l’accès à un langage qui correspond davantage au monde émotif, des souvenirs et des blocages qui s’expriment par une représentation figurée ou symbolisée. Celle-ci permet au client d’être actif, d’agir par voie détournée sur son inconscient, tout en permettant d’exprimer l’inexprimable12. Non seulement l’imaginaire valide l’expérience subjective émotionnellement chargée, elle en permet la transformation sincère et authentique.
Pour Klein13, l’expression libère, soulage, mais la création transforme. En mettant judicieusement l’accent sur certains médiums ou projets de création selon les clientèles et les problématiques rencontrées, l’art-thérapie cherche à transcender la douleur et la souffrance dans une intention de soulagement et de guérison. L’expression créatrice s’inscrit dans des matériaux présentant des potentialités et des limites qui assistent le processus de transformation et de rétablissement. Dans cet ordre d’idée, aller à la rencontre de difficultés de conception ou de représentation, c’est dévoiler les difficultés psychiques en jeu et les mettre en mouvement vers une résolution satisfaisante pour l’âme, le cœur et le corps.
Enfin, la fonction symbolique largement développée par Jung14 se situe dans l’œuvre elle-même, mais également dans le processus continu des œuvres qui se succèdent. L’importance accordée aux symboles des clients tient du fait qu’ils ont tous un sens profondément personnel souvent enraciné dans l’inconscient (personnel et collectif). À l’instar des archétypes qui ont une portée universelle, les symboles, plus personnels, permettent de donner un sens à l’expérience et sont généralement accompagnés d’une charge émotionnellement significative. C’est dans cette symbolique riche que l’âme et la spiritualité trouvent une voix pour se manifester, en mettant en relation le corps, le cœur et l’âme à travers le mouvement, les couleurs, les matériaux et le processus de création.
En somme, un processus art-thérapeutique permet de se « re-créer ». Klein15 soutient à cet effet que ce processus entraîne une plus grande cohérence entre la réalité et les projections imaginaires concrétisées par les œuvres, entre sa vie, sa subjectivité et sa transformation. Ce processus est rendu possible par le contexte et la relation art-thérapeutiques, le climat sécuritaire et l’ouverture à toutes projections créatives et narratives.
L’art-thérapie et la spiritualité
La religion et la spiritualité sont souvent considérées, dans le domaine de la santé, comme des stratégies d’adaptation devant la maladie physique, la maladie mentale et autres épreuves inévitables rencontrées au cours de la vie. Plusieurs auteurs utilisent ces concepts sans distinction véritable. Précisons ici que la religion se définit comme un système de valeurs, de croyances, de symboles, de conduites et d’expériences à l’intérieur d’une institution et implique des écritures, de l’enseignement, un code moral et des rituels, alors que la spiritualité se présente comme une qualité fondamentale de l’être humain et implique une recherche personnelle du sacré16. Elle est reliée à des connaissances, aux sentiments d’amour, de paix, d’espoir, à la transcendance, à la compassion, à la recherche du bien-être.
Frankl17, sensible à l’importance de la spiritualité en psychologie, s’est penché sur la fonction de l’art comme illustration de la spiritualité. Il soutient que l’intuition artistique tire ses racines d’une spiritualité inconsciente et qu’elle y puise une importante source d’inspiration. Pour lui, la quête de sens est inhérente à l’homme et relève, du moins en partie, d’une spiritualité inconsciente.
L’âme a un accès privilégié au monde intérieur, mais a besoin d’un chemin pour se révéler. L’imaginaire et la symbolique servent alors l’âme pour lui permettre de s’activer dans la création et dans l’art. Plus encore, l’art, la religion et la philosophie partagent un langage commun, un langage universel, accessible et puissant. L’art possède en lui-même le potentiel d’exprimer des significations très profondes et des idées spirituelles que la religion et la philosophie n’arrivent plus à porter de manière convaincante dans nos sociétés laïques actuelles18.
L’art développé dans un contexte thérapeutique a le pouvoir d’entrer en contact avec une mémoire sensitive et organique. Il amène une expression plus authentique de soi, mais également de l’âme dans son sens jungien19. Kandinsky20, artiste, tout comme Jung21, soutiennent que l’art est le seul langage de l’âme, de telle sorte que la valeur d’une œuvre n’est pas esthétique, mais se situe plutôt dans sa capacité de faire en sorte que l’âme puisse résonner avec elle.
L’un des aspects les plus déterminants en art-thérapie tient du fait qu’une situation qui demande à se transformer peut l’être par l’art, et que la psyché (ou l’âme) fait peu de différence entre le passé et le présent, ou entre le réel et l’imaginaire. Le processus de guérison ou de rétablissement va amener à la conscience l’expérience subjective telle qu’elle s’est ancrée et rendra alors disponible tout le matériel de transformation. Par exemple, une femme, anéantie devant le suicide de son fils, a réussi à atténuer sa douleur après l’avoir dessiné dans ses bras, pour l’accompagner dans la mort, afin qu’il ne soit plus seul. Le seul fait de s’imaginer les circonstances de sa mort la maintenait dans une impossible résolution, d’une part parce que la mort avait été violente et d’autre part, parce qu’elle ne tolérait pas l’idée de n’avoir pu lui offrir une présence maternelle aimante et rassurante, dans sa mort. Sur quelques séances, elle a réussi à exorciser les images violentes qui s’étaient ancrées, malgré le fait qu’elle n’avait pas vu la scène, et ainsi transcender l’expérience dans une œuvre hautement significative pour elle, dans laquelle elle le tenait dans ses bras et l’accompagnait dans ce passage, laissant enfin place à un apaisement véritable et profondément ressenti.
La spiritualité transcende l’humain dans ce ressenti d’une présence venue d’ailleurs ou d’un espace fondamental en soi. Elle est aussi immanente dans la quête du Soi que dans la quête du sens de sa vie ou du sens de la vie. La création d’images révélatrices de la vie spirituelle est un indicateur du travail vertical de l’âme, laquelle en voyageant de la souffrance à la quête de sens, donne de la profondeur à l’expérience.
Notes
1 Cette pratique clinique nécessite une formation de 2e cycle universitaire qui permet à l’art-thérapeute de maîtriser les fonctions des divers médiums artistiques, leurs conditions d’utilisation, leurs limites ainsi que leurs spécificités en vue d’un usage judicieux selon la clientèle et les diverses problématiques rencontrées. Compte tenu des impacts à appréhender et de la profondeur qu’elle engendre, l’art-thérapie ne peut être soumise à l’improvisation.
2 Dans le contexte de cet article, l’âme est considérée dans sa dimension jungienne. Il s’agit d’une dimension de l’expérience humaine. Thomas Moore (1994) écrit dans Le soin de l’âme, qu’elle est l’essence même de l’individu et qu’elle s’adresse à la profondeur, au sens des valeurs, à la relation à l’autre et au cœur. En somme, l’âme contient l’essence de la vie psychique comme le corps contient l’essence de l’existence, incluant les traces de son évolution sur des millions d’années, même les plus lointaines.
3 VICK, Randy M. (2003). «A Brief History of Art Therary». Dans Cathy A. Malchiodi (Dir.), Handbook of Art Therapy. p. 5-16. New York: Guilford.
4 MALCHIODI, Cathy A. (2003). «The Art and Science of Art Therapy». Handbook of Art Therapy. New York: Guilford.
5 AATQ – Association des art-thérapeutes du Québec (2012). À propos de l’art-thérapie. Qu’est-ce que l’art-thérapie? Document consulté le 9 janvier 2015 de http://www.aatq.org/arttherapy#jump9
6 HAMEL, Johanne et Labrèche, Jocelyne. (Dir.). (2010). Découvrir l’art-thérapie. Paris : Larousse.
7 LAMBERT, Jacinthe (2013). L’expérience humaine positive en art-thérapie. Thèse. Université de Sherbrooke.
8 SACK, Joanabbey. (2014). Favoriser la communication chez les adultes ayant un trouble envahissant du développement : un projet de recherche basé sur une approche neurologique voix-mouvement adaptée. ACFAS, Montréal.
9 HAMEL, Johanne. (2010). L’art-thérapie somatique. Pour aider à guérir la douleur chronique. Montréal : Québécor.
10 KAPLAN, Frances F. (2007). Art Therapy and Social Action. Philadelphia: Jessica Kingsley.
11 PELLETIER, Lise. (2013). L’empowerment et l’art-thérapie: Enjeux et perspectives. Mémoire de maîtrise, Rouyn-Noranda, Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue.
12 KLEIN, Jean-Pierre (2010). L’art-thérapie. (7e éd.) Paris : PUF.
13 Ibid.
14 JUNG, Carl Gustav. (1973). «Ma vie». Souvenirs, rêves et pensées recueillis par Aniéla Jaffé (R. Cahen et Y. Le Lay, trad.). Paris : Gallimard. (L’ouvrage original a été publié en 1963).
15 KLEIN (ibid).
16 OXHANDLER, Holly & Pargament, Kenneth. (2014) «Social work practitioners’ integration of clients’ religion and spirituality in practice: a literature review». Social Work, 59(3), p. 271-279.
17 FRANKL, Victor Emil. (2012). Le Dieu inconscient. Paris : InterÉditions. (L’ouvrage original a été publié en 1988).
18 SHUSTERMAN, Richard. (2008). «Art and religion». Journal of Aesthetic Education, 42(3), p. 1-18.
19 Pour Jung, l’âme (ou la psyché qu’il utilise de manière indifférenciée) est le résultat de millions d’années d’évolution et elle est « religieuse par nature », d’une ampleur illimitée et d’une profondeur insondable. « L’âme est le vivant en l’homme, ce qui vit par soi-même, ce qui cause la vie. […]. (dans JUNG. Carl Gustav. (1995). L’âme et la vie (J. S. Jacobi, trad.). Paris : Buchet / Chastel. (L’ouvrage original a été publié en 1963), p. 39).
20 KANDINSKY, Wassily. (1989) Du spirituel dans l’art, et dans la peinture en particulier. (3e éd.) St-Armand : Denoël (Denoël trad.) (L’ouvrage original a été publié en 1954).
21 JUNG ibid.
Détentrice de deux maîtrises, l’une en art-thérapie de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT) et l’autre en travail social (l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue – Université du Québec à Montréal), Lise Pelletier poursuit ses études au doctorat en sciences cliniques. Elle s’intéresse particulièrement à l’art-thérapie sociale, à la maladie mentale ainsi qu’à la spiritualité en art-thérapie. Elle est professeure et coresponsable des programmes de 2e cycle en art-thérapie à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue et continue d’exercer en pratique privée.