La maladie et le rapport au temps

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Deux témoignages de personnes pour qui la notion du temps a été modifiée à la suite d’un diagnostic de cancer

 

Réflexion sur le sens du temps

Témoignage d’Hélène Tanguay | 1er décembre 2017

Jusqu’à ce que survienne le cancer, je ne m’étais jamais questionnée sur le sens du temps. Ma perception du temps s’alignait comme pour le commun des mortels sur mes obligations, mes occupations et mes préoccupations. Et comme pour tout un chacun, mon langage était, la plupart du temps, ponctué d’expressions telles que : je n’ai pas le temps, si jamais j’ai le temps, quand j’aurai le temps...
 
Et puis, à la retraite, ma relation au temps a changé. D’une denrée rare qu’il était durant ma vie professionnelle, le temps est devenu une abondante source de possibilités. Enfin, j’avais du temps : du temps pour la famille, les amis, les projets, les imprévusBref, javais le temps de prendre et même de perdre mon temps.
 
Devant l’épreuve, ma notion du temps s’est encore une fois modifiée. Cette fois-ci, je peux dire qu’elle a vraiment basculé. Dès l’annonce du diagnostic, au mieux, le temps s’égrenait en minutes, en heures, en jours dans l’attente d’examens, de résultats, de traitements, de nouveaux examens, de nouveaux résultats, de nouveaux traitements. Au pire, l’incontournable question surgissait : combien me reste-t-il de temps?
 
C’est dans ce moment de grande incertitude, je dirais même de désarroi, que la participation à des ateliers de méditation pleine conscience m’a été proposée. C’est surtout par des exercices de respiration que j’ai découvert un autre sens au temps.
 
J’ai appris à ce moment qu’il y a deux types de respiration : celle qui assure à chaque seconde ma survie et celle qui me met en contact profond avec la Vie. La première est automatique et fonctionnelle et se renouvelle chaque seconde. La deuxième est consciente et profonde et ne transige pas avec le temps.
 
Quand aujourd’hui, des pensées récurrentes m’assaillent face à la peur de la récidive, quand mon esprit déraille face à un malaise ou à une douleur ou quand les scénarios catastrophiques se pointent, c’est là, dans la respiration consciente, celle qui me ramène dans le temps présent, que je me réfugie.
 
La plupart du temps la réaction est immédiate et même surprenante : le temps se fige et l’esprit s’apaise. Plus d’avant, plus d’après. Seulement « l’ici et maintenant ». Et à chaque fois que le doute ou la peur revient, je reprends l’exercice. En somme, le « maintenant » est toujours là. Il se renouvelle constamment et me ramène invariablement à la « présence ». En cela, l’instant présent est mon meilleur allié.
 
Ainsi, chaque fois que je réussis, par la respiration consciente à demeurer dans cet instant présent, j’arrive à ressentir profondément le sens de la vie. Et du même coup, je ressens aussi celui de la mort. Les deux alors se confondent, devenant un seul et même paisible chemin.
 
Et dans cet espace précieux, je peux dire que le temps « se fait un ». C’est un véritable moment de paix. Et même s’il ne dure pas et qu’il faille recommencer à maintes et maintes reprises, l’expérience vaut à chaque fois la peine d’être vécue.
 


Le temps | une valeur variable conditionnelle au présent de chacun



Témoignage d’Alain Léveillé | 1er décembre 2017

Au Nouvel An, lorsque nous rencontrons parents et amis, la coutume veut que nous nous souhaitions réciproquement de bonnes choses. L’une d’elles est la santé. Cette dernière nous permet de tout accomplir, en passant par le succès dans nos affaires et nos études ou même pour d’aucuns, trouver l’amour.
 
Depuis le début de l’année 2017, la vie s’est toutefois bien chargée de me rappeler mes vœux. En janvier, je faisais une chute sur la glace dans le cadre de mon travail. Le résultat de cette cabriole me valut quatre côtes fracturées. Avec un arrêt de travail pour une période d’au moins six semaines, temps nécessaire pour me remettre sur pied, je finis par accepter cette pause dans le temps. Je restais positif en me rappelant que lorsqu’on travaille comme je le fais, à l’extérieur une bonne partie de la journée, peu importe le temps ou la saison, un congé à la maison est quand même appréciable.
 
Un mois s’écoule et je commence à peine à m’en remettre quand on me demande de me présenter à l’hôpital. Une étrange impression de déjà-vu m’envahit soudain. Pourtant, les dernières semaines ont été fertiles en examens de toutes sortes et rendez-vous avec différents spécialistes pour quelques bosses suspectes apparues ici et là, depuis environ huit mois.
 
Je me rappelle très bien ce rendez-vous du 22 février dernier. Le médecin m’annonçait alors, comme on demande à son conjoint de ramasser une pinte de lait, à brûle-pourpoint, que j’avais un cancer de mélanome métastatique de stade 4 avec une espérance de vie de trois mois si rien n’était tenté.
 
À ce moment, le temps sest soudainement arrêté. Javais limpression davoir été frappé et de tomber à la renverse, comme on voit dans certaines pubs télévisées. Sur le coup, il n’y a rien à comprendre et la seule chose ou presque qu’on se remémore sont ces mots qui tournent en boucle et vous assomment, tellement ils sonnent faux : « Il vous reste trois mois! » « Il vous reste trois mois! » « … reste trois mois!  « « ... trois mois! »
 
Un court moment après le premier coup encaissé, vos pensées s’emballent, votre concentration est décuplée et votre attention se porte sur l’être cher et les proches. Vous prenez soudain conscience de tout ce qui vous paraissait jusqu’ici un peu banal et sans intérêt immédiat, comme le testament, la conciliation bancaire, la liste des numéros de téléphone importants, les assurances…
 
Puis votre esprit se recentre sur la fatalité du verdict : trois mois, c’est l’équivalent d’un clignement de cils dans une vie; trois mois peuvent aussi paraître interminables quand on bûche sur les bancs universitaires; mais trois mois ou 90 jours, ce n’est qu’une notion après tout. C’est tout de même n’importe quoi lorsque deux minutes avant de rencontrer le médecin, on ne se sent même pas malade. Car le cancer a cette fâcheuse manie de ne rien laisser paraître. Et c’est à ce moment précis que j’ai compris que je n’avais plus le temps.
 
Curieusement, la vie étant ainsi faite, c’est lorsque vous n’avez plus de temps que vous commencez enfin à le prendre et le savourer pleinement. Je comprends maintenant mieux les personnes âgées, qui lentement, mais sûrement, avancent un pas après l’autre, à l’entrée d’un centre commercial ou d’un supermarché. Ce sont eux qui ont raison et qui profitent pleinement du temps qu’il leur reste, car personne ne sait de quoi demain sera fait.
 
C’est ainsi que je suis devenu un ardent défenseur du « vivre un jour à la fois ». C’est également à partir de ce moment que j’ai compris qu’il valait mieux vivre le moment présent à 100% et apprécier ce que la vie pouvait offrir à chaque instant, le bon comme le reste.
 
Après plus d’un mois d’attente, ce qui représente une éternité quand on vous en a accordé seulement trois, j’ai fort heureusement été accepté dans un protocole de recherche en immunothérapie. Ce dernier respectait mes valeurs de vivre et de mourir dans le respect et la dignité.

L’immunothérapie consiste à fournir à mon système immunitaire la liste des cellules cancéreuses se propageant à son insu afin qu’il puisse les éliminer dans le meilleur des cas, sinon les empêcher de se reproduire et réduire ainsi leur efficacité grandissante.
 
Les résultats de l’immunothérapie sont plus que satisfaisants, puisqu’environ une personne sur deux a des résultats positifs et de ce nombre, on remarque une réduction des masses de l’ordre de 30 à 70 %. Je suis au nombre des chanceux pour qui ce type de traitement a été très positif avec un rendement exceptionnel d’une réduction des masses de l’ordre de 95 %.
 
Je remercie le ciel à tous les jours pour ces progrès remarquables et ne cesse d’intercéder auprès de mes anges gardiens pour que cela se perpétue. Ça fera bientôt six mois que j’ai reçu le premier pronostic. Je suis passé beaucoup trop près d’une mort probable à 59 ans pour ne pas apprécier le temps présent.
 
Il est regrettable de devoir entrevoir une finalité pour commencer à apprécier les petites choses de la vie et en comprendre autant l’urgence que l’importance. S’arrêter durant une promenade pour écouter le chant d’un oiseau et espérer l’apercevoir, ou rencontrer au hasard d’une journée un ancien collègue de travail et prendre le temps de discuter et de philosopher sur la vie, ou encore admirer un coucher de soleil et enfin en saisir toute la beauté.
 
La vie nous apporte son lot quotidien de surprises, de joies comme de défis. Elle vaut toutefois la peine d’être vécue à cent à l’heure, mais savourée à chaque seconde et cela, afin de pouvoir quitter ce monde en paix avec l’assurance d’avoir vécu un jour à la fois à 100 %.
 
Le temps est variable. Il n’est pas une unité de mesure fiable, mais est étroitement lié à la perception des expériences de vie pour chacun. À ladolescence, on voudrait vieillir plus rapidement, alors quà lâge adulte, on se laisse porter sans se soucier du temps qui passe ou par manque de temps, doù lexpression populaire : « On na pas le temps! » Et finalement, lorsquon atteint lâge de la raison, on réalise soudain que le temps est passé trop vite.


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