Pour moins de détresse, pour moins de suicides, pour un Québec plus lumineux
Par Lorraine Deschênes et Michael Sheehan - 1er décembre 2019
Le 29 octobre dernier, le gouvernement du Québec a annoncé sa volonté de mettre en place une stratégie de prévention du suicide, répondant ainsi à la recommandation du Collectif pour une stratégie nationale en prévention du suicide. Cet article résume l’argumentation présentée par ce collectif qui justifie l’adoption de cette stratégie dont la mise en place favorisera au final la diminution des taux de suicide.
Afin de convaincre le gouvernement du Québec de mettre sur pied une stratégie nationale en prévention du suicide, quelque 35 organisations nationales œuvrant en prévention du suicide ou en santé mentale – ou ayant ces enjeux à cœur – ont lancé le Collectif pour une stratégie nationale en prévention du suicide en septembre 2019.
Leurs efforts semblent avoir porté fruit : la ministre de la Santé et des Services sociaux, Danielle McCann, a récemment annoncé que le gouvernement se dotera d’une stratégie québécoise de prévention du suicide.
Le Collectif s’est réjoui de la réponse rapide du gouvernement à ses principales recommandations. En effet, une stratégie dédiée à la prévention du suicide est la mesure principale préconisée par l’Organisation mondiale de la santé pour réduire les décès par suicide. Or, aucune stratégie de ce type n’est en place au Québec depuis 15 ans.
Afin de mobiliser et d’informer la population québécoise et les élus, le collectif a mis de l’avant la campagne Pour un Québec plus lumineux et rendu public un plaidoyer dans lequel il explique pourquoi le Québec a besoin de cette stratégie.
Trois drames évitables à chaque jour
Aujourd’hui, trois nouvelles familles et milieux vivront l’un des pires drames qui existent. Pour s’attaquer de façon efficace et durable au suicide, le Québec a besoin d’un plan stratégique global, qui aidera notamment à assurer l’accessibilité, la continuité et la qualité des services dans toutes les régions du Québec. Un tel plan bénéficiant d’un financement dédié permettra sans doute de mieux nous centrer sur la sécurité de chacun de nos citoyens, un droit fondamental. Sachant que le problème est évitable et que nous avons tout en main pour le prévenir, nous avons la responsabilité collective d’assurer la sécurité des personnes vulnérables.
Chaque suicide est un suicide de trop. De trop, puisqu’il nous fait perdre une personne importante et engendre ainsi une perte permanente et irréparable pour ses proches et la société tout entière. On estime d’ailleurs que pour chaque suicide, de 7 à 10 personnes sont endeuillées et portent ce lourd fardeau, sans compter les nombreuses personnes ébranlées. Ajoutons à cela l’impact sur la société des quelque 28 000 tentatives de suicide estimées chaque année.
Depuis plusieurs années, les taux ont eu tendance à stagner au Québec. Le nombre de décès annuel est d’ailleurs le même qu’il y a 40 ans. Cela correspond donc à plus de 43 000 pertes de vie, l’équivalent du nombre d’habitants de la ville de Boucherville.
Ajoutons que certains groupes de la population affichent des taux de suicide et des comportements suicidaires plus élevés, ainsi que des niveaux de détresse dont il faut se préoccuper de façon urgente (ex. : communautés des Premières Nations et Inuites, hommes âgés de 35 à 64 ans, personnes éprouvant des troubles de santé mentale ou des troubles liés aux dépendances). De plus, la réalité sociale du Québec a connu des transformations qu’il faut considérer pour revoir nos choix en matière de prévention du suicide. Les jeunes vivent davantage d’anxiété et de troubles dépressifs, les gens utilisent les plateformes numériques pour exprimer leur détresse et les taux d’absentéisme au travail liés à des troubles mentaux sont en hausse. Nous devons d’ailleurs nous préoccuper du fait que 90 % des personnes qui s’enlèvent la vie souffrent, selon les estimations, d’un problème de santé mentale ou d‘un trouble mental. Des coûts humains et économiques majeurs Le suicide et les tentatives de suicide ont des coûts humains, sociaux et financiers considérables. Une étude publiée en 2015 a évalué le coût d’un suicide pour la société entre 500 000 et un million de dollars au Québec.
En revanche, il existe des preuves sur la rentabilité des interventions préventives en santé mentale. Une étude a montré que la mise en œuvre de certains programmes de prévention du suicide auprès de la population canadienne était rentable et pouvait même entraîner d’importantes économies grâce aux suicides évités. En plus des bénéfices directs, plusieurs programmes de prévention du suicide ont montré des bénéfices indirects.
Il est temps de mettre en action notre expertise et les moyens que nous savons efficaces.
Pourquoi une stratégie nationale en prévention du suicide?
Au Québec, il existe des programmes et des services en prévention du suicide, mais trop fragmentés et souvent isolés ou inégaux sur le territoire. Or, la mise en place de stratégies nationales concorde souvent avec l’apparition de nombreux effets positifs. Au Québec, la stratégie québécoise d’action face au suicide S’entraider pour la vie (1998) a entraîné des progrès considérables et mis en place des services essentiels. Après son implantation, le taux de suicide a diminué chaque année de 4,1 % après 1999 et pendant les dix années suivantes pour les hommes, et de 2,6 % par année pour les femmes. Les adolescents ont pour leur part vu leur taux de suicide diminuer en moyenne de 9,5 % par année.
À l’échelle mondiale, on note une nette amélioration des connaissances sur le suicide et sa prévention depuis les années 1990. Nous connaissons mieux les groupes à risque, les facteurs de risque et de protection, les interventions efficaces, etc. Le Québec ne fait pas exception; les connaissances y ont grandement progressé tant sur le plan clinique que de la recherche. Les savoirs nécessaires existent. Nous avons maintenant besoin de leadership, de mobilisation et d’investissements pour qu’ils se traduisent en actions concrètes et préventives.
Avantages d’une stratégie nationale en prévention du suicide
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Marque clairement la volonté du gouvernement de prendre fait et cause pour la prévention du suicide; exerce un leadership plus stimulant et rassembleur;
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augmente l’efficacité des différentes mesures de prévention en les rassemblant dans un cadre logique et cohérent;
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identifie les parties prenantes; permet de fédérer les parties prenantes et de mobiliser la population;
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fournit des orientations sur les activités essentielles de prévention;
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établit un continuum de mesures et des objectifs à atteindre (par exemple : réduire les taux de suicide de groupes ciblés, diminuer le nombre d’hospitalisations imputables aux tentatives de suicide).
Nous devons innover
D’importants espaces d’intervention restent à développer ou à intensifier au Québec.
C’est le cas dans le champ de la prévention en amont et de la promotion de la santé mentale, notamment chez les jeunes. Il devient nécessaire de les aider à développer leur résilience en les outillant à mieux composer avec les revers et la détresse, avant la perte d’espoir. Les programmes de promotion doivent débuter dès le plus jeune âge et se développer au fil des années.
Nous pouvons également être créatifs dans le développement de nouveaux partenariats. Au Québec, les milieux de travail sont moins engagés en prévention du suicide que ceux d’autres pays et régions. La prévention du suicide est pourtant rentable, d’un point de vue humain et financier.
Des initiatives très prometteuses existent aussi dans le domaine des nouvelles technologies. Le Québec s’est doté de moyens pour favoriser le développement de la prévention du suicide par ces outils qu’il faut intégrer à nos approches.
Sur le plan gouvernemental, la prévention du suicide ne peut pas concerner uniquement le ministère de la Santé et des Services sociaux. La sécurité publique, le travail, l’éducation, la jeunesse, etc. doivent aussi être engagés dans une stratégie qui se doit d’être gouvernementale. Le suicide étant multifactoriel, il est nécessaire d’agir sur divers plans.
En somme, nous devons assurer l’accessibilité, la continuité et la qualité du continuum des services, en misant à la fois sur la promotion de la santé mentale, la prévention, l’intervention et la postvention.
Concrètement
Une stratégie nationale en prévention du suicide doit comporter des actions concrètes. En voici quelques exemples efficaces recommandés par l’OMS et plusieurs experts du milieu de la prévention du suicide au Québec :
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mettre en place des mesures ciblées pour les groupes plus vulnérables ou affichant des taux de suicide plus élevés;
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renforcer les programmes de promotion de la santé mentale, notamment en développant les stratégies d’adaptation des jeunes et leurs habiletés à mieux faire face aux défis de la vie ainsi que les interventions en milieu de travail;
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soutenir et promouvoir la Ligne québécoise de prévention du suicide 1-866-APPELLE, les lignes d’intervention de CRISE et les autres services d’aide et d’écoute; développer les réseaux de sentinelles;
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améliorer les services de crise, dont l’hébergement, ainsi que le suivi étroit des personnes ayant fait une tentative;
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soutenir la formation et le suivi de formation des intervenants de première ligne;
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faciliter l’accès à la psychothérapie; sensibiliser la population québécoise à l’aide de campagnes;
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contrôler l’accès aux moyens de s’enlever la vie.
Pourquoi maintenant?
La mise en place d’une stratégie nationale était réclamée depuis longtemps et semblait d’autant plus urgente : parce que récemment, la population québécoise a été émue par l’histoire médiatisée de nombreuses personnes ayant vécu de la détresse et des comportements suicidaires;
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ces histoires ont mis en lumière certaines failles du système de santé en matière de prévention du suicide, particulièrement en ce qui a trait à l’accessibilité et à la continuité des services, ainsi que les drames vécus par des familles endeuillées;
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parce que le gouvernement et les partis d’opposition ont affirmé leur volonté de travailler sur la question; le gouvernement a déjà posé des gestes concrets dans le secteur de la santé mentale, notamment en vue d’actualiser le plan d’action du Québec en matière de santé mentale;
- parce qu’il y aura 3 nouveaux suicides aujourd’hui.
Lorraine Deschênes, coprésidente du Collectif pour une stratégie nationale en prévention du suicide, endeuillée par suicide et experte en prévention du suicide. Membre du comité provincial qui a élaboré la Stratégie québécoise d’action face au suicide de 1998, elle a ensuite été mandatée en 2003 pour réaliser l’évaluation d’implantation de la stratégie et présider un nouveau groupe d’experts pour élaborer un plan d’action. Elle a également participé à la rédaction du Plan d’action en santé mentale 2005-2010.
Michael Sheehan, coprésident du Collectif pour une stratégie nationale en prévention du suicide et juge à la retraite, il est engagé activement pour la prévention du suicide depuis la perte de son fils par suicide.
Pour plus de détails et pour consulter la liste des membres du Collectif : collectifpreventionsuicide.com
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