Proche aidant de personnes âgées | dualité entre partenaire et bénéficiaire de soins et de services

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Par Véronique Dubé - 1er décembre 2020

Leur implication contribue significativement à notre société. Pourtant, ces personnes en retirent bien peu de reconnaissance formelle. Elles agissent ainsi pour divers motifs, souvent par altruisme, mais au risque d’en subir des répercussions importantes, notamment sur leur propre santé. Elles sont nombreuses et leur groupe est en croissance. Pourtant, jusqu’à tout récemment, avant la pandémie de la COVID-19, elles travaillaient dans l’ombre. Par le titre révélateur de ce numéro, vous avez compris de qui il s’agit. Mais (re)connaissons-nous vraiment les personnes proches aidantes et leur apport indispensable? Quel rôle jouons-nous auprès de ces personnes en tant que professionnels de la santé? Comment pourrions-nous améliorer nos pratiques pour mieux les soutenir?

 

Être proche aidant d’une personne âgée, quelques faits

En 2012, plus de 1,13 million de Québécois avaient offert des soins ou du soutien à une personne âgée de 65 ans et plus (L'Appui pour les proches aidants d'aînés, 2016). De ces chiffres, on constate que le rôle de proche aidant est assumé par une plus grande proportion de femmes que d'hommes. Il est raisonnable de penser que depuis la réalisation de l’Enquête sociale générale canadienne de 2012, le nombre de personnes proches aidantes s’est accru. Mais qu’est-ce qu’une personne proche aidante? Le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec a longtemps défini le proche aidant comme « toute personne de l’entourage qui apporte un soutien important, continu ou occasionnel, à titre non-professionnel, à une personne ayant une incapacité. Il peut s’agir d’un membre de la famille ou d’un ami » (Ministère de la Santé et des Services sociaux, 2003, p. 6). Le projet de loi no 56, Loi visant à reconnaître et à soutenir les personnes proches aidantes et modifiant diverses dispositions législatives précisera probablement cette définition, en plus de circonscrire quatre grandes orientations, dont l’une portant particulièrement sur le développement de services de santé et de services sociaux à leur égard. En tant que professionnels de la santé qui côtoient bon nombre de proches aidants d’aînés, nous avons un rôle déterminant auprès de ces personnes non seulement pour les outiller dans leur rôle d’aidant, mais également pour les soutenir face à leur propre santé et à leur bien-être.

Le rôle de proche aidant d’aîné prend différentes formes et est variable dans sa durée et son intensité. Au début de la relation aidant-aidé, le rôle de l’aidant peut se traduire par du soutien affectif et émotionnel, de l’accompagnement pour des courses ou des rendez-vous, de l’aide pour le transport ou pour de menus travaux. Au dire de la personne qui aide, ce rôle va souvent de soi. C’est probablement une des raisons pour laquelle la plupart des proches aidants ne se considèrent pas comme tels. Des chercheurs qualifient ainsi d’insidieuse l’instauration du rôle d’aidant considérant que la personne qui offre son aide ne consent pas toujours consciemment à endosser ce rôle et voit comme « naturel » de soutenir une personne de son entourage, qu’il s’agisse d’un conjoint, d’un parent ou d’un ami. Si pour certains aidants, l’aide se limite à une période bien précise (p. ex. : convalescence à la suite d’une chirurgie), pour d’autres, le soutien s’allonge, s’échelonnant sur une décennie ou plus, et s’intensifie de quelques heures par semaine à une aide 24h/24, 7 jours par semaine. Ainsi, au fur et à mesure que la perte d’autonomie de la personne âgée aidée s’accentue, le proche aidant assume de plus en plus d’activités de la vie domestique (p. ex. : repas, gestion des médicaments, entretien de la maison, gestion des finances) et de la vie quotidienne (p. ex. : aide à l’alimentation, à l’habillement, à l’hygiène) jusqu’à la dispensation de soins parfois complexes (p. ex. : soins de plaies, de stomies, oxygénothérapie). De plus, il n’est pas rare que le proche aidant en devienne un « coordonnateur » de soins et de services alors qu’il veille à leur planification et organisation. Lorsque la perte d’autonomie s’accompagne de troubles neurocognitifs, comme dans la maladie d’Alzheimer, le proche aidant doit composer avec diverses manifestations associées à ces troubles : difficulté de communication, jugement altéré, perte de mémoire, changement d’humeur ou de comportement. Enfin, en maintenant leur implication tout au long des multiples transitions de vie de la personne âgée aidée, des proches aidants sont parfois confrontés à des choix difficiles au regard de l’hébergement, de la décision sur les niveaux de soins et de l’accompagnement en soins de fin de vie. 

Il appert que trouver un équilibre entre ces nombreuses activités et les autres rôles familiaux, professionnels et sociaux, représente un défi colossal. Il est d’ailleurs reconnu depuis plusieurs années que le rôle de proche aidant comporte de nombreuses conséquences pour ces personnes. Sur le plan de la santé, en comparaison avec les personnes n’assumant pas le rôle d’aidant, il a notamment été constaté que les proches aidants peuvent acquérir des habitudes alimentaires moins saines, diminuer leur activité physique, devoir composer avec des heures de sommeil écourtées ou interrompues, ressentir de la fatigue, un stress accru et de l’anxiété, souffrir de détresse psychologique, voire de dépression, et consommer davantage de médicaments (p. ex. : anxiolytiques, somnifères et antidépresseurs). Sur les plans personnel et familial, la réduction du temps passé avec le conjoint, les enfants et les autres membres de la famille, de même que la réduction du temps consacré aux divertissements, à la détente ou aux vacances sont aussi bien documentées. En consacrant moins de temps aux activités sociales, les proches aidants sont plus susceptibles de vivre de l’isolement. Sur le plan professionnel, il n’est pas rare qu’ils doivent s’absenter du travail ou diminuer leurs heures, voire précipiter leur retrait du marché de l’emploi, engendrant d’importantes pertes financières auxquelles s’ajoutent les coûts relatifs au soutien de la personne âgée. Après avoir pris conscience des nombreuses conséquences multidimensionnelles du rôle de proche aidant d’aîné, comment, en tant que professionnels de la santé, pouvons-nous les aider?
 

Prendre soin de ceux qui aident

Prendre soin des proches aidants d’aînés requiert, en tant que professionnels de la santé, que nous connaissions leurs besoins afin de les considérer et de trouver, dans un réel partenariat avec l’aidant, des moyens pour y répondre. Les besoins des proches aidants d’aînés ont fait l’objet de plusieurs études. On y retrouve notamment des besoins d’information (p. ex. : sur la condition de santé de la personne aidée ou les services disponibles) et de formation (p. ex. : sur des traitements ou des soins à prodiguer et la gestion de résolution de problèmes). À ceux-ci s’ajoute l’amélioration de la communication avec la personne âgée, avec son entourage et avec les intervenants (p. ex. : comment faciliter et accroître les interactions avec les professionnels de la santé). Ont également été rapportés des besoins liés au soutien professionnel (p. ex. : la prévention de l’épuisement), des besoins de répit (p. ex. : service de surveillance et de stimulation à domicile) et des besoins concernant les aspects légaux et financiers (p. ex. : mandat d’inaptitude, procuration). 

Ces besoins sont nombreux et variés et certains sont davantage orientés vers la personne aidée (p. ex. : réfection d’un pansement) alors que d’autres le sont davantage au regard des besoins propres du proche aidant (p. ex. : composer avec le stress inhérent au rôle d’aidant). Ce constat nous incite à réfléchir aux questions suivantes : évaluons-nous de façon systématique les besoins du proche aidant, y compris ses propres besoins, et comment y répondons-nous? 

Alors que les aidants comblent la majorité des besoins de l’aîné, certains ont soulevé le risque « d’instrumentalisation » (Larouche, 2018) ou de « professionnalisation » du rôle d’aidant (Leduc et al., 2013). Ce risque peut s’avérer lorsque le proche aidant permet de réduire le recours à des services ou de maintenir à domicile la personne aidée le plus longtemps possible dans un contexte où les ressources du système de santé sont limitées. Depuis les 20 dernières années, l’émergence des approches de partenariat avec les proches aidants a contribué à répondre à certains de leurs besoins. Des initiatives québécoises telles que l’Entente sur le soutien aux proches aidants (Lévesque et al., 2010a; 2010b) et sa version abrégée (Dubé et al., 2015) permettent aux professionnels de la santé de s’enquérir, de façon systématique, des besoins de soutien du proche aidant en positionnant la dyade intervenant-aidant comme des co-experts. De plus, cet outil leur permet de convenir d’un plan de soutien personnalisé et réaliste, et de sa réévaluation. Cette dernière donne aussi l’occasion de revoir les besoins évolutifs de l’aidant, de s’assurer de l’adéquation du soutien avec ses besoins et d’explorer avec le professionnel diverses pistes de soutien possibles qui tiennent compte de la disponibilité des ressources. Le professionnel de la santé peut accompagner l’aidant dans la mobilisation des ressources de son entourage et de la communauté1 en plus de le guider dans la complexité du système de santé et de services sociaux. La nécessité d’un meilleur arrimage entre les ressources du réseau de la santé et les ressources communautaires a notamment été soulevée lors d’une enquête québécoise auprès de proches aidants (Dubé et al., 2018) alors que ceux-ci peinent à trouver les ressources.
 

En conclusion

À voir l’envergure des activités réalisées par les proches aidants d’aînés, nul doute que sans leur apport, notre système de santé ne pourrait fonctionner. Il nous incombe en tant que professionnels de la santé de les soutenir dans l’accomplissement de cet important rôle afin que l’aide qu’ils apportent ne soit au détriment de leur santé2. Les considérer comme nos partenaires devrait aussi sous-entendre de les considérer comme des bénéficiaires de soins et services.
 

Références 

Dubé, V., Ducharme, F. et Bertrand, M. (2015). Projet ARRIMAGE : Résultats du projet-pilote d’implantation de l’Entente sur le Soutien aux Proches Aidants (ESPA) – version abrégée pour une utilisation en partenariat entre les infirmières pivots ou les travailleuses sociales des groupes de médecine familiale (GMF) et les conseillères aux proches aidants des APPUIs régionaux. Rapport de recherche soumis à l’APPUI national pour les proches aidants

Dubé, V., Ducharme, F., Lachance, L. et Perreault, O. (2018). Rapport final - Enquête sur la satisfaction des proches aidants concernant les services obtenus par des organismes financés par les Appuis régionaux du Québec. Rapport soumis à l’Appui pour les proches aidants d’aînés

L'Appui pour les proches aidants d'aînés. (2016). Portrait statistique des proches aidants de personnes de 65 ans et plus au Québec, 2012. Montréal: Québec. https://www.lappui.org/Organisations/content/download/14806/file/Portrait%20statistique.pdf

Larouche, L. (2018). Quel avenir pour les proches aidants? Le magazine Contact. http://www.contact.ulaval.ca/article_magazine/quel-avenir-pour-les-proches-aidants/

Leduc, F., Jung, E. et Lozac’h, C. (2013). Former les aidants : comment ? pourquoi ? pour quoi faire ? Gérontologie et société, 36 / 147(4), 189-198. https://doi.org/10.3917/gs.147.0189

Lévesque, L., Ducharme, F. et Caron, C. (2010a). L'ESPA : Pour mieux soutenir les aidants. Perspective Infirmière, 7(4), 42-46. https://www.oiiq.org/sites/default/files/uploads/pdf/publications/perspective_infirmieres/2010_vol07_n04/26_recherche_espa.pdf 

Lévesque, L., Ducharme, F., Caron, C., Hanson, E., Magnusson, L., Nolan, J. et Nolan, M. (2010b). A partnership approach to service needs assessment with family caregivers of an aging relative living at home: A qualitative analysis of the experiences of caregivers and practitioners. International Journal of Nursing Studies, 47(7), 876-887. https://doi.org/https://doi.org/10.1016/j.ijnurstu.2009.12.006

Ministère de la Santé et des Services sociaux. (2003). Chez soi : le premier choix. La politique de soutien à domicile. https://publications.msss.gouv.qc.ca/msss/fichiers/2002/02-704-01.pdf
 

Notes

1   Les professionnels de la santé peuvent communiquer avec l’Appui pour les proches aidants d’aînés afin de connaître les différentes ressources communautaires susceptibles de soutenir les proches aidants

2   Les programmes de formation initiale des professionnels de la santé soutiennent de plus en plus le développement de compétence interprofessionnelle visant à reconnaître et à soutenir les proches aidants dans une perspective collaborative. Le référentiel de compétences interprofessionnelles en soins et services sociaux aux aînés et à leurs proches aidants du RUISSS de l’UdeM peut également être adapté aux professionnels sur le marché du travail afin de les outiller dans le développement de leurs compétences au regard des proches aidants.
 



Véronique Dubé est professeure agrégée à la Faculté des sciences infirmières de l’Université de Montréal, titulaire de la Chaire de recherche Marguerite-d’Youville d’interventions humanistes en soins infirmiers, chercheuse régulière au Centre de recherche du Centre hospitalier de l’Université de Montréal et chercheuse associée au Centre de recherche de l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal. Ses travaux de recherche portent plus spécifiquement sur le développement et l’évaluation d’interventions de formation et de soutien à l’intention des proches aidants de personnes vivant avec un trouble neurocognitif tel que la maladie d’Alzheimer. 

 


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