Par Anne Villeneuve – 1er décembre 2020
L’auteure aborde les différentes réalités des proches aidants des personnes atteintes de troubles neurocognitifs majeurs comme la maladie d’Alzheimer. Avec le temps, la relation du proche aidant avec la personne atteinte se redéfinit et son amour aussi.
Imaginez un instant qu’un proche, tel qu’un conjoint ou une conjointe, vient de recevoir un diagnostic d’un trouble neurocognitif majeur comme la maladie d’Alzheimer. Sa mémoire commence peu à peu à lui jouer de vilains tours. Cette personne commence par oublier de petits détails comme un rendez-vous à l’agenda, la manière de mesurer un pantalon pour en faire le bord, les prénoms de proches pour ensuite oublier la relation qu’elle a avec ces mêmes personnes. La personne atteinte que vous avez connue depuis tant d’années se met à changer ainsi que la relation que vous entretenez. Progressivement, vous devenez son proche aidant.
Après un certain temps, nous entendons parfois des conjoints proches aidants mentionner que le sentiment amoureux qu’ils avaient pour la personne dont ils s’occupent a changé. Ils diront même qu’ils se sentent coupables d’avoir ces pensées puisqu’ils n’ont jamais imaginé que celles-ci traverseraient leur esprit un jour. Une relation date depuis plusieurs années et voilà que l’un des deux individus perd de ses capacités cognitives et les souvenirs d’une vie s’effacent peu à peu de sa mémoire. Il est évident que des bouleversements comme ceux-là ont des impacts sur une relation. D’ailleurs, il existe un terme pour ce phénomène; le deuil blanc.
Le deuil blanc
Le deuil blanc est bien différent du deuil et du chagrin qui surviennent lors du décès d’une personne, car sa résolution complète est impossible, la personne entraînant le deuil est toujours en vie. Il est possible de vivre le deuil d’un décès pleinement alors que ce n’est pas le cas du deuil blanc. Ce sont des moments difficiles à traverser pour le proche aidant ainsi que pour la personne ayant un trouble neurocognitif. Il est fréquent que les deuils blancs vécus par un proche aidant rendent sa tâche encore plus difficile. Pour les aidants ainsi que les aidés, ces deuils peuvent prendre différentes formes. Il se peut que ce soient des rêves et des plans d’avenir qui s’échappent tels que la retraite, la vie commune, un voyage, etc. Aussi, le proche aidant peut devoir faire un deuil par rapport à la relation qu’il avait avec la personne atteinte comme pour leurs rituels, leurs traditions, leurs activités communes, etc.
Malgré ce que l’on croit, cette ambigüité et les sentiments de toutes sortes qui l’accompagnent constituent une expérience commune et prévisible pour tous les aidants qui accompagnent une personne atteinte de l’Alzheimer ou d’une maladie apparentée .1
Il est normal de croire qu’une personne en santé s’occupera d’un proche qui devient malade ou se blesse subitement et acceptera sans hésiter de prendre le rôle de proche aidant. Ce rôle, bien que nécessaire, est cependant tout sauf naturel. Lorsqu’une personne devient proche aidant pour aider et accompagner un conjoint, un parent ou un ami, elle doit mettre plusieurs aspects de sa vie de côté. Plusieurs proches aidants travaillent, ont des familles, des enfants, des obligations et doivent parfois même s’occuper de plus d’une personne. Il n’y a pas de formation pour se préparer à devenir proche aidant comme on peut se préparer à la venue d’un enfant lors de cours prénataux. Ce rôle, bien qu’il commence souvent à temps partiel, devient de plus en plus prenant au fil du temps. Il faut faire preuve de beaucoup d’empathie, de flexibilité et dans le cas des troubles neurocognitifs majeurs, les effets de la maladie sur la personne atteinte ne feront que s’aggraver avec le temps. Étant donné que nous sommes des humains, ce rôle nécessite énormément de patience.
La relation telle qu’on la connaissait avec une personne qui développe un trouble neurocognitif majeur se redéfinit progressivement. Qu’il soit l’enfant, le conjoint, le parent, l’ami, de la personne accompagnée, le proche aidant nous dira souvent qu’il voit leur relation changer, évoluer avec le temps et la maladie. Le proche aidant continue d’adorer cette personne et d’être présent à ses côtés, mais pour les conjoints, ce n’est parfois plus un « amour amoureux ». Cette situation est souvent provoquée par le fait que les troubles neurocognitifs entraînent des changements dans la personnalité, l’humeur, la mémoire, des pertes de capacités graduelles et évolutives, etc. Le rôle joué par le proche aidant avec la personne accompagnée n’est plus le même qu’auparavant et les deuils engendrés par cette réalité entraînent la transformation de la relation. Certains diront qu’ils le font par respect, par engagement, par dévouement, en sachant très bien que la personne accompagnée n’est plus celle qu’ils ont côtoyée plus tôt dans leur vie.
Le défi de la communication
D’un autre côté, la vie continue. Parfois, le proche aidant se sépare de la personne aidée tout en continuant de s’occuper d’elle. Un proche aidant pourrait lui aussi devenir de nouveau amoureux ou simplement se trouver un nouveau compagnon d’activités pour partir en voyage, par exemple. Nous avons tous, y compris les personnes ayant un trouble neurocognitif majeur, des besoins et des désirs en matière d'amitié, d’appartenance, de compagnie, d’intimité, ainsi que le besoin d’exprimer notre sexualité. On peut combler ces besoins de plusieurs manières et à travers tout un éventail d’interactions avec les autres, y compris en partageant ses pensées et ses sentiments personnels, en se tenant la main, en se serrant dans les bras, en s’embrassant et autres formes d’expressions plus intimes. À chacun de trouver ce qui lui convient quant à ses valeurs.
La communication est un défi, même sans trouble cognitif. Étant donné que le cerveau contrôle les sentiments et les actions, il se peut qu’il affecte la manière dont les personnes expriment leurs désirs de compagnie et d’intimité lorsqu’il est sous l’emprise d’une maladie comme l’Alzheimer. En œuvrant à la Société Alzheimer Outaouais, nous sommes témoins de plusieurs malentendus ou de comportements imprévisibles et parfois le tout débute avec une simple parole ou un geste anodin qui peut être mal interprété. Par exemple, lors d’une partie de sacs de sable au centre de jour et de répit, une des intervenantes a dit à l’un des participants (ayant la maladie d’Alzheimer) qu’il était « hot », faisant référence à ses qualités de viseur, au fait qu’il était bon. Très heureux du compliment, le participant s’est approché de l’intervenante en mode séduction en croyant que ce mot employé était une façon de flirter avec lui. Le participant en question avait interprété le compliment d’une manière différente de l’intention initiale. Bien que cet homme soit en couple depuis plus de 40 ans, qu’il était très heureux de revoir sa conjointe à la fin de la journée, la perte d’inhibition causée par la maladie d’Alzheimer a provoqué cette réaction.
Il se peut qu’une personne exprime ses désirs d’intimité différemment et peut-être de manière insolite à cause des changements cérébraux. Par exemple, il se peut que la personne soit plus ouverte ou s’intéresse plus aux rapports sexuels, ou au contraire, qu’elle se montre moins affectueuse et plus rigide. Pour cette raison, au fur et à mesure que la maladie évolue, le comportement sexuel d’une personne peut devenir imprévisible et plus difficile à comprendre. Il est important que les aidants comprennent que ces changements de comportement sont fréquents et que la personne n’est peut-être pas pleinement consciente des effets de ces derniers. La sexualité et l’intimité sont des besoins humains complexes qui entraînent des réactions d’ordre émotionnel et moral. Ce sont des sujets qui sont parfois difficiles à aborder dans un couple. C’est pourquoi il est important que la personne atteinte de la maladie et son partenaire discutent des questions qui touchent à la sexualité, l’intimité et l’expression sexuelle dès le diagnostic et tout au long de l’évolution de la maladie. Toutefois, compte tenu de la complexité du sujet, du degré d’aisance à l’aborder, de l’impact des gestes posés sur l’autre personne impliquée, chaque personne se doit de respecter ses limites et ses choix.
Les effets des troubles neurocognitifs
Les effets des troubles neurocognitifs majeurs sont dévastateurs et peuvent être rapides. Si, par exemple, une personne n’étant plus en mesure de vivre chez elle de façon autonome et qu’elle déménage dans une résidence avec d’autres personnes ayant un trouble neurocognitif majeur, elle vivra un nouveau départ. Ce changement de milieu de vie est un deuil blanc majeur pour les couples puisqu’ils sont toujours en couple, mais ne cohabitent plus. Après avoir vécu ensemble pendant 25, 40 ou même 60 ans, les personnes se retrouvent séparées et une multitude de deuils blancs s’enclenchent pour chacun. Par exemple, l’atmosphère de la maison n’est plus la même, le souhait de vieillir ensemble devient impossible, le proche aidant vit maintenant seul, mais sans être célibataire ou veuf, etc. La personne nouvellement hébergée vivra aussi une gamme d’émotions dont certaines peuvent toutefois être positives : faire de nouvelles connaissances, s’adonner à des activités avec d’autres personnes rencontrées. Dans certains cas, il arrive même que la personne hébergée devienne amoureuse d’un autre résident. Le proche aidant, bien qu’il soit conscient des effets de la maladie sur la personne atteinte, peut vivre en quelque sorte une peine d’amour. Pour certains couples, les troubles neurocognitifs majeurs font en sorte que deux personnes qui se sont longtemps aimées se retrouvent à la croisée des chemins où ils doivent poursuivre leur vie en « parallèle ». Avec la progression de la maladie, certaines personnes ayant un trouble neurocognitif ne reconnaissent plus leurs proches. La personne aidée peut ne plus se souvenir être en couple et commence à fréquenter une autre personne. Il arrive parfois même d’être témoin de quiproquos où la personne insiste pour que son nouvel amoureux ne la laisse plus seule avec son proche aidant qui s’avère être son conjoint depuis plusieurs années.
Les effets des troubles neurocognitifs majeurs sont complexes, imprévisibles et différents pour chaque personne. Ainsi, en parlant avec un professionnel en qui ils ont confiance, les duos aidants/aidés peuvent mieux anticiper les changements que la maladie pourrait entraîner et réfléchir aux stratégies pour y faire face. La relation, telle qu’elles l’ont connue, ne sera plus jamais la même. Ce n’est pas pour autant qu’elle n’existe plus. Elle se transforme et évolue autant pour le proche aidant que pour la personne ayant un trouble neurocognitif majeur.
Notes
Voir le site de la Fédération Québécoise des Sociétés Alzheimer Qu’est-ce que le deuil blanc? https://alzheimer.ca/fr/federationquebecoise/Living-with-dementia/Grieving/ambiguous-loss-family
Anne Villeneuve est membre de l’équipe de la Société Alzheimer Outaouais depuis 8 ans. Elle y a d’abord occupé le poste de directrice des services et du personnel, pour ensuite prendre la barre à la direction générale. Son expérience en gestion et en ressources humaines, en formation et en établissement de partenariats, lui permet de porter la mission de la Société Alzheimer qui lui est chère. Elle est membre active de nombreux comités aux niveaux local, régional et provincial dont le comité de pilotage du plan Alzheimer de l’Outaouais, la table de concertation régionale de réseau local de service pour le soutien à l’autonomie des personnes âgées, le comité des finances et le comité d’experts en formation, tous deux de la Fédération québécoise des Sociétés Alzheimer.
Société Alzheimer
Dans les Sociétés Alzheimer, nous offrons une gamme de services pour les proches aidants et les aidés afin de les guider, les soutenir et les informer tout au long des différentes étapes que les troubles neurocognitifs engendreront. Nous offrons des ateliers de formation, des groupes de soutien, du répit-stimulation à domicile, des centres de jour et de répit, des rencontres d’information ou de soutien en formule individuelle ou familiale, des kiosques, des conférences, etc. Nous savons qu’être proche aidant est plus qu’une question d’amour et c’est pourquoi les Sociétés Alzheimer sont là pour vous.
Il y a 20 Sociétés Alzheimer au Québec, pour trouver la Société Alzheimer qui dessert votre région, consultez le https://alzheimer.ca/fr/federationquebecoise.
Société Alzheimer Outaouais
Nous sommes fiers de pouvoir offrir des services de qualité aux familles de la région de l’Outaouais. Nos services ne seraient pas possibles sans la générosité des gens et des entreprises de la communauté qui appuient notre organisme en participant à nos nombreuses activités tout au long de l’année et en versant des dons mensuels et annuels.
Pour plus d’information sur le sujet, les services ou faire un don à la Société Alzheimer Outaouais, visitez le www.AlzheimerOutaouais.com