Les soins spirituels en milieu de santé | une pratique en profonde mutation

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Par Jean-Marc Charron – 1er août 2014

L’auteur trace d’abord un portrait des principales mutations dans l’histoire contemporaine de la profession des intervenants en soins spirituels (ISS). Il présente ensuite les résultats d’une enquête réalisée en 2011 qui dresse un portrait de la situation des ISS au Québec. Enfin, il évoque certains défis reliés à la pratique de la profession.

 

De la pastorale de la sante aux soins spirituels

Dans sa lettre du 14 avril 2007, adressée aux autorités religieuses cosignataires du protocole d’entente de 2001 « concernant les services de pastorale dans les établissements de santé et de services sociaux 1», le sous-ministre Paquette justifiait la décision du ministère de la Santé et des Services sociaux de dénoncer unilatéralement ce protocole de la façon suivante : « En 2005, des modifications législatives (projet de loi 142) ont eu pour effet de régulariser une partie de la situation dans le cadre de la convention collective, plus particulièrement en ce qui concerne le titre d’emploi, le libellé et les taux des échelles de salaire. Par conséquent, cette entente n’a plus sa raison d’être.2» En ce qui concerne l’aménagement concret des services, le sous-ministre se limite à renvoyer les responsables religieux aux instances régionales, soit les centres de santé et de services sociaux et les agences de la santé et des services sociaux. Cette dénonciation survenait deux ans après que les deux associations professionnelles existantes à l’époque, soit l’AQPS et ACPEPQ, se soient fusionnées pour devenir l’AIISSQ (Association des intervenantes et intervenants en soins spirituels du Québec). Il faudra attendre près de trois ans avant que le ministère de la Santé et des Services sociaux propose de nouvelles orientations  pour les services « d’animation spirituelle » et une année de plus avant que le nouveau titre d’emploi, celui d’intervenant en soins spirituels, soit officiellement adopté par le ministère de la Santé et des Services sociaux.

En l’espace de six ans, la prise en compte de l’expérience religieuse des patients et de leur famille, dans le réseau de la santé et des services sociaux, est passée d’une perspective confessionnelle encadrée par un protocole d’entente impliquant diverses communautés de foi à une perspective non confessionnelle où le mandat pastoral n’est plus exigé pour l’exercice de l’accompagnement religieux et spirituel. Les intervenantes et intervenants en soins spirituels ne sont plus considérés comme des représentants d’une tradition religieuse au service d’une expérience de foi particulière, mais comme des employés de l’État, des « professionnels de la santé et des services sociaux » ayant pour mandat d’offrir « des activités de soutien et d’accompagnement à la vie spirituelle et religieuse des usagers, à leur famille ainsi qu’à leurs proches » en respectant « la liberté et les convictions de chaque personne ». Mais qu’en est-il de la réalité sur le terrain?
 

Un état des lieux

À l’été 2011, Michel Nyabenda, responsable du Service de soins spirituels au CHUM, et moi-même avons conduit une enquête auprès des gestionnaires et des intervenants en soins spirituels dans le réseau de la santé afin de dresser un portrait de la situation six ans après la création de l’AIISSQ et l’adoption de la nouvelle appellation professionnelle par ses membres . Il peut s’avérer intéressant de voir à quoi ressemble le paysage actuel de la pratique des soins spirituels dans un contexte où cette nouvelle profession cherche à se définir au sein des équipes de professionnels de la santé.

Une première série de constats concerne le profil des effectifs en soins spirituels. Les hommes constituent 64 % de ces effectifs; 53 % sont des prêtres, 37 % sont des laïcs et 4 % sont des religieux. Parmi les répondants, 93 % se définissent comme catholiques (ce qui est nettement supérieur au pourcentage de la population québécoise s’identifiant à la religion catholique). Sur le plan de l’âge, les moins de 50 ans sont nettement sous-représentés (20-29 ans, 4 %; 30-39 ans 7 %; 40-49 ans 19 %). Les intervenants de plus de 50 ans forment la très vaste majorité (50-59 ans, 32 %; 60-69 ans, 22 %; 70 ans et plus, 16 %). En ce qui concerne le rattachement institutionnel, en 2011, 72 % des répondants affirmaient détenir un mandat pastoral dont 38 % disaient que c’était par conviction personnelle.

En ce qui concerne le statut d’emploi, le nombre d’années d’expérience et la tâche, 60 % des répondants se définissent comme des animateurs de pastorale cependant que 29 % retiennent le titre d’intervenants en soins spirituels dans un contexte où ce libellé venait tout juste d’être adopté par l’employeur (six ans après que l’association professionnelle ait elle-même fait le choix de cette appellation). Cette donnée peut être mise en corrélation avec celle relative au nombre de membres de la nouvelle association. Même si 92,5 % de ceux et celles qui affirment être membres d’une association s’identifient à l’AIISSQ, seulement 58 % répondent positivement à la question « Êtes-vous membre d’une association? » alors qu’ils étaient 73 % à répondre affirmativement à la même question en 2001, comme si le passage d’une perspective confessionnelle à une perspective plus neutre en matière spirituelle et religieuse avait éloigné de ses rangs un certain nombre d’intervenants. Par ailleurs, 54 % des répondants ont un statut de permanent à temps partiel et 33 % sont à temps plein. Ces données traduisent ce que les gestionnaires indiquaient quant aux budgets des services de soins spirituels dont 50 % sont inférieurs à 100 000 $ par année, représentant, pour l’essentiel, la masse salariale de ces services. Enfin, et malgré la moyenne d’âge relativement élevée du personnel, 37 % des répondants ont moins de 5 ans d’expérience en soins spirituels (17 % moins de 10 ans; 18 % moins de 15 ans).

En ce qui concerne les tâches assumées par les intervenants en soins spirituels, celles-ci correspondent essentiellement à ce qui relève de l’accompagnement spirituel (faire des visites d’accueil, 11 %; offrir un accompagnement spirituel et religieux, 13 %; répondre aux besoins spirituels et religieux, 13 %; donner un soutien moral à l’usager, à la famille et aux proches, 14 %). Notons qu’à un moment où les intervenants en soins spirituels ne sont plus tenus de détenir un mandat pastoral, où le service n’est plus de nature confessionnelle et où les liens avec les institutions religieuses locales sont la responsabilité des intervenants, seulement 4 % des répondants affirment assurer la liaison avec les différentes dénominations religieuses. Si les tâches des intervenants ne semblent plus être liées à certaines pratiques rituelles ou de nature liturgique, l’investigation des tâches assumées par les bénévoles, encore présents dans les services de soins spirituels, laisse croire que les pratiques sacramentelles conservent encore une certaine place dans l’offre de service (distribution de la communion, 22 %; préparation et animation liturgique, 20 %; déplacement des usagers pour les activités religieuses, 21 %).

Enfin, au plan de la formation, 33 % des répondants détiennent un baccalauréat en théologie ou en sciences religieuses et 38 % un grade de niveau maîtrise. En ce qui concerne la formation clinique, 62 % affirment en détenir une dont 73 % précisent qu’il s’agit d’un stage clinique accrédité par l’ACPEPQ ou l’AIISSQ. Ouverts à la formation permanente, 20 % des répondants souhaiteraient une formation relative à l’accompagnement spirituel adapté à l’âge des usagers, 21 % une formation à l’accompagnement adapté à diverses situations, 19 % une formation à l’accompagnement des personnes mourantes. Dans un contexte où la question de la diversité religieuse et de la sécularisation est à l’ordre du jour, 17 % seulement des répondants souhaiteraient une formation à l’accompagnement des personnes d’autres croyances religieuses et 19 %, une formation à l’accompagnement des personnes n’ayant aucune affiliation religieuse.

En résumé, la pratique actuelle des soins spirituels est généralement assumée par un homme âgé entre 50 et 69 ans, prêtre, catholique, détenant une formation universitaire et ayant fait un stage clinique reconnu par son association professionnelle. Il est employé sur une base permanente et travaille à temps partiel. Ses tâches se définissent essentiellement dans les termes de l’accompagnement spirituel et religieux. S’il est ouvert à un complément de formation, celle-ci ne concerne pas prioritairement la diversité religieuse ni la sensibilité séculière.
 

Quelques défis d’une pratique en profonde mutation

Les quelques réflexions qui précèdent mettent en relief le fait qu’au cours des dix dernières années les pratiques d’accompagnement religieux et spirituel dans le réseau de la santé ont connu des transformations profondes, tant au plan politique qu’organisationnel et identitaire. Les orientations ministérielles de 2010 consacrent la fin du régime de collaboration entre le ministère de la Santé et des Services sociaux et certaines institutions religieuses tout en affirmant le caractère non confessionnel des nouveaux services et leur ouverture à la diversité des croyances. La nouvelle association professionnelle, fruit de la fusion entre l’AQPS et l’ACPEPQ, prend l’initiative d’une nouvelle appellation de la pratique; nous passons alors de la pastorale de la santé aux soins spirituels, consacrant là aussi une rupture avec l’héritage ecclésial et l’ouverture à la diversité des cheminements et des pratiques.

Toutes ces transformations traduisent une nette volonté d’adapter la prise en compte du spirituel et du religieux, dans le réseau de la santé, au nouveau contexte socio-religieux marqué par le pluralisme des croyances et la sécularisation. Mais tous ces changements ne vont pas sans impact sur l’identité professionnelle des intervenants et des intervenantes et sur la compréhension de la nature de leur pratique, surtout dans un contexte où, en ce qui concerne le spirituel, d’autres professionnels œuvrant dans les milieux de santé se réclament d’une expertise en matière de spiritualité, qu’il s’agisse du personnel infirmier, des psychologues ou des travailleurs sociaux. Quelle serait alors la spécificité de la pratique des soins spirituels? Par ailleurs, et comme le suggère notre étude sur l’état des lieux des soins spirituels, il est loin d’être évident que toutes les intervenantes et tous les intervenants sont effectivement passés, dans leur pratique comme dans leurs représentations du service, d’une perspective confessionnelle à une perspective plus neutre et ouverte à la diversité. Les soins spirituels demeurent encore aujourd’hui dominés par un personnel clérical et une forte représentation catholique. Si la volonté de s’inscrire dans une nouvelle logique, celle des orientations ministérielles tout comme celle de l’AIISSQ, apparaît manifeste, beaucoup reste à faire afin de mieux définir et de mieux déployer effectivement dans la pratique la nature des soins spirituels. À ce chapitre, quelques défis restent à relever. J’indique simplement les plus urgents.

Il est un fait reconnu qu’aujourd’hui l’intérêt pour le spirituel s’impose comme une alternative à l’héritage des grandes traditions religieuses. « Je ne suis pas religieux, mais pour moi, la spiritualité, c’est important », est une affirmation qui traduit assez bien l’esprit de notre époque. Si les religions n’ont plus la cote, le spirituel connaît un intérêt grandissant dans les divers milieux tout comme dans diverses pratiques professionnelles. Malgré cela, tous les experts de la question spirituelle s’entendent pour reconnaître qu’il ne semble pas aisé de faire consensus sur une définition de la spiritualité. Pourtant, et dans la mesure où la profession des soins spirituels veut réellement s’imposer dans les milieux de santé et inscrire son expertise dans le cadre d’équipe multidisciplinaire, il y a une certaine urgence à bien définir la nature et l’objet de son intervention. Dans le même esprit, il importe que l’on mette à la disposition des intervenants quelques outils diagnostic – pour demeurer dans la logique bio-médicale – favorisant une certaine lecture commune, au sein de la profession, de l’expérience spirituelle des patients et des questionnements qui sont les leurs. De même, aucune profession ne peut prétendre à une reconnaissance sans un certain nombre de « modèles d’intervention » qui caractérisent sa pratique.

La profession d’intervenant en soins spirituels est aujourd’hui à un carrefour. Sa reconnaissance au sein des équipes soignantes et par les destinataires de sa pratique, appelle une meilleure clarification de la nature de son objet d’intervention et des modalités de sa mise en œuvre. Saurons-nous relever ces défis?
 

Notes

1   Protocole d’entente entre le ministère de la Santé et des Services sociaux et les autorités religieuses concernant les services de pastorale dans les établissements de santé et de services sociaux, Gouvernement du Québec, ministère de la Santé et des Services sociaux, avril 2001.

2   Lettre du sous-ministre Paquette, 17 avril 2007.

3   Ministère de la Santé et des Services sociaux. Orientations ministérielles pour l’organisation du service d’animation spirituelle en établissements de santé et de services sociaux. Février 2010.

4   Jean-Marc Charron et Michel Nyabenda, Les services de soins spirituels au Québec: un état des lieux, Rapport de recherche, Centre de formation et de recherche cliniques en soins spirituels (CHUM)-Centre d’étude des religions (Université de Montréal), Montréal, 2012.

5   Voir, à ce sujet, l’ouvrage suggestif d’Ursula King, La quête spirituelle à l’heure de la mondialisation, Montréal, Bellarmin, 2010 (traduction d’Albert Beaudry)
 



Professeur titulaire à la Faculté de théologie et de sciences des religions de l’Université de Montréal, Jean-Marc Charron est également directeur du Centre d’étude des religions de cette même institution d’enseignement. Il a été président du comité sur les affaires religieuses (MEQ) de 2000 à 2005. Il conduit actuellement des recherches et des enseignements sur les rapports entre religion et spiritualité, sur l’histoire et la théologie de la spiritualité chrétienne et sur l’émergence du spirituel dans la culture contemporaine. Responsable des programmes de formation pour les intervenants en soins spirituels à l’Université de Montréal, il s’intéresse particulièrement à la définition de la spiritualité dans les disciplines d’intervention et à la clarification des modèles théoriques et pratiques dans ce domaine.


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