La solitude et la méditation

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Par Roger Gosselin – 1er décembre 2018

L’expérience de la solitude est essentielle à « une connaissance approfondie de soi ». Malgré les nombreuses difficultés à maintenir son esprit calme et concentré, l’auteur présente l’extraordinaire richesse que représente le plongeon en soi. Il évoque ce cheminement par le biais de sa propre expérience à travers le cours de méditation Vipassana.

 

Le véritable sens de la solitude

Il existe une multitude de croyances et de théories au sujet du bonheur, de sa nature véritable, de sa différence avec le plaisir, de son aspect durable ou éphémère. La quête du bonheur sous-tend toutes nos décisions. On chemine rarement seul dans la vie. Nous cherchons la compagnie de personnes qui nous inspirent confiance et avec qui nous avons des affinités. Nous sommes des êtres sociaux. Et pourtant, nous sommes le plus souvent seuls dans nos heures d’éveil et de sommeil.
 
La solitude n’a de valeur que si elle contribue à notre bonheur. Pour beaucoup d’entre nous, la solitude ne vient pas facilement et naturellement. Une carence affective, un attachement fort à la présence d’amis ou d’un amoureux sont pour plusieurs des empêchements à l’expérience de la solitude. Certains en nieront la valeur faute de vouloir prendre le temps de s’isoler et d’en goûter les mérites. Pour d’autres, vivre la solitude n’est pas un choix, elle est une conséquence d’une difficulté à vivre harmonieusement dans la société. Quelle qu’en soit la raison, fuir la solitude nous prive d’une rencontre avec nous-même. Il n’y a pas d’introspection sérieuse et de connaissance approfondie de soi sans solitude. La connaissance de soi est essentielle au bien-être.
 

Mon expérience de la solitude

Ma première expérience de vivre véritablement seul pour une période prolongée a été vécue lors d’un cours de méditation Vipassana. Dix jours, dont neuf en silence. Bien qu’il y avait plusieurs participants, chacun avait pris l’engagement de ne pas communiquer avec les autres. L’enseignant, Satya Narayan Goenka, nous a expliqué qu’un travail menant à la réalisation de vérités profondes ne peut coexister avec le bruit, les discussions mondaines ou philosophiques, et les distractions en général. Bien que nous partagions des espaces communs, nous devions travailler comme si nous étions seuls. Toutefois, si nous avions des questions sur la technique de méditation nous pouvions demander des explications à l’enseignant.
 

Personne d’autre ne peut faire cela pour soi

Le principe est simple. Les complexes enfouis dans notre esprit ne cessent de se multiplier, de se manifester et de générer des émotions et des sensations auxquelles nous réagissons constamment. L’esprit est une machine à réagir. Notre esprit a acquis un besoin constant de stimulations et il réagit à tout ce qui est ressenti par les sens. Ce qui est ressenti est perçu, reconnu et catégorisé en plaisir ou déplaisir, selon nos conditionnements. Puis on réagit avec convoitise ou aversion, désireux de préserver, prolonger et multiplier ce que nous avons qualifié de plaisant ou désireux de chasser, de supprimer et de fuir ce que nous avons qualifié de déplaisant. Cette activité est de tous les moments et crée constamment du stress et de l’agitation. Cela n’est pas une façon de vivre. Comment changer cette habitude et vivre une vie sereine, calme et harmonieuse, bonne pour soi et bonne pour les autres?
 
L’enseignant nous faisait valoir que le seul moyen de sortir de cette dépendance toxique est de pénétrer dans les profondeurs de l’esprit. Et cela se fait dans le silence et la solitude, à l’abri des distractions. Un sage qui est passé par là peut nous conseiller avec compassion, mais personne d’autre ne peut faire le travail pour nous.
 

La sagesse et la solitude

Le Bouddha enseignait qu’il y a trois types ou niveaux de sagesse. Celle acquise en écoutant des discours ou en lisant des textes; elle a son mérite, car il s’agit d’un premier pas. Puis il y a la sagesse qui provient de l’analyse et du raisonnement. Enfin, il y a la sagesse résultant de l’expérience personnelle de la réalité, du grossier jusqu’au plus subtil. Cette sagesse est la plus importante, elle mène à l’observation de la souffrance, à l’éradication de la cause de la souffrance, à l’expérience de l’absence de souffrance et à la compréhension de la technique ou du moyen d’y arriver.
 
L’atteinte de cette sagesse requiert un travail sur soi-même, ce qui est plus aisé lorsque l’on accepte que nous sommes les véritables artisans de notre malheur et de notre bonheur et que personne d’autre que soi ne peut nous libérer de nos souffrances.
 

La solitude et la concentration

Un esprit dissipé, inattentif et vagabond ne peut saisir le moment présent, porte d’entrée de la connaissance de soi. Pendant les trois premiers jours de mon cours de méditation, je me suis affairé à développer ma concentration en portant mon attention le plus longtemps possible sur la respiration naturelle, le souffle qui entre et qui sort des narines. J’ai été stupéfait de constater mon incapacité à observer ce phénomène naturel; la respiration se produit pourtant sans interruption depuis la naissance. J’ai dû déployer beaucoup d’efforts pour ramener et garder mon attention fixée sur la région des narines. Mon esprit était assailli d’un flux constant de pensées liées aux souvenirs du passé et aux appréhensions du futur. Si peu de maîtrise. Je doutais de ma capacité à subjuguer cette bête sauvage et agitée. Puis, travaillant avec patience et persévérance, selon le conseil de mon enseignant, les périodes de concentration sont devenues plus longues et plus fortes. Mon esprit devenait plus calme et, en retour, ma concentration s’améliorait. Je commençais à ressentir une réalité plus subtile, le touché de la respiration et la présence des sensations dans cette région. Moins de bavardage intérieur. Je constatais que la solitude et le silence sont nécessaires au développement de la concentration.
 

Le plongeon en soi

Nous pouvons être soi-disant seuls alors que nous sommes en compagnie des médias sociaux, images, musique, lecture, etc. Tout cela n’était pas permis durant mon cours de Vipassana. Une solitude sans compagnon virtuel. À l’aube de la pratique de Vipassana, après trois jours à développer ma concentration, j’abandonnais graduellement le désir de me distraire ou d’être avec d’autres. J’allais comprendre pourquoi la solitude est essentielle à la purification de l’esprit. J’allais plonger seul, en silence, dans les profondeurs de mon esprit.
 
Vipassana signifie « voir la réalité comme elle est » et non pas comme on voudrait qu’elle soit. Le maître nous enseignait à observer les sensations physiques partout sur le corps, comme elles se manifestent d’un moment à l’autre et à développer notre faculté de les observer objectivement, avec équanimité, sans réagir. Nous avons une forte tendance à réagir avec convoitise ou aversion aux sensations et émotions. Changer cela n’est pas facile. La réalisation de la nature impermanente de tous les phénomènes physiques et psychiques amène à se détacher, à lâcher prise. Ceci avait du sens : tout attachement à un phénomène en changement constant mène à la frustration, à la désillusion et à la souffrance.
 

De la solitude à la plénitude

Comment être conscient des émotions et sensations, souvent désagréables, tout en gardant l’esprit concentré et pénétrant? Les émotions qui se manifestent dans l’esprit culminent en sensations dans le corps et l’esprit perçoit et réagit à ces sensations. Les sensations sont un ancrage pour fixer l’attention à la réalité du moment présent et pour accéder aux profondeurs de l’esprit. L’attention doit être continue et s’accompagner de l’équanimité, ce qui mène à la réalisation expérientielle et personnelle de la nature impermanente de tous les phénomènes. Cet exercice de l’esprit le rend calme et attentif, capable de débusquer, d’observer et de dégager les complexes qui sont enfouis au plus profond de soi. Ces complexes engendrent une perception déformée de la réalité et les réactions qui en résultent sont négatives ou n’ont pas la valeur d’actions issues d’un esprit conscient et équanime.
 
Les journées passent. Les sensations physiques qui semblaient solides commencent à se dissoudre. Des complexes de plus en plus profonds émergent et, avec la réalisation de leur nature impermanente grâce à l’observation des sensations qui les accompagnent, ils se consument et disparaissent. Je me sens libéré d’une charge et d’un besoin. Je le ressens dans mon corps et dans mon esprit.
 
Les doutes se dissipent. La technique fonctionne. Ce n’est pas le résultat d’une reprogrammation de la pensée. L’équanimité est présente et j’observe de plus en plus objectivement la réalité telle qu’elle est, sensations plaisantes ou déplaisantes, grossières ou subtiles. À mesure que les complexes sont délogés, je reconnais plus facilement la responsabilité personnelle de mes misères et je ressens plus de paix et de tranquillité. Ce n’est pas une illusion. Cette sagesse résulte de l’observation de la réalité telle qu’elle est. Je ressens de la gratitude pour cet enseignement et je réalise qu’on m’a donné un outil précieux et que je suis le seul à pouvoir me libérer. Je chéris la solitude et souhaite faire le meilleur usage du temps qu’il me reste avant la fin du cours.
 

La non-dépendance et la compassion

Je ressens plus de bien-être et je dépends moins des autres pour être bien. Les rencontres avec ceux que j’aime sont une source de joie et leur absence n’est pas une source de tristesse. Je génère beaucoup moins de sentiments négatifs à l’égard de personnes qui ont un comportement déplaisant. J’ai un outil qui m’aide à ne pas accumuler autant de misères lorsque confronté aux vicissitudes de la vie et qui me permet de faire le ménage au quotidien. Je suis plus confiant et j’ai beaucoup moins d’insécurité.
 
L’amour devrait être à sens unique. L’amour véritable consiste à donner sans s’attendre à ce qu’on nous en remette autant ou plus. L’amour est compromis lorsque nous comptons trop sur les autres pour notre bien-être. Lorsqu’on est malheureux, on ne garde pas son malheur pour soi, on le projette sur autrui. Travailler sur soi-même pour se libérer de la haine et de l’animosité, de la colère et de nos autres tendances négatives est un geste d’amour, qui profite également aux autres. L’espace dégagé par l’éradication des souillures et complexes de notre esprit est naturellement rempli pas les qualités d’amour et de compassion.
 

Note

Des cours de méditation Vipassana, telle qu’enseignée par S. N. Goenka, sont offerts régulièrement au centre de méditation Vipassana du Québec à Montebello, ainsi que dans quelque 180 centres à travers le monde. Les cours sont financés uniquement au moyen de dons d’étudiantes et d’étudiants qui ont complété un cours et qui ont choisi librement de contribuer à défrayer un prochain cours afin que d’autres puissent apprendre cette technique et profiter de ses bienfaits. Les servants des cours et les enseignants ne reçoivent aucune rémunération. L’enseignement est non sectaire, accessible à toutes et à tous, sans distinction de race, de genre, d’orientation sexuelle, de religion, etc. Pour plus de renseignements, voir : www.suttama.dhamma.org
 



Roger Gosselin enseigne la méditation Vipassana avec son épouse depuis plusieurs années. Père de quatre enfants, il exerce la profession de notaire à Montréal. Vipassana, qui signifie « voir les choses telles qu'elles sont réellement », est une des plus anciennes techniques de méditation de l'Inde. On ne parle pas ici d’un rite ou d’un divertissement intellectuel. Vipassana est à la fois un processus d’autopurification et un art de vivre qui conduit ses adeptes à jouer un rôle positif dans la société et les aide à faire face, de façon calme et équilibrée, aux problèmes et tensions de la vie.


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