L’importance d’éviter les généralisations
Par Laurier Roy – 1er décembre 2018
Les personnes qui utilisent Facebook éprouvent-elles davantage le sentiment de solitude? C’est la question à laquelle tente de répondre l’auteur. La recherche dans ce domaine montre qu’il faut considérer les différents usages de Facebook afin d’avoir une réponse nuancée et éviter les généralisations.
L’humain est un être social. Entretenir des relations avec d’autres individus est essentiel à son bien-être. Lorsqu’une personne perçoit les relations interpersonnelles qu’elle entretient comme insatisfaisantes, soit au niveau quantitatif ou qualitatif, cela se manifeste par un sentiment de solitude. Il s’agit d’un sentiment déplaisant de malaise et de détresse qui peut avoir des conséquences négatives, tant sur le plan psychologique que physique (Cacioppo et Hawkley, 2009).
Le fait de ressentir de la solitude est chose relativement commune au sein de la population occidentale; environ 20 % de celle-ci en souffrirait à différents degrés (Victor et Yang, 2012). Contrer le sentiment de solitude passe forcément par la communication, puisque les relations interpersonnelles, qu’elles soient de nature amicale, familiale, amoureuse ou autre, se construisent et se développent à travers celle-ci (Duck, 2007). Traditionnellement, la communication interpersonnelle se déroule lors d’interactions en présence physique, c’est-à-dire en contexte de face à face. Cependant, le développement de différentes technologies, de l’écriture à Internet, en passant par la téléphonie, a permis la communication interpersonnelle sans qu’il y ait coprésence physique des partenaires.
Technologies de communication et sentiment de solitude
Toute diffusion de nouvelles technologies de communication a historiquement été accompagnée de débats concernant de possibles influences sur les relations interpersonnelles. À leurs débuts, le télégraphe, le téléphone, la radio et la télévision ont suscité de l’enthousiasme quant à leur potentiel d’accroître les interactions sociales, mais aussi des craintes de voir dépérir la qualité des relations interpersonnelles et de la vie sociale en général (Bargh et McKenna, 2004). Dans cette optique, les discours dithyrambiques, tout comme alarmistes, formulés à l’endroit des technologies liées à Internet, ne constituent pas un phénomène nouveau en soi.
Parmi les premières analyses anecdotiques, Stoll (1995) a avancé, en se basant sur le cas de certains adolescents américains, que l’utilisation d’Internet empiétait sur la communication avec de « réelles » relations plus importantes, telles que la famille et les amis proches. Pour sa part, Turkle (1995) a soutenu que le caractère anonyme des premières salles de clavardage pouvait favoriser l’interaction sociale pour certains individus, mais que cette technologie de communication pouvait également produire une fausse impression de réalité, potentiellement nocive pour l’esprit de communauté et l’intégration sociale. Pour ces auteurs, l’utilisation d’Internet comportait donc le risque d’isoler les gens plutôt que de les rapprocher. À l’opposé, des chercheurs comme Rheingold (1993) et Lévy (1997) ont plutôt théorisé sur le potentiel de ce nouvel outil de communication pour favoriser l’émergence de nouvelles communautés et de relations interpersonnelles absentes de contraintes liées au temps et à l’espace, mais aussi aux classes sociales, à la race, à l’âge ou au sexe.
Ces observations et réflexions, bien que formulées alors que les technologies de communication par Internet étaient encore bien loin de ce qu’elles sont aujourd’hui, ont permis d’envisager certains bénéfices et risques potentiels de leurs utilisations pour les relations interpersonnelles.
Facebook et sentiment de solitude
Au cours des quinze dernières années, les sites de réseaux sociaux, aussi appelés médias sociaux, sont devenus l’une des technologies de communication les plus utilisées. Parmi ceux-ci, Facebook est non seulement le site de réseaux sociaux ayant le plus grand nombre d’utilisateurs; il fait également partie des trois sites Internet les plus fréquentés à travers le monde, avec Google et YouTube. Les administrateurs de Facebook décrivent leur site comme un ensemble d’outils qui permet une communication plus rapide, plus facile, et plus riche entre amis, familles et collègues, et ce, par l’entremise d’ordinateurs et d’appareils mobiles (c.-à-d. téléphones intelligents, tablettes numériques).
Les usages de Facebook sont très variés. En effet, ce site est notamment utilisé pour communiquer avec ses proches, s’informer sur divers sujets d’intérêt ou d’actualité, partager des photos ou des opinions, pour se divertir, ou encore pour être au courant d’activités (sociale, sportives, culturelles, etc.). Considérant que la solitude est un sentiment déplaisant ressenti lorsque les gens sont insatisfaits qualitativement ou quantitativement de leurs relations interpersonnelles, les liens entre les usages de Facebook et le sentiment de solitude sont théoriquement plausibles.
Ainsi, des chercheurs se sont penchés directement sur les possibles relations entre les usages de Facebook et le sentiment de solitude. D’abord, selon deux études réalisées auprès d’étudiants universitaires américains (Lemieux et coll., 2013) et australiens (Skues et coll., 2012), un plus grand nombre d’amis Facebook, de même qu’une plus grande fréquence d’utilisation sont liés à un plus grand sentiment de solitude. Ces recherches ne permettent toutefois pas de déterminer si ce sont les étudiants souffrant de solitude qui ont davantage tendance à utiliser Facebook ou si c’est plutôt l’utilisation de ce média social qui induit une plus grande solitude. À ce sujet, d’autres chercheurs (Kross et coll., 2013) ont interrogé des étudiants américains cinq fois par jour pendant deux semaines, concernant leur utilisation de Facebook et leur bien-être psychologique (dans lequel est inclus le sentiment de solitude). Ces auteurs soutiennent qu’une plus grande utilisation de Facebook mène à davantage de solitude et qu’à l’inverse, la fréquence d’interactions qualifiées de « directes » (face à face ou téléphone) induit une diminution de ce sentiment. Les auteurs concluent que si, en surface, Facebook semble être un outil permettant de répondre aux besoins d’interactions sociales des individus, il pourrait bien en être le contraire, à tout le moins en ce qui concerne les étudiants universitaires.
Les recherches qui viennent d’être résumées ne prennent cependant pas en compte les multiples motivations et utilisations liées à Facebook. À ce sujet, deux études adoptent une approche plus complexe. D’abord, Ryan et Xenos (2011) ont étudié les liens entre les usages de Facebook par la population australienne en général (18 à 44 ans) de même que différentes caractéristiques psychologiques, dont le sentiment de solitude. Les usages ont été opérationnalisés en termes de temps, mais aussi selon le type d’utilisation préféré. Selon cette recherche, plus de temps passé sur Facebook en général correspond à davantage de solitude. Cependant, faire un usage dit « actif » de Facebook (c.-à-d. messages, publications, commentaires) est lié à moins de solitude. À l’inverse, un usage plus « passif » est corrélé avec davantage de solitude. Pour les auteurs, ces résultats démontrent l’importance de considérer les différents usages de Facebook dans les recherches à caractère psychologique.
Dans la même veine, Yang et Brown (2012) ont sondé quelque 200 étudiants américains pour tenter de comprendre les relations entre les motivations pour utiliser Facebook, les types d’utilisations, de même que le sentiment de solitude. L’analyse de ce sondage démontre que le fait d’utiliser Facebook principalement dans le but de maintenir des relations existantes est lié à moins de solitude, alors que de chercher à créer de nouvelles relations est lié à un plus grand sentiment de solitude. Par ailleurs, en termes d’utilisations, prendre part à davantage d’interactions sur Facebook est en relation avec un plus faible niveau de solitude, alors que la publication plus fréquente de « statuts » est liée à davantage de solitude. Yang et Brown (ibid.) concluent donc que, en ce qui concerne les usages de Facebook, différentes motivations et utilisations sont liées différemment au sentiment de solitude.
Éviter les généralisations
Le discours populaire concernant l’impact des médias sociaux sur les relations interpersonnelles a tendance, soit à faire l’apologie de ces technologies de communication, ou à l’inverse les dépeindre comme une nuisance à la qualité des relations interpersonnelles. L’objectif de cet article est de démontrer, à travers une brève recension de littérature et la mobilisation de certains concepts clés, que cette question est nettement plus complexe et nuancée. En effet, tel que démontré dans le présent article, il est important de considérer la façon dont ces outils sont utilisés, par qui, dans quel but et dans quel contexte. Selon ces facteurs, l’utilisation des médias sociaux en général, et de Facebook en particulier, peut être en lien avec un peu, beaucoup, aucune solitude, ou encore l’ensemble de ces réponses.
Références
Bargh, J., & McKenna, K. (2 04). « The Internet and social life ». Annual Review of Psychology, 55(1), 573–590.
Cacioppo, J. T., & Hawkley, L. C. (2009). Loneliness. In M. R. Leary & R. H. Hoyle.
(Eds.), Handbook of individual differences in social behavior (pp. 227–239). New York, NY: Guilford Press.
Duck, Steve. (2007) Human Relationships, fourth edition. Los Angeles: Sage Publications.
Kross, E., Verduyn, P., Demiralp, E., Park, J. Lee, D.S. (2013) Facebook use predictsdeclines in subjective well-being in young adults PloS One, 8 (8).
Lemieux, R. Lajoie, S. Trainor, N.E. Affinity-seeking, social loneliness, and socialavoidance among Facebook users. Psychological Reports, 112 (2013), pp. 545–55.
Lévy, P. (1997). Cyberculture. Editions Odile Jacob. 313 pp.
Rheingold, H. (1993). The Virtual Community: Homesteading on the Electronic Frontier. Reading, MA: Addison-Wesley.
Ryan, T., & Xenos, S. (2011). « Who uses Facebook? An investigation into the relationship between the Big Five, shyness, narcissism, loneliness, and Facebook usage ».Computers in Human Behavior, 27(5), 1658-1664.
Skues, J.L., Williams, B., Wise, L. (2012). « The effects of personality traits, self-esteem, loneliness, and narcissism on Facebook use among university students ». Computers in Human Behavior, 28, 2414-2419.
Stoll, C. (1995). Silicon snake oil. New York : Doubleday.
Turkle, S. (1995). Life on the screen: Identity in the age of Internet. New York : Simon &Schuster.
Victor, C & Yang, K 2012. « The Prevalence of Loneliness Among Adults: A Case Studyof the United Kingdom ». The Journal of Psychology: Interdisciplinary and Applied 146(1-2) : 85-104.
Yang, C., and Brown, B. (2013). Motives for using Facebook, patterns of Facebook activities, and late adolescents’ social adjustment to college. J. Youth Adolesc. 42, 403–416.
Après cinq ans d’expérience en journalisme, Laurier Roy est aujourd’hui conseiller en communication au gouvernement fédéral; ses intérêts de recherche portent sur les usages des médias sociaux, sujet qu’il a développé dans le cadre d’une maîtrise en communication de l’Université d’Ottawa.