La quête de l’Absolu chez l’enfant

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Par Michel Lemay – 1er août 2021

En suivant les principales étapes du développement infantile, l’auteur met en évidence la constante recherche de l’Absolu chez l’enfant. Elle se concrétisera par une forme de spiritualité liée aux efforts personnels du sujet et aux témoignages reçus. Cet accompagnement est fondamental pour la construction de l’identité et de la personnalité.


Bien rares sont les auteurs abordant la quête du dépassement et de l’Absolu chez l’enfant. Autant les philosophes et les psychanalystes se sont intéressés à la spiritualité chez l’adulte, autant la plupart d’entre eux sont restés muets sur la genèse de celle-ci au cours de l’enfance.

Pourtant, si nous savons écouter l’enfant, nous découvrons qu’il existe tapi en lui, dès ses premières années de vie, un formidable besoin de se construire une vision de soi et de son entourage afin de chercher sa place et d’interroger le sens de l’univers qu’il côtoie. Il est en quête d’aller au-delà de ce qu’il est et adopte de nouvelles manières de penser et d’agir lui permettant d’atteindre des cibles successives. Cette recherche est sans nul doute le mouvement le plus  constant de sa psyché naissante. Elle l’entraîne dans une trajectoire spirituelle tellement essentielle que j’ai eu le souhait de mieux en comprendre les étapes successives à partir des nombreuses rencontres que mes rôles de parent, de psychiatre et d’éducateur m’ont permis d’assumer.
 

L’apparition du désir d’enfant

Un rêve est évoqué dès que des conjoints vivant ensemble voient apparaître en eux le désir d’avoir un enfant. Il se constitue une période d’attente puis une phase de réaménagement de leur existence à partir du moment où ils apprennent que leur souhait est devenu réalité. Ils le silhouettent en déposant déjà dans ce petit être virtuel des espoirs et des craintes découlant de leur passé. La mère voit son corps se transformer, lui parle dès qu’elle sent les premiers mouvements fœtaux tandis que l’autre membre du couple l’accompagne par la pensée et par sa proximité.
 

L’aube de la vie

Niché dans la cavité utérine, un amas de cellules provenant de deux lignées se transforme en un fœtus capable, dans la deuxième partie de la grossesse, d’avoir de multiples épreuves lui laissant des traces sensorielles dont il se sert pour bâtir les premières lueurs de sa vie psychique. Nous ignorons ce qu’il ressent réellement, mais, quand nous pensons à sa préhistoire, cette évocation soulève une certaine nostalgie d’un univers à jamais perdu tout en cherchant à évoquer un enfant imaginaire sur lequel nous déposons de multiples espérances. Elle nous oriente vers un obscur désir, celui de comprendre d’où nous venons. Ariane, cinq ans, illustre cet appel quand elle demande à sa mère où elle était avant de naitre. Celle-ci lui répond qu’elle a été dans son ventre et la petite fille réplique: « Ça je  le sais, mais avant d’être dans ta bedaine, où étais-je? »
 

Le grand passage

L’enfant nait. Il est inévitablement différent de celui que nous avons rêvé puis imaginé. Ce petit être à la fois fragile et mettant en cause nos habitudes antérieures entraîne d’immenses réaménagements de son milieu d’accueil. Pour répondre à ses besoins, la mère lui offre une disponibilité et un engagement qu’elle n’aura jamais plus l’occasion de mobiliser avec une telle intensité au cours de son existence. Dès la sortie de l’utérus, le nourrisson doit s’ajuster à un univers totalement différent de sa précédente demeure. Il lui faut respirer, téter, intégrer des  sensations et perceptions nouvelles pour se reconnaître dans un espace où la symbiose n’est plus possible. Edgar, suivant une psychothérapie de type psychodrame à l’âge de onze ans, recrée cet univers dans un jeu où, se plaçant en position fœtale au centre d’un cercle délimité par des chaises, est d’abord tout en paix puis gémit, se débat, se cogne contre les barreaux, s’extrait avec peine puis déclare: «si je reste dans le ventre, je meurs étouffé; si je sors, il va me falloir bagarrer ».
 

L’apparition de l’attachement

Ce passage de la fusion à l’individuation est rendu possible par deux efforts conjugués. Celui des membres du groupe familial se soutenant mutuellement afin d’apporter les ingrédients physiques, affectifs et cognitifs nécessaires au développement cérébral et psychique du nourrisson et celui du bébé lui-même qui, dès les premiers mois de son existence, possède la capacité d’envoyer des signaux vers sa mère et son environnement. Il se constitue ainsi un partenariat étonnamment précoce où des processus d’attachement s’établissent. Entre le parent et son tout petit, il surgit déjà un dialogue sonore, tonique, visuel, gestuel, tactile où les petits gestes de la vie quotidienne deviennent des sollicitations mutuelles à communiquer émotivement afin d’apporter au bébé une sécurité, une certitude d’être protégé et aimé qui le rend capable de sortir de l’état fusionnel premier et de se créer progressivement son propre univers.
 

L’aventure du détachement

Cet état de plénitude initial ne peut pas durer. Avec tous ses progrès moteurs, ses essais d’autonomie et sa soif de dépassement qui percute son environnement, l’enfant reçoit le message suivant: « tu ne peux pas rester tout puissant. Il te faut connaître de grands bonheurs, mais aussi des frustrations dans un monde où tu vas devoir apprendre à te socialiser ». Trop couvé, l’enfant stagne et dépérit. Privé d’affection et négligé, il est dans une situation dramatique. Il y a donc un équilibre à trouver entre ces deux extrêmes. Cela se fait par deux mouvements conjoints. Du côté parental, un ensemble d’attitudes relationnelles tissent un réseau d’accueil. Elles s’appellent la tendresse, l’empathie, l’écoute, l’activation des potentialités, l’apaisement dans les moments d’inquiétudes, les stimulations faites de la bonne façon et au bon moment, les témoignages réguliers de leur amour. Elles s’intitulent aussi les actes d’autorité et de contenance quand cela s’avère nécessaire. En fait, c’est un cadre, ce sont des balises, c’est un lieu d’appartenance et de filiation avec toutes les exigences et les richesses en découlant que l’enfant découvre et utilise pour se bâtir.
 

Le jeu des désirs et la place de l’anxiété

De son côté, ce jeu des apports et des manques lui permet de créer un espace entre sa personne et son entourage. Toute une somme de désirs est projetée sur l’ensemble de son milieu d’accueil. Certaines attentes sont pleinement satisfaites mais d’autres ne le sont pas et l’amènent à créer des images substitutives, c’est-à-dire des représentations mentales formant un monde imaginaire parallèle à son univers journalier. Des rêveries, une sorte de jardin tantôt secret, tantôt actualisé par des jeux observables font en sorte qu’il peut devenir une personne unique avec ses propres expériences, pensées et affects. Il a ses moments de solitude et d’incomplétude éveillant des phases d’anxiété, mais dans la mesure où il se sent protégé, aimé et admiré, cet affrontement avec ces « choses étranges » qui apparaissent en lui et que les adultes appellent ses peurs et ses « petits malheurs », le conduit à trouver de nouveaux modes d’ajustement parfois à rectifier, plus souvent à applaudir puisqu’ils lui permettent de grandir et d’agrandir ses champs d’expériences.
 

La recherche de sens

Arrive un moment capital dans son évolution où il acquiert un langage verbal et gestuel suffisant pour transmettre ses intentions et pour faire comprendre son monde intérieur. On le voit alors non plus seulement explorer, découvrir par des recherches sensorielles et motrices son environnement, mais l’interpeller par des questions. C’est la période des pourquoi où il devient une sorte de point d’interrogation vis-à-vis de tout ce qu’il voit, ressent et observe. « Pourquoi fait-il chaud? Pourquoi le soleil brille? Pourquoi les feuilles bougent-elles? » Ces questions côtoient d’autres quêtes pour donner sens à sa vie en demandant pourquoi le petit frère est né, pourquoi tel membre de la famille est souffrant ou pourquoi la fleur qui était si belle se fane… Les réponses ne sont jamais suffisantes et déclenchent d’autres formulations révélant un formidable besoin de savoir.
 

Le regard vers le surnaturel

Les mois s’écoulent et lui permettent d’approfondir ses recherches en développant trois processus de pensées qui vont jouer un rôle important dans l’évolution de sa spiritualité.– Il confère à tous les phénomènes naturels des intentions en associant les faits constatés à l’activité humaine – une sorte de force vitale l’entraîne vers un besoin incoercible de tourner son regard vers le surnaturel : « le ruisseau se promène en chantant à travers la prairie » annonce Julien; « le soleil va se coucher, il est bien fatigué de m’avoir réchauffé », dit Thierry cinq ans. Juliette du même âge demande : « Pourquoi la pluie ne veut-elle pas s’arrêter alors que je suis toute mouillée? » L’enfant cherche des réponses auprès des adultes, mais apporte ses propres réponses. Thérèse déclare en voyant tomber les feuilles en automne : « Elles meurent, mais le tronc tient le coup. C’est pareil pour moi quand je mourrai ». Toutes ces formulations s’associent à des mots d’esprit et à des réflexions poétiques qui font la joie des proches.
 
Que nous montre ce cortège de réflexions qui paraissent à première vue comme une sorte de pensée primitive alors qu’il révèle un être humain en pleine recherche d’un sens vis-à-vis de ses actes et de son environnement?
 
Par l’apparition d’un langage intérieur et verbal, il se distancie du sensoriel, de l’immédiateté pour entrer dans un monde peuplé de symboles dont il déchiffre les significations.
 
Par une sensibilité à la fois naturelle et enrichie par son entourage, il découvre la beauté, l’étrangeté, la fascination et l’apeurement de ce que l’existence lui propose. Il agglomère ses progrès cognitifs l’orientant vers la logique à une intelligence émotionnelle lui ouvrant les portes du merveilleux et du sens esthétique. Il devient un chercheur, un poète, un peintre et un magicien.
 

Un sentiment d’identité s’édifie

Ses parents ne tardent pas à découvrir toutes les richesses qui se mettent ainsi à germer puis à s’épanouir. Ses questions-réponses, ses constructions ludiques, ses dessins, ses trouvailles débouchent sur des raisonnements où prélogique, expérimentations, créations artistiques, animisme et expression corporelle interagissent. Tous les efforts de leur enfant débouchent peu à peu sur cinq grandes questions; qui suis-je? Qu’est-ce que je fais? Avec qui? Pourquoi? Au nom de quoi suis-je? Cela ne se fait pas par de grands discours philosophiques, mais si son milieu accompagnateur sait écouter, s’émerveiller, soutenir, repérer derrière les mots, les jeux et les «petits riens de la vie quotidienne» de telles interrogations, il apparaît une parole plus globale où le sujet s’interpelle sur sa trajectoire de vie en voulant en devenir le maître d’œuvre.
 

Une conscience morale s’élabore

S’ouvrant de plus en plus vers le monde extérieur (outre les membres de la cellule familiale, les amis, les proches et les multiples personnes participant à son éducation), l’enfant s’ajuste à des groupes successifs dans lesquels il n’a pas les mêmes rôles, les mêmes statuts, les mêmes exigences tout en apprenant à suivre des règles et à rencontrer des situations nouvelles. Très tôt, il reçut des interdits pour se socialiser. Cela commença par les « non » et les gros yeux des parents lorsqu’il posait des actes jugés non recevables. Quand il transgressait les règles, il y avait comme un retrait d’amour. Intériorisant peu à peu des directives et valorisant ses réussites, il se bâtit une prémorale devenant une instance intérieure appelée conscience morale lui faisant découvrir les jeux complémentaires de la culpabilité et de la réparation. Par tout ce charivari intérieur, il apprend à s’humaniser. Gérard, dix ans, résume la situation en disant: « C’est drôlement dur de s’aimer, de se pardonner, de garder une part du gâteau tout en devant faire la même chose envers ceux qui vivent auprès de nous ».
 

L’enfant se projette vers l’avenir

Par l’école, par les milieux de loisirs, par les adultes auxquels il s’identifie, il dépasse à présent les expériences basées sur le sensori-moteur puis sur une prélogique en devenant capable de formuler des hypothèses, de les vérifier et de se projeter vers l’avenir. Si ses accompagnateurs sont attentifs, ils soutiennent son étonnante aptitude à émettre des réflexions sur de nombreux sujets abordant le sens de ce qu’il vit et de ce qu’il fait. Quelques exemples tirés de réflexions faites par des enfants âgés de neuf à onze ans démontrent leur profondeur. Cela concerne la finitude : « est-ce qu’on sait quand on va mourir et où on va ?» - L’âme: « est-ce qu’on a une âme ou juste un cerveau ?» - Le surnaturel: « des fois, je me demande qui a peint mon dessin, tellement il est beau! » - Les émotions: « la colère et le bonheur, ça se mélange souvent». - L’amour; « c’est encore meilleur que la crème glacée, mais ça peut fondre comme elle ».- Les inégalités:« pourquoi y-a-t-il des chanceux et d’autres qui n’ont rien? » - Dieu: « pourquoi permet-il le malheur s’il est bon? »- L’anxiété: « le soir, ça monte comme un gros nuage ».
 

L’enfant s’interroge sur sa place dans le cosmos

Ces multiples réflexions entendues montrent les immenses potentialités blotties au fond du psychisme infantile. À l’école où des camarades et des amitiés se nouent, l’enfant découvre parmi ses compagnons et compagnes des points de vue différents concernant « l’après-vie » mais restant relativement identiques sur tous les aspects de la vie terrestre. Il y a toujours une quête de sens, un besoin de rendre possible l’impossible par des jeux imaginaires, une soif de dépassement, une recherche de bonheur. Du religieux, dans le sens d’une quête de plénitude et d’absolu, est profondément niché en soi. Ces forces aboutissent à des projets d’existence fortement dictés par les adultes. Elles confèrent une première définition identitaire relativement imitatrice qui va être peu à peu repensée afin de déboucher sur des choix plus personnels.
 

L’adolescence permet de se réapproprier de nouvelles réponses

Cela se fera au cours de l’adolescence où les sécrétions hormonales entraînent une modification de l’image corporelle, des transformations cérébrales importantes, de nouvelles aptitudes physiques, cognitives et affectives qui permettent au jeune de s’éloigner davantage de son milieu d’accueil et de se réapproprier une manière d’agir, d’aimer et de penser dépendant moins des influences extérieures. Les remaniements de sa personnalité l’entraînent à nouveau vers des interrogations fondamentales sur le sens qu’il donne à sa vie.

Ce cheminement s’est déroulé dans un milieu d’accueil où le jeune a été amené à participer aux croyances, aux coutumes et aux idéaux de ses parents et de ses proches. Il a rencontré des personnes et des situations qui l’ont amené à s’identifier à des Idéaux, au Sacré, à des Valeurs considérées comme inviolables. Il s’est heurté à des questions fondamentales telles que: « sommes-nous le produit du hasard? », « en dehors des tâches concrètes de ma courte vie, ai-je un sens, une sorte de mission? », « qu’y-a-t-il après la vie : un gros rien ou un immense Tout? ». Selon les croyances de ces accompagnateurs, il a reçu des réponses soit très dogmatiques, soit ouvertes à de multiples possibles. Cette recherche continuera toute son existence, mais j’ai voulu montrer dans ce court essai que, dès les premières années, était nichée au plus profond de lui une immense quête d’aimer, de s’interroger, de donner sens à ses actes et ses pensées tout en ayant le désir indicible de rencontrer un amour absolu. Il est évident que notre rôle d’adulte est de l’accompagner dans ce long périple en sachant témoigner ce à quoi nous adhérons tout en l’aidant à s’insérer au sein d’une communauté où droits et devoirs ont à se conjuguer.
 



Michel Lemay est psychiatre ayant travaillé quarante ans à L’hôpital Ste Justine ainsi que dans divers centres pour enfants en difficultés troubles du comportement, autisme ; Il détient un doctorat es Lettres en psychologie (Paris Nanterre1973) et il est professeur émérites département de psychiatrie Université de Montréal. Avant 1973, il était directeur des études à l’école d’éducateurs spécialisés de Bretagne et psychiatre dans un CMPP à Rennes France.  
 


 


 
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5 octobre 2021

Ce texte est de nature à aider grandement les parents qui aattendent un enfant

Par Agathe Brodeur

Dernière révision du contenu : le 27 juillet 2021

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