Par Marie-Laurence Nault – 1er août 2021
Cet article entame une exploration des similarités entre le jeu de l’enfant et certaines formes de spiritualité plus traditionnelles. À l’aide de certaines notions et en s’appuyant sur les fonctions du jeu comme de la spiritualité, l’article invite le lecteur à se questionner.
Les enfants peuvent être considérés comme des êtres incomplets, très différents de l’adulte et, à bien des égards, peu développés. Bien qu’il soit vrai qu’ils ont un grand potentiel qui n’est pas encore exploité au jeune âge où ils se trouvent, le jeu, activité centrale à l’enfance, témoigne d’une créativité et d’habiletés égales sinon supérieures à celles de l’adulte. L’une de ces habiletés est celle d’imaginer et de se représenter des éléments invisibles, le tout en respectant des codes établis par l’enfant lui-même ou par le groupe social dans lequel il se trouve. À bien des égards, les habiletés qu’utilise l’enfant pour développer ses jeux et les activités qui y sont associées sont similaires à la pratique spirituelle. Dans cet article, nous explorerons plus en détail les similitudes entre la spiritualité adulte et celle manifestée via le jeu chez l’enfant.
On peut définir le jeu comme une activité ludique qui a pour but de provoquer une sensation de plaisir chez la personne qui la pratique, mais également comme une activité sérieuse, éducative, pédagogique, qui contribue au développement affectif, sensori-moteur, cognitif, moral, intellectuel et social de l’enfant (Caillois, 1967). Cette définition de Caillois nous permet de saisir toute l’importance de cette activité, plus spécifiquement au niveau du développement. Bien que plusieurs jeux s’appuient sur l’imitation d’activités quotidiennes pratiquées par le parent ou l’enseignant, on peut constater la prévalence de jeux qui n’existent que dans l’imaginaire des jeunes. Les contes de fées, les créatures mythologiques et fantastiques ainsi que les visions utopiques ou dystopiques du monde sont des modulateurs de l’expérience qu’ont les jeunes en tant qu’humains. Ces mondes imaginaires permettent à l’enfant (ou même à l’adolescent) d’avoir une perception différente de celle des adultes et de développer des jeux qui utilisent des concepts propres à la spiritualité. La notion de rituel, entre autres, est particulièrement intéressante en ce qui concerne la spiritualité des enfants.
L’aspect social de la spiritualité chez l’enfant | rites et valeurs partagées
Il est clair que le jeu est une activité de socialisation importante pour l’enfant. Les habiletés sociales acquises dans un contexte de jeu sont souvent centrées autour de valeurs communes et de rites dont le jeu lui-même fait partie. Les rites sont très importants dans les pratiques spirituelles. Bien qu’ils puissent être pratiqués en solitaire, il s’agit la plupart du temps de rassemblements ayant une valeur sacrée ou symbolique. Le jeu lui-même peut être considéré comme un rite puisqu’il est dicté par les normes d’un groupe (en l’occurrence les enfants qui y participent) et qu’il a une valeur symbolique. En effet, le jeu est la symbolisation d’un monde qui n’existe que dans l’imaginaire de l’enfant (ou des enfants, s’il y a utilisation d’un modèle récurrent comme les contes de fées). Ces rites sont basés sur des valeurs partagées. Les enfants veulent, dans un contexte de jeu, être les bons et, même quand on leur assigne le rôle de méchants, ils ont une compréhension de ce qui rend les méchants méchants et les bons, bons. Il y a entente quant aux bonnes et mauvaises valeurs et qualités. Le courage et la loyauté sont des valeurs bien souvent centrales dans certains contextes de jeu tandis que l’ambition, par exemple, est souvent considérée comme une valeur propre aux méchants même s’il peut s’agir d’une valeur positive dans certaines circonstances. Il est important de noter que les bonnes valeurs dans le jeu sont souvent un reflet de celles prônées et valorisées par la société. À bien des égards, le jeu est une occasion pour les enfants de modeler une société miniature à l’image de celle dans laquelle ils évoluent, mais ancrée dans le monde de l’imaginaire. Toutefois, c’est aussi une possibilité pour eux de repousser les limites et de remettre en question ce que la société prône. Il s’agit d’une excellente opportunité exploratoire. Ce jeu codifié, symbolique et basé sur des valeurs communes est à la fois un rite, mais aussi une occasion de découvrir ce qui est important pour l’enfant, indépendamment de ce qui lui est transmis par ses parents et par la société en tant que telle. Le jeu permet à l’enfant d’imaginer un monde autre, de porter au jour l’invisible sous le visible.
Jeu et spiritualité | échappatoire et réconfort
Il est possible de concevoir certains aspects de la spiritualité comme des façons d’échapper à la réalité en visualisant un monde autre, un ailleurs qui ne fait pas partie de notre perception immédiate. Croire peut s’avérer réconfortant à bien des égards. Si on prend pour exemple les personnes catholiques qui croient à un paradis, on voit qu’il peut s’agir d’une façon d’échapper à la dureté du monde, l’espace d’un instant, mais aussi de se réconforter face à l’imminence de la mort. Pour les enfants, le jeu permet de visualiser un monde où les bons l’emportent et où les personnages vivent heureux jusqu’à la fin des temps. En effet, les enfants deviennent de plus en plus exposés à des réalités difficiles au fur et à mesure de leur croissance.
Notamment, lorsque l’enfant éprouve des affects complexes ou intenses, qu’il est aux prises avec un malaise ou qu’il ressent un conflit entre des désirs contradictoires, le jeu lui permet de ventiler ce vécu et d’expérimenter différentes solutions, ce qui contribue à réduire la tension intra-psychique associée à ces conflits (Chabot et al., 2015).
Le jeu est une échappatoire universelle. D’après Chabot et al. (2015), c’est aussi une façon d’entreprendre une démarche plus active (quoiqu'ancrée dans des mondes fictifs) pour faire face à des difficultés réelles. Il est également possible de noter que peu importe le climat sociopolitique dans lequel l’enfant évolue, peu importe la situation à la maison ou la situation géographique de la famille, les enfants jouent. Cela leur permet de vivre des expériences différentes par le biais des univers dans lesquels ils se déplacent grâce à des séances ludiques. Pour plusieurs enfants, le jeu et la création de mondes imaginaires peuvent être des façons d’échapper à des émotions et à des réalités négatives, tout comme la religion qui permet d’avoir foi en un monde meilleur. Il va de soi qu’il y a aussi un certain aspect rassembleur aux jeux. Il y a un réconfort dans le jeu lui-même, mais aussi dans la socialisation qu’il procure. Le fait de se sentir accepté et de se sentir entouré joue un grand rôle dans le sentiment d’apaisement procuré par le jeu. Cet aspect social, du jeu comme de la religion, permet le partage d’expériences et la création de liens ou, à tout le moins, la création d’un sentiment d’appartenance.
Ainsi, non seulement le jeu représente une manière, pour l’enfant, de s’initier à la dimension spirituelle de l’existence, mais il constitue déjà une forme de spiritualité, une voie par laquelle le futur adulte a le sentiment de se sentir connecté aux autres et de pouvoir toucher l’invisible.
Références
Caillois, R. (1958, 1967). Les jeux et les hommes. Paris : Gallimard.
Chabot, A., Achim, J. et Terradas, M. (2015). La capacité de mentalisation de l’enfant à travers le jeu et les histoires d’attachement à compléter: perspectives théorique et clinique. La psychiatrie de l’enfant, 58 (1), 207-239.
Marie-Laurence Nault est étudiante en psychoéducation à l’Université Laval et a travaillé quelques années auprès de clientèles jeunesse, que ce soit comme éducatrice en garderie ou comme accompagnatrice en camp de jour. Elle s’intéresse surtout à l’art et à ce que ses différentes formes peuvent apporter aux personnes en difficulté d’adaptation.