Vivants jusqu’au bout

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La spiritualité des jeunes en soins palliatifs pédiatriques




Par Martine Tremblay - le 1er août 2021

Côtoyant régulièrement des jeunes gravement malades et leur famille en milieu hospitalier pédiatrique, l’auteure nous partage ce qui se dégage de son expérience auprès d’eux. Après une brève présentation des soins palliatifs pédiatriques, elle nous entraîne dans l’univers spirituel de ces jeunes qui, eux aussi, cherchent un sens à leur maladie, puisant leur courage dans leur espoir et dans les liens avec leurs proches.

 

Les soins palliatifs pédiatriques

Contrairement au monde de l’adulte pour qui les soins palliatifs sont souvent liés au cancer et offerts en fin de vie, les soins palliatifs pédiatriques s’adressent aux jeunes (de la naissance à 18 ans) qui sont atteints d’une maladie grave menaçant leur espérance de vie jusqu’à l’âge adulte. Il y a également une grande diversité de maladies pour lesquelles on fait appel à l’équipe interdisciplinaire de soins palliatifs pédiatriques : maladies génétiques, métaboliques, neurodégénératives, cardiaques, ainsi que le cancer. Durant quelques heures de vie en périnatalité ou pendant plusieurs années, des soins de confort sont fournis à l’enfant, ses parents, ses frères et sœurs.

Offerts bien sûr lors de l’hospitalisation au Centre mère-enfant Soleil mais surtout en clinique externe pédiatrique au Contrôle Avancé des Symptômes et Soins Palliatifs pour les Enfants et leur Réseau (CASSPER) et à la Maison Lémerveil Suzanne Vachon (MLSV) à Québec, ces soins palliatifs rejoignent annuellement plus de 200 jeunes de la région et leurs proches. Soucieux de leur bien-être physique, psychologique et social, les soins palliatifs pédiatriques ont aussi pour préoccupation d’accompagner spirituellement les jeunes gravement malades ou en fin de vie.
 

Les jeunes et la spiritualité

Au sein de notre société québécoise qui a voulu prendre ses distances de la religion et qui découvre maintenant les richesses de la spiritualité, les jeunes semblent souvent laissés à eux-mêmes avec leur quête spirituelle et leur recherche de sens. Lorsque la maladie grave fait irruption dans leur vie et les accompagne au fil des ans, ils explorent progressivement leurs croyances spirituelles, leurs valeurs, l’importance de leurs relations familiales et amicales, leur espoir, le sens de la vie et de la mort.

Bien évidemment, il nous faut prendre en compte l’âge des jeunes et leur développement psychosocial qui ont un impact direct sur leur spiritualité. Aussi, le développement spirituel de l’enfant subit l’influence des parents, des grands-parents, des éducateurs et des amis. Chez les jeunes enfants, la place de l’imaginaire est très importante. Croire ou non aux fées, aux lutins, au père Noël, aux anges, aux vampires, aux zombies, aux dieux anciens ou à Dieu, fait partie de leur spiritualité. C’est à la lumière de ces croyances que se construisent l’ouverture à l’invisible et au merveilleux, la conception de la vie et de la mort. Peu nombreux sont ceux qui connaissent Jésus et qui le prient. La plupart du temps, la prière des jeunes s’adresse à leurs grands-parents décédés à qui ils parlent et adressent leurs demandes.

C’est à partir de leurs expériences de perte (mort d’un animal, d’un proche, d’un ami) qu’ils comprendront peu à peu que la mort implique une séparation de l’être aimé, qu’elle est irrévocable et irréversible, universelle. Mourir à cinq ans ne veut pas dire la même chose que mourir à dix-sept ans! Avec la maturité vient la conscience que la mort peut avoir des causes externes (accidents) ou internes (maladies). Vers l’âge de huit ans apparaîtra la recherche d’une responsabilité de la maladie ou de la mort qui fera souvent ressortir un sentiment de culpabilité chez le jeune. Il se demandera qui est responsable de la maladie grave ou de la mort. « Sont-elles une punition parce que je n’ai pas été gentil? », « Est-ce de ma faute? » se demandera le jeune éprouvé. Comme l’adulte, l’enfant et l’adolescent ont parfois besoin de trouver « un coupable » à ce mal qui se produit. Souvent, il n’y a pas de coupable, mais il y a la tristesse, l’anxiété, le besoin d’être aimé et le besoin de garder espoir quoiqu’il arrive.
 

L’espoir plus fort que tout

Alors que l’enfant malade vit souvent le moment présent et ne s’inquiète pas de l’avenir, il se projette en même temps dans cet avenir et il espère. Il espère ne pas avoir de piqûre, pas de douleur, pas de chirurgie. Il espère que ses parents demeureront avec lui lors de l’hospitalisation. Il espère retourner à la maison le plus vite possible. Il espère poursuivre ses études. Il espère revoir ses amis. Il espère guérir, même si pour cela il lui faut souffrir. Même l’annonce d’un sombre pronostic ou d’une rechute de la maladie ne peut éteindre ces différents espoirs chez un jeune.

C’est sans doute dans cet espoir qu’il puise sa grande résilience, mais aussi dans le soutien que lui apportent ses proches et les membres des équipes soignantes. L’essai d’un nouveau médicament ou d’un nouveau traitement, la participation à un projet de recherche se transforment rapidement en source d’espoir. Aussi, il n’est pas rare de constater qu’un jeune espère jusqu’à la fin. Nous serions tentés de croire qu’il s’agit là de déni, mais n’est-il pas humain d’espérer contre toute espérance?

Il y a certes quelques témoignages de jeunes qui nous révèlent leurs croyances d’une vie après la mort. Certains affirmeront être prêts à devenir un ange, s’engageront à prendre soin de leurs parents, diront aller rejoindre leurs grands-parents décédés ou bien revenir plus tard. En fait, bien peu d’entre eux envisageront qu’il y ait une autre vie après la mort… celle-ci devenant l’ultime combat voué à l’échec. En conséquence, c’est parfois colériques ou révoltés que les adolescents surtout vivront les derniers instants de leur vie.
 

Trop jeune pour mourir

La mort n’attend pas l’accumulation des années pour se manifester. Tant de fois, elle nous semble injuste! Il est grand le défi d’accompagner des parents qui perdent un enfant. « Les enfants ne devraient pas mourir! », affirment plusieurs d’entre eux. L’ordre normal des choses est inversé : un enfant ne devrait pas mourir avant ses parents. D’ailleurs, il est reconnu que le décès d’un enfant est le plus grand traumatisme que vit un parent au cours de son existence.

« Je ne veux pas mourir! Je suis trop jeune! J’ai la vie devant moi! » ou encore « Je n’ai même pas eu ma première blonde ou mon premier char! Je n’ai jamais été à la chasse!», ajouteront certains adolescents.  Faire face à la maladie grave et à la mort chez l’adulte s’accompagne souvent d’un bilan de vie ou d’une relecture du passé. Mais chez le jeune et ses proches confrontés à la mort, il n’importe pas d’effectuer un bilan, mais de renoncer à un avenir rempli de rêves et de promesses. D’une certaine manière, ce renoncement est tragique et le sens en semble absent.
 

« Vous ne m’oublierez pas? »

Parmi les nombreuses peurs que vivent les jeunes gravement malades et en fin de vie, il y en a une qui semble universelle et majeure, celle d’être oublié… Par leurs parents, leur fratrie, leurs amis, le personnel soignant. Mourir en bas âge est un drame certes, mais être oublié le semble davantage. Le jeune enfant aura peur d’être remplacé par un autre bébé ou de ne plus être aimé. L’adolescent craindra d’être oublié par ceux et celles qu’il aime. Ce besoin de demeurer présent dans la mémoire et le cœur des proches se transformera en un besoin de « laisser sa trace ».

Il n’est pas rare qu’un jeune confectionne des cadeaux ou des dessins pour donner à ses proches avant de partir, qu'il distribue ses jouets et ses jeux à ses amis ou ses frères et sœurs avec une attention particulière. Certains voudront écrire un message d’adieu, réaliser l’enregistrement de leurs chansons préférées, laisser un témoignage de leur vécu sur une plateforme électronique, rédiger leur testament, laisser des petits billets d’amour cachés un peu partout dans la maison, préparer leur propre cérémonie funéraire. D’autres demanderont à leurs parents ce qu’ils feront de leur chambre, de leurs vêtements, de leurs jouets.

Cela fait aussi partie des préoccupations de l’équipe de soins palliatifs pédiatriques d’aider le jeune à bâtir son héritage et contribuer ainsi à le rassurer par rapport au fait qu’il ne sera pas oublié. L’expression artistique, des photographies professionnelles à l’hôpital ou à domicile, la réalisation de sculptures de mains ou de petits pieds : voilà tant d’offres de services mis à la disposition des jeunes et leurs familles.
 

Place à la famille!

On ne saurait accompagner spirituellement un jeune en fin de vie, sans accompagner et soutenir ses parents, ses frères et sœurs, ses grands-parents. Lorsqu’un enfant est malade, dit-on souvent, c’est toute la famille qui est touchée et bouleversée. En même temps, c’est à cette famille et surtout aux parents que reviennent les rôles de sécuriser, réconforter et accompagner leur enfant.

Il arrive que certains parents ou grands-parents ne sachent pas quoi dire au jeune ou quoi faire pour l’aider. Il se peut également que leurs repères spirituels soient bousculés et ébranlés. Ils ont besoin, eux aussi, d’être écoutés, accueillis dans leurs multiples émotions, supportés dans leurs responsabilités parentales, accompagnés dans les immenses deuils qu’ils vivent lors de la progression de la maladie grave, lors du décès ou après celui-ci. L’accompagnement spirituel peut se vivre individuellement, en couple ou en famille. Il requiert une grande qualité de présence et se concrétise parfois en rituels de fin de vie, qu’ils soient religieux ou humanistes.
 

Une quête spirituelle jamais terminée

Si les situations difficiles sont souvent le lieu de crises importantes, elles sont aussi l’occasion de redéfinir les priorités, les valeurs, la spiritualité afin d’y puiser le courage et le réconfort.

Nous ne savons que très peu de choses sur la spiritualité des jeunes et ce n’est que dans la rencontre avec eux que nous pouvons découvrir celle-ci. Pour ce faire, il faut d’abord les apprivoiser, se mettre à l’écoute de leur langage spirituel, de ce qui les fait vivre et espérer. Ce n’est que lorsqu’ils nous accordent leur confiance et qu’ils nous donnent accès à ce monde intérieur qui les habite, que nous pouvons les accompagner dans leur quête spirituelle.

Côtoyer de près ces jeunes gravement malades et leurs proches, ne peut que provoquer chez de nombreux soignants des sentiments d’admiration face à leur courage, de la compassion et un sentiment de vulnérabilité. Voilà ce qui les pousse à se dépasser au quotidien et à poursuivre ainsi leur propre cheminement spirituel, quel qu’il soit.
 



Martine Tremblay est intervenante en soins spirituels au CHUL du CHU de Québec – Université Laval depuis près de 22 ans. Détentrice d’une maîtrise en théologie, elle a, au fil des ans, développé une expertise en pédiatrie.


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11 août 2021

Merci de ce témoignage qui nous fait entrer dans la finesse de votre travail. Tu as mon admiration.

Par Guy Gosselin
2 août 2021

Martine, ta présentation nous fais entrer vivement dans le mystère de ces jeunes au prise avec la maladie, la souffrance et la mort. J'aime le titre: "Vivants jusqu'au bout!" et celui de ta conclusion: "Une quête spirituelle jamais terminée!"
Merci pour le partage de ton expérience et merci d'être de ceux et celles qui accompagnent et soutiennent ces jeunes et leurs familles dans leurs parcours.

Par Carmen Cloutier
2 août 2021

Merci Martine pour cet article profond et clair qui permet de cerner l'ampleur des défis humains et spirituels que vivent ces jeunes, leur famille et l'ensemble des professionnel-les qui les entourent.

Par Mario Fraser
2 août 2021

Excellente lecture. Bravo pour les jeunes qui reçoivent de tel soins.

Par yvette Bouchard

Dernière révision du contenu : le 29 juillet 2021

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