Le phénomène des églises de guérison

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Par Régis Dericquebourg - 1er août 2013 

Le paysage religieux des sociétés modernes a fait émerger des spiritualités et des formes nouvelles d’expression religieuse. On a pu observer l’apparition de ce qu’on appelle des Églises de guérison. Quelles sont leurs caractéristiques? Leurs buts? Qu’est-ce qui fait qu’on peut les qualifier ainsi? Quelle est leur importance? L’auteur propose une brève synthèse de ses recherches sur cette question.

 
La présentation des Églises de guérison commence par un rappel : les liens entre les croyances, la maladie et la santé sont anciens et ils perdurent dans les sociétés où la médecine positiviste s’est imposée. Survolons ces liens. Dans l’Antiquité grecque, les soins étaient placés sous les auspices d’Asclépias, dieu de la médecine. Dans certaines sociétés indigènes, les chamans et les medicine-men exorcisent les patients et se rendent aux enfers pour arracher l’âme des malades aux Esprits ou aux démons. Ils la réintègrent ensuite, car la maladie est attribuée à une perte d’âme. La cure de ces thérapeutes passe donc par un contact avec le surnaturel et peut être considérée comme magico-religieuse. Les spiritualités asiatiques, bouddhisme et hindouisme, proposent une extinction des souffrances et développent une médecine liée à leurs doctrines. Chez les protestants, les pasteurs peuvent faire l’imposition des mains aux personnes souffrantes. Dans les chapelles orthodoxes, il n’est pas rare de voir des figurines métalliques représentant un organe, laissé en témoignage d’une guérison. On connaît encore le pèlerinage de Lourdes, les messes et les prières pour les malades ainsi que les dévotions populaires dans le catholicisme. Selon René Laurentin, la fonction thérapeutique est permanente dans l’histoire du catholicisme, sa restauration dans les groupes charismatiques n’est pas une « fantaisie de la mode rétro ». Elle serait un retour aux sources de l’Écriture et de la Tradition, il ne s’agirait pas d’un don extraordinaire mais d’une aptitude « ordinaire faisant normalement partie de la vie de toute communauté chrétienne ».
 
Dans les grandes confessions, et dans la plupart des mouvements religieux minoritaires comme ceux que nous venons de citer, la cure du corps n’est pas le point de départ, ni le pilier central de leurs doc- trines et de leurs pratiques; elle est à la périphérie par rapport à la quête du salut. Quelques-uns de ces mouvements ont pris naissance dans la volonté d’apaiser les souffrances pour apporter aux hommes la santé, le bonheur et une longue vie et ils en ont fait une préoccupation essentielle. Ces religions sont en quelque sorte spécialisées, nous les avons appelées « religions de guérison ». Il s’agit de l’Antoinisme, de la Science chrétienne, de l’Église de Scientologie, d’Invitation à la vie, de l’Alliance universelle (disciples du Christ de Montfavet), des cercles des amis de Bruno Gröning. Ajoutons à cette liste les Églises pentecôtistes et certaines Églises indé- pendantes africaines. Dans le domaine asiatique, nous trouvons Mahikari et la Semei Kyo d’origine japonaise ainsi que le « Pranic Healing » philippin. Ainsi, ces Églises de guérison apparaissent spécifiques. Mais en dehors de la centralité de la thérapie religieuse, qu’est-ce qui les caractérise encore? Comment fonctionne une cure religieuse des maladies? Pourquoi les églises de guérison continuent-elles à être une offre de soin plausible dans les sociétés occidentalisées?
 

Les caractéristiques principales des églises de guérison

Les Églises de guérison possèdent les caractéristiques suivantes :

  • Elles accordent une place dominante à la santé; elles ont des thérapeutes religieux accrédités par l’institution.
  • La cure des maladies qu’elles proposent est une expérience mystique au sens où elle passe par un rapport direct avec Dieu ou par une réalité surnaturelle; toutefois ce mysticisme ne retranche pas les fidèles du monde. Au contraire, ces derniers sont censés gagner un mieux-être ou une énergie vitale pour œuvrer dans une société dont ils ne remettent pas fondamentalement en cause les valeurs.
  • Elles donnent un sens extensif à la maladie, car celle-ci inclut les troubles physiques ou psychiques, mais aussi toutes les vicissitudes de l’existence.
  • La guérison prouve la validité de la croyance; au plan de l’organisation, ces mouvements sont généralement dirigés par des virtuoses religieux, c’est-à-dire par des religiothérapeutes.
  • Elles proposent toujours un système de croyances dans lequel la thérapie spirituelle puise sa légitimité; elles ne considèrent pas le miracle comme un fait exceptionnel accordé à quelques- uns et non à d’autres.
  • Les bienfaits peuvent être obtenus pour peu que l’on sache mettre en pratique les lois divines ou les lois du cosmos. De ce fait, elles « enchantent le monde » (« magnification du monde »).
  • Elles sont peu cérémonielles, la vie religieuse étant centrée sur l’ascèse personnelle et la compréhension d’une autre réalité.
  • Le traitement spirituel comporte toujours un protocole commun à toute forme de thérapie, un modus operandi décrit plus loin.
  • L’expérience du traitement spirituel de la maladie est une composante de la voie de salut et à ce titre, il ne peut pas être considéré comme un « à côté » de la vie religieuse. Toutefois, bien que proposant une voie de salut, les religions de guérison peuvent fonctionner occasionnellement comme des prestataires de services pour ceux qui tentent de bénéficier de temps à autre du pou- voir de guérison des religiothérapeutes sans se convertir.
 
Le modus operandi du traitement spirituel des maladies

La thérapie religieuse comporte toujours un protocole commun à toute forme de thérapie : une demande provoquée par une souffrance ou une détresse adressée à un thérapeute accrédité par un groupe, une relation teintée d’espoir (l’attente anxieuse) avec celui-ci, une théorie de la maladie et de son traitement qui ne peut être mise en cause par l’échec éventuel de la thérapie, la mise en place de nouvelles attitudes et de nouvelles conduites sociales. Il faut y ajouter une dette qui   se traduit par une gratitude ou par une conversion.

La thérapie religieuse passe par un travail de la maladie, une opération médiatrice. Elle débouche sur une forme de prévention et éventuellement sur une gestion de l’échec. Dès que l’on est convaincu par une théorie religieuse de la maladie, (même de façon minime), dès qu’on a l’idée que la santé et les troubles entre- tiennent des rapports avec le domaine spirituel et ne se réduisent ni à des causes biologiques, ni à une cause psychique, on est accessible, même avec l’alibi de la curiosité, à la cure spirituelle des maladies. Celle-ci oscille entre un pôle exorciste et un pôle adorciste. Le premier qualifie une intercession destinée à débarrasser immédiatement la personne d’une difficulté, le second signifie que la personne souffrante intègre son problème, le fait sien, l’accepte et y remédie en s’engageant dans une spiritualité. Le pôle adorciste semble correspondre à ce que Pédinielli appelle « le travail de la maladie » ou ce que Gutton appelle « le travail de la souffrance ». L’homme malade se sent diminué et ne comprend pas pourquoi cela lui arrive. Les religions de guérison lui permettent d’inscrire sa maladie dans une théorie, « de prendre le corps dans les mailles de la parole et du fantasme », de s’approprier la maladie en élaborant un texte qui dépasse le cadre de sa vie terrestre. Sa maladie est expliquée par une métaphysique, par un mythe qui convoque le sujet à un rendez- vous avec son histoire.
 
Le patient devient alors le sujet de sa souffrance et il peut s’occuper à guérir, comme le dit Claudine Herzlich. Par rapport à la médecine, le malade obtient un plus. Si le médecin peut expliquer l’origine d’un cancer, le cancéreux ne sait pas pourquoi c’est lui, personnellement, qui en est atteint. Les religions de guérison le lui disent, car sa maladie devient une expérience unique qui articule des éléments biographiques à une cosmologie. Le malade s’y voit reconnaître sa « petite différence ».
 

Le recours aux églises de guérison est-il plausible?

Le recours à des Églises de guérison est un comportement partagé et rationalisé par un public ou par une communauté de croyants et à ce titre, comme fait social organisé, il n’est pas une conduite incohérente et pathologique. Pour ceux qui demandent une cure spirituelle pour un mal, la guérison spirituelle est plausible. Pour nous, la plausibilité de la guérison religieuse est une connaissance construite :

  • qui comporte une image du monde et une disposition d’esprit laissant une place à l’enchantement du monde;
  • qui contient les arguments en faveur de sa vraisemblance et qui n’est pas réfutée par une évaluation empirique. Elle peut ainsi se conserver dans la conscience des acteurs sociaux et continuer à susciter une « attente croyante »;
  • qui autorise des conduites dont les buts ne sont pas limités par des impossibilités techniques et/ou théoriques puisque la conduite religiothérapeutique est autorisée d’emblée par la toute-puissance des lois cosmiques et divines qu’elles convoquent. Ainsi des patients peuvent par exemple, renouveler indéfiniment le recours à la thérapie religieuse d’une maladie incurable, même si aucun cas de rémission n’a été obtenu par cette voie. Le plausible n’est pas réfutable grâce à une évaluation empirique. En revanche, un médecin rationnel, renoncera au traitement d’une maladie incurable puisque par définition, aucun traite- ment de celle-ci ne s’est avéré curatif. Sa conduite thérapeutique est conditionnée par le progrès des sciences et des techniques auquel il renverra le patient. C’est donc vers les motifs de recourir aux médications spirituelles qu’il faut s’orienter pour en trouver les instances de plausibilité.

 
La première instance de plausibilité est légitimée par une doctrine qui rend la guérison religieuse plausible à ceux qui y adhèrent. Celle-ci contient ad intra les arguments de la gestion de l’échec religio thérapeutique (on dira d’un patient qu’il ne guérit pas parce qu’il n’a pas la foi suffisante, parce que le corps s’use, parce que d’autres vies sont nécessaires pour réparer les erreurs commises dans des vies antérieures, etc.).
 
La seconde instance de plausibilité est le corpus de témoignages de guéri- son. L’Église de la Science chrétienne en a publié de nombreux. Elle organise des réunions de témoignages. L’Antoinisme en a publié pendant un temps. On en trouve dans les bulletins d’Invitation à la vie. Ailleurs, ce sont des attestations affichées. Les témoignages montrent aux solliciteurs et aux fidèles qu’ils peuvent s’inscrire dans une lignée de personnes guéries par la thérapie spirituelle c’est-à-dire dans une réalité sociale. Le témoignage fait aussi partie des communications informelles. Cette pratique des récits et des échanges à propos de guérisons peut être interprétée en référence à la théorie de Berger et Luckmann :

  • « l’appareil de conversation » maintient continuellement et simultané- ment la réalité (conservation de la réalité par la conversation). Ceux qui relatent une guérison font partie des
  • « autres significatifs » qui « occupent une place centrale dans l’économie de la conservation de la réalité » bien qu’ils n’en soient pas les seuls;
  • la conversation apporte des contours à des éléments appréhendés d’une manière floue et peu claire. Avec les témoignages, l’expérience personnelle de la guérison prend la forme d’un énoncé transmissible en se conformant parfois à un style d’énonciation propre au groupe de la même façon qu’il existe un style du récit de conversion spécifique à chaque groupe religieux.
 

Pour nous, grâce aux témoignages écrits et oraux, la thérapie religieuse apparaît comme un des dis- positifs collectifs de soulagement des maux proposé aux individus sur un marché où l’on trouve des guérisseurs individuels, des thérapeutes religieux, des prophètes et les médecins. La liste des témoignages de guérison permet de penser qu’on pourrait nous aussi nous y inscrire.

On trouve la troisième instance de plausibilité dans le rapport au salut. Dans les Églises de guérison, la thérapie religieuse des maladies n’est pas un « à côté » de la voie religieuse. En recourant à un religiothérapeute, le malade aurait l’occasion de se placer sur une voie du salut : soit se libérer maintenant du poids des incarnations et hâter le cycle des réincarnations, soit retrouver le « vrai » christianisme par le biais de l’image du Christ guérisseur. Pourtant, il arrive que la voie spirituelle soit délaissée par des consultants occasionnels, mais les religiothérapeutes inscrivent quand même la consultation dans la sotériologie. Pour eux, la maladie fournit l’occasion de se rapprocher de Dieu et ce qui a été « donné » lors du traitement religieux est une graine de spiritualité qui germera plus tard, dans la vie présente ou dans une vie future (quand leur doctrine est réincarnationiste). En ce cas, la guérison religieuse est étayée par une doctrine de salut typiquement religieuse qui est partagée par d’immenses communautés de croyants et dont l’acceptation permet les identifications réciproques. La promesse de guérison devient plus réalisable parce qu’elle est liée à des croyances plus large- ment partagées. C’est possible parce que beaucoup de gens y croient.
 
Enfin, la quatrième et dernière instance de plausibilité se trouve dans la culture religieuse des sociétés occidentales. L’homme des sociétés christianisées connaît les récits de miracle et du don de guérison. Les livres d’histoires mentionnent, chez les rois, le pouvoir de guérison des écrouelles (abcès d’origine tuberculeuse). On parle des miracles de guérison des saints qui authentifient leur charisme et que l’on prend principale- ment en compte dans leur canonisation. On connaît Lourdes et les autres lieux de pèlerinages. On connaît aussi l’imposition des mains chez les pasteurs et les messes pour les malades. Certes, les religions de guérison ne font pas de miracles au sens catholique (phénomènes extraordinaires par lesquels Dieu rappelle sa présence et sa puissance aux hommes pour réveiller la foi) car le traitement spirituel des religions de guérison rejette l’arbitraire divin. Chez elles, les médications spirituelles doivent normalement produire un résultat positif pour peu que l’on s’y prenne correcte- ment. D’autre part, dans la sous-culture médicale, des récits de guérisons incompréhensibles du point de vue scientifique circulent. Tout ceci corrobore l’idée qu’une guérison atypique (hors du traite- ment médical) peut se produire et qu’on peut la trouver dans la religion qui a aussi pour vocation de favoriser l’espérance en des faits exceptionnels.
 

Références

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Dericquebourg, Régis. Croire et Guérir, Paris, Dervy, 2001.

Durkheim, E. Les formes élémentaires de la vie religieuse, Paris, PUF. 1994 [1912]

Freud, S. Nouvelles conférences. Introduction à la psychanalyse, Paris, Gallimard, 1984 [1932]

Freud, Sigmund. L’avenir d’une illusion, Paris, PUF, éd. de 1971, p. 25.

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Herzlich, Claudine. Santé et maladie. Analyse d’une représentation sociale, Paris, La Haye, Mouton, 1969.

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Richardson, James. Psychological and Psychiatric studies of New Religions, In Advances in Psychology of Religion. L. B. Brown ed., Oxford, Pergamon Press, 1985.
 



Régis Dericquebourg est sociologue, maître de conférences en psychologie sociale à l’Université Charles de Gaulle à Lille. Il est membre du Groupe de sociologie des religions et de la laïcité au CNRS. Il a également un diplôme d’études supérieures spécialisées en psychologie clinique. En 1986, il commence à étudier les « religions de guérison », dont les Antoinistes et la science chrétienne. Il a également participé à un livre collectif au sujet de la scientologie en 2009. Il est l’auteur de la première thèse française sur les Témoins de Jéhovah. Il a été fait chevalier des palmes académiques. Il a notamment publié : Croire et guérir, Paris, Dervy, 2001; Georges Roux dit «Le Christ de Montfavet», Écologisme, ésotérisme et guérison, Bruxelles, Éditions E.M.E., 2012; Le (mal)traitement des nouveaux hérétiques, Les minorités religieuses en France, Paris, L’Harmattan, 2013, direction de l’ouvrage.
 


 

Georges Roux dit « le christ de Montfavet »

DÉRICQUEBOURG, Régis
Bruxelles, Éditions E.M.E., 2012, 125 pages
 
Spécialisé dans l’étude des groupes religieux minoritaires, Régis Déricquebourg nous invite à découvrir l’enseignement et les pratiques spirituelles de guérison de Georges Roux dit « le Christ de Montfavet ». L’ouvrage nous fournit d’intéressants détails sur le parcours de disciples guérisseurs, le modus operandi de la cure, des explications sur la guérison lorsqu’elle se produit et il en dégage un modèle d’efficacité symbolique. – Isabelle Bisson


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