Est-ce que tu crois en quelque chose?

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Par Marie-Blanche Rémillard - 1er août 2019 

Certains moments de nos existences peuvent devenir déterminants; l’expérience nous marque à jamais et une nouvelle manière d’entrevoir le sens de la vie apparaît. L’auteure nous livre ici un témoignage personnel à travers lequel elle relate une expérience transformatrice.


Il n’y a pas une journée de ma vie où je ne me trouve d’une façon ou d’une autre en contact avec une manifestation de la spiritualité humaine. Je dis spiritualité humaine parce que je ne sais rien de l’hypothétique spiritualité des choses et des autres êtres vivants, sur la terre ou ailleurs. Quand on dit « spiritualité », on englobe généralement une foule de réalités : religion, foi et prières, oui, mais aussi réincarnation, présence des esprits des personnes décédées, anges gardiens, prêtres, canalisations, voyages astraux et totems. Même les superstitions encore bien présentes dans le quotidien se basent sur le fait qu’un ordre invisible règne sur toute chose, que l’univers peut ou non nous être favorable parce qu’on fait ceci ou cela, parce qu’il nous arrive ceci ou cela sur notre chemin quotidien. Dans les moments où on se sent particulièrement bien, où tout semble nous sourire, il est difficile de ne pas dire « merci », sans savoir précisément à qui ou à quoi!

Comme le sujet est délicat, qu’on ne l’aborde pas aisément, avec tout le monde et à n’importe quel moment, j’ai voulu sortir des limites de ma propre spiritualité, assez floues d’ailleurs, je m’en suis rendu compte en écrivant. De façon générale, j’aime bien, au cours des mois et semaines précédant l’écriture d’un texte, interroger des proches sur le sujet à l’ordre du jour. J’ai parfois à réajuster les questions au fur et à mesure de mes mini-entrevues. Cette fois-ci, j’ai demandé : « Crois-tu en une vie après la mort? », puis « Crois-tu en Dieu? », puis finalement, dans le cas d’une réponse positive à une ou aux deux questions précédentes : « Qu’est-ce que ta croyance apporte à ta vie? ». Au cours de la dernière semaine, j’ai ajouté la question suivante : « Si tu crois en Dieu, comment communiques-tu avec lui? ». À la seule personne qui m’ait affirmé son athéisme, j’ai demandé comment elle dirigeait sa vie, moralement parlant.
 
Tout d’abord, j’ai été surprise qu’une seule personne se dise formellement athée. À une autre époque, il y avait beaucoup de jeunes adultes qui se déclaraient athées. Peut-être était-ce une bravade, une façon de se déclarer complètement affranchis des dogmes et principes ayant gouverné la vie de leurs parents et ancêtres!
 
Ce qu’il y avait de nouveau, c’était le nombre de personnes interrogées, souvent très terre à terre dans leur discours familier, qui m’ont dit qu’elles croyaient en Dieu, plutôt en un dieu, un être suprême, un esprit universel. Par ailleurs, presque toutes ont ajouté qu’elles ne croyaient pas en une église, ses rites et ses prêtres.
 
Et en rapport avec ce que changeait dans leur vie le fait d’être croyant, la réponse la plus fréquente était que ça les rassurait, surtout par rapport au désordre, à la cruauté et à la laideur dont on peut être souvent témoin. L’idée qu’il y ait un être, une force, un berger qui, d’une façon ou d’une autre, garde l’ordre dans le troupeau était une pensée assez tranquillisante. Et pour certains, l’existence d’un être suprême constituait un genre de boussole morale, bien utile dans leur vie.
 
Il me semble que tout ce qu’on regroupe sous le parapluie de la spiritualité peut être qualifié d’irrationnel, en ce sens qu’on ne peut apporter une preuve incontestable de leur existence. La foi se situe dans un contexte de conviction basée sur des émotions, des intuitions, des expériences immatérielles. En Occident, la plupart des croyants savent qu’ils ne peuvent discuter de la validité de leurs convictions spirituelles de la même façon qu’ils le feraient dans le cadre d’une discussion portant par exemple sur l’importance de la consommation d’eau dans l’alimentation ou sur certains aspects du réchauffement climatique. Il est vrai que, ces temps-ci, des faits établis scientifiquement se voient contestés au même titre que le seraient des opinions sur l’existence des anges ou la possibilité de parler aux personnes défuntes. On est dans un drôle de monde où on peut d’un côté se moquer des élans mystiques de certaines personnes et, de l’autre côté, prétendre appliquer des considérations spirituelles à des phénomènes adéquatement décrits par la science. Le créationnisme pratiqué par de grands pans de l’opinion publique américaine et défendu par quelques élites me donne le vertige. Quand la loi de la pesanteur deviendra matière à contestation, il faudra bien, malgré tout, que les pommes continuent de tomber quand elles seront mûres et que les plumes flottent quelque temps en l’air avant d’atterrir elles aussi!
 
J’ai arrêté de pratiquer la religion catholique vers l’âge de 13 ans. Mes parents étaient eux-mêmes assez peu stricts en la matière. Je me suis donc déclarée athée. C’était durant mes années philosophiques, celles où je me croyais invincible intellectuellement parlant. Je me faisais alors une joie d’asticoter mes proches croyants ou mieux encore de pauvres Témoins de Jéhovah frappant à la porte de notre maison. Je traitais chacune de leurs assertions comme s’il s’agissait d’une erreur mathématique à déboulonner. J’en ai passé du temps à cette époque à discuter de la sorte. C’était une façon comme une autre d’exercer ma capacité de raisonnement, sans doute. C’est fort probablement au cours de cette période que j’ai acquis une solide réputation d’« ostineuse » et d’avocate du diable.
 
Au moment où j’ai retrouvé la foi, dans ce voilier voguant à travers l’Atlantique, j’ai bien vu qu’il s’agissait là d’une expérience totalement personnelle, parfaitement unique et que je ne ressentais ni l’envie de justifier, ni même le désir de détailler. Pour les besoins de cet article, j’ai cependant décidé d’essayer, dans l’espoir que d’aucuns reconnaîtront peut-être que ça leur était aussi arrivé ou, encore, qu’ils n’avaient jamais, au grand jamais, ressenti quelque chose du genre.
 
Je me tenais à cheval sur le beaupré (mât d’un voilier quasiment horizontal, situé à l’avant), m’efforçant constamment de conserver mon équilibre. C’était la nuit, il y avait des vagues énormes, des étoiles partout dans le ciel, et du plancton lumineux plein la mer. Si je renversais la tête vers l’arrière je voyais les mâts, les cordages et la nuit. Autour de moi, tout bougeait, avec de grands mugissements. C’était bien apeurant : toute cette eau froide, toute cette noirceur, toute cette vastitude prête à m’ensevelir, une gueule immense! Et puis, l’idée ou plutôt la sensation m’est venue que je me trouvais plutôt dans les bras de quelqu’un, le grand bleu, le grand univers, un grand protecteur. Et j’ai cessé d’avoir peur. Je n’étais plus la petite handicapée instable sur son rafiot, j’étais un morceau du monde, une âme parmi les âmes. C’était une sensation fabuleuse, plus grande que moi, totalement englobante. Ça aurait pu être l’expérience d’un instant, mais la belle chose, c’est qu’elle a duré et dure encore. Elle constitue le meilleur antidote à mes épisodes d’anxiété et une excellente sauvegarde à l’approche des moments de désespoir. Cette expérience mystique date de près de 35 ans déjà et j’ai pris l’habitude d’en parler comme d’un fait, non sujet à la discussion. Ça m’est arrivé, c’est un des plus magnifiques moments de ma vie, mais je ne prétends aucunement qu’il puisse être superposé ou appliqué à la vie de quelqu’un d’autre. C’est intime, personnel et ça m’appartient. J’ai réagi avec assez d’irritation quand une amie m’a dit : « Tu crois en Dieu, vraiment, je pensais que tu étais trop intelligente pour ça. » Comme si ça avait quelque chose à voir avec l’intelligence, la logique ou la raison!
 
Comme on peut voir, mon itinéraire spirituel est assez rudimentaire et je n’ai jamais senti le besoin d’y mettre plus de mots ou d’idées. Il n’y a eu qu’un ajout au cours des ans et ça concernait le sacrement de la communion de l’Église catholique, à l’occasion de cérémonies de mariage ou de funérailles, ou de la messe de Pâques que j’aime bien parce qu’elle annonce le printemps. J’ai appris, il y a quelques années, qu’on pouvait communier, même si on n’était plus un catholique pratiquant. J’ai alors redécouvert la beauté de cette expérience et de l’idée qu’on puisse avoir en soi un morceau de la divinité. Si j’ajoutais cette sensation à celle révélée lors de ma traversée de l’Atlantique, je pouvais réussir à me sentir à la fois entourée et remplie.
 
La plupart des religions chrétiennes sont basées sur les principes énoncés par Jésus : compassion et respect avant tout. On retrouve de tels principes dans la plupart des religions, associés parfois à des aspects plus guerriers et plus subversifs. Il s’avère cependant qu’il y a généralement loin des principes aux actes. Au cours de ma vie, j’ai rencontré beaucoup de croyants et de chrétiens pratiquants qui ne se comportaient pas en amis de leur prochain modeste ou souffrant, loin de là. Peut-être avaient-ils des remords? Ça, seul leur confesseur pouvait le savoir. Et puis, on a connu des athées, grands humanistes, bienfaiteurs et défenseurs de l’humanité. Mon amie athée, personne bonne et honnête entre toutes, m’a d’ailleurs confié qu’elle aimait bien Jésus et qu’elle tentait d’appliquer ses enseignements à sa propre vie. Comme quoi, en matière spirituelle comme dans bien d’autres choses, tout est vraiment dans tout’ (dixit Raôul Duguay).
 
Pour moi qui suis en quête de sainteté (je le dis en blague), qui souhaite devenir meilleure avec le temps et développer ainsi la saveur d’un bon vin, je me trouve à suivre un chemin très judéo-chrétien où il y a de beaux et de bons actes et où il y a aussi des gestes mesquins, cruels et malhonnêtes. À l’occasion, je me sens un peu captive d’un tel environnement moral, j’aimerais m’en ficher davantage. Mais, il n’y a aucun doute pour moi : quelles que soient nos croyances ou notre absence de croyances, l’important est qu’on soit conduit à être équitable et bienveillant à l’endroit des autres… et de soi-même. Il y a vraiment trop de souffrance ici-bas. Une chance qu’il y a aussi tellement de beauté. Ça nous aide à nous lever le matin.
 



Marie-Blanche Rémillard est la présidente du conseil d’administration de l’organisme Moelle épinière et motricité Québec (Mémo-QC). Blessée médullaire depuis 1977, retraitée de la fonction publique québécoise depuis 2011, elle a milité à différentes époques dans des dossiers de défense des droits, notamment le transport adapté à Montréal. Lectrice, discuteuse et voyageuse, sa plus belle aventure à vie a été la traversée de l’Atlantique en grand voilier en 1984. Elle a une bonne santé en général, mais tout plein de signes de vieillissement typiques des blessés de la moelle épinière.


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