Des rites pour transformer les défis des vies modernes

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De la guérison dans la diversité religieuse du Québec



Par Géraldine Mossière - 1er août 2019

Au cours d’une vie, un événement difficile ou inhabituel peut déclencher d’importants processus de quête de sens. Le parcours d’une maladie entraîne souvent la mobilisation de pratiques issues de divers courants ou traditions. À la suite d’une recherche qualitative visant la collection de récits de vie, l’auteure constate l’importance et la variété de ces pratiques sur le plan spirituel.

 
Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la santé est « un état complet de bien-être physique, mental et social et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ». Cette définition, qui s’appuie sur une perspective holistique de l’être humain ici considéré comme un tout systémique, est relayée par certains États qui y ajoutent la dimension spirituelle. Ainsi, la constitution du canton suisse de Vau indique que « l’État tient compte de la dimension spirituelle de la personne humaine1 » ce qui, dans la mesure où celui-ci est également chargé de coordonner le système de santé, justifie la présence de professionnels du soin spirituel dans les institutions de santé suisses. Au Québec également, les établissements de soins de santé sont légalement tenus d’offrir des prestations qui tiennent compte des besoins spirituels des personnes2. Comment s’articule cet accent désormais porté sur la spiritualité des individus au souci du bien-être caractéristique des sociétés actuelles? Il semble que pour de nombreux contemporains, la spiritualité constitue une voie de guérison inextricablement liée à la quête de bien-être.
 
Pour le sociologue Paul Heelas, la notion de guérison réfère aujourd’hui moins à l’attention portée aux maux physiques liés à des dysfonctionnements extérieurs, qu’au souci des perturbations personnelles qui, générant un mal-être, « empêchent les gens d’expérimenter toutes les dimensions de leur bien-être subjectif 3 ». Ces représentations holistiques de la douleur et de la souffrance n’évacuent pas pour autant le recours aux techniques scientifiques biomédicales. C’est un des résultats de la recherche qualitative que j’ai menée avec mon équipe auprès de Québécois de souche catholique française4 de 2013 à 2017. Le projet consistait à collecter des récits de vie auprès de Québécois âgés de 56 à 68 ans afin de reconstituer leur biographie en mettant en parallèle des éléments du cycle de vie parfois susceptibles de bouleverser leur trajectoire (mariage, divorce, deuil, chômage, maladie) et des croyances et pratiques religieuses particulières. Nous avons ainsi pu mettre en évidence des itinéraires thérapeutiques qui mobilisent des ressources issues de diverses traditions religieuses et n’excluent pas pour autant le recours au système biomédical, en vertu d’une logique pragmatique qui vise moins la cohérence ou la croyance en tant que telle, que leur efficacité. Ainsi, une femme que nous avons surnommée Jeanne5 qui se dit plus athée que croyante souligne également que ses références sont élastiques : lorsqu’elle a appris qu’elle était atteinte d’un cancer, son conjoint lui a offert une médaille de l’archange saint Michel qu’elle décrit comme un guerrier qui lui a donné beaucoup de force pour combattre la maladie. Au même moment, une amie qui s’intéresse aux spiritualités amérindiennes lui offrit un rituel de purification à la sauge. Même si elle n’en a pas saisi toutes les dimensions symboliques, elle rapporte avoir « pris tout ce qu’on [lui] a offert pour guérir » et que l’« on n’a pas besoin d’adhérer à toutes ces croyances pour les prendre et puis les faire siennes. On y participe. »
 
Le fait de s’approprier et d’interpréter les croyances et pratiques religieuses de façon individualisée et au gré des circonstances de vie constitue une tendance des religiosités actuelles aujourd’hui largement reconnue. À ce constat, les récits de nos répondants ajoutent que, en situation de maladie ou de déséquilibre physique ou émotionnel, l’écoute, la mise en sens, ainsi que la réflexivité et la rétrospective portées sur sa propre existence constituent des priorités qu’ils trouvent à satisfaire auprès de certains groupes religieux. Par exemple, Claudine a vécu un parcours particulièrement souffrant : avec l’alcoolisme et la violence d’abord dans son milieu familial, puis dans son couple, sa vie est marquée par la drogue, la maladie et l’épuisement physique et moral. En rencontrant une sœur catholique d’une communauté nouvelle, elle entreprend une démarche d’écriture libératrice de ses blessures que la religieuse retranscrit en prières de pardon et de délivrance, lui procurant ainsi un sentiment d’apaisement.
 

Des itinéraires à géométrie variable

Les itinéraires que nous avons relevés sont aussi variés que les pratiques de guérison auxquels les individus ont désormais accès, sous l’effet de la globalisation et de la circulation non seulement des individus croyants, mais aussi des ressources religieuses. Au Québec, ces ressources ont trouvé un terrain particulièrement favorable suite au retrait de l’Église catholique de la scène religieuse et des institutions de santé locales dans les années 1960. Dans une étude qui visait à cartographier les divers groupes qui occupent désormais l’espace religieux et spirituel québécois6, nous avons répertorié un grand nombre de mouvements issus de traditions diverses : des religions établies au Québec depuis les années 1960 (Baha’i; néochamanisme; druidisme et wicca ; hindouisme); de nouvelles formes de pratique religieuse au sein de religions établies de longue date (juifs messianiques, mouvements chrétiens charismatiques, communautés nouvelles); des religions importées par les immigrants (bouddhisme, sikhisme, islam); des congrégations de religions institutionnelles incluant d’importantes proportions d’immigrants (paroisses polonaises, églises baptistes salvadoriennes, etc.). Dans ce paysage désormais ponctué de pagodes bouddhistes, de temples hindous, de centres de développement spirituel ou de yoga, sans oublier l’oratoire Saint-Joseph où les demandes au saint frère André ne cessent d’affluer, les rituels sont fort variés. Les motifs de guérison y jouent cependant un rôle central. Tous les mouvements documentés offrent en effet des ressources de guérison adaptées aux expériences biographiques et aux défis auxquels leurs membres et visiteurs sont confrontés : épreuves de la migration (chômage, désordres familiaux, nostalgie, difficultés d’obtention des visas), stress de la vie moderne (déstructuration des modèles familiaux, exigences au travail, accélération du temps). Les personnes que nous avons rencontrées disent s’être adressées à ces groupes suite à une expérience-clé ou un tournant de leur vie (séparation, mort d’un être cher, maladie, migration); elles y apprécient l’écoute, le soulagement, l’espoir, la chaleur qu’elles y trouvent, mais aussi une forme de catharsis qui constitue souvent une voie de libération.
 
Ces pratiques sont vues comme tantôt alternatives, tantôt complémentaires à la médecine conventionnelle et biomédicale. Dans la typologie qu’ils dressent de l’offre thérapeutique non scientifique actuellement disponible sur le marché de la guérison suisse, Durisch Gauthier et ses collègues7 notent une grande hétérogénéité de ressources qu’ils classent en six types, que l’on observe également au Québec : (1) le type médecine traditionnelle qui comprend la médecine populaire (rebouteux, charmeurs de verrue, coupeurs de feu), les médecines savantes (chinoise, ayurvédisme), le maraboutisme africain, etc.; (2) le type chrétien qui s’appuie sur la figure du Christ guérisseur lors de séances de guérison (prières, onction d’huiles) et de délivrance (lutte contre les mauvais esprits); (3) le type néo-oriental qui comprend des techniques issues des religions et spiritualités orientales et adaptées à un contexte occidentalisé (groupes néo-hindous, d’inspiration bouddhiste, écoles de yoga); (4) le type ésotérique occidental lié aux mouvements et institutions ésotériques d’Occident (fondés sur une attitude intérieure de recherche et sur la gnose) : société théosophique, anthroposophie, Rose-Croix; (5) le type New Age qui est axé sur un idéal de nature retrouvée, une vision holiste de la personne, les capacités d’autoguérison du corps, le pouvoir du psychisme sur les organes, et qui est à l’origine de nombreuses techniques de développement personnel; (6) le type « spirite / channelling » qui propose le contact avec des êtres du monde invisible pour leur demander une intervention thérapeutique : spiritisme, umbanda brésilien, reiki, « thérapies de l’âme ».
 
Dans les faits, les individus peuvent associer plusieurs de ces pratiques, par exemple suivre des principes de médecine chinoise tout en pratiquant le spiritisme et en suivant des retraites de prière dans un monastère. Parmi les répondants de notre recherche, plusieurs disent éviter le monde biomédical, soit parce que la médecine conventionnelle n’a pas pu les aider, soit parce qu’ils ont été déçus du manque d’écoute du personnel médical ou de la vision mécaniciste et cloisonnée du corps qui y prévaut. D’autres répondants cumulent ces pratiques thérapeutiques avec la médecine institutionnalisée selon une perspective complémentaire qui invite à remettre en question la définition même de la médecine. À cet égard, il convient de distinguer la notion de guérison propre aux techniques alternatives et complémentaires de celle de soin qui relève du registre biomédical, dans la mesure où la première vise la transformation de la personne par la libération de la souffrance – et non par l’élimination du malaise, tandis que la seconde conçoit sa mission dans le sens d’une réparation du corps ou de la personne
malade – sans effacer les cicatrices.
 
La combinaison de ces différentes approches de la santé ne se fait cependant pas sans heurts : dans la région de Sherbrooke, le Collège des médecins a récemment porté devant la cour des accusations à l’endroit du pasteur d’une Église non dénominationnelle. Bien que ce dernier ne se définisse pas comme un guérisseur et qu’il affirme recevoir les gens bénévolement, le Collège lui reproche de pratiquer illégalement la médecine lors de ses consultations, d’avoir mené des diagnostics médicaux, d’avoir prescrit des médicaments et des traitements médicaux sans être titulaire d’un permis valide et approprié, et sans être inscrit au tableau du Collège des médecins. L’affaire est toujours en cours. Auprès des gens qui le consultaient, le pasteur pratiquait des rites dits de « rédemption de l’âme » en dessinant des signes de croix sur certaines parties du corps après application d’huile, d’eau bénite ou de terre à l’aide de coton; dans ce cas, la guérison spirituelle est considérée comme une guérison de l’âme.
 

Prière et imposition des mains | deux rites universels

Bien que les pratiques de guérison que nous avons observées au Québec réfèrent à une large diversité de systèmes symboliques, on note certaines convergences autour de deux formes particulières de rites qui semblent communes à tous les mouvements religieux, peut-être universelles : la prière et l’imposition des mains. Présente dans la plupart des cultures et des pratiques religieuses et spirituelles, la prière est conçue comme un mode de communication avec une sorte de transcendance ou avec des entités qui relèvent de divers registres : certains répondants s’adressent à des formes de divinités (du panthéon hindou par exemple), d’esprits (tels que dans les rituels amérindiens) ou à une énergie originelle qui ultimement réfère au soi (comme dans les mantras qui closent de nombreux cours de yoga). Beaucoup des répondants que nous avons rencontrés parlent à des ancêtres disparus (parents, fratrie, grands-parents). Bien qu’elle puisse prendre plusieurs formes (institutionnalisée, collective, méditative), la prière est toujours vécue comme un espace d’intimité propice à la confidence et à l’introspection. Favorable à la libération des émotions, elle pourrait compenser une des dimensions des souffrances typiques de la modernité, la solitude.
 
Second type de rite que l’on retrouve sous diverses formes dans la plupart des mouvements religieux ou spirituels : l’imposition des mains. Cette gestuelle qui relève autant de certaines traditions charismatiques chrétiennes que de rites énergétiques tels que le reiki offre une sorte de relais par le corps, lorsque la verbalisation de la souffrance a atteint ses limites. Parfois codifié comme une forme de reliance avec une transcendance, parfois comme un mode de transfert d’énergie, le geste tient son universalité du réconfort qu’il procure. Il est toutefois pratiqué selon des variantes locales qui traduisent la signification qui lui est portée : il peut inclure un toucher physique, alors qualifié de toucher thérapeutique, ou seulement l’approche des mains, auquel cas l’officiant est réputé travailler sur le corps énergétique de la personne. Opéré avec une seule main, le rituel traduit surtout un geste d’affection ou d’empathie alors que l’usage des deux mains réfère davantage à un rituel de type institutionnel, ministériel dans le cas chrétien par exemple. Les zones visées semblent faire consensus, qu’on les nomme chakras ou aura : ventre, main, poitrine, sommet du crâne, front ou une zone malade plus ciblée. Les officiants qui conduisent ces rites se font appeler « guérisseurs » lorsqu’ils sont réputés disposer d’un don de guérison; d’autres se considèrent uniquement comme des médiums ou canalisateurs d’entités ou d’énergies guérisseuses qui agissent à travers eux (djinns musulmans par exemple, esprits orishas dans l’umbanda brésilien).
 
Si l’efficacité de ces rituels demeure un objectif réel, le résultat importe souvent moins que le cheminement auquel ils invitent. En ménageant un espace d’expression d’émotions ou de souffrances pour lesquelles la vie moderne offre habituellement peu d’accueil, ces rites provoquent des phénomènes de catharsis qui libèrent l’anxiété, les peurs, les craintes, réduisent les sentiments de désespoir et disposent les individus au changement. En ce sens, l’effet de ces rites ne se saisit pas sous la forme binaire de succès ou d’échec, comme dans le cas d’une opération chirurgicale, mais selon une approche qui peut être partielle ou incrémentielle, jamais finale. Une dimension essentielle de la guérison semble en effet se situer dans le fait de raconter sa vie et de la réinterpréter dans le cadre d’un narratif apte à donner sens aux éléments douloureux de l’existence, que ce narratif s’exprime par le verbe ou par le corps. C’est en modifiant la signification de l’épreuve pour la personne que le rite catalyse son passage vers un cheminement de guérison qui permet l’intégration de son histoire en lui donnant sens, et en constituant son porteur en être tant culturel que spirituel.
 

Notes

1   Constitution du canton de Vau, 14 avril 2003, titre VIII, art. 169.

2   Loi de 1991 sur les services de santé et les services sociaux.

3   Heelas, P., 2008, Spiritualities of Life: New Age Romanticism and Consumptive Capitalism. Malden (MA), Wiley-Blackwell, p. 34.

4   Subvention Jeune professeure-chercheure, Fonds québécois de recherche société et culture Trajectoires religieuses et défis identitaires au Québec, 2013-2018.

5   Tous les noms sont des pseudonymes.

6   Subvention de recherche, Centre de recherches en sciences humaines du Canada, 2008-2012, Religion et modernité, sous la direction de Pr. Deirdre Meintel.

7   Durisch Gauthier, N. dans Durisch Gauthier, N., Rossi, I., Stolz, J. (2007). Quêtes de santé : entre soins médicaux et guérisons spirituelles. Genève, Labor et Fides.
 



Géraldine Mossière est anthropologue et professeure agrégée à l’Institut d’études religieuses (IÉR) de l’Université de Montréal où elle a dirigé le programme Spiritualité /santé de 2013 à 2017. Ses travaux touchent les questions liées aux comportements religieux contemporains et à la diversité religieuse dans les sociétés sécularisées. Elle s’intéresse en particulier aux diverses dimensions des conversions religieuses et aux subjectivités (non)-croyantes contemporaines (spiritualité, guérison, néolibéralisme). Elle a également un projet de recherche sur les trajectoires religieuses de Québécois de souche catholique.
 




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