Isolement et solitude… ou seul au monde

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Par Jean-François Couillard
, intervenant en soins spirituels – 1er décembre 2018
CISSS du Bas-Saint-Laurent

Isolement et solitude… Est-ce la même expérience? Celle d’être seul au monde? Est-ce qu’on souffre d’isolement comme on souffre de solitude? Il me vient à l’esprit ce film où l’acteur principal est échoué sur une île déserte. Il semble souffrir d’isolement et non de solitude. Wilson, un ballon, lui permettra de tisser un lien de socialisation afin de combattre l’isolement. Qu’est-ce alors la solitude? Comment pouvons-nous accompagner l’un et l’autre?

 
Je me rappelle avoir accompagné la solitude et l’isolement auprès d’une même personne souffrant d’un syndrome neurologique grave, brutal et non réversible. Son corps souffrait d’une paralysie des membres et de douleurs constantes. La trachéotomie l’obligeait à s’exprimer en lettres silencieuses. À ma première visite, j’ai constaté rapidement la lourdeur du climat dans la chambre. Une collègue était sortie en larmes tellement l’agressivité exprimée était teintée de la rage du sort. L’impuissance face à la situation était gigantesque. Il était urgent d’agir dans la compassion et l’authenticité, ce qui fut aidant à créer le lien pour rompre le cycle d’isolement.
 
Assis dans un fauteuil motorisé, seul dans une chambre d’hôpital, il avait peine à respirer. Des larmes coulèrent sur son visage mortifié. Le front plissé et les muscles crispés me firent ressentir des frissons. Ce corps décharné semblait lourd et atteint jusqu’à la moelle osseuse. Après avoir accueilli la détresse de cette âme affligée, une mince ouverture s’est installée, le climat s’est apaisé. J’avais l’impression de devenir Wilson! Plusieurs rencontres, semaine après semaine, ont été nécessaires pour bâtir ce lien. Chaque rencontre était singulière comme chaque moment et chaque respiration. Il était aussi primordial d’être là, plongé dans le moment présent, à accueillir ce qui habitait cette âme. Parfois, il y avait la douleur physique qui l’épuisait et rendait impossible la socialisation. Wilson demeurait silencieux, à l’écoute! D’autres fois, la déception ou la rage intense de voir ses projets s’échouer sur une île déserte rendaient impossible un futile espoir d’un simple avenir meilleur. Wilson se montrait compréhensif, compatissant! L’expérience de souffrance d’isolement naviguait entre le besoin de solitude et la socialisation. Étrangement, oui! Wilson s’adaptait aux besoins qui émergeaient ici et là…
 
Les échanges intenses et profonds ont permis de nommer l’expérience de souffrance, de la côtoyer et de l’apprivoiser. Nous avons découvert ensemble qu’il y avait plus d’une forme d’isolement. Isolement du corps causé par l’expérience physique incapacitante. Isolement d’une prison psychique construite par le désespoir d’un avenir impossible à rêver. Isolement dans l’incompréhension et les imbroglios provenant d’un mauvais décodage de son expression en lettres silencieuses. Isolement du corps social qui se manifestait par l’éloignement des membres de son réseau suite à l’expression rude de sa souffrance globale. Il comprit aussi que cet isolement était à l’image de la barrière de corail de l’île dans le film Seul au monde. Nous nous sommes tournés vers sa spiritualité – son monde intérieur – afin de trouver une issue positive répondant à ses besoins et ses valeurs.
 
Derrière cette souffrance, il y avait un besoin de solitude non répondu afin de faire résilience. Le grand bénéfice s’est consolidé dans une reprise de son pouvoir d’agir sur sa douleur physique et la réactualisation de son réseau. Étant un maître des arts martiaux, il avait acquis la maîtrise de la respiration pour revitaliser ses centres énergétiques. Ces moments de solitude sont devenus nécessaires afin de porter son attention sur sa respiration pour calmer la douleur parfois insupportable.
 
À la fin de sa vie, ce héros avait surmonté son isolement par la réponse à son besoin de solitude. Il s’était relié à sa force intérieure du guerrier pacifique pour dépasser sa barrière de corail et ainsi goûter à la joie de tenir sa petite fille dans ses bras et lui faire des grimaces de bonheur. Quelle joie d’en avoir été témoin, les jours précédant son dernier souffle dans l’apaisement à rejoindre l’unité.


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