Par Pascal Ducharme, intervenant en soins spirituels, CISSS de Lanaudière - 1 avril 2020
Alors que j’étais à écouter Marie, une dame de 84 printemps, me parler simplement de sa vie, je vis celle-ci fondre en larmes. Après quelques instants, Marie me dit : « Vous êtes la première personne qui m’écoute sans me dire de la fermer. Comme chez nous. Pour mes enfants, je radote. » Elle qui était recourbée sur elle-même se redressa : elle avait retrouvé la valeur de ce qu’elle pensait. Ses yeux brillaient. Un beau sourire transforma son visage pour le reste de son hospitalisation. Plus tard, alors qu’elle devait retourner à la maison, elle me confia que lorsqu’on lui dirait à nouveau de se taire, elle repenserait à nos rencontres. Elle savait désormais que pour quelqu’un sa parole importait…
Libérer la parole. Celle qui n’est pas reconnue, pour en faire jaillir la valeur…
Une autre dame, Marguerite, aborda après quelques rencontres un thème extrêmement délicat : enfant, elle avait été agressée sexuellement par son père et ses frères, sans que sa mère intervienne. Malgré sa colère, Marguerite avait pris soin de sa mère jusqu’à sa mort. Un jour où elle en avait eu le courage, elle avait demandé à sa mère pourquoi celle-ci ne s’était jamais interposée entre elle et ses agresseurs. La mère avait répondu que c’était ce qu’elle-même avait vécu dans sa famille et qu’elle pensait que c’était normal pour les femmes de passer par là. En recevant ces mots, Marguerite s’était promis à elle-même que cette violence finirait avec elle... À la fin de son récit, Marguerite me dit : « Vous êtes le premier qui m’écoutez jusqu’au bout. J’ai déjà essayé de parler. Certains m’ont dit de me taire. Ou que j’inventais. Je sais que vous me croyez. » À partir de ce commentaire, j’ai reflété à Marguerite comment elle-même en premier avait cru en elle. Suffisamment pour trouver des stratagèmes pour échapper à ses agresseurs. Suffisamment pour croire qu’elle pouvait être aimée sainement par son mari. Suffisamment pour veiller à ce que ses propres filles ne soient pas victimes de cet héritage. Suffisamment pour compter sur ses forces intérieures alors qu’elle n’était ni défendue, ni entendue, ni crue. Marguerite était en fin de vie lorsque je l’ai rencontrée. Marguerite est décédée paisiblement. La parole qu’elle avait risquée dans l’espace qui lui avait été offert l’avait rebranchée avec elle-même avant de mourir.
Libérer la parole. Celle qui n’est pas crue, pour en faire ressortir la puissance…
Martin, un homme dans la cinquantaine, me racontait comment se passait son arrivée aux soins palliatifs. Quand je lui demandai comment il envisageait ce qui s’en venait pour lui, sa réponse fut un éclat de sanglots. Et un cri : « J’ai peur de mourir. Oui, j’ai peur de mourir. Je ne pensais jamais être capable de le dire : J’AI PEUR DE MOURIR! Je m’entends dire pour la première fois ce que je ressens depuis que je sais que je vais mourir : J’ai. Peur. De. Mourir. » Cette parole qu’il s’est permise, et par laquelle il a pu se situer en vérité, a transformé la suite : lui qui avait su habilement changer de masque selon les personnes et les situations pour se faire aimer, se montrait tel qu’il était. Fragile. Apeuré. Seul. Grâce au travail conjoint d’une collègue qui a pu continuer avec moi de l’accueillir dans ce processus, d’homme tétanisé par la peur, Martin est devenu acteur de sa fin de vie. Il n’a pas été capable de faire preuve de cette même ouverture devant ses proches cependant. Et sa décision de choisir l’aide médicale à mourir fut pour plusieurs une surprise. Cependant, pour une fois, il avait décidé de ce qui lui convenait en vérité : il n’avait plus à faire plaisir à l’un ou l’autre ou à jouer au fort comme si tout allait bien. La parole libérée et accueillie lui a permis de partir en paix avec lui-même.
Libérer la parole. Celle qu’on n’ose avouer, pour en recueillir les fruits…
Quel merveilleux travail! Quel privilège! <