Par Stéphane Rivest - 1 avril 2020
Selon une approche globale des soins, l’intervention en soins spirituels aide la personne dans le processus de soin. Cependant, l’évaluation de l’impact de la maladie chronique sur l’expérience spirituelle est une démarche complexe. Dans cet article, l’auteur propose un outil d’évaluation des besoins spirituels qui permet d’estimer dans quelle mesure la maladie affecte la personne
En plus d’évaluer les symptômes et l’impact psychosocial de la maladie sur le vécu de la personne, il est souhaitable de procéder à une évaluation de l’impact de la maladie sur l’expression de la spiritualité.
L’évaluation de l’impact de la maladie chronique sur une réalité aussi intangible que la spiritualité est une démarche subjective nécessitant des outils d’évaluation qui puissent repérer puis traduire la complexité de cette démarche clinique. Dans le modèle d’intervention en soins spirituels INSPIRE1 (Rivest, 2019) que nous avons développé, nous proposons un outil d’évaluation susceptible de faciliter l’évaluation initiale en soins spirituels. L’évaluation spirituelle de la personne atteinte d’une maladie chronique devrait faire partie d’une évaluation clinique globale (Puchalski, 2013). En plus d’évaluer les symptômes et l’impact psychosocial de la maladie sur le vécu de la personne, il est souhaitable de procéder à une évaluation de l’impact de la maladie sur l’expression de la spiritualité. Qu’il s’agisse de cancer, d’insuffisance rénale ou pulmonaire, de maladies neurologiques ou autres, il s’avère pertinent d’évaluer les besoins spirituels des personnes qui font face à un bouleversement existentiel et spirituel important en lien avec leur condition médicale chronique et symptomatique.
Le modèle INSPIRE
Le guide d’évaluation des besoins spirituels INSPIRE permet d’évaluer dans quelle mesure la maladie2 affecte chez la personne la perception de son intégrité, le sens de son existence, sa paix intérieure, son identité profonde, ses relations (intrapersonnel, interpersonnel et transpersonnel) ainsi que son espoir en l’avenir. L’évaluation des besoins spirituels de la personne résumés par l’acronyme INSPIRE ainsi que le contexte général de l’évaluation spirituelle (IMC : Individu, Maladie, Contexte particulier) permettront de déterminer l’intensité ou la nature de cet impact (négligeable, léger, modéré, sévère) et de convenir de l’intervention spirituelle appropriée (PIS : plan d’intervention spirituelle).
Le caractère intime de la spiritualité nécessite un respect et doit être abordé dans le cadre d’un lien thérapeutique ou la confiance favorise l’expression du vécu personnel.
Processus d’évaluation
Il est souhaitable que cette évaluation soit faite dans le cadre d’un ou plusieurs entretiens auprès de la personne chez qui l’on souhaite favoriser le bien-être spirituel et prévenir la détresse spirituelle. Dans le cadre de ces entretiens ou la mise en lumière du récit narratif (histoire personnelle) est favorisée, le soignant, tout en demeurant dans une présence attentive soutenue, aura également présent à l’esprit les différents besoins spirituels afin de cibler celui ou ceux qui, pour la personne, semblent représenter un enjeu existentiel important au moment présent. Il nous paraît important de préciser que les questions fermées qui portent explicitement sur les croyances sont à éviter. L’évaluation spirituelle n’est pas un interrogatoire sur les croyances et pratiques religieuses de la personne. Le caractère intime de la spiritualité nécessite un respect et doit être abordé dans le cadre d’un lien thérapeutique ou la confiance favorise l’expression du vécu personnel. Demander directement à une personne si elle croit ou non en Dieu met la personne qui doit répondre dans une situation délicate, surtout si l’évaluation est faite par un intervenant qui incarne, malgré lui, une forme d’autorité ou de référence morale. Cette évaluation permettra de déterminer dans quelle mesure la personne est affectée sur le plan spirituel par une situation clinique ou médicale particulière. Le tableau de l’impression clinique permet d’évaluer chacun des besoins spirituels à l’aide d’indicateurs de malaise spirituel. Le tableau de la page suivante s’inspire de plusieurs auteurs (Lazenby, 2018; Véloza et al., 2017; Potter et al., 2016; Villagomeza, 2005; Puchalski, 2013; Brunjes, 2010; Bigorio, 2008). Les impressions cliniques relatives à l’impact de la maladie (diagnostic, maladie, traitements, pronostic, hospitalisation, etc.) sur les composantes de la spiritualité (INSPIRE) sont donc une interprétation subjective de ces indicateurs à la lumière des facteurs que sont l’individu, la maladie et le contexte global (IMC) qui permettra de déterminer la nature de l’impact de la maladie chronique sur le bien-être spirituel
3.
Tableau 1. Lignes directrices pour l’évaluation des besoins spirituels Impressions cliniques de l’évaluation des besoins spirituels
Contextualisation de l’évaluation clinique
L’évaluation de l’impact de la maladie chronique sur l’expression de la spiritualité doit tenir compte de certains facteurs généraux plus larges en lien avec la personne, la maladie et le contexte particulier
Figure 1. Contextualisation de l’impact de la maladie chronique sur le bien-être spirituel
La maladie chronique
La nature de la maladie chronique, son stade d’évolution, les possibilités ou non de traitement, son caractère symptomatique sont autant de facteurs à prendre en compte dans l’évaluation. L’annonce d’un diagnostic avec un pronostic de quelques semaines n’aura peut-être pas le même impact qu’un pronostic de quelques années comme pour les personnes atteintes d’insuffisance cardiaque par exemple. L’annonce d’une maladie dégénérative, avec le déclin physique ou cognitif progressif inhérent à ce type de maladie peut avoir un impact différent de l’annonce d’une maladie plus fulgurante ou pour laquelle il existe davantage de ressources (comme le cancer). Une néoplasie du sein détectée au premier stade de son évolution n’aura pas le même impact que la même néoplasie détectée au stade métastatique ou terminal. Une néoplasie du pancréas étant donné son caractère agressif et fulgurant n’aura pas le même impact qu’une autre néoplasie pour laquelle les pronostics et les taux de survie sont plus favorables.
L’individu
L’individu lui-même, son histoire personnelle, son âge, sa culture, sa religion, son soutien familial, son réseau social, sa capacité de résilience, sa philosophie de vie, ses valeurs, ses problèmes de santé antérieurs sont autant de facteurs qui peuvent influencer l’impact de la maladie sur le bien-être spirituel. L’insuffisance cardiaque qui affecte une personne vivant depuis plusieurs années avec plusieurs autres comorbidités n’aura probablement pas le même impact que chez une personne qui n’a jamais eu d’autres problèmes de santé et qui n’a donc jamais eu à s’adapter à des limitations physiques en lien avec son autonomie fonctionnelle.
Le contexte global
Enfin, le contexte global de la maladie chronique aura également une influence déterminante. L’annonce d’un cancer à une personne dans la trentaine qui a de jeunes enfants n’aura probablement pas le même impact que la même annonce à une personne octogénaire. Une personne qui vient de prendre sa retraite et qui, pendant plusieurs années, avait travaillé fort pour accumuler de l’argent pourrait être davantage affectée par l’annonce d’un diagnostic qu’une personne qui vit seule depuis le décès de son partenaire de vie. Une personne qui a une existence difficile (pauvreté, violence, etc.) réagira peut-être différemment d’une personne fortunée qui a développé un attachement aux possessions rendues accessibles par sa condition socio-économique.
Il s’avère donc important d’évaluer les indicateurs relatifs aux besoins spirituels à la lumière de ces trois facteurs qui permettront de déterminer si l’impact de la maladie sur l’expression de la spiritualité est négligeable, léger, modéré ou sévère. Les indicateurs ainsi que les facteurs circonstanciels devraient permettre de voir dans quelle mesure la maladie chronique affecte la personne sur le plan spirituel et quels besoins spirituels devraient faire l’objet d’un plan d’intervention spirituel.
Puisque ces notes d’entretien servent principalement de moyen de communication avec le reste de l’équipe soignante, il s’avère important, selon nous, d’utiliser un vocabulaire compréhensible pour ceux et celles qui sont moins familiers avec le langage propre aux soins spirituels.
Impressions cliniques
L’évaluation des besoins spirituels grâce à la grille INSPIRE peut ensuite se traduire en impressions cliniques dans la note d’évaluation qui sera rédigée au dossier de l’usager. Puisque ces notes d’entretien servent principalement de moyen de communication avec le reste de l’équipe soignante, il s’avère important, selon nous, d’utiliser un vocabulaire compréhensible pour ceux et celles qui sont moins familiers avec le langage propre aux soins spirituels. Nous avons certes un champ de pratique spécifique, mais le vocabulaire employé pour l’exprimer doit tout de même être accessible et éclairant pour les autres professionnels de la santé. Un langage trop hermétique pourrait donner l’impression que nous intervenons en marge du reste des équipes soignantes plutôt que de concert avec elles. Nous proposons ainsi un canevas général de rédaction des impressions cliniques qui pourront ensuite être adaptées à chaque évaluation. Le canevas pourrait être libellé ainsi :
L’évaluation des besoins spirituels de l’usager (ou de ses proches, le cas échéant) nous permet de constater un impact (léger, modéré ou sévère5) de… (l’annonce du diagnostic, les traitements médicaux, l’hospitalisation, les symptômes, l’annonce d’un pronostic, etc.) sur… (précision du ou des besoins spirituels : intégrité, sens à l’existence, paix intérieure, identité profonde, relation/religieux, espoir).
Voici quelques exemples concrets d’impressions cliniques telles qu’elles pourraient être rédigées au dossier de l’usager :
- L’évaluation des besoins spirituels de l’usager nous permet de constater un impact sévère de l’annonce du diagnostic sur sa paix intérieure;
- L’évaluation des besoins spirituels de l’usager nous permet de constater un impact modéré de la perte d’autonomie associée à la maladie sur le sens que celui-ci donne à son existence;
- L’évaluation des besoins spirituels nous permet de constater un impact léger de l’hospitalisation et des symptômes persistants sur son identité profonde et son besoin de se relier à Dieu.
La suite de la note pourra faire mention du plan d’intervention en soins spirituels qui sera mis en œuvre afin de répondre aux besoins spirituels qui auront été identifiés par les impressions cliniques.
Dans le contexte d’une maladie chronique où la guérison s’avère impossible, il est important de garder en mémoire que les soins prodigués peuvent néanmoins contribuer à la guérison de la personne elle-même.
L’évaluation des besoins spirituels s’avère importante dans le cadre d’une approche globale de soins. Elle permet de bien identifier les enjeux qui feront l’objet d’une attention particulière de l’intervenant en soins spirituels. Dans le contexte d’une maladie chronique où la guérison s’avère impossible, il est important de garder en mémoire que les soins prodigués peuvent néanmoins contribuer à la guérison de la personne elle-même. En effet, tel que le souligne Egnew (2004) dans son étude qualitative sur le processus de guérison, celle-ci relève davantage de la restauration du sens de l’intégrité et de la capacité à donner un sens à la souffrance que de l’éradication de la pathologie. Les soins spirituels contribuent en ce sens à la guérison des personnes atteintes de maladies chroniques pour qui les besoins reliés à l’identité, à l’intégrité, au sens, à la paix, à l’espoir et aux relations prennent toute leur signification. <
Références
Bigorio (2008). Recommandations Soins Palliatifs et Soins Spirituels. Consensus pour la « best practice » en Suisse. http://www.palliative.ch/fileadmin/user_upload/palliative/fachwelt/E_Standards/E_12_1_bigorio_2008_Spiritualite.pdf
Bussing, A & Koenig, H (2010). « Spiritual Needs of Patients with Chronic Diseases », Religions, 1, 18-27.
Chabrol, H. (2005). « Les mécanismes de défense ». Recherche en soins infirmiers, 82,(3), 31-42. doi:10.3917/rsi.082.0031.
Chan, K. Y., Lau, V. W., Cheung, K. C., Chang, R. S., & Chan, M. L. (2016). “Reduction of psycho-spiritual distress of an elderly with advanced congestive heart failure by life review interview in a palliative care day center”. SAGE Open Medical Case Reports, 4,
Clark, C. C., & Hunter, J. (2018). «Spirituality, Spiritual Well-Being, and Spiritual Coping in Advanced Heart Failure : Review of the Literature”. Journal Of Holistic Nursing, Volume XX Number X, 1–18
Cowling, W. 3., Smith, M. C., & Watson, J. (2008). « The power of wholeness, consciousness, and caring a dialogue on nursing science, art, and healing ». Advances In Nursing Science, 31(1), E41-E51
Egnew, T. R. (2005). « The meaning of healing: transcending suffering ». Annals Of Family Medicine, 3(3), 255-262.
Frankl, Viktor (1975). The unconscious god, Simon & Schuster, New York, 159 p.
Gilot, Laura-Boggio (2000). « Psychological and Spiritual Roots of Transpersonal Psychology in Europe », International Journal of Transpersonal Studies, Vol. 19, issue 1.
K. Faull & Dr M. D. Hills. (2006) « The role of the spiritual dimension of the self as the prime determinant of health ». Disability and Rehabilitation, 28:11.
Lazenby, Mark. (2018). « Understanding and adressing the religious and spiritual needs of advanced cancer patients », Seminars in Oncology nursing, Vol 34, No 3 (August), pp 274-283.
Matos, T. D. de S., Meneguin, S., Ferreira, M. de L. da S., & Miot, H. A. (2017). « Quality of life and religious-spiritual coping in palliative cancer care patients ». Revista Latino-Americana De Enfermagem, 25, e2910.
MSSS (2015). « La loi de l’effet ». Publication du ministère de la Santé et des Services sociaux. http://publications.msss.gouv.qc.ca/msss/document-000271/
Puchalski, C. M. (2013). « Integrating spirituality into patient care : an essential element of person?centered care ». Polskie Archiwum Medycyny Wewnetrznej, 123(9), 491-497.
Rivest, Stéphane. (2019). « INSPIRE : un modèle d’intervention spirituelle destiné aux personnes en soins palliatifs », Bulletin de l’Association québécoise de soins palliatifs, vol. 27, no 2, p. 16-19.
Rustøen T, Cooper BA, Miaskowski C. (2010). « The importance of hope as a mediator of psychological distress and life satisfaction in a community sample of cancer patients ». Cancer Nursing, Jul-Aug;33(4):258-67.
Villagomeza, Liwliwa R. (2006) « Mending Broken Hearts The Role of Spirituality in Cardiac Illness: A Research Synthesis, 1991–2004 », Holistic nursing practice, july/august, 169-186
Notes
1 Acronyme de certains éléments constitutifs de la spiritualité de la personne qui, en temps de crise, peuvent se traduire en termes de besoins spirituels : Intégrité (Cowling, 2000), sens (Matos et al., 2017), paix (Monod et al., 2012), identité (Faull & Hills, 2006 ; Nolan & Mock, 2004), relation (Clark & Hunter, 2018), espoir (Olver, 2012).
2 L’impact sur l’expression de la spiritualité peut être relié à la maladie elle-même, mais également à l’annonce du diagnostic, aux traitements médicaux et pharmacologiques, à l’hospitalisation, à l’annonce d’un pronostic, etc. Les impressions cliniques devront en faire explicitement mention.
3 Nous utilisons ici les principes de la « loi de l’effet » (MSSS, 2015) qui en toxicomanie déterminent l’influence variable qu’aura une substance sur le consommateur en fonction des principes suivants : individu, substance, contexte. L’expérience clinique nous montre que de façon similaire, l’impact d’une maladie chronique sur le bien-être spirituel est influencé par l’individu, la nature de la maladie et le contexte dans lequel intervient la maladie.
4 L’identité profonde, le « moi » ontologique (dimension noétique, spirituelle) doit être distinguée du « moi » psychologique (émotions, pensées) et physique (identification au corps) : « Pour V. Frankl, la dimension noétique coïncide avec la dimension spirituelle de l’être humain; elle s’oppose au psychisme, en ce que ce dernier est le lieu de l’intelligence pratique... Plus spécifiquement, la dimension noétique correspond à la part de transcendance présente en chaque être humain » (Sarfati, 2015). À l’instar de Frankl, le psychiatre vénitien Roberto Assagioli distingue l’identité profonde, le « Soi », du psychisme et du corps à travers lesquels elle se manifeste : « Tout cela vaut à indiquer que le Soi existe dans une sphère de réalité différente, autre que celle ou passe le " flux " des phénomènes psychiques, et autre que celle de la vie organique; le Soi n’est pas affecté par elles, tandis qu’au contraire il peut modifier profondément nos conditions psychophysiques. » (Assagioli, 2011, p. 29).
5 Un impact léger peut correspondre à un bien-être spirituel, un impact modéré à un malaise spirituel et un impact sévère à une souffrance ou détresse spirituelle.
Stéphane Rivest, doctorant, est intervenant en soins spirituels au CIUSSSE de l’Estrie-CHUS. Il est aussi chargé de cours au Centre d’études du religieux contemporain de l’Université de Sherbrooke.