Par Clément Gagnon, intervenant en soins spirituels - 1er décembre 2020
CISSS de Chaudière-Appalaches
Au centre d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD) de Lévis, nous n’avons eu aucun décès lié à la pandémie lors de la première vague. Cependant, la majorité des personnes hébergées ont été victimes de la COVID-19 dans leur vie spirituelle.
D’importants repères de la vie courante ont disparu : cessation des activités de groupe, arrêt des célébrations liturgiques, des sorties, absence des bénévoles et des proches. Comment ne pas être bouleversé intérieurement?
Pour celles et ceux qui peuvent encore s’exprimer facilement, le téléphone a permis de garder le contact, mais il manquait la présence, le visage, le toucher et « l’être-ensemble ».
Pour les personnes souffrant de problèmes cognitifs sévères, la crise est encore plus grande. Certains pourraient penser : « ils n’ont plus de mémoire, ils ne s’en rendent pas compte. » Rien n’est plus faux. Sans les visages connus des bénévoles, des parents, des aidants naturels, c’est tout leur univers de sens qui disparaît : le sourire qui rassure; la présence de quelqu’un qui ne m’impose rien (toilette, pilules, etc.); l’absence des touchers gratuits apportant la douceur d’un amour qui n’a pas besoin de mots et de réflexion; plus de brossage de cheveux qui ont saveur de caresse; plus de main tenue longuement pour communiquer sans mots les sentiments du cœur; plus de rassemblement où la musique de nos jeunes années nous fait taper des mains et des pieds.
On parle souvent de capacités résiduelles à préserver, mais il y a aussi tout un univers spirituel de sens par la relation, le regard, le sourire. Ce sont là des capacités de « vie bonne » qu’on a dû sacrifier pour préserver la vie de ces personnes vulnérables. Que devient la vie sans l’amour d’un proche qui rassure et qui garde vivant en dedans?
Il y a bien eu Zoom après quelques semaines de réclusion. Les premières rencontres nous ont permis de voir des yeux s’éclairer de nouveau à la vue de visages connus à l’écran. Mais c’est un pis-aller insuffisant. Pour certains, l’intérêt est allé en s’amoindrissant. Lors de la reprise des visites réelles, plusieurs proches ont constaté une forte régression cognitive chez cet être aimé qu’ils ont dû apprivoiser à nouveau.
Comme intervenant en soins spirituels (ISS), même avec tout mon cœur, j’ai bien été obligé de constater que ma main aseptisée et gantée ne pouvait en rien suppléer à celle du fils ou de la fille. Le toucher garde toujours une réelle capacité de discernement de la qualité aimante de la relation. Il y avait mon regard, mais le sourire masqué coupe la communication. Petit à petit, des regards se sont embués, des sourires autrefois faciles se sont faits plus rares. La parole, même incohérente, s’est tue encore davantage.
En fermant l’accès aux aidants naturels, aux bénévoles et aux dames de compagnie, c’est une part importante de la vie spirituelle des personnes les plus faibles qu’on a mise en quarantaine.
Puissions-nous n’avoir à imposer à nouveau cet isolement qui tue le sens de la vie en coupant la relation signifiante à des personnes qui n’ont plus que cela pour se sentir vivantes et en sécurité.