Refaire le monde avec des livres jeunesse
Propos recueillis par Claudette Lambert
Depuis plusieurs années déjà, la popularité de Jacques Goldstyn auprès des enfants ne se dément pas. Au Salon du livre, ils font patiemment la file pour avoir une dédicace de celui qui a créé Beppo, la fameuse grenouille, mascotte du magazine Les Débrouillards. Auteur et illustrateur de bandes dessinées mettant en vedette Les Débrouillards ainsi que Van l’inventeur, il collabore également aux revues Quatre Temps, Québec oiseaux, et plusieurs autres. Ses œuvres lui ont valu de nombreux prix tels que le Prix du livre jeunesse des bibliothèques de Montréal à deux reprises, le Prix TD pour L’Arbragan en 2016 et pour Les étoiles en 2020. Ses histoires savoureuses et ses illustrations pleines d’humour, de finesse et de sensibilité séduisent les parents autant que les enfants.
Claudette Lambert : Vous avez troqué votre métier de géologue pour celui d’auteur jeunesse. Comment arrivez-vous à entrer dans l’imaginaire des enfants, à voir la vie à travers leurs yeux?
Jacques Goldstyn : À vrai dire, je ne pense pas vraiment aux enfants quand j’écris des histoires. Je me fais plaisir à moi-même, en me racontant des histoires comme quand j’étais petit. Quand tu es jeune et que tu découvres un livre, tu trouves ça magnifique. Par exemple Le Petit Prince qui t’emmène ailleurs, c’est une belle découverte et tu t’appropries le livre. Quand mes enfants étaient jeunes et que je prenais des livres à la bibliothèque, je les prenais souvent pour moi, pour me faire plaisir.
Les jeunes que vous rencontrez dans les écoles vivent dans un contexte multi confessionnel, multi ethnique. Percevez-vous les valeurs différentes que cette diversité entraîne?
J.G. : Je collabore avec un organisme qui s’appelle JAME (J’apprends avec mon enfant) qui a maintenant 25 ans. Basé à Verdun, il s’adresse à des enfants de différents quartiers et pas parmi les plus riches. Les jeunes sont accompagnés par des parrains qui leur font découvrir des livres. Les parents sont souvent de nouveaux arrivants, majoritairement venus d’Afrique, d’Amérique du Sud et des pays arabes. Quand je vois cette centaine d’enfants dans le quartier où j’ai grandi, j’ai l’impression d’être sur une autre planète. Ça ne ressemble pas au Verdun que j’ai connu. Même si ces enfants viennent de milieux différents, ils sont ancrés dans le Québec, ils aiment faire des bonshommes de neige, ils adorent le hockey. C’est sûr qu’ils sont liés à leur famille et à leurs coutumes, mais c’est avec leurs parents que j’arrive à en savoir plus sur leurs origines. Eux, ils sont dans le moment présent, passionnés par les gadgets électroniques, les héros sur Internet. Quand les boat-people vietnamiens arrivaient dans les années 70, leur différence était palpable, mais actuellement, il y a une espèce de brassage qui se fait, un universalisme. Les enfants sont interreliés par le monde de l’informatique et s’adaptent très vite.
Votre livre Les étoiles évoque l’amitié entre un petit juif et une musulmane. Quel a été le point de départ de cette histoire?
J.G. : Le point de départ, c’est le quartier Outremont à Montréal. Déjà, quand j’étais au CÉGEP et que j’allais voir des films de répertoire au cinéma Outremont, je trouvais ça fascinant de voir les gens de cette communauté, habillés de façon différente, très religieux et parlant une langue que nous ne comprenions pas. Ça a semé une petite graine et je me suis dit qu’il y avait quelque chose à faire là-dessus.
Dans votre histoire, ces deux enfants de religions différentes n’ont pas le droit de se fréquenter. C’est par l’amitié et leur passion commune des étoiles qu’ils arrivent à réaliser leur rêve. Quel beau matériel pour enseigner les sciences religieuses!
J.G. : Oui, c’est souvent les parents et les professeurs qui font découvrir ces livres aux enfants. Je ne mentionne nulle part les mots Islam ou Juif. Les dessins parlent d’eux-mêmes. Au fond, c’est l’histoire de Roméo et Juliette. On voit qu’ils appartiennent à deux mondes différents et les pères construisent un mur entre les maisons pour que les enfants ne se fréquentent pas. J’ai tenté de me mettre dans la peau de ce petit garçon. Dans mon histoire, son destin est tracé, il va devenir épicier comme son père, il est embrigadé dans sa religion. Sa quête, c’est comme un cri de révolte. Il découvre quelque chose de plus grand: l’espace. Il veut devenir astronaute et découvrir le monde alors que toutes les balises sont déjà bien établies dans sa religion. Aïcha, sa petite voisine, est voilée, très traditionnelle, mais elle est plus savante que lui. Elle aime les galaxies, l’espace interplanétaire. Chez les Arabes, l’astronomie, les mathématiques et la médecine sont très importantes. J’ai voulu faire un petit clin d’œil à ce caractère-là.
Avez-vous présenté Les étoiles dans des écoles juives?
J.G. : Oui, j’ai été invité dans deux écoles juives hassidiques. J’étais intrigué, je voulais savoir comment ils fonctionnaient. Je sais qu’ils ont des cours de religion et je m’attendais à vivre une expérience exotique. Mais j’ai été déçu. Je les voyais avec leurs chandails du Canadien... Bien sûr les jeunes respectent les coutumes, les traditions, la nourriture… Les personnes âgées ont développé une spiritualité, mais chez les enfants, la spiritualité n’est pas là. Un jour, en voyant passer un juif hassidique avec son gros chapeau de fourrure, ma nièce qui habite dans le Mile-End me dit: « Oui, il y en a beaucoup dans le quartier, ils ont des coutumes différentes ». Elle a parlé de coutumes et non de religion. Les jeunes n’ont pas de notion de religion. Peut-être que mon livre peut servir de bougie d’allumage pour faire connaître cette communauté.
Ce livre a aussi été l’occasion d’une démarche personnelle.
J.G. : J’ai commencé à lire là-dessus et en même temps, j’ai redécouvert mes racines juives. Ma mère est bretonne, mais mon père est juif par ses parents. Mon grand-père était juif polonais, immigré en France. Quand j’étais jeune, ça ne m’intéressait pas vraiment de parler de mes origines. Je voulais absolument être québécois et quand on me posait des questions sur mon nom, Goldstyn, je coupais court en disant que j’étais polonais. Le temps a passé, j’ai posé des questions à mon père pour savoir par quels chemins sont passés mes grands-parents, à quoi ils ont échappé, comment ils ont survécu à la guerre… Donc le quartier Outremont éveillait déjà quelque chose en moi. Je voyais ces gens comme des extra-terrestres qui vivent dans une bulle en plein centre de Montréal, dans un des plus beaux quartiers. Quand j’étais en vélo, je m’arrêtais souvent pour leur parler, je leur posais des questions sur les étoiles, les planètes, comment ils voyaient l’astronomie. Ils me répondaient que c’était Dieu qui avait fait tout ça, pour notre plus grand bonheur, pour la beauté des choses.
Par ailleurs, mes amis musulmans avaient des histoires pas possibles à me raconter sur les étoiles et les planètes. Les étoiles filantes, disaient-ils, c’est Allah qui est tranquille dans son coin en train de faire ses affaires et quand des gens malfaisants viennent le déranger, il lâche un juron, qui à chaque fois, se transforme en étoile filante qui passe dans le ciel. Oui, oui! disaient-ils, c’est écrit dans le Coran. Ils racontent aussi que la lune est à 500 années de marche en chameau. Selon leur calcul, la lune devrait être bien plus loin qu’elle l’est en réalité. Et ça aussi c’est écrit dans le Coran! Mon livre a muri pendant 25 ans. Je cherchais une bonne façon de terminer l’histoire.
Mais ici au Québec, vous avez grandi dans la religion catholique.
J.G. : Quand j’étais jeune, j’étais très religieux, je voulais même devenir curé! Peut-être pour me faire bien voir de mes supérieurs… J’étais bon dans les sciences religieuses, le petit catéchisme. À l’église, je lisais la Bible et j’étais enfant de chœur. La spiritualité m’a toujours fasciné! À l’époque, les églises étaient ouvertes tout le temps et je me souviens y être entré très souvent pour y trouver un lieu de silence. Les églises sont belles, elles sont riches d’histoire, elles nous font faire un voyage dans le temps. Les vitraux racontent des tas d’histoires sur différents personnages. C’est magique!
Comment avez-vous eu l’idée d’expliquer les sacres québécois aux enfants? Il fallait être très audacieux pour intituler un livre jeunesse Le petit Tabarnak.
J.G. : C’est le premier livre que j’ai proposé aux éditions de La Pastèque. Je suis venu très tard à l’écriture des contes, j’avais 55 ans la première fois. Quand je leur ai proposé ce livre, ils m’ont dit qu’il n’entrerait probablement jamais dans les écoles. Ça m’était égal, c’était une histoire que j’avais envie de raconter. Et curieusement, j’ai été invité dans de très nombreuses écoles pour en parler.
Quand j’étais petit, tous mes amis sacraient à tire-larigot. Je me disais que moi je n’allais jamais sacrer, c’est trop horrible. Au moins à l’époque on savait ce qu’était un ciboire, un calice, une hostie, mais aujourd’hui pour les jeunes ça ne veut plus rien dire. Un jour, je vois mes neveux de dix ou onze ans se chicaner et je les entends sacrer. Je leur demande s’ils savent ce qu’ils viennent de dire. Ils n’en ont aucune idée, car ils n’ont jamais mis les pieds dans une église, même s’ils ont été baptisés. Alors mon idée a germé. Chacun des enfants de mon histoire a une interprétation différente du mot tabarnak qu’ils ont souvent entendu prononcer par les adultes. Jusqu’au moment où par hasard le curé les entend discuter. Il les invite à entrer dans l’église et là ils vont découvrir que le tabernacle, ce n’est pas un monstre, ni une maladie mortelle, encore moins le nom d’un dictateur.
Les enfants n’ont pas de cours de religion et la plupart des parents ne transmettent pas les notions religieuses. Les professeurs qui m’ont invité m’ont dit qu’ils parlaient de religion dans les cours d’histoire, que partout on voit des clochers et des signes de la symbolique religieuse, mais que les enfants ne comprennent pas trop le sens de tout cela. Dans les écoles de certains quartiers, plus de 50% des élèves ne viennent pas du Québec. Pourtant, ils parlent avec un accent d’ici et connaissent tous les jurons québécois. Mon histoire Le Petit Tabarnak les fait rigoler, certains rougissent un peu, car pour une fois ils ont le droit de prononcer un gros mot à l’école. Puis ils se mettent à réfléchir et ensuite nous avons de bonnes discussions.
Les parents n’ont pas trop mal réagi à ce livre?
J.G. : Non pas trop, sauf une bibliothécaire qui m’a dit: « Ce livre n’entrera jamais dans mon école! » J’ai tenté de l’amener sur le terrain de la sociologie, de l’anthropologie, mais sans succès.
Jules et Jim, frères d’armes raconte l’histoire de deux garçons qui ont une passion pour les armes. Vos deux grands-pères ont fait la guerre de 14-18, je pense.
J.G. : Mon grand-père maternel était breton. Il a fait son service militaire et a d’abord été dans la cavalerie pour ensuite passer toute la guerre dans les tranchées. C’était un tireur d’élite et il a fait les quatre années de guerre. Un jour, et je le cite dans mon livre, ma mère qui avait huit ans lui a demandé combien d’Allemands il avait tués. Mon grand-père, d’habitude très doux, lui a répondu d’un air sévère: « Ne me pose plus jamais cette question. » Il se savait chanceux de ne pas avoir été blessé à la guerre. Cependant, il y a parfois des blessures qui sont invisibles… Mon autre grand-père était plus jeune. Il était polonais, il va se sauver. Après tant de souffrance, on se demande comment il peut y avoir une autre guerre!
Jules et Jim sont amis depuis l’enfance, ils sont nés à deux minutes d’intervalle, mais ils sont différents et le plus costaud des deux connaîtra une fin tragique.
J.G. : Je connaissais l’histoire du soldat canadien George Lawrence Price, tué en 1918, deux minutes avant l’armistice. L’entente était déjà signée entre les parties en guerre, mais ils avaient convenu d’arrêter les combats le 11 du 11e mois à 11 heures. Est-ce une coquetterie de l’histoire que d’avoir choisi cette date? Le dernier soldat des alliés a été abattu deux minutes avant l’entrée en vigueur de l’armistice. Quand on va dans les classes, ce n’est pas toujours évident de parler de la guerre aux enfants, il faut choisir ses mots. Quand j’avais huit ou neuf ans, j’adorais jouer à la guerre! Les armes, les mitraillettes, c’était le plus beau cadeau qu’on pouvait m’offrir! Je rampais dans la ruelle, on prenait des roches qu’on lançait comme si c’était des grenades. Pourtant, je suis devenu antimilitariste. Un jour, tu réalises que tu peux te faire très mal à ce jeu-là…
Sur un autre ton, vous parlez également de guerre à travers Azadah, l’histoire d’une petite fille afghane. Avec cet album, vous avez d’ailleurs remporté le Prix du Gouverneur général en 2017 pour les livres jeunesse illustrés.
J.G. : Ce livre est né d’une nouvelle que j’ai lue concernant l’histoire d‘une photographe allemande exceptionnelle, Anja Niedringhaus, assassinée en 2014. À 17 ans elle est sur le mur de Berlin et ses photos vont la rendre célèbre. Elle décide ensuite d’aller dans des zones de combats, en Irak, en Bosnie, en Afghanistan. Elle ne fait pas de photos de guerre à la Robert Capa, elle va plutôt côtoyer des gens dans les camps de réfugiés et va établir une complicité avec les femmes qui ont des enfants. Il y a des périodes d’accalmie, le front se déplace, elle vit alors au milieu de ces gens qui entendent le bruit du canon au loin. Ils se réorganisent, il faut faire à manger, faire la lessive, s’occuper des enfants, faire l’école. Ses photos sont magnifiques! Alors qu'elle couvrait l’élection présidentielle en 2014, elle a été assassinée par un commandant de police qui a ouvert le feu sur elle et sa compagne pendant qu’elles attendaient dans une voiture à un poste de contrôle.
J’ai imaginé une histoire d’amitié entre elle et une petite fille afghane. Dans mon histoire, la photographe ne meurt pas, elle retourne chez elle et Azadah la supplie de l’amener avec elle, car elle veut quitter ce pays où elle est condamnée à l’ignorance et à la servilité. Elle sait qu’elle va faire des paniers et des tapis pendant des années, alors qu’elle veut aller à l’école, découvrir le monde, voir des films, visiter des musées… Elle veut apprendre un métier et, pourquoi pas, devenir photographe comme Anja. Elle a soif de liberté. En partant, Anja lui donne son sac à dos et dans ce sac, il y a des moyens pour s’évader.
Quel message souhaitez-vous transmettre à travers la quête d’Azadah?
J.G. : C’est un conte, une fable, je ne nomme pas le pays, mais j’essaie d’expliquer aux enfants les malheurs de la guerre et leurs terribles effets secondaires. Au-delà du fait que j’aime écrire des histoires, j’ai beaucoup d’empathie pour certaines situations qui m’empêchent de dormir la nuit. Ici, nous avons accès à tous les livres, nous pouvons choisir un métier. Je suis nourri, logé, soigné pour la moindre écharde, je peux faire ce que je veux dans la vie, je n’ai aucune pression ni de censure. Je veux expliquer aux enfants le bonheur de vivre ici. Ouvrez les yeux et profitez de ce que vous avez et peut-être qu’un jour vous allez réaliser la chance inouïe que vous avez!
Votre album Le prisonnier sans frontières est-il en lien avec votre engagement auprès d’Amnistie internationale?
J.G. : Je collabore avec eux depuis une quinzaine d’années. Je participe aux marathons d’écriture et je fais des dessins pour leurs différents bulletins. De savoir qu’il y a des gens qui vivent des situations comme celle de Raif Badawi me trouble beaucoup. J’ai d‘ailleurs rencontré son épouse et ses enfants. Il achève ses dix ans de prison et on espère qu’il pourra s’en sortir bientôt. J’ai lu ses écrits et c‘est quelqu’un qui fait très attention à ses propos en réclamant l’amélioration de la condition des femmes et des marginaux. Amnistie internationale et les éditions Bayard ont d’emblée accepté mon projet de livre. C’est l’histoire d’un père qui se fait emprisonner. Il désespère, mais il parvient à envoyer un message et plein de gens à travers le monde lui répondront. C’est justement ça le marathon d’écriture. Une fois par année, l’organisme identifie une vingtaine de personnes privées de leur liberté, des militants, des professionnels, des artistes, des politiciens, à qui on peut écrire ou envoyer un dessin.
Le sentiment d’injustice vient vraiment toucher les jeunes. Ce n’est peut-être pas le livre qu’un enfant choisira spontanément, ce n’est pas Spirou ni Tintin, et généralement, ce sont les adultes qui le lui font découvrir. Dans des classes, de la première année jusqu’à la sixième année, j’ai été étonné de constater qu’on parlait de mon livre et du marathon d’écriture. Les professeurs font un travail en amont et les enfants sont touchés en s'imaginant que dans certains pays, une maman ou un papa peut être emprisonné pour ses idées. Simplement parce qu’il s’est opposé à telle idée ou à telle loi, la justice peut l’envoyer en prison. Certains enfants ont fui un pays où il n’y avait pas de liberté, donc ils comprennent ça tout de suite.
C’est un livre sans paroles, toute la place est laissée aux dessins. De quelle façon travaillez-vous?
J.G. : Avec les années, mon style s'est beaucoup simplifié. Je dessine les objets ou les personnages avec une économie de traits. Le dessin ne doit pas écraser le propos et nous faire oublier l'histoire. Il est là pour accompagner le texte. Je préfère suggérer que de dessiner lourdement. Je dirais modestement que je parviens à dessiner à peu près tout ce qui apparaît dans ma tête. En général, ça sort d'un trait, comme si j'imprimais ce qui apparaît dans mon cerveau. Je fais d’abord un croquis préliminaire, une esquisse très spontanée et en moins de cinq minutes, j'ai un résultat. Une fois mon histoire réalisée en croquis, je peux alors commencer à dessiner mes finaux. Je travaille dans le silence, parfois en écoutant de la musique. Quand je dessine, je ne vois pas le temps passer. C’est une forme d’évasion, de recueillement. C’est un véritable bien-être!
Les jeunes sont chargés de rêves, de doutes et de désirs, mais ils se posent aussi beaucoup de questions. Comment percevez-vous leur quête intérieure de sens et de cohérence?
J.G. : Les jeunes sont épargnés de bien des difficultés; ils vivent dans un monde un peu idyllique. Ils ont des notions de justice, ils commencent à distinguer le bien et le mal, à comprendre la faim et la misère. Il y a une forme de pureté chez les jeunes. Mettez ensemble un juif et un musulman et ils vont fraterniser. Ils n’ont pas encore été contaminés par tous les dogmes. C’est terrible à dire, mais d’une part il faut connaître l’histoire et d’autre part, en connaissant l’histoire, il se développera des rancœurs, des sentiments de vengeance.
Pensez-vous que ces albums jeunesse peuvent les aider à se fabriquer une conscience sociale, une épine dorsale?
J.G. : Les professeurs sont contents d’avoir ces livres, car ils ne savent pas par quel bout de la lorgnette aborder certaines questions avec les jeunes, comme la guerre, l’oppression, l’injustice. Si ces livres peuvent leur ouvrir une porte, leur apprendre qu’ils peuvent fraterniser avec l’ennemi, les aider à développer un sens humanitaire et découvrir certains aspects de notre vie en société, tant mieux!
Les valeurs que nous découvrons dans les livres jeunesse s’incrustent profondément en nous, elles nous forment à notre insu. Vous ne regrettez pas votre métier de géologue?
J.G. : Non, mais je continue à ramasser des roches et je les dispose maintenant dans mon environnement. Moi je sais d’où elles viennent…