Par Serge Turcotte – 1er décembre 2022
L’auteur met en évidence la place des outils numériques dans notre vie sociale et professionnelle depuis maintenant plusieurs décennies et propose différentes stratégies pour s’y adapter et les utiliser de manière optimale. Il invite les lecteurs à faire des choix judicieux face à ces différentes technologies.
Est-ce utile de se rappeler jusqu’à quel point les occasions d’utiliser les outils technologiques pour communiquer avec nos parents, nos amis, nos collègues de travail, nos patrons, nos clients, nos fournisseurs, etc. sont nombreuses et ponctuent notre quotidien? Ces nouveaux modes de communication sont présents dans nos vies professionnelles et sociales depuis maintenant plusieurs décennies et les dernières années vécues sous le signe de la pandémie ont accentué cette tendance. Confinement oblige, nous avons dû nous tourner vers d’autres moyens pour communiquer à distance afin de maintenir un minimum de contact avec notre entourage. Moins de présentiel et plus de virtuel grâce aux outils numériques. Qu’en est-il alors de la qualité de nos échanges, de nos communications, de nos relations humaines en utilisant ces outils de communication?
Les membres du comité de rédaction de la revue Spiritualitésanté m’ont approché pour que je vous partage ma réflexion basée sur mon vécu des dernières années ayant eu à m’ajuster au mode numérique avec, dois-je m’en confesser, sans grand enthousiasme! J’étais convaincu que nos relations interpersonnelles sans le contact réel et en présence en paieraient le prix à coup sûr. L’utilisation du numérique s’est installée au fil des ans, tantôt insidieusement, tantôt ouvertement, pour être maintenant monnaie courante dans nos échanges. Dans le cadre de cet article, je vous propose de réfléchir sur cette place importante du numérique dans nos vies.
La place du numérique dans nos relations humaines
Déjà tous ces outils de communication nous permettaient d’accomplir un bon nombre d’actions de la vie quotidienne en réduisant nos obligations d’échanges au minimum. Aujourd’hui, il est possible de vivre toute une journée sans avoir de contacts avec d’autres humains…pensons aux commandes en ligne, aux transactions bancaires, aux réservations de tous ordres, à la recherche d’informations sur les services gouvernementaux, aux prises de rendez-vous, etc. Parler à un humain, bien que pouvant être agréable, n’est probablement plus indispensable pour fonctionner en société et s’acquitter de ses obligations. Même si cela est possible, on peut se demander si cela est souhaitable. Comment pouvons-nous remplacer ces contacts humains, aussi minimes soient-ils, pour demeurer un citoyen en communication avec les autres et nous sentir comme faisant partie d’une communauté et par le fait même, moins isolés?
L’utilisation de ces technologies, dont internet, est toujours l’objet d’une constante polémique en regard de son impact sur les relations humaines et la qualité de la communication. La littérature illustre cette polémique en décrivant principalement deux courants dominants : un courant optimiste et un courant pessimiste. Le courant optimiste soutient que l’utilisation de ces technologies et la promotion de la cyberculture favorisent l’unification de l’humanité et en conséquence l’avènement d’un monde meilleur. Il y aurait donc un rehaussement de la qualité de vie parce que la société « en réseau » réduira les déplacements liés aux accomplissements des fonctions quotidiennes et donc que l’on consacrera davantage de temps aux loisirs et aux relations sociales. Ce courant optimiste propulse à vitesse grand V l’utilisation de ces technologies.
En contrepartie, le courant pessimiste affirme que l’usage de ces technologies et d’internet constitue une menace pour le lien social. Ce discours met en évidence que la communication humaine, médiatisée par l’ordinateur, est transformée par des pratiques pernicieuses telles que la séparation physique et la fin de la rencontre directe, produisant davantage l’isolement social. Aussi, même si nous sommes tous de plus en plus connectés et branchés, même si nous avons plusieurs amis virtuels (qui remontent aussi loin que le Tamagotchi, cet animal de compagnie virtuel japonais créé en 1996), même si nous avons l’aide des systèmes experts et des robots, il est bien possible que nous soyons – que nous nous sentions – de plus en plus seuls. En ce sens, l’utilisation de ces outils règle peu en regard du maintien et de l’amélioration de nos liens sociaux. Ce courant pessimiste fait émerger chez plusieurs des résistances qu’il faut « écouter » et interpréter.
Les travaux de l’anthropologue et psychologue Sherry Turkle mettent bien en évidence ce paradoxe dans son ouvrage Seuls ensemble. Selon cette auteure, les nouvelles technologies redessinent le paysage de nos vies affectives et de notre intimité. Elle a constaté que l’ultra-connectivité s’accompagne de comportements compulsifs qui mettent en péril les bienfaits d’une certaine solitude, nécessaire à la construction de soi. Ses enquêtes sur les adolescents révèlent leur dépendance accrue aux téléphones intelligents et leur tendance à préférer des interactions médiatisées à celles vécues en tête à tête considérées comme étant trop risquées et trop exigeantes, d’où le concept « seuls ensemble ». Quoi penser alors des nouveaux concepts tels que la mobidépendance qui correspond au fait que quelqu'un ne peut se passer de son téléphone portable et éprouve une peur excessive à l'idée d'en être séparé ou de ne pouvoir s'en servir? Nous connaissons tous assurément des personnes aux prises avec ce phénomène. Comment ne pas résister à cette utilisation de la technologie? Pouvons-nous nous refuser à être dépendants de ces technologies? Timidement, il existe de plus en plus un courant de déconnexion qui consiste par exemple à quelques jours sans réunions virtuelles, quelques heures sans l’envoi de courrier électronique, etc.
Il aurait été sûrement intéressant de fouiller cette question davantage. Cependant, force est de constater la place que prend ces technologies dans le vécu des personnes aux différentes étapes de leur vie et des conséquences inévitables sur leurs façons de vivre leurs relations humaines, leurs intimités et leurs rapports avec autrui tant sur le plan personnel que professionnel. Comment, tout en étant à la fois utilisateur et observateur, ne pas afficher certaines résistances, certaines réserves face à ce courant qui prend de plus en plus d’ampleur?
Ceci dit, nous devons admettre que le monde du numérique et les nouvelles technologies qui l’accompagnent sont là pour de bon avec leur lot d’avantages et d’inconvénients. Alors que nous sommes aux prises avec une pandémie qui oblige périodiquement les humains à se confiner et réduire leurs contacts au minimum, ces nouvelles technologies numériques bien qu’imparfaites sur le plan des relations humaines nous ont été bien utiles dans les dernières années. Un apéro virtuel n’est pas ce qu’il y a de mieux, un souper d’anniversaire à distance n’est peut-être pas ce que nous aurions souhaité, une rencontre d’équipe de travail avec tous ses membres dispersés aux quatre coins de la ville n’est probablement pas l’idéal. Cependant, tout cela a été rendu possible grâce à toutes ces technologies que le contexte nous a obligés à maitriser de plus en plus et à nous familiariser avec leur utilisation pour le mieux.
La pandémie nous aura permis d’accélérer la vitesse d’intégration de tous ces nouveaux moyens. Pensons aux premières utilisations d’une caméra lors d’une rencontre d’équipe à distance, où les difficultés de branchement, de cadrage, de son, d’ajustements nous faisaient parfois abandonner un peu trop rapidement l’idée, au grand contentement de certains, dont moi. La pandémie nous a obligés à plus de persévérance dans ces apprentissages si nous voulions survivre et profiter du télétravail. Pour plusieurs personnes et plusieurs services, le numérique avec ses possibilités de réaliser du travail à distance aura permis de maintenir les emplois et de rendre encore possible, malgré le contexte, la prestation de services et la solution de problèmes. Lorsque la pandémie sera dissipée, il est assuré que ces pratiques à distance avec ces outils technologiques continueront de se développer.
Selon une étude de Statistique Canada, au début de 2021, les trois quarts des Canadiens ont déclaré qu’ils menaient des activités en ligne plus fréquemment qu’auparavant, utilisant internet pour maintenir le contact avec leur famille et leurs amis, accéder aux divertissements, acheter de la nourriture et des biens, accéder aux services gouvernementaux et faire du télétravail. Près de la moitié d’entre eux faisaient au moins une de ces activités en ligne pour la première fois. Preuve que la pandémie a encouragé ce type de changements.
Au risque de me répéter, le numérique est là pour rester avec les avantages et les constants ajustements à faire pour une utilisation optimale. Un enjeu crucial de cette utilisation est de maintenir ou de créer des relations humaines vraies et authentiques et une communication harmonieuse entre les utilisateurs. Les rencontres virtuelles représentent quelques défis que l’on peut sans doute mieux maîtriser en portant attention à certains éléments et en étant conscients de certaines précautions à prendre. Il faut se donner des moyens pour réussir cette adaptation et en tout premier lieu admettre que ce ne sera pas une mince tâche pour tous.
En délaissant les rencontres en présentiel, nous devrons travailler à perfectionner le mode virtuel non seulement sous l’angle technique, mais également en regard de la participation des personnes présentes et des habiletés des animateurs. Tous admettront que c’est bien différent de participer à une rencontre en présence des autres participants que d’y participer à partir de son écran d’ordinateur.
Qu’arrive-t-il avec la spontanéité lors d’une rencontre virtuelle? Plusieurs plates-formes requièrent que les participants ferment leur micro si ce n’est pas leur tour d’intervenir et offrent l’option de lever la main. À ce titre, la rencontre en présentiel laisse place davantage à la spontanéité et permet peut-être aux participants de développer un lien entre eux qui servira positivement à l’accomplissement de la tâche. En mode virtuel, il est impossible de jaser sur le pas de la porte en arrivant ou en quittant la rencontre contrairement au mode présentiel. Pourtant, ces moments peuvent être très prometteurs pour la suite de leur engagement et de leur motivation à contribuer à la réalisation de la tâche et au climat du groupe.
S'interroger sur la pertinence d’une rencontre est en tout premier lieu une bonne pratique à adopter autant pour une séance en présentiel qu’en mode virtuel. Faites le sondage auprès de vos collègues, ils vous diront que plusieurs réunions ou rencontres auxquelles ils ont participé dans leur parcours professionnel n’ont servi (quasiment) à rien. Vous souvenez-vous à quand remonte la dernière réunion lors de laquelle vous avez contribué à une prise de décision importante?
Faut-il se demander si l’organisation d’une rencontre est toujours indiquée et nécessaire dans nos différents contextes? Y a-t-il d’autres moyens à privilégier pour atteindre l’objectif que je poursuis sans nécessairement devoir convoquer des personnes à une rencontre?
J’ai souhaité dans le présent texte mettre en lumière la place grandissante du numérique dans nos vies et ses impacts sur nos relations humaines.
L’utilisation judicieuse de tous ces moyens numériques et virtuels doit de prime abord faire l’objet d’un choix réfléchi à chaque occasion que nous avons à transiger avec des personnes. Restons conscients que les outils numériques sont des possibilités qui s’ajoutent, sans éclipser les autres moyens à l’allure moins modernes et parfois moins pratiques mais toujours utiles, à nos communications et à nos relations humaines. Quel moyen se prête le mieux à l’activité que je projette pour atteindre les objectifs que je poursuis tout en étant préoccupé en faveur de relations humaines de qualité?
Références
Garneau, Stéphane, Survivre au XXIe siècle – Rester humain à l’heure du numérique, Éditions de l’Homme, Montréal, 2019, 206 pages.
Turkle, Sherry, Seuls ensemble, de plus en plus de technologies de moins en moins de relations humaines, traduit de l’anglais par Claire Richard, Éditions l’Échappée, Paris, 2015, 523 pages.
Wavrock, David, L’utilisation d’internet et des technologies numériques par les Canadiens avant et pendant la pandémie COVID-19, Statistique Canada, Résumé, https://doi.org/10.253.18/36280001202200400004-eng, 2022
Serge Turcotte est maître en service social et en administration publique. Maintenant retraité, il a été gestionnaire d’organismes communautaires en santé mentale et par la suite gestionnaire au CHU de Québec – Université Laval, principalement comme adjoint à la Direction des services multidisciplinaires. M. Turcotte a aussi été chargé de cours à l’École de service social de l’Université Laval pendant près de vingt-cinq ans et membre du Conseil d’administration de l’Ordre des travailleurs sociaux du Québec pendant une douzaine d’années.