Démystifier l’obésité pour en finir avec les préjugés

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Par Andréanne Michaud et Sylvain Iceta - 1 avril 2020

Pour prendre en charge l’obésité et améliorer la santé globale, l’auteure affirme qu’il ne s’agit pas essentiellement de viser la perte de poids. Selon elle, l’obésité est une maladie multifactorielle et hétérogène et les stratégies de gestion doivent correspondre à la complexité de cette réalité. Il faut surmonter les préjugés liés à l’obésité, viser le bien-être de la personne et effectuer des changements au niveau des habitudes de vie.

 

Quelques statistiques sur l’obésité au Canada

Selon les plus récentes données de l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes, la prévalence de l’obésité chez l’adulte a augmenté au cours de la dernière décennie. En 2004, les données canadiennes montraient que la proportion d’adultes atteints d’obésité était de 23,1 %, alors qu’en 2015 celle-ci s’élevait à 26,7 %. Au cours de cette même période, la proportion d’enfants (âgés de 5 à 17 ans) atteints d’obésité est passée de 13,3 % à 12 %. Bien que cette légère amélioration de la prévalence de l’obésité chez l’enfant soit relativement encourageante, le nombre d’individus atteints par cette condition demeure très élevé et constitue toujours un enjeu majeur sur les plans scientifique, clinique et économique. Considérant que l’obésité est associée à une augmentation du risque de maladies métaboliques, psychologiques et musculosquelettiques, plusieurs experts dans le domaine considèrent maintenant cette condition comme l’un des problèmes de santé publique les plus importants de notre société.
 

Conséquences de l’obésité sur la santé physique et psychologique

L’obésité se définit comme une accumulation excessive de tissus adipeux qui peut engendrer un risque pour la santé. Il existe plusieurs méthodes pour quantifier ou estimer le niveau d’obésité. L’indice de masse corporelle (IMC), qui se calcule en divisant le poids en kilogrammes par la taille en mètres élevée au carré (kg/m2), est utilisé dans des études populationnelles afin de mesurer la prévalence de l’obésité. L’IMC est également fréquemment utilisé en contexte clinique pour estimer l’adiposité corporelle. Selon les lignes directrices de l’Organisation mondiale de la santé, l’obésité se définit par un IMC ≥ 30 kg/m2. Plusieurs études ont démontré que la relation entre l’IMC et le risque relatif de mortalité totale suit une courbe en « J », c’est-à-dire que le risque de mortalité augmente avec un poids insuffisant et avec un poids élevé alors qu’il est plus faible avec un poids dit « normal ». Ce paradoxe de l’obésité s’explique, entre autres, par le fait que l’IMC est un indicateur incomplet pour évaluer le niveau de risque pour la santé d’un individu puisqu’il ne renseigne pas sur la distribution des graisses et la composition corporelle. 

Il est maintenant largement documenté qu’une accumulation excessive de tissus adipeux au niveau de l’abdomen est plus fortement associée aux complications métaboliques de l’obésité, telles que le diabète de type 2, l’hypertension, les dyslipidémies, les maladies du foie, les maladies cardiovasculaires et certaines formes de cancer, comparativement à une accumulation excessive de tissu adipeux au niveau des hanches et des cuisses. Ainsi, une accumulation excessive de graisse au niveau de la cavité abdominale représente un élément essentiel à prendre en considération pour l’évaluation du risque pour la santé. Il est important de souligner qu’il existe une très grande variabilité individuelle en ce qui concerne l’accumulation du tissu adipeux au niveau abdominal, ce qui peut expliquer la susceptibilité de certaines personnes à développer des complications métaboliques. En d’autres termes, tous les individus atteints d’obésité ne deviennent pas nécessairement diabétiques. L’obésité est donc une condition très hétérogène dans la manifestation de ses complications. Afin d’estimer l’obésité abdominale en clinique et d’évaluer le risque de développer des complications métaboliques, il est davantage pertinent de mesurer le tour de taille, plutôt que l’IMC. Selon Santé Canada, un tour de taille de ≥ 102 cm chez l’homme et ≥ 88 cm chez la femme est associé à un risque accru de complications métaboliques. Plus récemment, la Fédération internationale du diabète (FID) a revu à la baisse les valeurs seuils du tour de taille en fonction des groupes ethniques (Alberti et al. 2005). À titre d’exemple, chez les Caucasiens, la FID suggère de viser un tour de taille de ≥ 94 cm chez l’homme et ≥ 80 cm chez la femme. De manière intéressante, une étude récente de l’Institut national de santé publique du Québec a révélé que la proportion des adultes québécois ayant un tour de taille élevé a drastiquement augmenté au cours des deux dernières décennies, passant de 21 % à 48 % chez les femmes et de 14 % à 32 % chez les hommes (Arsenault, 2019). Cette situation est préoccupante, surtout que l’augmentation de la prévalence de l’obésité abdominale semble être plus importante chez les jeunes adultes, suggérant que le risque de développer des maladies chroniques pourrait apparaître plus rapidement. 

En plus des problèmes liés à la santé physique, l’obésité peut être associée à de nombreux problèmes de santé mentale, tels que la dépression, l’anxiété, la diminution de l’estime de soi, une image corporelle négative, des idées suicidaires et des troubles alimentaires. Les personnes atteintes d’obésité sont également plus à risque d’être victimes de préjugés et de discrimination liés au poids dans plusieurs sphères de leur vie (par exemple à l’école, les milieux de travail, les lieux publics, les services de santé), ce qui peut contribuer au développement ou au maintien des problèmes de santé mentale mentionnés précédemment. Malheureusement, il existe plusieurs fausses croyances à l’égard de l’obésité. Plusieurs personnes atteintes d’obésité ont même rapporté être victimes de stigmatisation et de discrimination liées au poids de la part des professionnels de la santé, ce qui peut compromettre la qualité des soins de santé offerts et représenter une barrière importante à la prise en charge de l’obésité (Puhl and Brownell, 2006).
 

L’obésité : une maladie complexe, multifactorielle et hétérogène

Contrairement à la croyance populaire, la problématique de l’obésité ne repose pas uniquement sur le mode de vie de l’individu. Trop souvent, les gens croient à tort que les personnes atteintes d’obésité sont personnellement responsables de leur condition et qu’ils devraient faire plus d’efforts pour perdre du poids. Cette simplification des causes et de la prise en charge de l’obésité favorise la stigmatisation et la discrimination liées au poids. En réalité, il n’y a pas qu’une seule cause à l’obésité. C’est une maladie complexe qui résulte de l’interaction entre plusieurs facteurs (génétiques, neurocomportementaux, environnementaux, sociétaux, biologiques et métaboliques) qui influencent la régulation de l’apport et la dépense énergétique. 

La régulation de la prise alimentaire est également extrêmement complexe. Chaque jour, nous devons faire face à de nombreuses décisions alimentaires et à plusieurs facteurs qui les influencent (exemple : les signaux de faim et de satiété, le sentiment de contrôle, le plaisir de manger, les émotions ainsi que le revenu et le potentiel d’achat), ce qui modifie nos comportements alimentaires. De plus, il existe d’importantes différences individuelles dans les mécanismes neurobiologiques impliqués dans la régulation de la prise alimentaire. Certains individus semblent plus vulnérables à l’environnement actuel que l’on pourrait qualifier d’« obésogène » (environnement favorisant la consommation d’aliments riches en calories et la sédentarité), et au fil de leurs décisions alimentaires quotidiennes, ceux-ci auront tendance à avoir des apports plus grands que ce dont ils ont besoin. De façon intéressante, grâce à des techniques d’imagerie cérébrale, des chercheurs de l’Institut et hôpital neurologiques de Montréal (le Neuro) ont pu examiner le lien entre l’obésité et la structure du cerveau (Vainik et al., 2018). Cette étude a montré que les personnes souffrant d’obésité sont caractérisées par un cortex préfrontal droit (région impliquée dans le contrôle de soi et la prise de décision) plus mince et un volume de l’amygdale gauche (région impliquée dans la réactivité aux stimuli alimentaires et le contrôle des émotions) plus grand comparativement aux individus de poids normal. Ces résultats se traduisent de la manière suivante : les personnes atteintes d’obésité ont possiblement une plus grande sensibilité que les autres aux nombreux stimuli alimentaires présents dans notre environnement et sont peut-être moins en mesure de leur résister. 
 

Vers une amélioration de la santé : des solutions

Bien que des avancées majeures aient été réalisées au cours des dernières années, la prise en charge de l’obésité demeure complexe. Effectivement, l’obésité est une condition hétérogène autant dans ses causes que dans sa prise en charge. Plusieurs organismes et associations considèrent maintenant l’obésité comme une maladie chronique au même titre que le diabète ou les maladies cardiovasculaires. Il faut donc envisager une prise en charge de l’obésité à long terme et individualiser le traitement. Tel que suggéré par Obésité Canada, les stratégies de gestion de l’obésité doivent être réalistes et faciles à appliquer quotidiennement. Il faut encourager des changements permanents au niveau des habitudes de vie. Les diètes amaigrissantes ou les diètes miracles ne fonctionnent pas à long terme. En effet, le poids revient aussitôt que le régime n’est plus suivi. Pourquoi? Le corps répond à la perte de poids en augmentant le désir et la motivation à consommer les aliments défendus, en augmentant l’appétit et en diminuant la dépense énergétique. Les experts dans le domaine décrivent ce phénomène comme The Set Point Theory (Harris, 1990). Selon cette théorie, le poids corporel est régulé par des mécanismes de contrôle afin de maintenir un poids prédéterminé, qu’on appelle la valeur consigne. Ainsi, en réponse à la perte de poids, des mécanismes d’adaptation physiologiques sont déclenchés pour revenir à ce poids de départ. Ces réactions du corps expliquent pourquoi très peu de personnes sont capables de maintenir une perte de poids à long terme après avoir suivi une diète restrictive. Le poids repris est également souvent supérieur au poids initial.

La perte de poids n’est pas l’unique solution à l’obésité. Il faut plutôt viser à améliorer la santé globale, le bien-être et la qualité de vie. Plusieurs études ont d’ailleurs démontré qu’une saine alimentation et la pratique régulière d’activités physiques peuvent entraîner des effets bénéfiques sur la santé, et ce, sans perte de poids. En effet, il est clair que la pratique d’activités physiques a des effets favorables sur plusieurs aspects de la santé qui n’ont rien à voir avec la gestion du poids, comme l’amélioration de la condition physique, l’endurance et l’estime de soi ainsi qu’un meilleur contrôle des problèmes de santé. De plus, de nombreuses études ont montré qu’une perte de poids soutenue aussi modeste que 5 à 10 % du poids corporel initial est suffisante pour améliorer la santé métabolique (par exemple réduire la pression sanguine et les niveaux de glucose et de cholestérol dans le sang). Ainsi, les personnes en surpoids ou atteintes d’obésité peuvent prendre des mesures pour améliorer leur santé globale, sans pour autant viser une perte de poids. Il est également important de souligner que la minceur n’est pas un synonyme de bonne santé.

La chirurgie bariatrique peut représenter une option intéressante chez les individus souffrant d’obésité sévère (IMC ≥ 40 kg/m2 ou ≥ 35 kg/m2 avec comorbidités). Bien que la chirurgie bariatrique soit associée à certains risques et effets secondaires comme la majorité des interventions chirurgicales, elle représente un traitement efficace pouvant entraîner une perte de poids significative et une résolution des comorbidités à long terme. Contrairement à la croyance populaire, la chirurgie n’est pas une solution facile et son succès à long terme réside dans le suivi des recommandations après la chirurgie et l’adoption de saines habitudes de vie. 

En terminant, l’objectif général d’une saine gestion de l’obésité est d’améliorer la santé globale, et ce, à long terme. Différentes mesures peuvent être envisagées sans nécessairement viser une perte de poids importante. La fin des préjugés liés à l’obésité ainsi que le soutien des proches et des professionnels de la santé sont essentiels à la prise en charge de l’obésité.  
 

Références

Alberti, K. G., P. Zimmet, J. Shaw, and I. D. F. Epidemiology Task Force Consensus Group. 2005. “The metabolic syndrome--a new worldwide definition”, Lancet, 366: 1059-62.

Arsenault, B.J.; Plante, C.; Hamel, D.; Desprès, J.P. 2019. « Prévalence de l’obésité abdominale et évolution du tour de taille mesuré chez les adultes québécois » In, edited by Institut national de santé publique du Québec.

Harris, R. B. 1990. “Role of set-point theory in regulation of body weight”, FASEB J, 4: 3310-8.

Puhl, R. M., and K. D. Brownell. 2006. “Confronting and coping with weight stigma: an investigation of overweight and obese adults”, Obesity (Silver Spring), 14: 1802-15.

Vainik, U., T. E. Baker, M. Dadar, Y. Zeighami, A. Michaud, Y. Zhang, J. C. Garcia Alanis, B. Misic, D., L. Collins, and A. Dagher. 2018. “Neurobehavioral correlates of obesity are largely heritable”, Proc Natl Acad Sci U S A, 115: 9312-17.
 



Andréanne Michaud est professeure adjointe à l’École de nutrition de l’Université Laval et chercheuse à l’Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec ainsi qu’à l’Institut sur la nutrition et les aliments fonctionnels. Docteure Michaud est également nutritionniste et membre de l’Ordre professionnel des diététistes du Québec depuis 2010. Ses travaux de recherche utilisent des techniques d’imagerie cérébrale en combinaison avec de nombreuses mesures comportementales et métaboliques afin d’améliorer la compréhension des déterminants neurocomportementaux de la régulation de la prise alimentaire et de l’obésité chez l’humain.

Sylvain Iceta est psychiatre spécialisé dans les troubles du comportement alimentaire et l’obésité au CHU de Lyon en France. Le docteur Iceta réalise actuellement un stage postdoctoral avec docteure Michaud à l’Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec. Il s’intéresse particulièrement à la régulation du comportement alimentaire par les hormones digestives et le tissu adipeux.


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