Voir la personne derrière la pathologie






Par Nathalie Dumas - 1er avril 2020

L’auteure apporte dans ce texte des précisions utiles pour mieux comprendre la complexité de la question de l’obésité. Elle questionne le choix des mots qui réduisent la personne à sa pathologie tout en prévoyant des pratiques qui ne tiennent pas compte des difficultés rencontrées par la personne « vivant avec l’obésité ». À son sens, la corpulence relève de la diversité corporelle si elle n’a pas de répercussions sur le plan de la santé.


Je travaille avec diverses composantes de l’obésité depuis plus de deux décennies. Je n’ai toujours pas « la » solution, mais c’est avec plaisir que j’accepte de partager quelques trucs pratico-pratiques pour tenter de réduire les irritants, les extrants, ceux qui sans rien paraître, démontrent notre faible compréhension des obstacles quotidiens. J’aurais pu aborder mon texte sous l’angle de la prévention, des structures, des coûts, ou des diverses politiques publiques (Dumas, 2011; Le Bodo, 2016). Mais j’opte pour l’angle humaniste. La revue Spiritualitésanté nous permet cet angle, trop peu exploité, qu’est celui de l’éthique « appliquée ». Je vous offre immédiatement ma conclusion : n’arrêtons jamais de plaider pour nos patients! Pour ce faire, je formulerai des points de sémantique, de contexte et terminerai avec des idées de leviers d’actions reliés à l’obésité. 
 

De « quoi » parle-t-on?

t à travers l’intensification des échanges à l’échelle  mondiale…Le terme obésité est polysémique, ce qui contribue à la confusion. Au point de vue populationnel, ce terme est majoritairement défini selon l’indice de masse corporelle (IMC) (OMS, 2018; OCDE, 2019). Cet outil, bien qu’imparfait, est indispensable aux recherches populationnelles, mais non adapté aux réalités cliniques. Donc l’argument clinique devient : « Bien que l’IMC soit un point de départ, celui-ci n’est pas suffisant pour établir un diagnostic. » Dans ce texte, j’omets volontairement tout l’aspect traitement de la « gestion » du poids. La raison est que cela mériterait en soit un texte complet. Obésité Canada a publié au printemps dernier les nouvelles lignes directrices cliniques (CJMA, 2020). Vous pouvez les consulter gratuitement sur le site d’Obésité Canada. Maintenant, la question concernant ce texte devient : « Comment pourrions-nous faire pour mieux «percevoir» la personne derrière sa pathologie? » 
 

Le choix des mots compte

L’humain n’est pas sa pathologie. Bien que nous le sachions, cette phrase est souvent occultée en milieu de soin, faute de temps ou d’énergie. Néanmoins, pour l’humain devant nous, sa pathologie n’est qu’un aspect de sa vie. Ainsi, ces précisions langagières nous aident à nous rappeler la personne dans son entièreté. Je nous invite à opter pour les désignations complètes. Précisons le terme « obésité ». Nous convenons que la définition populationnelle s’avère incomplète et trop vague dans un contexte de dyade clinique. Par conséquent, pour la suite de ce texte, j’adhère à la définition d’Obésité Canada concernant le terme « obésité », soit une surcharge pondérale qui nuit à la santé. Puis, ajoutons les termes « de la personne ». Ceci est important puisqu’il s’agit bien de la vie des gens dont nous parlons ici. Et finalement, l’ajout d’agents de liaison « vivant avec ». Ces ajouts nous rappellent que l’obésité est une maladie chronique avec laquelle les gens doivent vivre quotidiennement. En bref, j’utiliserai le terme « personne vivant avec l’obésité » pour le reste de mon texte. Pour moi, ces quatre petits mots sont au cœur même de mon propos, à la fois chargé de sens et de respect. 
 

Remettre les « personnes vivant avec l’obésité » en contexte

Déjà en 2007, l’équipe Foresight « démontrait » l’extraordinaire complexité dans laquelle les personnes vivant avec l’obésité doivent évoluer! Depuis, la vaste majorité des organisations aborde la thématique de l’obésité avec cette idée d’approche holistique, multicausale, complexe et variable selon le sexe, le genre et les parcours de vie. Au Québec, nous faisons franchement bonne figure dans ce domaine. Les dernières informations colligées par les auteurs de l’INSPQ le démontrent bien1. C’est ainsi que les experts de l’INSPQ mettent en évidence des différences d’inégalités sociales concernant les personnes vivant avec l’obésité dans le système de santé québécois (INSPQ, 2018). Ils démontrent qu’elles sont plus nombreuses à utiliser les services de santé (INSPQ, 2015a), à avoir de la multimorbidité (INSPQ, 2019c) ou à avoir un risque accru de prise de médicaments ou d’invalidité (INSPQ, 2015b). Ce qui m’amène au cœur de mon propos : que faire lorsque nous avons une personne vivant avec l’obésité devant nous, en milieu de soin?
 

Du contexte à la pratique

Maintenant que nous savons qu’il y aura plus de personnes vivant avec l’obésité dans notre système de santé, quelles devraient être les premières questions à se poser pour bien les intégrer? Ma première suggestion serait de valider la raison pour laquelle cette personne vivant avec l’obésité est devant vous à ce moment. N’assumez surtout pas d’emblée que c’est à cause de son poids. Cette suggestion peut sembler évidente pour plusieurs d’entre vous, et c’est tant mieux, mais plusieurs articles à travers le monde et au Canada montrent une stigmatisation de la part des professionnels de la santé envers les personnes vivant avec l’obésité (Kyle, 2015, 2017). J’ai la chance avec Obésité Canada de collaborer avec des patients-partenaires. Plusieurs racontent des histoires horribles d’expériences « patient-praticien » qui sont à couper le souffle, comme d’entrer dans un bureau de médecin pour une otite, un vaccin ou un petit doigt cassé et en ressortir avec un discours moralisateur sur le fait qu’ils devraient maigrir! Cette anecdote me permet d’introduire deux points; le premier : demander la permission et le second : la diversité corporelle. 
 

L’humain derrière sa pathologie

J’écrivais au début que j’optais de rédiger cet article sous l’angle humaniste de l’éthique appliquée. C’est donc avec cet esprit que je vous invite à simplement valider auprès d’elle la raison de sa consultation, si vous désirez vraiment aborder le sujet du poids avec une personne vivant avec l’obésité. L’autre point est celui de la diversité corporelle. J’ai également mentionné que j’adhère à la définition d’Obésité Canada concernant l’obésité, soit l’accumulation de tissus adipeux qui nuit à la santé. Donc, si le poids ne cause pas de problème de santé à votre patient, cela devient de la diversité corporelle. Il s’agit comme l’indique l’organisme ÉquiLibre : « […] d’apprécier et valoriser la diversité corporelle au sein de la société […] » et j’adhère à leur slogan d’« intervenir sans nuire ». Ce qui m’amène à mon dernier bloc des leviers d’actions. 
 

Agissons sur ce que nous pouvons

L’INSPQ démontre qu’au Québec une personne sur cinq vit avec l’obésité et qu’elles sont plus nombreuses à fréquenter les services de santé (INSPQ, 2015a, 2018). Donc, n’attendons pas à la dernière minute; soyons prêts à les accueillir. Toutes ces suggestions proviennent de patients-partenaires : avoir des sièges où les personnes vivant avec l’obésité peuvent s’asseoir. Pas besoin d’avoir des fauteuils spéciaux, simplement des chaises sans accoudoir. Et à l’opposé, des barres d’appui seraient utiles dans les salles de bain, puisqu’une fois assise, il peut être difficile de se relever. Si vous devez peser les gens hors du cabinet, assurez-vous que le pèse-personne soit situé dans un endroit isolé. Et si cela est physiquement impossible, rappelez à vos collaborateurs de se montrer discrets. Une phrase toute simple, telle que « Ceci est votre poids. » en l’indiquant sur un carton, pourrait suffire pour rassurer la personne vivant avec l’obésité et qu’elle se sente respectée. Une fois dans votre cabinet, avoir un siège adéquat, diverses grandeurs de brassard pour votre tensiomètre, une table d’examen en bon état et un ruban à mesurer le tour de taille.

Un autre point est de connaître la situation sociale de votre patient. Informez-vous auprès de la personne vivant avec l’obésité concernant ses réalités financières, ses possibilités d’accès aux traitements (ex. : son type d’assurance) de manière à accroître les chances d’observance. À titre d’exemple, certains médicaments peuvent engendrer des coûts jusqu’à 450 $ par mois, ce qui change considérablement un budget. Osez donc demander directement à la personne vivant avec l’obésité si elle a des suggestions à vous faire. 

En terminant, je vous invite à vous adresser à la personne en premier. Ce que nous gérons en milieu de soins, ce ne sont pas que des pathologies. Si une personne vivant avec l’obésité vient vous voir pour une pathologie X, demandez-lui la permission de parler de son poids. Dans notre pratique professionnelle, n’attendons plus d’être confrontés à des situations embarrassantes, prévoyons! Et si la personne vivant avec l’obésité ne présente aucun signe affectant sa santé, cela s’appelle de la diversité corporelle. J’espère que ces petites précisions vous auront permis de « (re)voir » que derrière la pathologie, il y a la personne. Et pour ce faire, je vous invite à joindre votre voix à la mienne et à parler pour les personnes vivant avec l’obésité, qui sont, elles, trop souvent, à la fois invisibles et inaudibles.
 

Références

Dumas, N. (2011). Embonpoint, obésité, genre et inégalités sociales au Canada. Mémoire, Université de Montréal, Canada. 

ÉquiLibre Consulté le 2 janvier 2020 

Foresight – Obesity System Map – debategraph. Consulté le 2 janvier 2020

Blouin, Chantal, Nathalie Vandal, Amadou Diogo Barry. et al,. Les conséquences économiques associées à l’obésité et l’embonpoint au Québec : les coûts liés à l’hospitalisation et aux consultations médicales.. Montréal : Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), 2015a. 20 p. 

Blouin, Chantal, Denis Hamel, Nathalie Vandal et al., Les conséquences économiques associées à l’obésité et l’embonpoint au Québec : les coûts liés à la consommation de médicaments et à l’invalidité. Montréal : INSPQ, 2015b. 26 p. 

Les inégalités sociales de santé au Québec L’obésité chez les adultes, sur le site Santéscope (INSPQ). Mis à jour le 11 décembre 2018. Consulté le 28 décembre 2019.

Simard, Marc, Marjolaine Dubé, Myles Gaulin et al., La prévalence de la multimorbidité au Québec : portrait pour l’année 2016-2017. Montréal : INSPQ, 2019c. 12 p.

Kyle, T., X. Ramos Salas. B. Halpern, N. Dumas, J.F. Nadglowski, L.D. Whigham, D.M. Thomas, and R.M. Puhl (April 26 – April 28, 2017) Variation in Biases about Obesity and People with Obesity in Canada, the U.S., Mexico, and Brazil. Poster presentation at the 5th Canadian Obesity Network Summit. Banff Springs (Alberta) Canada.

Obésité Canada et al. Guide clinique pour l’obésité adulte, CMAJ. 2020 feb;18(9):967-986. doi :.obesitycanada.ca/guidelines

Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) (10.10.2019) Agir contre l’obésité amènerait davantage de bien-être économique et social. Consulté le 28 déc 2019)

Organisation mondiale de la santé, Obésité et surpoids (dernière mise à jour 16 février 2018) https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/obesity-and-overweight Consulté le 28 décembre 2019.

Le Bodo, Y., C. Blouin, N. Dumas, P. De Wals et J. Laguë (2016). Comment faire mieux? L’expérience québécoise en promotion des saines habitudes de vie et en prévention de l’obésité. Québec, Plateforme d’évaluation en prévention de l’obésité (PEPO) et Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), Les Presses de l’Université Laval, 2016, 379 pages.
 

Note

1   Le site Internet de l’INSPQ abonde d’information sur les thèmes de l’alimentation, des environnements favorables, de l’économie et de l’industrie en lien avec l’obésité. À consulter.
 



Nathalie Dumas, M. Sc. est détentrice d’une double formation universitaire, soit un premier baccalauréat ès arts en communication et un second baccalauréat ainsi qu’une maîtrise en sociologie option santé. Elle œuvre au sein de divers organismes traitant de la thématique de l’obésité depuis 1999. Elle est maintenant coordonnatrice aux projets chez Obésité Canada, un organisme de bienfaisance enregistré au Canada qui a comme vision de « Voir le jour où les personnes affectées par la maladie de l’obésité seront comprises, respectées et vivront des vies en santé. »


24 août 2020

Bonjour Ruby,

Je vous remercie pour vos bons mots ;o). Cela me touche. Je trouve très élégante votre formulation « êtes vous gêné par votre poids? ». Et pour avoir encore plus d'inspiration, je vous invite à consulter les nouvelles lignes directrices de la gestion de l'obésité en milieu clinique pour les adultes. Notez qu'elles sont détaillées sur plus de 400pp ventilées selon 19 chapitres en anglais, https://obesitycanada.ca/guidelines/chapters/ .... MAIS vous retrouverez un résumé en français des 80 recommandations sur dix-neuf pages offert sur le site du CMAJ https://www.cmaj.ca/content/suppl/2020/07/27/192.31.E875.DC1 J'ose vous remercier pour votre travail auprès des personnes vivant avec et EN obésité. Bonne chance.

Par Nathalie Dumas
30 juillet 2020

Bonjour, merci pour votre article! Ce travail de dénomination et cette vision font partie pour moi de la lutte contre la stigmatisation, ou ce que certains appellent la « bientraitance » envers les personnes « en » obésité (dénomination plus courte que celle que vous proposez, moins explicite que la vôtre mais pratique cela dit). J’ai pour habitude de proposer aux soignants en formation de dire aux patients en consultation : « êtes vous gêné par votre poids? ».
L’intérêt est que la question est posée de façon neutre, avec en filigrane la notion de main tendue et d’aide proposée par le soignant qui interroge le patient dans cette phrase. La question est large et questionne bien de fait tous les éventuels retentissements subjectifs (et c’est bien le plus pertinent pour le patient) du poids sur l’état de santé de l’individu dans toutes ses dimensions : santé physique, psychique, mental, y compris le bien être (définition OMS de la Santé).
A cette question, si le patient a bien compris le terrain d’empathie et de neutralité sur lequel le soignant l’invite, il peut répondre que tout va bien, et laisser la question derrière sans que personne ne soit blessé par les mots, ou au contraire se livrer, sentant une aide possible par le soignant. C’est aujourd’hui à mon stade de réflexion actuel, la façon de faire la plus adaptée. Je lis et continue de chercher dans le domaine et partager cette technique, qui vaut à mon avis d’être adaptée et transférée dans d’autres domaines de soin et de prise en charge de « patients vivant avec obésité ».

Par Rudy
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