Repenser l’obésité | l’individu influencé par la mondialisation

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La réalité mexicaine comme illustration


Par Céline Bergeran - 1 avril 2020

Le présent article réfute la responsabilité essentiellement individuelle de l’obésité en se basant sur l’exemple de la réalité mexicaine. L’importation de produits transformés, l’enrichissement industriel, le développement des chaînes de distribution alimentaire, les rapports de pouvoir et autres facteurs permettent de voir la problématique dans sa globalité, soit l’influence de la mondialisation dans le rapport à l’alimentation.
 

La prévalence de l’obésité est un enjeu mondial. Son émergence questionne et devient un problème central en santé publique. En 2016, plus de 1,9 milliard d’adultes de 18 ans et plus étaient en surpoids. Sur ce total, plus de 650 millions étaient obèses (OMS, 2018). Différentes mesures et actions publiques sont mises en œuvre dans nos sociétés pour y répondre. Cependant, on peut se questionner sur la manière dont l’obésité est perçue et gérée, comment la maladie s’exprime dans les sociétés en pleine croissance économique. En effet, la majorité d’entre nous entrevoit l’obésité comme une maladie de responsabilité individuelle. Pourtant, la mondialisation semble accompagner ce développement à travers l’intensification des échanges à l’échelle mondiale, la libre circulation des marchandises, des capitaux, des services, des personnes, des techniques, mais aussi de l’information. Nous utiliserons l’exemple du Mexique pour illustrer les effets de la mondialisation sur notre santé. Le Mexique fait partie des pays les plus touchés par cette prévalence avec 32,4 % de sa population de 15 ans et plus déclarée obèse (OCDE, 2017). L’appellation « épidémie », utilisée pour définir la prévalence de l’obésité au Mexique, retient notre attention. Une modification dans les choix et pratiques alimentaires de la population pourrait, en partie, expliquer l’augmentation du taux d’obésité au Mexique.

Sous le regard des médias et de la société, le développement de l’obésité au Mexique résulte de choix individuels de consommation. Toutefois, considérer le problème par la seule responsabilité individuelle nous semble partiel. Comprendre les facteurs indirects d’influences est essentiel pour entrevoir le problème dans sa globalité.
 

Incidences directes de la mondialisation sur la santé de la population
Reconceptualiser l’offre alimentaire : d’une « qualité locale » vers une « quantité mondiale »

Au cours des dernières années, l’offre alimentaire mexicaine a évolué. D’une part, la qualité des produits s’est modifiée avec la vente croissante d’aliments transformés, emballés, standardisés et industrialisés, limitant l’accès aux aliments frais, de proximité. La mondialisation encouragerait l’importation au Mexique de produits transformés, avec l’importation croissante de produits laitiers, viandes, fruits et légumes transformés, alors que ces produits n’étaient pas consommés dans la culture alimentaire mexicaine. Cette intensification des échanges va aussi faire évoluer le développement agricole du Mexique avec une diminution de la production locale de produits bruts comme la diminution de la production céréalière. Cette transition agricole va modifier la qualité alimentaire des produits disponibles, autrefois locaux, avec l’enrichissement systématique d’agents de conservation et exhausteurs de goût. L’enrichissement industriel n’est pas sans conséquence sanitaire puisque les matières grasses, le sucre et le sel sont ajoutés systématiquement en excès dans ces produits industriels, en raison de leurs coûts marchands favorables. Or, ces agents de conservation sont des sources énergétiques favorisant le développement de maladies chroniques comme l’obésité. L’importation des boissons sucrées est un très bon exemple puisque ces dernières sont considérées comme moteurs dans le développement de l’obésité au Mexique : 70 % des sucres ajoutés consommés par les Mexicains viendraient des boissons sucrées. Ces nouveaux produits importés font maintenant partie des nouvelles pratiques de consommation dans la population. D’autre part, le développement croissant des grandes chaînes de distribution alimentaire au Mexique ne peut être négligé. Les prix « imbattables » et la surabondance des denrées proposées dans ces magasins nous amènent à reconsidérer la qualité des aliments vendus : les goûts, les formes et les appellations deviennent uniformes et standards. Ces denrées vendues dans le monde entier s’opposent aux produits du terroir, aux savoir-faire culinaires, mais aussi à la palette sensorielle et gustative transmise depuis des générations. La mondialisation a rapidement fait évoluer l’environnement physique, avec un changement dans les choix de consommation et les lieux d’approvisionnement.

Pouvons-nous entrevoir une « moyennisation » des goûts et des saveurs? Qu’en est-il de l’éducation sensorielle et culturelle? D’une certaine manière, ne serait-ce pas une partie de l’identité qui se transforme, une métamorphose des corps?
 

D’une cuisine traditionnelle « à nous », vers une cuisine uniforme « à eux »

Il est intéressant de connaître le profil de consommation de la population mexicaine pour comprendre son évolution. L’alimentation traditionnelle mexicaine est composée principalement de maïs, riz, haricots, chilis et sauces de tomates (rouges ou vertes). Ces aliments traditionnels sont des produits bruts, frais et composés principalement de légumes, céréales et légumineuses. L’achat de ces denrées est issu de détaillants et de marchés publics locaux. Ces lieux d’approvisionnement sont considérés comme des lieux importants pour les familles qui s’approvisionnent dans les grandes et petites villes. Toutefois, depuis ces dernières années, la population mexicaine favoriserait ses dépenses auprès des distributeurs offrant des prix réduits comme Costco ou encore Walmart, des magasins de distribution alimentaire américains. Or, comme nous avons pu l’énoncer, ces grands magasins proposent de nombreux produits transformés, précuisinés et non consommés traditionnellement. L’évolution de l’offre alimentaire dans ces lieux d’approvisionnement influence donc les choix et pratiques de consommation de la population. Des sociologues de l’alimentation comme Jean-Pierre Poulain caractérisent ce changement par une normalisation dans les pratiques (2002) puisque la mondialisation favorise l’uniformisation de l’alimentation. Les bouteilles de Coca-Cola® se retrouvent commercialisées aux quatre coins du monde et sont présentes dans les garde-manger de la population mondiale. Les choix des consommateurs sont induits et dictés par l’offre des grands magasins de distribution internationale. Le marketing alimentaire, les coûts réduits ou encore l’utilisation moderne de ces produits favorisent leur consommation bien que ces produits aient des effets négatifs sur la santé.

Ce changement de comportement peut être illustré par la photographie issue du livre de Peter Menzel intitulé “Hungry Planet : What the world eats” (2005). De nombreux chercheurs utilisent ce travail pour illustrer l’influence de l’environnement sur les pratiques. Cette photographie permet d’illustrer les pratiques de consommation d’une famille mexicaine, mais aussi d’observer concrètement l’influence de la mondialisation dans les pratiques. On peut voir la présence de produits traditionnels tels les fruits et légumes locaux, les céréales et les légumineuses. Mais l’abondance de produits industriels comme les bouteilles de Coca-Cola®, les céréales sucrées et sucreries ne peut être négligée en raison de leurs impacts sur la santé, favorables au développement de l’obésité. Il est intéressant de soulever ce « métissage alimentaire », avec l’ambivalence entre la « tradition » et la « modernité ». Les contextes d’urbanisation et d’industrialisation, mais aussi la tertiarisation de l’économie vont également faire évoluer les conditions de vie de la population mexicaine avec une diminution de l’activité physique et une augmentation de la sédentarité. L’environnement social et le style de vie de la population ont donc des influences directes, non négligeables sur la prise de poids et le développement de l’obésité. Une « transition nutritionnelle » peut caractériser cette évolution (Sridhar, 2009 dans Tremblay, 2011) avec le passage d’une alimentation traditionnelle – composée d’aliments bruts riches en amidon et fibres et faibles en graisses, avec un mode de vie actif – vers une alimentation plus diversifiée, mais riche en sucres, graisses animales et aliments transformés faibles en fibres, et un mode de vie sédentaire.

D’après l’Organisation mondiale de la santé (OMS), « l’évolution des habitudes en matière d’alimentation et d’exercice physique résulte souvent de changements au niveau de l’environnement et de la société et d’une absence de politiques dans certains secteurs […] » (2017). La compréhension globale du problème s’avère donc pertinente.
 

Influences indirectes de la mondialisation sur la santé de la population
Relations de pouvoir, gouvernances et inégalités sociales

L’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA) est un ensemble de politiques macroéconomiques (1994). Cet accord suscite de nombreux enjeux et semblerait influencer les comportements de la population mexicaine. D’une part, l’accord autorise l’importation massive de produits ultra-transformés et industriels à forte teneur en sucre, graisses et sel. Le système alimentaire, l’offre alimentaire et l’environnement physique du Mexique sont ainsi perturbés. Les denrées alimentaires dans les supermarchés évoluent dans le sens de cette libéralisation, ce qui va modifier les régimes alimentaires de la population mexicaine, en allant vers une consommation ultra-transformée, standardisée et industrielle, favorable à la prise pondérale. D’autre part, des relations de pouvoir sont identifiables dans cet accord. En effet, le gouvernement mexicain semble conscient de ce problème sanitaire puisqu’il a tenté de mettre en place des politiques visant la protection de la population avec l’application de réglementations efficaces sur la commercialisation des produits industriels à forte densité calorique, comme la taxation des sodas aromatisés (2001). Cependant, ces mesures ont été rétractées en 2007, en réponse à la réaction des États-Unis d’Amérique décrivant cette mesure comme « discriminatoire ». Malgré cela, une nouvelle mesure a été de nouveau mise en place pour taxer les sodas contenant des édulcorants et les aliments riches en calories importés au Mexique (2014). Toutefois, les lobbies et les multinationales font aujourd’hui de nouvelles pressions pour annuler la politique en évoquant une « discrimination commerciale ». Les influences des lobbies et multinationales sur la politique mexicaine ne sont pas négligeables. Les rapports de pouvoir ont donc des impacts sur l’offre alimentaire et donc sur les habitudes de consommation de la population.

Pour de nombreux auteurs comme Pierre Levasseur, la transition nutritionnelle au Mexique serait également influencée par la variable socioéconomique (2017). En effet, certaines catégories de population seraient plus affectées par le surpoids et l’obésité que d’autres. La mondialisation est décrite comme moteur dans le développement économique du pays grâce à l’importation de nombreux produits alimentaires. Les quantités importées permettent d’offrir des denrées à moindres coûts en priorisant la quantité plutôt que la qualité. Les produits industriels bon marché encouragent ainsi la population la plus vulnérable à les consommer. On peut se questionner sur les liens entre la mondialisation et les inégalités sociales de santé, puisque les prix orientent les pratiques de consommation – plus particulièrement celles des consommateurs aux faibles revenus – vers des produits bon marché, et donc industriels, standardisés et importés.
 

L’obésité : un « miroir » de la mondialisation?

La prévalence de l’obésité est donc une problématique complexe qui ne résulte pas seulement de variables individuelles. Le problème de l’obésité dans nos sociétés doit être étudié de manière globale. La gouvernance et les enjeux économiques mondiaux ont des influences non négligeables dans la transition nutritionnelle de la population. La responsabilité du consommateur et la stigmatisation des individus obèses dans la société doivent être à nouveau discutées. L’application de nouvelles réglementations, politiques sociales, ou encore, des mesures éducatives à l’école sont des pistes d’action prometteuses pour remédier à la complexité du problème. De plus, pour faire face au repli identitaire de la mondialisation sur nos sociétés, des initiatives sont mises en place pour la préservation de notre patrimoine alimentaire. Par exemple, la valorisation du patrimoine culinaire peut être une orientation intéressante, à travers son inscription sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité (UNESCO, 2010), tel un élément fort d’identité. La tortilla de maïs, le Mole poblano, le pulque et la tequila sont désormais des vecteurs bien connus d’une « culture préhispanique » (Fumey, 2007) dans la culture mexicaine.
 

Références

CERIN (2017). Pathologies. Obésité dans le monde. OCDE. Disponible sur : https://www.cerin.org/rapports/lobesite-dans-le-monde-ocde-2017/ (consulté le 16 avril 2019)

Fumey, G. (2007). La mondialisation de l’alimentation. L’Information géographique, 71(2), 71-82.

Levasseur, P. (2017). Les enjeux socioéconomiques de la transition nutritionnelle au Mexique (Doctoral dissertation, Bordeaux).

Menzel, P (2005). Peter Menzel photography. Hungry Planet Family Food Portraits. Disponible sur:https://menzelphoto.photoshelter.com/gallery-collection/Hungry-Planet-What-the-World-Eats-by-Continent/C0000k7JgEHhEq0w (consulté le 18 avril 2019)

OMS (2018). Obésité et surpoids. Principaux faits. Disponible sur : https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/obesity-and-overweight (consulté le 8 novembre 2019)

Poulain, J. P. (2002). Manger aujourd’hui. Attitudes, normes et pratiques, 1. 

Tremblay, M. (2011). L’obésité préoccupation mondiale de santé publique. Laboratoire d’étude sur les politiques publiques et la mondialisation, École nationale d’administration publique.

UNESCO (2019). Patrimoine culturel immatériel. La cuisine traditionnelle mexicaine – culture communautaire, vivante et ancestrale, le paradigme de Michoacán. Disponible sur : https://ich.unesco.org/fr/RL/la-cuisine-traditionnelle-mexicaine-culture-communautaire-vivante-et-ancestrale-le-paradigme-de-michoacan-00400 (consulté le 18 avril 2019)
 



Céline Bergeran est étudiante française en sciences politiques, parcours Enjeux et politiques de santé (St-Etienne, FR). Elle a réalisé un échange universitaire à l’Université Laval (Québec) en santé publique. Dans le cadre de sa maîtrise, elle entreprend un stage à l’Institut national de santé publique (INSPQ). Ses recherches s’orientent autour de l’alimentation et l’obésité. Son diplôme d’État de diététicienne-nutritionniste français, ainsi que sa licence en sociologie et anthropologie de l’alimentation (Toulouse, FR) lui ont permis d’apporter un autre regard sur l’alimentation. Ses réflexions s’orientent autour d’une approche systémique et globale des enjeux de santé.


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