Et si la porte de sortie se trouvait à l’intérieur…

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Par Christiane Biron - 1er décembre 2014

L’auteure anime un programme qui s’intitule « La méditation, soin spirituel au mal-être » destiné aux personnes suivies en soins psychiatriques dans la région de Québec. En donnant la parole aux participants, elle évoque les nombreux bienfaits de la méditation et son impact dans leur quotidien.

 
La personne aux prises avec des symptômes de dépression et d’anxiété cherche par tous les moyens à s’en sortir. Après l’encadrement reçu par les professionnels du département de psychiatrie, elle se retrouve, à sa sortie de l’hôpital, confrontée aux symptômes qui persistent et à peu de moyens pour arrêter la spirale des pensées et des sentiments négatifs qui peuvent conduire à une rechute. Où est la porte de sortie?
 
Un programme d’ateliers de méditation a été offert aux patients externes reliés au département de psychiatrie de l’Hôpital de l’Enfant-Jésus. Ce programme fait l’objet d’un projet de recherche qui vise à en évaluer les effets. Approuvé par le comité d’éthique à la recherche et parrainé par un psychiatre-chercheur du CHU de Québec, il a été expérimenté avec trois groupes différents depuis février 2014. Grâce aux propos recueillis lors des prises de parole des participants, ceux-ci se joignent à moi pour vous dévoiler une partie de l’expérience vécue au fil de ces ateliers de méditation.
 
C’est le premier jour du programme « La méditation, soin spirituel au mal-être ». Je pose la question : « Quand je vous dis le mot "méditation", qu’est-ce que cela évoque pour vous? » Les réponses jaillissent spontanément : paix intérieure; silence; spiritualité; me recentrer; réflexion sur moi-même; contact avec mon intérieur; rencontre avec Dieu; me connaître mieux; me retrouver.
 
Ils sont sept; ils viennent de s’inscrire à une série de huit ateliers de méditation à raison d’une rencontre de groupe par semaine et ils ont choisi de s’engager à méditer seuls à la maison entre les rencontres, soutenus par un CD qui contient les méditations expérimentées en groupe.
 
Ils ont entendu parler du programme de méditation par le psychiatre qui assure le suivi en externe et qui leur a remis un dépliant précisant les thèmes abordés dans la démarche et les détails logistiques s’y rapportant. Après réflexion, ils ont fait la demande de participer aux ateliers de méditation, espérant y trouver un outil qui les soutiendra au quotidien dans leur rétablissement. Avec eux, et appuyés par la littérature, nous faisons le pari que la méditation peut représenter une porte de sortie signifiante pour eux.
 
Quand on a le sentiment d’être incapable de faire quoi que ce soit, la méditation demeure l’une des rares choses que l’on puisse pratiquer; il n’y a pas de progrès à accomplir, pas de réussite à atteindre, on est invité à être simplement là, dans l’instant présent. Il n’existe pas de bonne ou de mauvaise méditation. « Méditer n’est pas apprendre à faire, c’est apprendre à être », comme l’exprime si bien John Main, moine bénédictin qui a redonné à la méditation chrétienne ses lettres de noblesse.
 

Apprendre à être

La porte d’entrée vers l’être, c’est le corps. La méditation propose de rétablir un nouveau contact avec son corps; au lieu de le juger ou de le critiquer, elle invite à se placer à son écoute, l’apprivoiser pour s’y sentir chez soi. Écouter, reconnaître et accueillir les sensations dans son corps, les pensées, les émotions qui l’habitent, et s’ouvrir au souffle de vie présent dans son être. Notre corps, quelle qu’en soit son apparence, est un temple.
 
Les personnes présentes au programme sont habitées par un sentiment de solitude, une impression d’être en marge, un pas en arrière de l’activité du monde. Une question martèle leur cœur et leur esprit : « Où est-elle, ma place? » La méditation ose une réponse dans la plus grande simplicité : votre place est ici… où que vous vous trouviez, votre place est ici.
 
L’attention portée sur votre respiration, c’est ici votre espace, c’est ici que vous vous affirmez, bien ancrés. C’est votre respiration, cette ancre qui est toujours là, ce souffle de vie qui rejoint le souffle du cœur, qui fait de vous un être pleinement vivant. Méditer, c’est être relié à la fois à la terre par le corps, et au ciel par le souffle.
 

Consentir à ce qui est là

Aussi simple que cela puisse paraître, il y a, à la base de la méditation, un choix à faire : celui de rester là. C’est parfois l’occasion de contacter une paix, une détente, un état de calme, de bien-être qu’il fait bon goûter. Mais, comme l’expriment les participants, rester dans « l’ici et maintenant » représente tout un défi lorsque  « les préoccupations prennent toute la place; le petit hamster des pensées est très actif; il y a de la douleur dans le corps; il ne se passe pas grand-chose; on se sent impatient de bouger ». Consentir à ce qui est là et ne pas fuir l’inconfort ni chercher à s’étourdir ou à s’activer pour combler le vide. « Faire son temps », selon l’expression d’un participant. Choisir de rester là coûte que coûte et croire qu’une transformation s’opère, peu importe comment s’est vécu le temps de méditation.
 

S’enraciner dans la réalité

La méditation implique une adhésion au réel tel qu’il se propose ou s’impose. Autoriser tout ce qui est là, à être là. Thich Nhat Hanh, l’initiateur de la méditation de pleine conscience, dit que la méditation n’est pas une évasion, mais une rencontre sereine avec la réalité. Lors d'une expérience de méditation avec les patients en psychiatrie, un participant qui venait de vivre une rupture amoureuse s’exprime en ces termes : « D’habitude, je m’invente un monde imaginaire, et je m’évade dedans pour ne pas sentir… aujourd’hui, j’ai accepté de sentir ma peine, j’avais mal au ventre… je lui ai donné le droit d’être là, j’ai respiré avec, et là, je me sens mieux. Je suis content d’être resté là. »
 
La méditation ouvre sur un nouveau regard. Au lieu de considérer sa souffrance comme un monstre qu’il faut fuir ou combattre, elle invite à considérer ce visiteur, reconnaître la sensation physique qui y est rattachée, les pensées qui se manifestent, les émotions qui y sont associées et, du plus profond de l’être, se laisser inspirer une nouvelle façon de l’aborder. Même la souffrance peut trouver, dans ce lieu, accueil, compréhension et compassion.
 
La méditation aide à interrompre le processus de pensée afin de favoriser une descente à l’intérieur de soi et faire l’expérience de quelque chose de plus profond. Une participante du programme offert en psychiatrie partageait, à ce propos : « J’ai la folie de la peur : peur d’avoir le cancer, peur de causer du tort, peur de ce qui pourrait m’arriver, peur de tout. La méditation m’aide à décrocher et ça m’apaise » et une autre exprime : « Marcher en méditant me calme, quand je suis anxieuse. » Comme le dit avec humour un proverbe chinois : « Vous ne pouvez pas empêcher les oiseaux de la tristesse de voler au-dessus de vos têtes, mais vous pouvez les empêcher de faire leurs nids dans vos cheveux. »
 

Méditation chrétienne et méditation de pleine conscience
Similitudes et complémentarité

Le programme de méditation proposé aux patients externes en psychiatrie de l’Hôpital de l’Enfant-Jésus intègre les éléments de la méditation de pleine conscience et les éléments de la méditation chrétienne dans leurs similitudes et dans leur complémentarité. Ces deux formes de méditation ont un lien de parenté très étroit, dans le contact avec la respiration, la posture, l’enracinement dans la réalité, l’importance accordée à l’instant présent et les relations harmonieuses avec les autres.
 
Une spécificité importante de la méditation chrétienne, qui a été intégrée au programme, consiste en une ouverture à la rencontre d’une Présence en soi, rencontre possible, mais libre chez le méditant. Le propre du cœur c’est de personnaliser l’Absolu et le nommer, en toute liberté, selon ses croyances. John Main dit : « Être en son centre, c’est être en Dieu. » Rencontrer dans sa profondeur, un regard bienveillant qui prend visage; ce peut être l’être spirituel en qui je crois, peu importe le nom que je lui donne, un proche décédé, quelqu’un de vivant de qui je me sens aimé, ou encore, contacter l’amour à l’état pur qui m’habite, cette aptitude à aimer qui est là au plus profond de moi. Une mère de famille, médecin à l’urgence, a fait l’expérience de cette Présence et elle l’exprime ainsi : « L’amour est là et s’offre à nous de l’intérieur. Il attend, les bras grands ouverts, avec une infinie patience, que nous soyons prêts à nous y déposer humblement. »
 
Pour les participants au programme en psychiatrie, cette Présence a pris différents visages : Dieu, un proche décédé, Marie, une Présence sans nom précis, le Christ, une force, un ange et l’expérience qui en a été faite s’est exprimée de différentes façons, dont entre autres : « Ça me donne le sentiment d’être quelqu’un d’important »; « J’ai senti de la tendresse »; « Je me suis senti aimé ».
 
Un participant partage : « Quand j’étais petit, si je pleurais au moment du coucher, j’étais frappé par ma mère. J’ai fait la méditation de l’Amour bienveillant un soir avant de m’endormir, et je me suis senti envahi d’une paix; pour la première fois depuis longtemps, je suis entré dans le sommeil sans angoisse. »
 
Accueillir ce regard bienveillant qui les habite, incite chacun des participants à développer une attitude d’ouverture et de non-jugement envers eux-mêmes, attitude qui se répercute dans leurs relations. Frédéric Lenoir dit :

Pour pouvoir être relié aux autres de manière juste, il faut d’abord être relié à soi-même de manière juste; la qualité de notre relation aux autres dépend intrinsèquement de la relation que nous avons à nous-mêmes… l’apprentissage de la relation à soi est donc la condition de l’apprentissage de la relation aux autres.

 
Un participant partage ceci : « Avec mon épouse, je réagis trop vite; la méditation m’aide à prendre le temps d’attendre le bon moment et les bons mots. » La méditation aide à rejoindre les autres de l’intérieur et change le regard qu’on porte sur eux.
 

Intégration dans le quotidien

Un élément qui fait partie intégrante du programme offert en psychiatrie, élément spécifique à la méditation de pleine conscience, est la pratique informelle de la méditation. La vie quotidienne devient le lieu pour s’exercer à prêter attention à l’expérience de l’instant présent sans vouloir être ailleurs ou désirer que ce soit autrement. Traverser les journées en s’exerçant à être pleinement là où nous sommes déjà.
 
Un participant nous confie : « J’ai vécu un beau moment de présence, avec mon petit-fils, alors qu’on nourrissait les oiseaux. Ce n’était pas la première fois que je faisais ça avec lui, mais là, c’était différent, intense, j’étais vraiment là. » Une autre participante résume ainsi : « Je vis autrement ma routine du matin; je déguste en pleine conscience mon café et mon smoothie. »
 
La méditation ouvre la porte à quelque chose de mystérieux et de précieux, et je suis profondément touchée d’en être témoin. Toute personne est unique et son histoire est sacrée. Ces quelques parcelles de témoignages, livrées de façon aussi succincte, me laissent l’impression d’avoir seulement effleuré ce qui s’est vécu, et de ne pas rendre justice à la profondeur des partages qui se sont faits dans le groupe au fil des rencontres. Mettre des mots, c’est un peu trahir le mystère, mais c’est aussi lancer une invitation à s’aventurer sur ce chemin, ce pèlerinage vers là où nous sommes.
 



Christiane Biron travaille dans le réseau de la santé et des services sociaux depuis vingt ans comme intervenante en soins spirituels auprès des personnes hospitalisées, principalement à l’Hôpital de l’Enfant-Jésus. Elle a aussi été professeure associée à l’Université Laval ainsi que superviseure de stages pendant huit ans. Elle détient un baccalauréat avec majeure en théologie et mineure en psychologie et une maîtrise en accompagnement spirituel en milieu de santé.


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