Par Laurence Guillaumie et Olivier Boiral – 1er décembre 2014
Dans un monde d’efficacité et de rendement, il peut paraître surprenant de prendre du temps pour méditer. En plus de distinguer les deux grands types de méditation, la méditation analytique et la méditation de concentration, les deux auteurs proposent une réflexion sur le sens ou le but de la méditation. Pourquoi méditer et comment la méditation est-elle un chemin pour accéder à la paix et à la joie intérieures?
Ça s’est passé lors d’un repas de famille, au moment de l’apéritif. Nous sommes debout autour d’une table de victuailles, un verre à la main, échangeant sur nos vacances et les derniers évènements de nos vies. Un cousin me lance, le sourire aux lèvres « J’ai entendu dire que tu as fait pendant 15 jours de la méditation en Auvergne. » Les membres de notre petit cercle sont visiblement interpellés par la question. On peut sentir la pesanteur du temps qui me laisse quelques secondes pour trouver une réponse. Souhaitant sincèrement parler avec des proches de ce que j’aime dans la vie, je présente plutôt formellement les deux principaux types de méditation du bouddhisme tibétain (1).
La méditation analytique
Le premier type est la méditation analytique. Elle consiste à diriger notre esprit sur un sujet de réflexion, d’en faire l’analyse et d’imprégner notre esprit des conclusions de cette analyse. Concrètement, on peut commencer par lire un texte inspirant sur un sujet tel que la mort, l’origine de la souffrance, les bienfaits de l’amour universel, la paix intérieure, etc. Ensuite, on peut simplement réfléchir (sans que la méditation proprement dite soit encore commencée) sur l’effet de cette lecture dans notre esprit, vérifier si cela correspond à notre expérience et explorer les différentes implications dans notre vie. Ensuite, l’esprit imprégné de cette lecture, on peut commencer à méditer. Traditionnellement, la méditation se pratique assis en tailleur, mais on peut aussi la pratiquer en étant confortablement installé dans un fauteuil. On a les yeux mi-clos, les mains jointes posées sur le haut des cuisses et on poursuit l’exploration du sens de cette lecture. On observe les effets de cette lecture au plus profond de notre esprit, dans cet espace intime jamais dévoilé, invisible pour les autres et bien souvent pour soi-même. Il est dit que lorsque l’esprit se concentre sur un sujet, qu’il l’analyse et s’en imprègne, cela y laisse des empreintes. Lorsque cette opération se répète régulièrement, l’esprit se transforme, c’est-à-dire que notre manière de penser, de vivre, et les actes que l’on pose changent. La méditation analytique vise alors à pénétrer le sens véritable de tout objet qui viendrait à l’esprit.
La méditation de concentration
Le second type est la méditation de concentration. Cette méditation vise à aller « au-delà » du système de nos pensées et de nos idées – système que l’on appelle communément le mental ou l’ego – et à se concentrer uniquement sur la force pure, sous-jacente à tous nos fonctionnements, dénuée de concepts, qui soutient notre vie et qui soutient toute la Vie. Pour se familiariser avec cette méditation, on peut commencer en se concentrant sur une lumière que l’on visualise dans notre esprit ou sur ce qui serait l’espace entre deux pensées. Il ne s’agit donc pas de méditer sur nos pensées et d’empêcher les pensées (puisqu’on ne peut pas faire cesser la production de pensées par le mental), mais bien de calmer totalement l’esprit et le concentrer sur l’énergie qui soutient la Vie, qui est au fondement de l’existence et qui fait radicalement rupture avec des conceptions matérialistes de l’existence. Au minimum, cette pratique favorise le ralentissement du fonctionnement du corps et de l’esprit et, par voie de conséquence, un état de relaxation apaisant.
Les pratiques de la méditation
Prise dans son sens le plus large, la méditation signifie la familiarisation profonde et constante de l’esprit avec des sujets vertueux (1). On peut retrouver ces deux types de méditation dans différentes traditions spirituelles, chacune ayant évidemment ses spécificités quant à l’approche suivie, l’objet de la concentration (grossier ou subtil), ou encore les pratiques qui y sont associées (postures de yoga, respiration, etc.). La méditation peut aussi concerner toutes les pratiques dans lesquelles on mobilise la méditation analytique et de concentration, que ce soit par la lecture de textes, le chant ou la réflexion. À titre d’exemple, le chant de textes spirituels permet de se remémorer des éléments de la philosophie dont on s’inspire, et de s’en imprégner, un peu comme dans la méditation analytique. Ces textes spirituels décrivent souvent les qualités que nous souhaitons développer (et voir se développer dans le monde) et servent de support pour se représenter dans notre esprit ces qualités, pour se visualiser comme ayant ces qualités et pour ressentir ce qui nous arriverait ainsi qu’à tous les autres si tous les êtres possédaient ces qualités (2). Finalement, l’important dans la méditation est l’attention portée avec l’esprit et non l’activité physique extérieure. La méditation peut être pratiquée en se promenant ou en faisant du ménage. Au début, l’esprit étant facilement distrait, il est recommandé de pratiquer la méditation dans une position assise, confortablement, et dans un lieu calme. Une retraite de méditation permet un éloignement du fonctionnement ordinaire du monde afin de s’adonner de façon intensive à la méditation, ce qui est grandement favorisé par le calme qui règne dans les lieux qui y sont dédiés.
Une transformation intérieure
Le point commun de toutes ces formes de méditation est donc de transformer le fonctionnement de l’esprit et de favoriser la paix et la joie intérieures. Ce processus de transformation exige l’enthousiasme à méditer, la capacité de concentrer l’esprit et d’analyser en profondeur. Les deux obstacles principaux qui vont se dresser pour l’apprenti méditant dans ce processus sont l’agitation et le relâchement (3). Avec l’agitation, l’esprit est distrait et passe sans cesse et rapidement d’une idée à l’autre. Il est alors recommandé de développer la concentration, tout simplement en calmant l’esprit et en portant son attention sur la respiration, plus précisément sur les sensations aux narines ou sur les mouvements de l’abdomen. Avec le relâchement, l’esprit est comme endormi ou sans vigueur. Il est alors recommandé de se remémorer ses motivations à méditer pour redonner de la clarté et de l’intensité à la méditation. Il est dit qu’il n’y a rien qui ne soit pas facilité par la familiarisation (4).
Un apaisement de l’esprit
Le cousin rétorque avec amusement : « Je comprends mieux maintenant ce que c’est, mais pourquoi fais-tu cela? Il y a des vacances très sympas à passer en Corse, en Turquie ou en Grèce. » Au début, les personnes s’initient à la méditation en raison de la souffrance que leur esprit leur fait vivre. Il peut s’agir de confusion mentale, d’angoisse, de peur, d’incertitude ou de douleur. Cette souffrance peut être plus ou moins intense et plus ou moins clairement identifiée par la personne. Les apprentis méditants vont souvent distinguer la souffrance « normale » liée à des circonstances de la vie (par exemple, la maladie et la mort) et la souffrance « inutile » produite par notre esprit et qui s’impose à nous par la force de l’habitude de fonctionnements mentaux. Tout en reconnaissant les limites logiques d’une telle distinction, il demeure que les apprentis méditants ont l’intuition de vivre une souffrance « inutile » et que la méditation permettrait de transformer l’esprit pour soulager, voire éliminer, cette souffrance. S’il y a autant de personnes que de motivations et de cheminements, elles ont en commun la reconnaissance que des mécanismes, dans leur esprit, les emprisonnent dans des routines mentales et que la pratique de la méditation permettrait de les en libérer. De façon étonnante, plus on pratique la méditation, plus on devient attentif au fonctionnement de notre esprit, plus la conscience de cet emprisonnement s’amplifie, et plus l’aspiration à méditer augmente. Parallèlement, on devient aussi plus conscient de notre potentiel d’amour, de joie et de sagesse, et des moyens infinis pour le cultiver.
Dans la plupart de ces traditions, la méditation ne constitue pas une fin en soi, mais plutôt un moyen permettant d’apaiser l’esprit et de dépasser les limitations du mental. La méditation vise à atteindre un état de supraconscience, parfois appelé Samâdhi, qui se caractérise par une expérience d’unité avec toute chose, d’absorption dans l’absolu, de lâcher-prise, de joie intérieure et de paix profonde (5). Cette expérience est, le plus souvent, temporelle. Une fois sorti de ce Samâdhi, le méditant retrouve son état de conscience ordinaire et ses habitudes, bien que ce type d’expérience, par son intensité, puisse modifier profondément sa vision du monde et, le plus souvent, le poussera à rechercher à revivre cet état. Cette recherche est parfois considérée comme un obstacle à l’éveil spirituel, qui se définit non comme une expérience temporelle, fût-elle extatique, mais plutôt comme la réalisation directe, non intellectuelle et stable de ce que nous sommes véritablement. Cette réalisation s’accompagne d’une libération des souffrances mentales liées à l’identification au corps et au mental, et d'un changement radical « du centre de gravité » de la conscience. Le sentiment du « je » tend alors à disparaître ou, en tout cas, à jouer un rôle périphérique par rapport à l’appréhension directe de la totalité indivisible du réel (6). Il est aussi à noter que dans la plupart des traditions spirituelles, la méditation ne peut pas être la « cause » de l’éveil spirituel, puisque ce dernier est indéterminé, intemporel, en dehors des structures mentales de la conscience ordinaire, et ne peut donc être le résultat d’une recherche, ni d’un vouloir qui est au départ conditionné par le mental. Si certains enseignants de la tradition védantique remettent même en cause l’utilité de la méditation pour atteindre l’éveil spirituel, ses effets bénéfiques pour réduire le stress, apaiser le mental et le préparer à certaines réalisations sont rarement contestés et ont été attestés par de nombreuses études. La méditation est d’ailleurs de plus en plus pratiquée en dehors de tout cadre religieux ou spirituel pour améliorer son bien-être ou encore comme une démarche de développement personnel.
Libération du mental
Les explications sur la méditation ne sont pas allées plus loin, comme c’est souvent le cas dans les écrits d’introduction à la méditation. Et pourtant… Par la pratique de la méditation telle que décrite ci-dessus, des expériences peuvent (ré)apparaître. Le terme « expérience » ne renvoie pas à une compréhension intellectuelle, mais bien à une ouverture sur une signification nouvelle qui engage tout l’être et qui aura des conséquences irréversibles sur la façon dont la personne s’engage dans l’existence (7). Cette expérience vécue dans l’esprit et le corps ne se situe pas au niveau du mental, mais bien au niveau d’une « autre chose » comme l’évoquent Satprem, Freud ou de grands maîtres du bouddhisme tibétain (8, 9, 10). Le mental renvoie à l’ensemble des concepts ou des étiquettes qu’on pose sur la vie, sur les choses, sur nous et sur les autres. Ce mental est fortement influencé par les valeurs, les idéaux, les interdits de notre société et de notre milieu familial. Ce mental est ce à quoi les gens s’identifient le plus souvent et ce qu’ils désignent comme étant « eux-mêmes ». Ce mental serait comme le scénario du rôle que l’on joue. L’expérience de « l’autre chose », quant à elle, échappe à toute tentative d’être nommée ou représentée. Pour des raisons didactiques, on pourrait dire qu’il s’agit d’une expérience directe de l’énergie de Vie qui rend totalement caduque notre identification habituelle aux concepts du mental. Balsekar (2003) parle d’une mort avant la mort. C’est faire l’expérience que tout constitue cette énergie de Vie et se produit dans l’énergie de Vie. C’est l’élimination du sentiment d’une volonté personnelle qui laisse la place à l’observation neutre de l’accomplissement de l’énergie de Vie en soi. On pourrait dire que le mental ainsi que le corps sont les instruments de cette énergie de Vie, et non les auteurs (11). L’Éveil, c’est l’anéantissement de la croyance dans l’égo ou, vu autrement, c’est l’abandon radical à cette volonté « autre » (12). Le méditant, libéré de la prison du mental, peut néanmoins l’utiliser pour s’articuler aux autres et fonctionner socialement. Il sera toutefois définitivement guidé, animé et nourri par une autre source, la source de Vie, l’énergie primordiale de toute chose. Comme le souligne Willy Apollon dans ses conférences, la question se pose pour chaque société de déterminer la place qu’il faut octroyer à cette expérience « autre » et sur la manière d’en organiser l’accès, tout en maintenant le lien social (13). L’histoire récente du Québec nous a montré qu’on ne peut institutionnaliser et imposer la recherche de la grâce. Elle nous montre aussi les écueils d’une société dont les individus sont soumis au mental, sans autre espace de transcendance.
Références
1 Gueshe Acharya Thubten Loden. Path to enlightment in Tibetan Buddhism, Melbourne, Tushita Publications, 1993.
2 McDonald K. How to meditate: A practical guide, Wisdom Publications Inc, 2005.
3 Lama Samten. Apprendre à méditer, Québec, Impressions Stampa, 2011.
4 SS Dalaï Lama. Comme un éclair déchire la nuit, Paris, Albin Michel, 1998.
5 Sri Nisargadatta Maharaj. Ni ceci ni cela, Paris, Les Deux Océans, 1996.
6 Klein J. La joie sans objet, Paris, Almora, 2009.
7 Lama Guendune. Mahamoudra, La voie de la compassion et de la dévotion, Saint-Léon-sur-Vézère, Dzambala, Éditions JC Lattès, 1997.
8 Satprem, Venet L. La vie sans mort, Paris Robert Laffont, 1985.
9 Lacan J. La chose freudienne ou sens du retour à Freud en psychanalyse, Lacan J, editor. Écrits, Paris, Seuil, 1966.
10 Trungpa C. Tantra : la voie de l’ultime, Paris Seuil, 1996.
11 Balsekar R. Entretiens sur l’illumination, Tiruvannamalai : Le Lotus d’Or, 2003.
12 Adyashanti. La fin de votre monde, Paris, Ariane, 2010.
13 Apollon W. L’universel, perspectives psychanalytiques : conférences et écrits, Québec, GIFRIC, 1997.
Laurence Guillaumie est professeure à la Faculté des sciences infirmières de l’Université Laval. Elle est pédagogue spécialisée en éducation pour la santé et en accompagnement du patient dans la prise en charge de sa situation de santé. Elle détient un doctorat en santé communautaire et sciences de l’éducation. Ses intérêts de recherche portent notamment sur le développement du pouvoir d’agir des patients et sur le développement d’interventions infirmières visant à les soutenir. Elle pratique et enseigne la méditation bouddhiste tibétaine.
Olivier Boiral, professeur au département de management de l’Université Laval, est également titulaire de la chaire de recherche du Canada sur les normes de gestion du développement durable et directeur des programmes de deuxième cycle en responsabilité sociale et environnementale des organisations de l’Université Laval. Son principal domaine de recherche porte sur la gestion du développement durable, notamment la prise en compte de la biodiversité par les entreprises et le rôle des stades de développement de la conscience dans le leadership environnemental. Il a également enseigné le yoga dans les années 1990 et pratique la méditation depuis environ une trentaine d’années.