Par Yvon Joseph Moreau
Nous entendons souvent, aujourd’hui, parler de méditation. Mais il arrive de moins en moins qu’on parle de prière; ce sujet, dans certains milieux, peut être considéré comme dépassé. Mais qu’en est-il au juste et qu’est-ce qui distingue et rapproche la prière de la méditation? L’auteur évoque dans ce texte les liens étroits entre ces deux concepts.
Deux principes reçus de mes professeurs, lorsque j’étais étudiant en philosophie, vont me guider dans cette réflexion sur la distinction entre prière et méditation. Le premier : « réfléchir au plus près de soi possible »; le second : « distinguer pour unir ». Le premier va donner à mes remarques et à mes affirmations sur le sujet une couleur plutôt personnelle : je réfléchirai au plus près possible de mon expérience de priant et de méditant. Ce sera pour vous, je l’espère, une invitation à ne jamais perdre de vue ce que vous avez pu vivre personnellement et ce que vous avez retenu de votre expérience de la prière ou de la méditation. Bref, une invitation à réfléchir vous aussi « au plus près de vous-même ». Le second principe va délimiter les deux parties de cet article. Dans un premier temps, je m’exercerai à marquer la différence entre prière et méditation. Dans un deuxième temps, je chercherai à mettre en valeur les liens qui peuvent les unir et les enrichir mutuellement.
Distinguer…
De façon sommaire, je dirais que prier, c’est parler à Dieu, et que méditer, c’est réfléchir sur Dieu! Ces deux définitions sont valables pour la foi chrétienne et pour les religions qui se réfèrent à un Dieu personnel à qui il est possible de s’adresser avec la certitude d’une écoute bienveillante.
Prier, c’est donc m’entretenir avec un Dieu en qui je crois et que je considère attentif à mes paroles. La prière peut alors prendre plusieurs modes d’expression. Elle peut se faire supplication lorsque je suis accablé par la souffrance et que l’épreuve m’écrase. Elle peut s’exprimer en intercession pour les autres, pour les personnes qui me sont proches et que j’aime, comme pour les personnes dont les souffrances et la torture me sont connues par les différents moyens de communication. Elle peut se traduire en action de grâces devant les dons que je reçois, les joies que je goûte, les bontés dont je suis le témoin et les beautés que je contemple. Elle peut s’élever en louange vers celui dont je reconnais la sollicitude envers toute l’humanité et la miséricorde pleine de patience à mon égard. Tous les événements de ma vie et les personnes rencontrées peuvent susciter et nourrir ma prière. Comme l’affirmait déjà un moine du IVe siècle :
Je tiens pour impossible de distinguer toutes les formes de prière, à moins d’une pureté de cœur tout à fait singulière et de lumières extraordinaires de l’Esprit Saint. Leur nombre est aussi grand qu’il peut se rencontrer dans une âme, ou plutôt dans toutes les âmes, d’états et de dispositions différentes1.
Aux expressions plus connues de la prière que sont la supplication, l’intercession, l’action de grâce et la louange, il faut ajouter une prière qui tend à s’exprimer en peu de mots, parfois même en un seul mot au rythme de la respiration. Appelée « prière du cœur » ou « prière de silence », elle est beaucoup plus que le résultat d’une technique de respiration. Elle est le fruit patiemment mûri d’une longue fidélité et d’une amoureuse familiarité avec un Dieu dont la Parole est devenue notre nourriture. La prière unie au rythme de la respiration est surtout le don du Souffle saint qui nous habite, priant en nous et avec nous2.
La prière peut ainsi devenir la respiration de notre vie parfois essoufflée et en manque de souffle. Elle contribue à l’unification de notre être trop souvent dispersé et même tiraillé. En Dieu, nous sommes d’abord invités à construire l’unité de notre être filial, puis nous sommes appelés par la suite à nous diviser et à nous donner dans le service fraternel de nos sœurs et de nos frères.
De son côté, en Occident surtout, la méditation a été traditionnellement comprise comme une activité davantage réflexive, faisant appel au travail et à l’effort de l’intelligence pour s’ouvrir au mystère de Dieu et aux dimensions de la vie spirituelle. Cet effort intellectuel se déroulait selon une méthode et des étapes bien précisées. Dans l’Église, il y a eu diverses méthodes de méditation, selon les grands courants de spiritualité et les différentes familles religieuses.
Aujourd’hui, plusieurs personnes ont fait la découverte d’une autre forme de méditation où il ne s’agit pas de réfléchir et de déployer un effort rationnel, mais de travailler à mieux se recentrer en devenant davantage présent à soi-même. Ces formes de méditation se sont répandues selon différentes approches, telles la « méditation transcendantale » ou la « méditation de pleine conscience » et elles ne font pas explicitement référence à la foi en un Dieu personnel ou au Christ Jésus.
Dans le monde chrétien et catholique, renouant avec une tradition ancienne demeurée toujours vivante dans l’Église orientale et dans les milieux monastiques, deux moines ont su développer de nouvelles approches de la prière et de la méditation. Thomas Keating, moine cistercien américain, a présenté la centering prayer que l’on traduit en français par l’expression « prière de consentement3 ». Pour sa part, John Main, moine bénédictin anglais, a enseigné la « méditation chrétienne » qui, malgré le nom, me semble une véritable prière adressée à Dieu, dans la foi4 . Dans la prière et la méditation chrétiennes, nous grandissons dans la conscience d’être intimement unis au Christ, sous la mouvance de l’Esprit qu’il répand en nos cœurs et qui ne cesse de prier en nous. Notre prière rejoint sa prière. Sa prière devient notre prière!
…pour unir!
À la lumière des précédentes considérations, il me semble légitime d’affirmer que distinguer prière et méditation ne nous conduit pas à les opposer et à les considérer comme des sœurs ennemies, surtout dans un contexte chrétien. Les distinguer nous conduit plutôt à reconnaître les rapprochements réels et les possibles enrichissements mutuels.
La prière peut ressentir le besoin d’une méditation plus réflexive et s’en nourrir, de même que la méditation peut ouvrir progressivement notre cœur à la prière. C’est ce que l’on découvre concrètement dans la pratique de la lecture priante de la Parole de Dieu, avec ses quatre étapes énoncées par Guigues le Chartreux dès le XIIe siècle : lecture, méditation, prière et contemplation. Dans cette pratique, méditation et prière sont intimement liées : elles peuvent se vivre très simplement en goûtant un mot ou une expression au rythme de la respiration. Les moines donnent le nom de « rumination » à cette façon particulière de méditer.
En voici un bref exemple, en lien avec l’évangile de saint Jean où Jésus affirme : Moi, je suis le Chemin, la Vérité et la Vie (Jn 14,6). Je puis répéter cette parole en la laissant descendre dans mon cœur et en réfléchissant aux façons et aux moments où Jésus a été pour moi le Chemin, la Vérité et la Vie. Je puis aussi prendre conscience que j’ai trop souvent oublié cette parole de Jésus qui fait appel à ma foi. Selon les sentiments qui montent en moi, je pourrai prier en disant : « Seigneur Jésus, tu es pour moi le Chemin, la Vérité et la Vie », ou plutôt : « Seigneur Jésus, sois pour moi le Chemin, la Vérité et la Vie ». Je puis aussi faire le choix d’une formule plus courte : « Seigneur Jésus, tu es pour moi le Chemin », ou « Seigneur Jésus, tu es pour moi la Vérité », ou encore « Seigneur Jésus, tu es pour moi la Vie ».
Cet exemple, tout simple, fait voir qu’il nous faut aller au-delà des mots lorsque nous parlons de la prière au rythme de la respiration et de la méditation chrétienne. Elles sont très proches l’une de l’autre et elles s’unissent dans le même désir d’être heureux en présence de Dieu et de vivre une rencontre personnelle avec lui5.
Prière et méditation, qu’elles soient chrétiennes ou non, exigent des choix : choix de prendre le temps surtout! Qui dit choix dit renoncements aussi… Mais celui ou celle qui consent à faire ce choix et y demeure fidèle en vient à oublier les renoncements consentis. Ces personnes éprouvent plutôt tous les bienfaits qu’elles reçoivent de la prière ou de la méditation et, peu à peu, l’attachement qui grandit en elles fait oublier les renoncements. Elles s’attachent toujours plus fidèlement à la prière et à la méditation comme sources de rencontre avec Dieu et de paix intérieure. Alors que la « méditation de pleine conscience » recherche une meilleure présence à soi-même dans la libération de ses peurs, de ses anxiétés et des manques de confiance en soi, la « méditation chrétienne » ou « la prière du cœur » recherche principalement la présence à Dieu, comme source de vie, de paix et de joie. La « méditation chrétienne » et « la prière du cœur » espèrent aussi d’autres fruits de ce silence en Dieu : notamment la force et la lumière intérieures. Dans l’Église orientale, cette façon de prier a reçu le nom d’« hésychasme », à partir du mot grec hesychia qui signifie « immobilité, repos, calme, silence, paix ».
Enfin, prière et méditation, vécues en vérité, que ce soit dans la lumière de la foi ou sans elle, sont toutes deux au service de la personne et de sa construction, au service de sa croissance et de son épanouissement. Une construction, une croissance et un épanouissement qui se vivent dans la solidarité avec les autres et qui créent une plus grande ouverture envers les autres. Elles nous aident à « cultiver un espace intérieur », pourrions-nous dire avec le pape François6; mais cet espace intérieur n’est jamais un jardin fermé! C’est un espace ouvert à la solidarité et à la communion. Une prière et une méditation qui enfermeraient la personne en elle-même, en l’isolant de ses frères et sœurs en humanité, ne sauraient être des expériences humaines et spirituelles authentiques!
Conclure?
Il n’y a pas à conclure. Il y a plutôt à poursuivre l’expérience « au plus près de soi possible », découvrant que prière et méditation, loin d’être des sœurs rivales, peuvent devenir des inséparables, lorsqu’elles sont vécues dans un esprit d’ouverture. S’il y a une différence légitime entre elles, il n’y a pas d’opposition absolue et encore moins de frontière infranchissable. Notre esprit peut circuler de l’une à l’autre et, surtout, l’Esprit Saint peut nous conduire librement de l’une à l’autre. La rencontre de Dieu qui peut être ardemment désirée et espérée dans la foi, peut aussi se présenter alors qu’elle n’était pas attendue. Elle peut même s’offrir soudainement d’une manière totalement inespérée!
Notes
1 CASSIEN, Jean. Conférences, IX, 8,1 (Sources Chrétiennes 54 bis), Paris, Cerf, 2009, p. 89.
2 C’est l’expérience que j’ai voulu partager dans la deuxième partie de mon livre Respirer Dieu, p. 59-99.
3 KEATING, Thomas. Prier dans le secret, Éditions Anne Sigier, 2009, 209 pages.
4 MAIN, John. Chant du silence; l’art de méditer, Médiaspaul, 2013, 254 pages.
5 Pour une meilleure connaissance de la méditation chrétienne qui se pratique dans différents groupes au Québec, on peut se référer à info@meditationchretienne.ca et www.meditationchretienne.ca et pour la « prière de consentement » à www.contemplativeoutreachcanada.org
6 Pape François. La joie de l’Évangile; exhortation apostolique, no 262, éditions du Cerf, 2013, 256 pages.
Professeur de philosophie au Séminaire national de Managua au Nicaragua, enseignant à l’Université du Québec à Rimouski et au Cégep de Rivière-du-Loup, Yvon Joseph Moreau entre à l’Abbaye cistercienne d’Oka en 1984 où il est moine et abbé de la communauté pendant 28 ans. Il a donné près de 40 retraites à des communautés de moniales et de moines au Canada, en France, en Afrique et en Amérique latine (République Dominicaine, Mexique, Vénézuéla, Équateur, Brésil, Chili et Argentine). Il est nommé évêque du diocèse de Sainte-Anne-de-la-Pocatière le 18 octobre 2008.