Il suffit d’être

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Par Jacques Gauthier - 1er décembre 2014

L’auteur nous propose ici une synthèse personnelle de ce qu’il entend par méditation. Après avoir rappelé certaines sources de la méditation, il s’attache à rendre compte dans cet article de manière particulière de ce qu’il appelle l’oraison silencieuse, ou la prière contemplative.

 
La méditation est à la mode aujourd’hui. On en parle de plus en plus dans les médias. Josée Blanchette signe un bel article sur ce sujet et la pleine conscience dans Le Devoir du 30 novembre 2012, « La vie en 3D ». Elle termine ainsi : « On découvre alors avec surprise que la liberté de penser, c’est bien. Mais que la liberté de ne pas penser, c’est encore mieux. » On dirait du saint Jean de la Croix. Elle se garde bien de faire des liens avec la spiritualité, la religion, la prière, l’adoration, Dieu. En effet, pas besoin de croire en Dieu pour goûter le silence, la paix, la relaxation, l’attention amoureuse, mais ça peut aider. Il faut dire que les mots « Dieu » et « religion » sont piégés de nos jours, surtout depuis le 11 septembre 2001.
 
Ce phénomène populaire de la méditation nous vient surtout de l’Orient. Il va à contre-courant d’une société technologique occidentale qui est de plus en plus consumériste et ultrarapide. Pour plusieurs Occidentaux, c’est « une alternative à la pensée matérialiste et rationnelle » (Geo, octobre 2011, p. 38). La pratique de la méditation est surtout apparue dans les années 1960 avec ce qu’on a appelé « la génération lyrique », la génération Peace and Love. Des jeunes trouvaient, dans la méditation et le yoga, une exploration de leur moi intérieur au même titre que les drogues psychédéliques et la musique rock.
 
Aujourd’hui, la méditation est vue par plusieurs comme une technique de relaxation, un moyen de connaissance de soi, une expérience de la conscience, une forme de prière, une rencontre avec Dieu. On la retrouve chez les grandes traditions religieuses dans leur dimension mystique. La méditation répond au désir de l’être humain de vivre unifié, pacifié, en harmonie avec ce qui l’entoure. Cette expérience de l’absolu emprunte la voie de l’intériorité et procure souvent un bien-être physique et mental. Elle se vit différemment selon les conceptions que les personnes et les religions se font de l’être humain et de Dieu. On peut tout de même se poser la question : qu’est-ce que méditer dans ces grandes traditions, et quel est le lien avec la prière?
 

La tradition hindoue et bouddhiste

Pour des religions comme l’hindouisme, le bouddhisme et le taoïsme, la méditation est un moyen simple et direct d’atteindre le divin en soi. Mais c’est un chemin long et exigeant comme l’est toute expérience spirituelle authentique. Comme s’y prendre? Premièrement, il est important de choisir une posture du corps qui nous convient, celle qu’on peut garder longtemps, sans faire d’effort, et qui aide à rester immobile, concentré. Deuxièmement, on peut focaliser son attention sur un objet intérieur ou extérieur, pour que l’esprit soit concentré. Ce peut être une statue, une photo d’un maître spirituel. On peut aussi se concentrer sur sa respiration, une formule ou un son primordial, comme le mantra Om. En méditant chaque jour, le fidèle arrive à l’expérience du Soi qui est son identité profonde. Les vagues s’apaisent à la surface et la personne s’immerge dans les profondeurs de son être profond, appelé aussi le cœur ou l’âme.
 
Parmi les formes de méditation issues de l’hindouisme, la méditation transcendantale est la plus connue. Elle fut introduite dans les années 1960 par le Maharishi Mahesh Yogi et publicisée par les Beatles. Pour le Maharishi, la méditation transcendantale est l’aspect pratique d’une science de la conscience. Cette pratique venue des Indes transcende les religions et peut être utilisée par tous. Des études scientifiques ont montré que cette forme de méditation hindouiste réduit le stress et procure une relaxation en augmentant les ondes cérébrales alpha.
 

Éveil à soi

La pratique constante de la méditation, qu’elle soit hindoue, bouddhiste ou chrétienne, apporte normalement une vie plus éveillée. Elle conduit à la pleine conscience de son être qui s’engage pour la paix et la compassion dans le monde. Cela se vit dans l’attention au moment présent et aux émotions. La méditation demande un arrêt pour mieux voir, une tranquillité pour mieux accueillir, un lâcher-prise pour mieux s’abandonner. Elle est une vie pleinement consciente qui s’ouvre à la totalité du monde. On inspire et on expire consciemment en sachant que tout est interdépendant et que nous sommes reliés les uns aux autres. La méditation devient paix, éveil, libération. Dans la tradition bouddhiste, le but est de se libérer de tout attachement paralysant et d’atteindre le nirvana, la pacification de tout notre être.
 
Un mot sur le soufisme qui constitue la dimension mystique de l’islam. C’est une voie d’amour et de connaissance qui engage l’individu à vivre avec la présence divine en lui. Le soufi répète les noms divins comme les bouddhistes les mantras. Cela se fait aussi par le chant qui est un cri de l’âme et par la danse qui est une invitation au voyage intérieur. Comme le dit si bien Ibn Arabi, « l’amour est ma religion et ma foi ».
 
On peut aussi faire de la marche méditative. Marcher sans savoir où aller, marcher pour le plaisir de marcher et de respirer profondément. Les pas s’harmonisent avec la respiration dans la conscience de ce que je suis et de ce qui m’entoure. Et si l’on est croyant, on laisse monter une prière de louange à Dieu pour la beauté de la création. Comme disait Gandhi, mieux vaut mettre son cœur dans la prière sans dire beaucoup de paroles, que de trouver des paroles sans y mettre son cœur. Et cela se vit aussi en marchant, d’où l’importance des pèlerinages.
 

La tradition chrétienne

Dans le christianisme, la méditation signifie surtout deux choses : une forme de prière intérieure et une manière de « ruminer » la Parole de Dieu, appelée aussi lectio divina, expression latine et monastique qui désigne une lecture priante du texte biblique. On médite ce qu’on lit pour que cette méditation se change en prière et en contemplation.
 
Ici, c’est la référence à Dieu qui importe. Dieu est vu comme un être personnel et aimant qu’on peut rencontrer dans la prière. Prier en chrétien, c’est parler avec amour à un Dieu Père, révélé en Jésus par l’Esprit Saint. Prier, c’est écouter Dieu présent au fond du cœur, lui demander quelque chose, lui rendre grâce, le supplier, l’adorer, l’aimer dans le silence de la contemplation qui est une attention amoureuse à son mystère. Prier n’est donc pas tant de faire le vide que de communier au Christ. Jésus, qui se retirait souvent dans des lieux déserts pour prier, ne dissociait pas prière individuelle et communautaire : « Quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là, au milieu d’eux » (Matthieu 18,20). « Mais toi, quand tu pries, retire-toi au fond de ta maison, ferme la porte, et prie ton Père qui est présent dans le secret; ton Père voit ce que tu fais dans le secret : il te le revaudra » (Matthieu 6,6).
 

La prière contemplative

Je veux surtout parler ici de l’oraison silencieuse, ou de la prière contemplative, encore trop méconnue par nombre de chrétiens et qui se rapproche des formes de méditation des sagesses orientales et des grandes religions. John Main, moine bénédictin décédé en 1982, a enseigné cette forme de prière qu’il a appelée « méditation chrétienne » et qui remonte aux premiers siècles de l’Église. Il se réfère à des auteurs mystiques comme Jean Cassien et Jean de la Croix. Le mot « méditation » veut dire ici : se tenir au centre de notre être, c’est-à-dire en Dieu. Main va s’appuyer sur un mantra, Marana Tha – mot araméen qui signifie : « Viens, Seigneur Jésus! » – (1 Corinthiens 16,22) qu’il suggère à tous, pour se tenir au centre de l’âme, malgré les distractions et les images. Voici la manière de méditer qu’il propose :
Assoyez-vous confortablement, le dos bien droit. Fermez les yeux et, très calmement et sereinement, commencez à dire silencieusement votre mot dans votre cœur : Maranatha. Oubliez le temps. Nous méditerons environ vingt-cinq minutes. Pendant tout ce temps, il vous faut « être ». Être en paix, être immobile, immobile de corps et immobile d’esprit, ouvert à la vie et au Seigneur de la vie. (John Main, Le chemin de la méditation)
 
Le moine cistercien Basil Pennington met aussi au point une technique de prière qui consiste à se laisser rejoindre par Dieu au centre de l’être. Son livre Centering Prayer fut repris en français sous le titre évocateur La prière de silence. Cette « prière de recentrement », ou de « consentement », fut aussi enseignée par un autre moine américain, Thomas Keating. Encore ici, il y a un dépassement des pensées et des images pour mieux favoriser l’intériorité en Dieu et faciliter le développement de la prière contemplative qui trouve sa source dans la présence du Dieu trinitaire en nous.
 
Personnellement, j’ai pris la ferme décision de prier ou de méditer tous les matins. Dans mon bureau, où j’ai aménagé spécialement un petit coin, j’allume une bougie. Je m’assois bien droit sur un petit banc de prière, j’entre dans l’oraison silencieuse en fermant les yeux. Le plus souvent, le nom de Jésus me vient spontanément et m’aide à me recueillir, ou cette formule : « Viens, Seigneur Jésus ». J’accueille ce qui monte. Quand les distractions m’envahissent, je les accepte comme telles et je les offre au Dieu caché. Je reviens doucement à mon recueillement. Je relance parfois ce temps d’oraison par un Notre Père, un acte de foi à l’Esprit Saint, un regard vers une icône ou un crucifix. Cela peut durer une trentaine de minutes. Il s’agit d’être là, puisque ma foi me dit que Dieu est là. La meilleure méthode est souvent de ne pas en avoir. Le plus grand effort est de ne pas en faire. Seulement être disponible à Dieu, si l’on est croyant, bien sûr, l’attendre, l’écouter dans le silence, désirer l’aimer, se maintenir dans la présence de son absence, l’attendre toujours dans la foi. Le reste lui appartient.
 
Une autre forme de prière chrétienne et contemplative que l’on redécouvre aujourd’hui est l’adoration eucharistique silencieuse. On voit de plus en plus des chapelles d’adoration s’ouvrir dans les diocèses où les gens peuvent aller méditer, prier, adorer en silence devant le Saint Sacrement, jour et nuit. N’y a-t-il pas là un signe des temps qui répond à un besoin d’intériorité, à une soif spirituelle? Que nous ayons la foi en Dieu ou non, ces lieux sont des espaces de recueillement intérieur dans notre monde de performance où tout va si vite, où nos pensées génèrent si souvent de l’anxiété, « une plaie moderne, écrit Josée Blanchette, qui vient avec le mal de dos et la tendinite du pouce ».
 
Que ce soit oraison, prière contemplative, méditation chrétienne, adoration eucharistique, il est toujours question d’amour et de silence. Il s’agit de descendre de la tête au cœur, et, pour le croyant, de mettre tout l’être entre les mains de Dieu, sachant que l’on est aimé infiniment plus que nous le pensons. Prier, c’est donc aimer et se laisser aimer. « Plus on aime, mieux on prie », écrit Charles de Foucauld. Et plus on se laisse aimer, plus l’on devient prière. Le poète Patrice de La Tour du Pin résume cela en trois mots dans son hymne En toute vie, le silence dit Dieu : « Il suffit d’être. »
 
Ce texte est présent dans le blogue de Jacques Gauthier (en date du 30 novembre 2012) à l’adresse : http://www.jacquesgauthier.com/blog/entry/méditation-silence-et-prière.ht
 



Jacques Gauthier est poète et théologien, auteur d’une soixantaine d’ouvrages largement diffusés dans la francophonie et traduits en plusieurs langues. Quelques-uns de ses recueils de poèmes lui ont valu des prix littéraires. Il est titulaire d’un doctorat de l’Université Laval (1987) et a enseigné à l’Université Saint-Paul d’Ottawa. Spécialiste de Patrice de La Tour du Pin et de Thérèse de Lisieux, il est l’auteur de nombreux livres sur la prière et la spiritualité. Marié et père de famille, il a aussi écrit sur les âges de la vie, dont La crise de la quarantaine et Les défis de la soixantaine. Il collabore à l’émission Le Jour Du Seigneur de Radio-Canada. Il se consacre actuellement à l’écriture et à l’animation de nombreuses sessions et retraites spirituelles. Pour plus de renseignements, consultez son site www.jacquesgauthier.com
 




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