Cris d’homme en crise

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Par Bernard Roy – 1er décembre 2013

Les crises s’expriment souvent par des cris! À travers quelques-unes de ses créations littéraires, l’auteur retrace son parcours d’homme en crise.

 
J’ai reçu une invitation à rédiger un texte réflexif autour de la thématique de « l’homme ». De « l’homme en crise ». J’ai souri. J’ai réfléchi. L’invitation m’interpelle. Elle m’apparaît sincère, bien intentionnée, attentionnée. Mais, au-delà de l’attrait, cette proposition présente son lot de difficultés. Du moins, à mes yeux. En acceptant cette offre, en m’inscrivant – en m’écrivant – dans les méandres de « l’homme en crise », je m’expose, me dévoile, me mets à risque. Le sujet m’appelle puisque – hé! oui – je suis un homme en crise. En fait, longtemps me suis-je perçu comme un « criss d’homme ». Longtemps ai-je détesté l’homme en moi ainsi que tous les mâles de la race humaine. Enfin, pratiquement tous. J’ai haï l’homme-en- moi à en mourir! Et il ne s’agit pas d’une métaphore.
 
Au risque de heurter quelques universitaires, mes propos, dans ce texte, ne reposent pas sur des données probantes. Je puiserai, pour composer ce texte, à la source de mes données parlantes coulant de mon parcours bien singulier. À travers quelques textes de chansons surgis de ma plume, au fil des décennies, je raconterai ma trajectoire d’homme. Jean Cocteau disait que la poésie « dévoile, dans toute la force du terme. Elle montre nues, sous une lumière qui secoue la torpeur, les choses surprenantes qui nous environnent et que nos sens enregistraient machinalement ». Mes textes de chanson sont en vers et contre tout silence, assujettissants. Il y a parfois de drôles de hasards.
 
Certains diront qu’il n’y a pas de hasard. Histoire de me trouver quelques lectures pour l’été, avant de partir en vacances, j’ai fait une petite virée à la librairie de mon quartier. Sur les tablettes, une étiquette « coup de cœur » de mon libraire attira mon regard. Elle pointait vers ce titre : Refuser d’être un homme. Pour en finir avec la virilité. Ce livre signé John Stoltenberg piqua ma curiosité, entre autres, parce que je venais de recevoir cette invitation à rédiger ce texte que vous avez, en cet instant, sous les yeux. Sans hésiter, j’ai ajouté ce livre à ma pile d’achats. J’aurais tout de même acheté ce livre puisque depuis quelques décennies, avec grand intérêt, j’ai lu des dizaines d’ouvrages interpellant l’homminitude. Il y eut, bien sûr, dans les années 1980, l’incontournable Père manquant fils manqué de Guy Corneau, L’un et l’Autre d’Élisabeth Badinter sans oublier Le deuxième sexe de l’incontournable Simone de Beauvoir. Dans les années 1990, j’ai lu À nous deux de Sylvie Chaput et Marc Chabot, La peur de l’autre en soi et bien d’autres ouvrages réflexifs interpellant l’homme en crise. Depuis, mes rayons de bibliothèque se sont alourdis du poids des mots qui tendent à expliquer les maux de l’homme.

J’avais hâte, franchement hâte, d’entreprendre la lecture de cette inespérée trouvaille. Aux premiers instants de mes vacances, je plongeais dans les pages de ce livre au titre provocateur. Mon élan ne durera pas. Le coup de cœur de mon libraire chavirera mon cœur. À la 100e page, débouté, dégouté par tant de hargne et de rage, je fermais à jamais ce livre réquisitoire de l’homme. Cette lecture inachevée ramena à la surface de ma mémoire une vieille rengaine de haine envers l’homme qui m’habita longtemps, et qui me transporta aux limites de l’anéantissement. Une rengaine inscrite dans une chanson, composée de ma main « mal-à-droite », en 1981, et que j’interprétais, à quelques occasions, sur des scènes du Québec.
 
Un homme (1981)

Un homme c’est tellement bête
Que d’en être un m’embête
Quand l’les vois faire la queue

Une main sur la queue
À la porte des bordels
Pour suscuter mamelles
Se vautrer dans un sexe
S’payer femme en annexe
Gardant l’autre sous contrat
Pour réchauffer les draps
Pour préparer les plats
Et pour nourrir le chat
Qu’ils nomment leur amour
La femme de leurs vieux jours
 
Un homme…
 
Un homme c’est tellement laid
Que d’en être un m’déplais
Quand j’les vois se gonfler
Pour mieux vous déplumer
Experts des finances
Experts de l’outrance
Experts des experts
D’l’avant et d’l’après-guerre
Grimper sur leurs poubelles
Triste tour de Babel
Remplie de vilenies
Par mégalomanie
Maudissant leurs voisins
Mourant seuls comme chien
 
Un homme…
 
Un homme c’est tellement con
Que parfois j’me mets rond
Pour oublier mes frères
Pour oublier mes pairs (pères)
Qui brulent argent et temps
Jouant au Don Juan
Passant du char au bar
Bandés comme des jars
Paradant d’vant ces dames
Certains que toutes acclament
Leur queue en oriflamme
Conquérant d’une flamme
La cerise de la soirée
Le cent-unième trophée
 
Un homme...
 
Et quand j’vois cette femme
Afficher au programme
Ah! si j’étais un homme
Pour devenir prud’homme
Visage peint en sourire
Pour plaire au saint-Empire
Brève porteuse de rêves
Aux premières rides qui crèvent
Autr’ Marilyn Monroe
En pâture au taureau
J’en viens à lui souhaiter
Que le rêve soit exaucé
Qu’elle devienne bête de somme
Enfin qu’elle soit… un homme!

 
Ces mots qui écorchent, écrits avec la rage de mes vingt ans, ne se sont jamais enfoncés au creux d’un blanc de mémoire. La syntaxe approximative, les rimes maladroites, le piétage boiteux n’ont pas suffi à effacer cette rengaine du répertoire de ma vie. Une mélodie qui martèlera, longtemps, ma déveine génétique. Homme débraillé, effrayé d’appartenir à ce genre, je déraillais. Mal dans ma peau, l’âme en peine, plus d’une fois ai-je tenté de quitter ce véhicule guerrier, cette peau de chagrin. L’histoire n’est pas simple. Elle ne se raconte pas en quelques paragraphes. Il me faut pourtant, pour cet exercice, sauter des pans de ce récit de grand paon.
 
Un face-à-face évité, en déroute, j’appelais à l’aide. Mon doigt, aveugle, parcourut les colonnes de l’annuaire. Je signalais ce numéro qui s’accrocha au passage. Au bout du fil, une voix. Une voix d’homme tendre m’accueillit. Il m’ouvrit sa porte, reçut ma colère, mes larmes, mes peines, mes peurs. La rage, la haine… des hommes… de l’homme… de l’homme en moi étaient incommensurables. Comment pouvais-je accepter de vivre avec cet être que j’haïssais à mourir?
 
Cette rencontre avec cet homme- thérapeute, cet homme soignant, m’inscrira dans un long, un très long processus de réconciliation. Il m’invita à mettre fin aux hostilités, à aller à la rencontre, non pas de l’homme, mais des hommes, de mes pairs et du père.
 
Beaucoup de mots ont coulé sous les ponts traversés depuis ce temps. J’ai pris le risque de quitter la terre ferme pour naviguer sur des eaux troubles. À voyager sur de vagues postures, émergent des horizons, des destinées insoupçonnées, des pays à inventer.
 
Le vague à l’homme (2006)

Les nerfs en boule, l’humeur de bœuf
Tu es brulé comme les vieux pneus
D’un char rouillé qui roule sa bosse
Dans un cul d’sac t’es fait à l’os
Tremblement d’cœur, fracture de vie
Vague de fond, un tsunami
S’ouvrent les failles, tombent les murs
Béton s’effrite, faibles armures
 
C’est le vague-à-l’homme…
Marlborough t’invite à la guerre
En mémoire et honneur du père
Et toi qui es à fleur de larme
Ne sais que faire de ces armes
Viser le front, mourir héros
Sauter les plombs pour le drapeau
Armes au poing on te bénit
Cible le cœur, hara-kiri
 
C’est le vague à l’homme…
 
C’est invariable tu aimes faire
Et de l’avoir t’es l’auxiliaire
Complément d’être qui se décline
Se subordonne à ses racines
Tu participes au passé
Et ton présent mal accordé
Est un futur conditionnel
Que sur ton « ils », s’ouvrent des « elles »
 
C’est le vague à l’homme...
Avec ton cœur en mal de mère
D’une rive à l’autre que des chimères
Rivalité pour des mirages
D’un Nouveau Monde qui naufrage
Ton rêve n’est pas américain
Il brille dans tes yeux gamins
Rengaine donc ta déveine
Et chante on the road again
 
C’est le vague à l’homme… On the road again

 
Aujourd’hui, je sais, comme Jean Gabin, que je ne sais rien de l’homme. Du moins pas grand-chose. À me fier uniquement à ce qu’on disait de lui, je me suis privé de m’investir dans la connaissance de l’homme. C’est extraordinaire comment la connaissance nous rend petit, si petit devant l’immensité des possibles. Il y a toutefois une chose dont je suis certain. Les mots peuvent libérer des maux, mais ils peuvent également, enfermer, tuer.
 
Les femmes, les Indiens, les immigrants, les hommes… Autant de mots qui disent tout, mais qui, surtout, ne disent rien. Strictement rien. Des mots qui, pourtant, par leur poids ont le pouvoir de blesser, parfois mortellement.
 
Transhumance (2006)

Je ne suis pas qu’une statistique
Un quota d’pêche, un pronostic
Une moyenne, une tendance
Un taux d’chômage, une prévalence
Je ne suis pas qu’une carte à gène
Un ADN pathogène
Un ingesta, un excréta
Un bec sucré, un peu trop gras
 
Je suis un homme en transhumance
Sur une planète sans clémence
Dans un pays si à l’envers
Qu’il en perd même ses hivers
Je suis un homme en transhumance
Genre déprécié, mais en partance
Qui ne pêche plus, marche sans filet
Sur un chemin de pied… venant du galet

 
Que me reste-t-il de ce parcours? Honnêtement, je crois que la folie fut quelque fois bien proche. Le point de bascule, j’y ai, à quelques reprises, touché. Martin Luther King aurait dit un jour que les grandes choses en ce monde, nous les devons aux mésadaptés créateurs. Je ne prétends pas avoir réalisé de grandes choses. Mais, cette posture d’homme instable m’aura porté à la création, à l’écriture de chansons pour, parfois, donner du sens à l’insensé. Mot à mot, je me suis créé un espace d’homme sans frontière. En fait, je crois que oui, j’ai réalisé une grande chose. Pas seul, mais j’y ai contribué à ma pleine mesure d’homme. Avec ma compagne de vie, j’ai construit une famille dans laquelle je suis un père… heureux.
 
Petit-homme (2013)

D’un petit pépin, d’une de tes trois pommes
On plante de la graine de petit bum
Te condamne à vivre un capharnaüm
Destin sans dessin de petit homme
N’écoute pas l’homme qui te dénomme
Te gomme et puis t’assomme
Ad nauseam d’ultimatums
 
(…)
 
C’est le gène qui te gêne avale ta pilule
Déroule l’ADN, bricole l’ARN
Gigote les zygotes, découpe la bedaine
Décode recode les molles molécules
Hey petit homme, cette histoire elle est sans fin
Ton destin est le dessin de main de l’homme
Hey petit homme, le mystère est dans la pomme
Dans le cœur de la pomme et pas dans le pépin

 



Bernard Roy s’inscrit, à 20 ans, dans un parcours d’auteur-compositeur. Craignant que la fourmi lui dise : « Vous chantiez? J’en suis fort aise. Eh bien : dansez maintenant » il finalise, en 1986, un DEC en soins infirmiers. Il se consacre, dès lors, aux soins infirmiers en région éloignée auprès des Premières Nations et de populations nord-côtières. En 1996, il fonde une firme de consultant qui s’investit auprès de communautés autochtones puis, en 2002, il finalise un doctorat en anthropologie de la santé. En 2004, il obtient un poste de professeur à la Faculté des sciences infirmières de l’Université Laval. Depuis, il se consacre à l’enseignement de la santé communautaire, à la santé des Premières Nations et à celle des hommes. En 2012, pour son plaisir et pour sa santé, il revient à son ancien amour, la chanson, pour ne pas perdre la... plume. Pour en savoir plus www.bernardroy.com


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