Par Guillaume Tremblay – 1er décembre 2016
Nous avons demandé à Guillaume Tremblay, réalisateur du film L’heureux naufrage, de nous faire part des motivations et des questionnements qui l’ont poussé à faire ce film sur le sens de la vie et sur nos valeurs. Dans le texte qu’il nous a fait parvenir, il explique en quoi le naufrage dont il est question est « heureux » et place nos valeurs à la base de ce qui devrait guider nos choix de société.
Je n’ai jamais été bon pour m’exprimer avec des mots. C’est pour cela que je fais des films, afin de m’exprimer par un média avec lequel je suis plus à l’aise. J’ai fait ce film parce que j’en avais besoin. Cela faisait maintenant plus de trois ans que je travaillais dans le monde du cinéma et je n’avais jamais été aussi malheureux. Je me demandais souvent comment j’avais pu en arriver là. Réaliser mon rêve de faire des films, me fendre en quatre pour y arriver et me sentir vide, triste… C’est extrêmement frustrant! J’ai alors fait un lien avec la coupure que j’avais opérée à l’adolescence avec ma spiritualité. Je me rappelais que j’avais goûté, à quelques reprises avant cette rupture, une paix et une joie profonde dans ces moments qu’André Comte-Sponville décrit comme des moments d’éternité. Je me suis alors dit que je devrais peut-être y investir une semaine, donner une chance à ma vie spirituelle, prier, reconsidérer la possibilité de quelqu’un de plus grand que moi pendant 40 heures. Ce n’était pas si mal. J’avais passé trois ans à faire du cinéma pour finalement être malheureux, je pouvais tout de même tenter « Dieu » ne serait-ce qu’un peu.
Je dois aussi dire que j’ai toujours été habité par la souffrance physique et psychologique des autres et de moi-même. Je voyais la souffrance de ma mère lorsque nous manquions d’argent pour vivre, lorsque mon père manquait d’amour envers elle, lorsque mon frère se faisait moquer de lui parce qu’il avait de l’acné, lorsque ma sœur avait des amis pas cool à l’école ou que ma tante cherchait l’amour en fréquentant les bars. Je percevais les faux sourires, les vérités cachées sur ces souffrances. Bref, j’ai toujours eu une hypersensibilité à la souffrance, je la ressentais partout et j’en éprouvais une profonde tristesse.
Réaliser un film ne se résume pas à un seul évènement dans une vie. C’est une multitude de réflexions, d’expériences qui grandissent en soi jusqu’à prendre toute la place. J’ai donc fait ce film sans trop avoir le choix.
Ce film est extraordinaire. J’ai fait des films mauvais, mais celui-là est d’une classe à part. Il est divin en un sens. Plus d’un million de personnes ont eu l’occasion d’en voir des fragments ou de le visionner en entier et l’effet qu’il produit est incontestablement bénéfique. Il nous permet, à nous Québécois, de reconsidérer la spiritualité dans nos vies; il fait la paix avec notre héritage religieux, il amincit la ligne entre l’athée et le croyant et il nous interpelle à être authentiques avec ce que nous vivons, à nous mettre en marche.
Pour ma part, il m’a donné des mots nouveaux que je n’avais pas : transcendance, immanence, mystère, sacré; tous ces mots qui me permettent de mieux décrire mon cheminement spirituel.
J’ai choisi comme titre L’Heureux Naufrage parce que le bateau du catholicisme était en mauvais état. Les hommes qui contrôlaient ce bateau sont tombés en amour avec le pouvoir. Le pouvoir est un mal qui produit des effets désastreux sur beaucoup d’êtres humains. Le clergé n’a donc pas été épargné. Plusieurs d’entre eux avaient toujours le cœur à la bonne place, mais d’autres avaient perdu le focus, perdu le nord, détruisant à petit feu la confiance des Québécois envers l’Église, causant des brèches irréparables dans leur cheminement spirituel.
Ce fut donc un heureux naufrage. Ce naufrage était nécessaire, mais nous l’avons vécu subitement, sans savoir que nous aurions besoin un jour d’un nouveau bateau ou qu’une autre force allait nous inviter à la rejoindre si nous ne réfléchissions pas à ce que nous voulions en tant que peuple.
Ce fut heureux parce que nous avons appris la liberté en quittant ce bateau. Nous avons aussi appris l’esprit critique à travers des philosophes. Nous avions aussi le choix sur ce que nous croyions vraiment. Ce fut donc bon. Le problème, c’est que nous ne savions pas que ce nouveau bateau qui allait bientôt nous accoster était le libéralisme économique. On a finalement embarqué dans ce bateau et nous y sommes depuis. Environ 50 ans plus tard, il est malade et plusieurs personnes sur ce bateau souffrent, parfois même sans le savoir, endormies par des pilules de toutes sortes.
Nous devons une fois de plus faire un pas en tant que peuple. Quitter ce bateau qui nous détruit à petit feu. Le problème avec ce bateau, c’est qu’il n’a pas de valeur. C’est un bateau de plaisance. Il nous sera donc beaucoup plus difficile de le quitter que le premier.
Je crois que notre nouveau bateau sera celui de l’environnement. Nous ne sommes pas près d’y monter, mais nous devons en arriver là.
Je crois fondamentalement que nous avons besoin de valeurs en tant qu’êtres humains. Pas n’importe quelles valeurs, mais des valeurs ancrées profondément en nous, si profondément que nous serions prêts à mourir pour elles. Je crois que nos valeurs chrétiennes sont fondamentales et que nous en avons besoin pour survivre, que nous soyons chrétiens ou non. Pour nous attaquer au prochain millénaire, nous aurons besoin de compassion, de pardon, de don de soi et d’amour, même envers nos ennemis.
Je crois que je suis chrétien tout simplement parce qu’il m’est difficile d’imaginer qu’un homme ait pu inspirer autant que le Christ, parce que mon héritage vient de sa vie, parce qu’il m’aide à tous les jours à être plus authentique, plus aimant, à donner, à pardonner, à vivre mon quotidien. C’est une folie de croire en ce gars qui a vécu il y a 2000 ans. Mais il faut bien croire en quelque chose et il faut surtout que cette croyance que nous avons porte du fruit, nous élève en tant qu’êtres humains et nous donne le goût de vivre…
Guillaume Tremblay a fait ses études en cinéma à Concordia et à l’Université de Chicoutimi. Originaire du Lac-Saint-Jean, il a fait ses débuts en réalisant trois courts-métrages qui lui ont valu de nombreux prix et distinctions dans les festivals du Québec et de la France. Plus tard, une bourse de 80 000 $ lui a été versée pour réaliser un quatrième film qui a été acheté par Télé-Québec. Par ses films, Guillaume désire susciter des réflexions sur le sens de nos vies, du travail, de nos attentes et de notre recherche insatiable de plus. Ses créations, présentées par les critiques de cinéma comme des fictions documentaires, sont souvent tournées d’une manière où il peut être difficile de faire la différence entre fiction et réalité.