Notre sœur la mort

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Par Jacques Gauthier – 1er avril 2014
 
C’est une sœur parfois bien douce, la mort, qui voyage invisible à nos côtés. Mystérieuse et non absurde, elle arrive à son heure, souvent la moins attendue. Elle nous vide de l’intérieur pour que l’amour s’y engouffre. On l’entend venir à petits pas, pour soi ou pour les autres, dans l’infini d’une absence, d’une présence. Elle nous fait entrer dans les profondeurs de l’âme où l’Autre nous attend et que parfois nous pressentons. De temps à autre, nous chantons pour l’apprivoiser dans le noir; à un autre moment, nous nous sentons bénis par elle.
 
Elle s’étend, lisse et nue, sur le corps défaillant, le prend par la main après un temps d’agonie pour un dernier baiser qui le délivre. Elle le soulage de la souffrance, le berce comme un bébé sourit aux anges, lui apporte le savoir de l’abyssal dénuement au moment de quitter la vie. Elle fait craquer le corps comme une écorce, le rafraîchit comme un matin unique, le dégage des glaces de l’angoisse pour céder à l’appel du large et l’emporter dans un océan d’espérance. Elle tient la promesse faite à l’aube de reverdir ailleurs.
 
La mort est le silence après le saut, le baume sur les yeux, le soleil sur la neige, le pont au-dessus du tourbillon, la paix après le combat, le deuil de l’éphémère, l’accomplissement de la vie. Par elle, nous nous élançons hors du temps, nous tombons dans les bras de Dieu, nous rentrons enfin chez nous, dans notre maison, avec cette part secrète de nous-mêmes que personne ne connaît ici-bas.
 
La mort est une force non maîtrisée. Elle semble nous détruire sur le chemin du retour. Mais elle transforme tout en fruits, surtout lorsque nous nous élevons au-dessus d’elle par l’amour et que nous faisons de l’inévitable dépouillement le don volontaire de notre pauvreté. Elle est l’artiste qui crée du neuf si nous offrons ce que nous devenons. Nous pouvons la traverser par le souffle de l’Esprit qui rassemble les ossements desséchés dans la vallée de nos larmes.
 
Pourquoi redouter la mort? En son serrement les digues s’ouvrent, océan de tous les confluents. Elle déchire le rideau qui empêche l’union. Ce n’est pas elle qui prend la vie donnée et accueillie. Thérèse d’Avila, femme de désir et d’oraison, le savait : « Ô mort, je ne sais pas comment on peut te redouter, puisque c’est en toi qu’est la vie! »
 
S’il en est ainsi, c’est qu’elle fut touchée en plein cœur, un certain matin de Pâques, par une parole de vie. Don de la foi et courage de croire! La mort elle-même crie victoire, délivrée du trou noir qui la retenait captive. Son chant palpite dans l’invisible des tombeaux. Il se lève victorieux sur les cimetières de novembre.
 



Note de l’auteur : Ce texte s’inspire de mon accompagnement auprès de mon beau-père en soins palliatifs. Deux livres relatent cette expérience : Fraternelle souvenance. Récit d’un passage (Bellermin) et L’ensoleillé (éditions du passage). J’expose également la vision chrétienne de la mort au dernier chapitre de mon essai Les défis de la soixantaine (Presses de la Renaissance). Visitez le : www.jacquesgauthier.com
 



Jacques Gauthier est auteur, conférencier, et animateur à Radio-Canada​


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