Par Sophie Chartrand - 1er avril 2014
Le deuil affecte, un jour ou l’autre, la plupart d’entre nous. Au fur et à mesure que nous vieillissons, nous sommes davantage confrontés à l’inéluctable perte d’un être important dans notre vie. À partir de son expérience dans l’accompagnement des personnes en deuil, l’auteure retrace les grandes étapes de leur parcours. Elle propose aussi certaines attitudes pour mieux vivre ces passages difficiles.
Le deuil vient du latin dol qui signifie douleur. Le deuil est un état affectif douloureux suite au décès d’un être aimé et représente le processus d’adaptation à cette perte. Il faut savoir que vivre un deuil est une expérience occupant le premier rang des événements stressants dans la vie d’un individu.
Ainsi, le deuil est un traumatisme, une crise existentielle au cours de laquelle le sens de la vie est profondément ébranlé. Puisque l’humain est un être d’attachement, la rupture d’un lien affectif occasionne une grande perturbation dans la vie entière d’un individu. De ce fait, le deuil désigne l’ensemble des réactions engendrées par la perte définitive d’un être significatif. Les personnes en deuil peuvent ressentir une désorganisation autant sur le plan physiologique, psychologique, cognitif, affectif, comportemental que social. La détresse dans laquelle se retrouve l’endeuillé est évidemment proportionnelle à la signification de la personne décédée.
Le deuil suit généralement un processus non linéaire variant d’une personne à l’autre, chacune évoluant à son propre rythme selon sa propre histoire. Le processus de deuil est influencé par de multiples facteurs tels que les pertes passées, l’histoire et la nature de la relation avec le défunt, les circonstances de la mort, la personnalité de l’endeuillé, le réseau de soutien ainsi que le contexte social.
Jean Monbourquette et Isabelle d’Aspremont, dans leur livre Excusez-moi, je suis en deuil1, résument en quelques étapes le parcours que peut vivre une personne en deuil. Rappelons que ce parcours constitue des points de repère sur un chemin parsemé d’allers-retours et de chevauchements.
Le choc et le déni
L’annonce de la mort d’un être aimé entraîne un choc d’une grande intensité chez l’endeuillé. Devant la réalité inassimilable de la mort, la première réaction possible est le refus. L’endeuillé refuse de croire que l’être aimé vient de mourir. Le déni est une protection contre la violence du choc. L’endeuillé est en quelque sorte anesthésié de toutes émotions, ce qui lui permet d’assimiler peu à peu la réalité de la perte. Trop souvent, l’entourage a tendance à interpréter cette mise à l’écart des émotions comme de l’indifférence et de la froideur. Il faut plutôt comprendre que la personne en deuil est complètement envahie par un sentiment d’irréalité et de cauchemar. Autrement dit, il s’agit d’une phase de sidération et d’engourdissement au cours de laquelle les émotions sont temporairement gelées. Le caractère inattendu et soudain de la mort aura bien entendu un impact supplémentaire sur l’intensité du choc.
Puisque le corps doit lui aussi absorber le choc, plusieurs manifestations somatiques peuvent être au rendez-vous. Les troubles digestifs, les nausées, la perte d’appétit, la fatigue extrême, les crises d’angoisse, les difficultés de concentration ainsi que les troubles du sommeil sont fréquemment répertoriés.
L’expression des émotions
Prenant graduellement conscience de la réalité de la perte, la personne en deuil vit en quelque sorte un tsunami émotionnel pouvant passer par la tristesse, la colère, la culpabilité, l’anxiété, la peur, la dépression et parfois le sentiment de libération.
En réalisant que l’être cher ne reviendra plus, l’endeuillé constate la permanence de la perte et se voit plongé dans le cœur du travail de deuil qui survient quelques mois après la mort. C’est la période la plus douloureuse du deuil, car l’endeuillé fait désormais pleinement face au vide et à l’absence sans pouvoir compter sur ses mécanismes de défense présents en début de deuil. Une grande douleur morale est alors ressentie, laissant libre cours à la pleine intensité des émotions. Le désespoir peut s’emparer de l’endeuillé qui se sent sans valeur et sans intérêt en l’absence de l’être aimé.
Les tâches concrètes reliées au deuil
En plus des tâches administratives, il s’agit ici de dire au défunt tout ce qu’on n’a pas eu le temps de lui dire, de réaliser des promesses faites au défunt avant son décès ou encore de se départir, à son rythme, des objets lui ayant appartenu. Une mise en garde s’impose ici. L’endeuillé doit écouter son propre rythme sans céder à la pression sociale qui a tendance à vouloir écourter le deuil en tournant la page le plus rapidement possible.
La quête d’un sens
Confronté à l’absence du défunt, l’endeuillé assume souvent de nouveaux rôles. Il peut ainsi découvrir de nouvelles forces et compétences lui permettant de procéder à une redéfinition de lui-même. En se tournant vers l’avenir, l’endeuillé peut se surprendre à investir d’autres buts et projets et possiblement redéfinir un sens nouveau à son existence.
L’échange des pardons
Puisqu’il n’y a pas de relation parfaite, chaque relation humaine porte son lot de blessures. À ce stade du deuil, la perception du défunt est plus nuancée et par le fait même moins idéalisée. Le défunt est perçu davantage comme un être humain avec ses qualités et défauts. Les souvenirs sont plus réalistes et laissent entrevoir les aspects moins agréables de la relation. Il est parfois nécessaire de demander pardon au défunt et/ou de lui pardonner ses manquements. Certains endeuillés pourront pardonner au défunt le fait d’être décédé trop vite alors qu’ils ne se sentaient pas prêts à vivre cette perte.
Le « laisser partir »
Il peut être difficile de laisser partir le défunt. En posant un geste symbolique d’éloignement – par exemple celui de placer les cendres dans un columbarium lorsque celles-ci étaient gardées à la maison – on consent peu à peu à poursuivre sa vie sans l’autre et à s’ouvrir à de nouveaux liens d’attachement. Il ne s’agit pas d’oublier l’être cher. Au contraire, les souvenirs du passé procureront plutôt un réconfort et un apaisement donnant à l’endeuillé l’énergie nécessaire de poursuivre sa route en l’absence de l’autre.
L’héritage spirituel
Il serait dommage de laisser partir une personne sans récupérer son héritage spirituel. Il s’agit ici de faire vivre en soi certaines qualités que l’on a admirées chez l’autre. Selon Jean Monbourquette, grâce au rituel de l’héritage, la personne en deuil se trouve enrichie d’une nouvelle présence de l’être aimé décédé, non pas à l’extérieur de soi, mais à l’intérieur.
Malheureusement, la plupart des gens ne profitent pas des qualités humaines et spirituelles qu’ils avaient pourtant connues et admirées chez leurs proches.
Au terme du deuil…
- On peut parler ou entendre parler du défunt sans être déstabilisé, ni troublé émotionnellement;
- On a retrouvé un état d’équilibre, une énergie physique et mentale;
- On a retrouvé le goût de s’investir dans de nouveaux projets et/ou de créer de nouveaux liens d’attachement;
- On est en paix avec le décès de l’être cher.
Conseils aux personnes en deuil
- Donnez-vous le droit de vivre votre deuil.
- N’attendez pas que ce droit vienne de l’extérieur.
- Respectez votre propre rythme.
- Osez aller à contre-courant pour vivre pleinement vos émotions.
- Rappelez-vous que toutes vos émotions sont légitimes et qu’elles peuvent être exprimées par différents moyens tels que la parole, l’écriture, la musique, ou toute autre forme d’expression.
- Entourez-vous, allez chercher du soutien dans votre réseau ou dans le système de santé. Appelez par exemple à la ligne d’écoute 1-888-LEDEUIL.
- N’hésitez pas à exprimer vos besoins parce que votre entourage ne peut pas les deviner.
Conseils pour l’entourage
Devant la détresse, les gens cherchent à apaiser la souffrance de l’autre par des encouragements maladroits. Ces propos servent davantage à généraliser et banaliser le vécu de l’endeuillé.
- Évitez certains commentaires tels que : « Ne t’en fais pas, ça va passer », « Compte-toi chanceuse de l’avoir eu si longtemps avec toi », « Au moins, il n’a pas souffert », « Tourne la page, la vie continue! » Pour être aidantes, ces phrases doivent plutôt être prononcées par la personne endeuillée elle-même et non être imposées par vous.
- Retenez votre envie de donner des conseils. Rien ne sert de lui dire « Tu pleures encore? Tu devrais te changer les idées : aller voir des amis, aller au cinéma,… », « Tu ne devrais pas aller au cimetière ou regarder des photos, cela te rend trop triste. » Il est préférable que la personne elle-même trouve ses propres solutions. Il importe de la laisser vivre son deuil et de croire qu’elle sait ce qui est bon pour elle.
- Soyez disponible. Faites-lui savoir que vous êtes là pour elle. Par exemple, dites-lui : « Si je peux faire quelque chose pour toi, je suis là », « Fais-moi savoir ce dont tu as besoin et comment je peux t’aider. »
- Faites des gestes concrets. Apportez un plat à la personne en deuil ou faites-lui connaître les ressources qui existent. Soyez proactif sans être envahissant.
- Écoutez. Les personnes ont souvent besoin de parler de leur deuil et de leur relation avec le défunt. Elles ont besoin d’exprimer et de ventiler en toute confiance les diverses émotions qui se bousculent à l’intérieur d’eux. Elles ont également besoin de raconter en détail les derniers moments partagés avec le défunt et les circonstances du décès. C’est en les écoutant avec respect et bienveillance que vous les aiderez le plus.
- Ne « pathologisez » pas systématiquement les personnes qui ont des symptômes dépressifs trois mois après le décès. Rappelez-vous que la durée du deuil est plus longue que ce que la société veut nous laisser croire. Normalisez plutôt les personnes en deuil sur leurs sentiments et réactions. Le deuil n’est pas une maladie, mais bien un état transitoire.
Note
1 MONBOURQUETTE, Jean et Isabelle D’Aspremont. Excusez-moi, je suis en deuil, Novalis, Montréal, 2001, 165 pages.
Sophie Chartrand est membre de l’Ordre des travailleurs sociaux et thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec. Elle détient un baccalauréat et une maîtrise en service social de l’Université de Montréal. Elle a complété plusieurs stages et formations relatives à l’accompagnement des endeuillés et des personnes en soins palliatifs. Depuis 2007, à titre de directrice de la Maison Monbourquette, elle a accompagné des endeuillés, animé des groupes de soutien en plus de participer à la création et à l’animation de séances de formation destinées aux professionnels et aux bénévoles.