Par Alain Dompierre, intervenant en soins spirituels - 1er décembre 2021
Centre Spiritualitésanté de la Capitale-Nationale
À chaque parution de la revue Spiritualitésanté, j’ai beaucoup de plaisir à lire cette chronique, mais je dois vous avouer que prendre la plume à mon tour donne le vertige.
Au fil des années, tant de rencontres vécues, chacune avec ses particularités. Opter pour un angle, en délaisser d’autres… Quand on rencontre l’humain dans toutes ses dimensions, le choix reste difficile.
La pandémie a exacerbé nos vulnérabilités, pas seulement celles des usagers et leurs proches, mais aussi chez ceux qui œuvrent en santé.
Jour après jour, je suis particulièrement touché par la volonté de tant de professionnels d’avoir la vigilance de transmettre aux soins spirituels les situations de manque remarquées. Comme dans ce cas où dans la même journée, un médecin traitant, une préposée aux bénéficiaires, une infirmière, l’assistante infirmière-chef et la chef d’unité m’interpellaient pour un même patient…
Dans les réunions multidisciplinaires, je reconnais le même désir d’humanité, de faire la différence : « Ça lui ferait du bien si tu pouvais le voir… » Dans ces temps difficiles, quand tout va vite, en particulier dans notre établissement désigné pour les usagers COVID, le travail en équipe prend tout son sens.
Un jour, on me demande au chevet d’un homme pour qui la demande initiale reste un peu floue. J’y vais, ayant en tête une petite devise qui teinte mon quotidien: « être prêt à tout et ne s’attendre à rien ». Cette posture me permet de garder confiance en moi, tel que je suis, avec ma formation et mon expérience. Confiance aussi en la personne rencontrée et qu’à travers le partage de son histoire sacrée et unique, elle trouvera des pistes pour l’aider à poursuivre son chemin.
Au premier contact, cet homme m’exprime que jusqu’à présent, il s’en est toujours tiré moralement, qu’il avait su puiser dans ses ressources intérieures pour surmonter les obstacles. Il me raconte les quelque trente interventions chirurgicales et les nombreuses hospitalisations auxquelles il fut confronté… Mais cette fois-ci, c’en est trop, la coupe déborde: une autre chirurgie anticipée, un autre « morceau à remplacer, à charcuter ». Et il ne se reconnaît plus.
Il me raconte ensuite, dans l’ordre et le désordre, d’autres éléments significatifs de son histoire : ses joies et les blessures portées dans ses relations, ses demandes à un Dieu discret et silencieux, sa volonté à rester vrai et authentique dans ses choix de traitement.
Au terme de la rencontre, il me lance: « Merci, vous ne m’avez pas juste dit “ C’est normal ” et “ je vous comprends ”. Cette fois-ci, j’avais besoin d’aller ailleurs, plus loin. Je m’en mets beaucoup sur les épaules, je peux voir autrement, merci, je me sens vraiment mieux! Je ne le savais pas, mais c’est ça que j’attendais. Comme un catcheur au baseball, vous attrapez toutes les balles qu’on vous lance ». Physiquement, notre homme avait d’ailleurs les mains ouvertes, alors qu’elles étaient au départ crispées et fermées.
Au retour au poste des infirmières pour écrire ma note, on s’informe: « Va-t-il mieux? » Et un merci senti, comme si j’étais allé au chevet d’un parent. Notre usager, emprisonné dans son lit, avait pu vivre un espace de liberté intérieur, une petite brise.
Cette tranche de vie me rappelle à nouveau le bonheur et la chance de pouvoir aborder sans tabous, en toute franchise, la dimension spirituelle, une dimension associée à la profondeur de la personne, une profondeur parfois enfouie.
Pour d’autres personnes, l’accompagnement se prolonge dans le temps: comme pour une dame en attente de greffe cardiaque avec toutes ses espérances et inquiétudes portées.
En gériatrie, les hospitalisations sont également parfois longues et dans des contextes de limitations physiques ou cognitives. Encore là, bien des remises en question. Pour ce secteur, en plus des accompagnements individuels, j’ai développé des rencontres thématiques: à ce jour, une soixantaine de thèmes toujours liés au contexte d’hospitalisation. Des ateliers qui prennent la couleur des personnes présentes, à travers des chants, des allégories racontées. Dans ces rencontres, chacun peut faire ses propres liens, avec le type de mémoire disponible, l’intuition encore portée. Encore là, tant de sourires, de complicité et de collaboration avec le personnel.
J’arrête ici, je reçois un appel. Cette fois-ci, d’un collègue intervenant en soins spirituels.
Le Centre Spiritualitésanté de la Capitale-Nationale (CSsanté) assure le fonctionnement au quotidien des services de soins spirituels répartis dans plus de 30 sites du réseau de la santé et des services sociaux de la ville de Québec et de ses environs. Il est constitué d’une quarantaine d’intervenants et d’intervenantes en soins spirituels.
Le CHU de Québec-Université Laval est l’établissement fiduciaire. À ce titre, il a la responsabilité d'administrer les ressources humaines et financières du CSsanté.