Quels tests génomiques pour guider la décision clinique en cancer du sein?

Image.


Une collaboration originale entre la recherche, la clinique et la pathologie pour éclairer le choix.

Le cancer du sein demeure la forme de cancer la plus répandue chez les femmes et la deuxième principale cause de décès par cancer au pays au Canada et au Québec. Grâce aux avancées de la recherche, il existe maintenant un consensus sur le fait que le cancer du sein est hétérogène dans sa présentation et son évolution, ce qui complexifie son traitement.
 

Une prise en charge du cancer du sein de plus en plus complexe, avec un recours croissant aux tests génomiques comme outils d’aide à la décision

Selon les pratiques cliniques actuelles, la chimiothérapie adjuvante (CTA) est généralement administrée après l’ablation de la tumeur pour réduire le risque de récidive du cancer du sein et améliorer la survie des patientes. 

Cependant, il est reconnu qu’une proportion notable de patientes, en particulier celles à faible risque de récidive, ne bénéficient pas de la CTA, tout en en subissant les effets secondaires. L’enjeu ici consiste donc à mieux stratifier les patientes en fonction de leur risque de récidive et de leur probabilité de bénéficier de la CTA. 

Pour ce faire, des tests génomiques des tumeurs, ou tests d’expression multigénique, ont été développés pour évaluer plus précisément ce risque et aider les cliniciens dans leur décision de prescrire ou non une CTA. Oncotype DXMC, un test de première génération comprenant 21 gènes, est recommandé par plusieurs sociétés savantes et est accessible aux patientes dans le réseau public de santé québécois depuis 2012. Cependant, ce test, commercialisé en 2004, est réalisé exclusivement au laboratoire de Genomic HealthMC en Californie, ce qui engendre des problématiques liées aux coûts et aux délais pour obtenir les résultats.
 

L’enjeu du rapatriement des tests de biologie médicale au Québec 

Dans un souci d’optimiser l’utilisation des ressources et de réaliser des économies, le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) a récemment initié un processus de rapatriement de certaines analyses de biologie moléculaire effectuées à l’extérieur du Québec. 

Dans ce cadre, il est envisagé de remplacer le test Oncotype DXMC par des tests de seconde génération, tels que ProsignaMC, qui sont proposés sous forme de trousses permettant aux équipes d’anatomopathologie certifiées, comme celles du CHU de Québec-Université Laval (CHU), de réaliser le test localement. 

Cependant, des incertitudes subsistent parmi les cliniciens concernant les avantages de ProsignaMC par rapport à Oncotype DXMC, utilisé depuis plus de dix ans. De plus, des questions demeurent quant à la transférabilité des résultats des études sur l’efficacité de ProsignaMC dans le contexte clinique québécois. 

La question qui se pose alors est : quel test génomique convient à quelles patientes?


Une première au Québec : étude comparative entre Oncotype DXMC et ProsignaMC en situation clinique réelle

Le test ProsignaMC est approuvé par la Food and Drug Administration (FDA) aux États-Unis et a reçu la certification de conformité européenne (CE) pour une utilisation sur des échantillons de tissus mammaires. De plus, l’utilité du test dans la prise de décision clinique a été démontrée dans quelques études et il est recommandé (niveau d’évidence IB) comme outil d’évaluation du risque de récidive de cancer du sein par des sociétés savantes telles que l’European Society for Medical Oncology (ESMO) et l’American Society of Clinical Oncology. 

Toutefois, avoir un test de biomarqueurs validé et recommandé cliniquement est une chose, mais l’implanter en clinique est une autre chose et cela n’est pas automatique. Il reste important de savoir comment les utilisateurs, ici les médecins, réagissent aux informations fournies par le test et d’estimer l’impact décisionnel dans les recommandations cliniques avant et après les résultats de ce test. Évaluer l’effet du test sur les recommandations cliniques et la prise en charge dans un contexte de soins de santé réel permet aux médecins d’apprécier son utilité clinique pour leurs patients et de déterminer la population pour laquelle ils seraient à l’aise de demander le test ProsignaMC; un élément primordial à son adoption. 

À notre connaissance, ce type d’évaluation en contexte clinique québécois est inexistant et est une étape requise dans tout processus d’implantation. L’objectif du projet est d’évaluer la valeur ajoutée du test ProsignaMC dans la prise en charge du cancer du sein à un stade précoce, dans un contexte clinique réel au Québec. 

Les objectifs spécifiques sont les suivants : 1) mesurer la concordance dans la stratification du risque des patientes entre les indicateurs fournis par ProsignaMC (score de risque de récidive) et ceux d’Oncotype DXMC (score de récidive); 2) évaluer la concordance des sous-types moléculaires obtenus avec ProsignaMC par rapport à ceux déterminés par immunohistochimie; et 3) analyser l’impact des résultats du test ProsignaMC sur le degré de confiance des cliniciens et leur décision de proposer ou non une chimiothérapie adjuvante (CTA).
 

Des retombées larges anticipées

Une étude d’évaluation économique réalisée en 2019 en Alberta a révélé que ProsignaMC était susceptible d’être plus rentable qu’Oncotype DXMC selon une variété de scénarios. Ainsi, l’utilisation d’Oncotype DXMC pour éviter une CTA inutile entraînerait des coûts de test plus élevés, des coûts réduits de chimiothérapie et une meilleure qualité de vie à court terme, mais peut également être associée à un risque accru de futures récidives à distance, ce qui augmenterait la morbidité, la mortalité et les coûts de traitements qui y sont associés. 

De même, une étude française de 2021 en contexte de vie réelle a montré que l’utilisation de ProsignaMC pour guider la prise en charge des patient(e)s entraîne une réduction de 44 % des indications de chimiothérapie. L’économie réalisée par l’arrêt de la CTA pour chaque patient sur la base des résultats du test ProsignaMC a été estimée à 5 485 euros (soit environ 7 950 $ canadiens). 

Advenant la démonstration de la valeur ajoutée de ProsignaMC, son adoption au CHU et ailleurs au Québec entraînerait des économies d’échelle pour le système de santé. 
Au-delà des économies, le fait que le test fournit une prédiction individualisée du bénéfice de la CTA représente une opportunité d’optimisation du traitement. Cela permet d’éviter de prescrire inutilement des CTA à des patients qui n’en bénéficieront pas en terme de survie, mais qui en subiront les effets secondaires. Outre les effets secondaires au niveau physique, le traitement par chimiothérapie peut avoir des répercussions importantes au niveau psychosocial et professionnel avec des arrêts de travail plus fréquents et longs. 

Enfin, le fait de pouvoir réaliser les analyses directement dans les laboratoires de pathologie aura tendance à renforcer l’expertise locale, la collaboration étroite entre les pathologistes et les oncologues, ce qui au final renforcerait l’efficience du système de santé pour le bénéfice des patients et de la société.
 

Une équipe multidisciplinaire, entièrement du CHU et de son Centre de recherche, pour réaliser cette étude

Cette étude, financée à hauteur de 450 000 $ sur deux ans par Génome Québec et ses partenaires, est rendue possible grâce à une étroite collaboration entre les chercheurs de l’axe Oncologie du Centre de recherche du CHU, les cliniciennes et professionnelles du Centre des maladies du sein et du service de pathologie du CHU, ainsi qu’à l’implication d’une patiente-partenaire. 

L’équipe est dirigée par le professeur Hermann Nabi (chercheur principal), qui apporte son expertise scientifique, méthodologique et son expérience en gestion de projets de recherche. La Dre Brigitte Poirier (co-chercheuse principale), directrice médicale du Centre des maladies du sein, contribue avec son expertise clinique et sa connaissance des recommandations nationales et internationales sur les tests moléculaires en cancer du sein. La Dre Christine Desbiens (co-chercheuse principale), membre du comité ministériel sur le rapatriement des tests moléculaires au Québec, partage son expertise clinique et sa maîtrise des guides de pratiques liés à ces tests. La Dre Julie Lemieux (co-chercheuse principale), ayant été membre du comité consultatif de l’Institut national d’excellence en santé et services sociaux (INESSS) sur le test Oncotype-DX, apporte son savoir clinique et sa compréhension des indications des tests moléculaires. La Dre Marjorie Perron (co-chercheuse) fournit son expertise clinique et technique sur la sélection et l’analyse microscopique et moléculaire des tissus mammaires. La professeure Caroline Diorio (co-chercheuse), responsable de la banque de tissus mammaires, contribue avec son expertise technique et méthodologique. Mme Claudie Paquet, spécialiste en biologie médicale-pathologie, enrichit le projet grâce à ses connaissances des techniques immunologiques et moléculaires. Enfin, Mme Madeleine Côté (co-chercheuse), patiente-partenaire au Centre des maladies du sein du CHU depuis une dizaine d’années, apporte sa perspective unique et son savoir expérientiel, offrant ainsi un point de vue essentiel pour les patients. Ce sont jointes à cette équipe récemment pour la mise en œuvre du projet Flora Nguyen Van Long, détentrice d’un doctorat en biologie moléculaire et cellulaire et d’un post-doctorat au Centre de recherche du CHU, ainsi que Catie Ouellet, résidente en pathologie sous la direction de la Dre Perron au CHU. L’équipe remercie Mme Asma Boubaker, coordonnatrice de recherche dans l’équipe du Pr Nabi pour son assistance dans le projet.
 

Et après? L’équipe envisage déjà une étude de plus grande envergure, visant à renforcer la personnalisation des tests moléculaires

Les résultats de cette étude seront à la fois novateurs et essentiels pour le développement de projets de plus grande envergure, tels que la mise en place d’une étude multicentrique au Québec. Celle-ci permettra de mieux identifier les patientes qui tireront le plus de bénéfices des tests Oncotype DXMC et ProsignaMC, en exploitant les forces spécifiques de chaque test. 

À l’instar de la médecine personnalisée, nous envisageons une évolution vers une personnalisation des tests moléculaires afin que les cliniciens soient capables de prescrire le bon test, au bon moment et à la bonne personne. En outre, les résultats de cette étude pourraient servir de base pour initier un essai clinique multicentrique prospectif visant à évaluer et à comparer, dans un contexte réel québécois, l’impact de la prescription de ProsignaMC et Oncotype DXMC sur les décisions thérapeutiques et le risque de récidive du cancer du sein. 

L’objectif de ces projets est d’optimiser le traitement des patientes atteintes de cette maladie tout en améliorant l’efficience du système de santé québécois.

 


Photo principale : Derrière, de gauche à droite : Pr Hermann Nabi, chercheur de l’axe Oncologie; Pre Caroline Diorio, chercheuse de l’axe Oncologie; Claudie Paquet, spécialiste clinique en biologie médicale; Asma Boubaker, coordonnatrice de recherche; Flora Nguyen Van Long, professionnelle de recherche. Devant, de gauche à droite : Dre Julie Lemieux, hémato-oncologue; Dre Marjorie Perron, anatomo-pathologiste; Dre Brigitte Poirier, chirurgienne-oncologue. Absentes de la photo : Dre Christine Desbiens, chirurgienne-oncologue, Madeleine Côté, patiente-partenaire, Cathie Ouellet, résidente en médicine.

 


Commentaires



 

Voir les commentaires
Aucun commentaire.





Dernière révision du contenu : le 16 décembre 2024

Signaler une erreur ou émettre un commentaire