Née d’une prise de conscience et d’une volonté partagée de faire mieux, une initiative écologique se développe au CHU de Québec-Université Laval (CHU) grâce à la collaboration entre les équipes des blocs opératoires et celles du développement durable et de l’hygiène et salubrité.
Selon Stéphane Schaal, conseiller en développement durable au CHU, de 20 à 30 % de la production de déchets d’un établissement de santé sont générés par les activités des blocs opératoires.
« Les gens en sont conscients et ils veulent s’impliquer pour changer les pratiques; je reçois beaucoup de demandes d’intervention en ce sens. Mais malheureusement, nous sommes souvent limités dans la portée de nos actions par le manque de temps et de ressources, mais aussi par le contexte. Par exemple, à L’Hôtel-Dieu de Québec, qui est situé en plein cœur du Vieux-Québec, il n’y a pas d’espace pour accueillir de manière sécuritaire une presse à carton ni un conteneur plus gros pour récupérer les bidons de dialyse. Les collectes de recyclage permettent quand même de récupérer 105 tonnes de matières recyclables (plastique, verre et métal) par année pour tout le CHU. »
Malgré les enjeux, les initiatives pour améliorer le tri des matières résiduelles et la valorisation de certaines d’entre elles sont nombreuses et toujours les bienvenues, d’autant plus que le développement durable figure désormais parmi les objectifs du projet d’établissement du CHU et que le CHU s’est engagé dans une démarche de certification avec le programme « ICI ON recycle + » de Recyc-Québec.
Voici quelques exemples d’initiatives en cours pour mieux gérer les matières résiduelles dans les blocs opératoires de nos hôpitaux.
Recycler et revaloriser : les cas de l’Hôpital de l’Enfant-Jésus et de l’Hôpital Saint-François d’Assise
Inspiré par ce qu’il a vu dans d’autres hôpitaux et entendu dans les comités de développement durable, que ce soit au CHU ou ailleurs dans la province, le Dr Joshua Fortin, anesthésiste, a voulu faire sa part pour réduire les grandes quantités de déchets qui prenaient le chemin de la poubelle au bloc opératoire de l’Hôpital de l’Enfant-Jésus.
C’est ainsi qu’à l’automne 2023, avec sa collègue Andréanne Carignan, coordonnatrice – bloc opératoire, salle de réveil, chirurgie d’un jour et clinique préopératoire, ils ont mis sur pied un projet de récupération des matières plastiques en collaboration avec l’équipe d’hygiène et salubrité responsable de la gestion des déchets et la cellule développement durable du CHU.
« Nous avons simplifié le plus possible et fait des affiches pour identifier ce qui va au recyclage, à la revalorisation énergétique ou à la poubelle. En décembre, nous étions prêts à commencer et les employés ont embarqué très rapidement. Nous avons aussi une belle collaboration avec les équipes d’hygiène et salubrité dans ce projet. Pour le moment, nous récupérons surtout le plastique et le carton. On produit encore énormément de déchets, mais on produit aussi beaucoup de recyclage. Ça fait du bien à l’âme! », raconte Mme Carignan.
Le carton est transformé en ballots, puis vendu à Cascades, qui le recycle dans sa production. Chaque année, ce sont ainsi 261 tonnes de carton qui sont récupérées. Quant aux plastiques, ils sont envoyés au centre de tri de la Ville de Québec.
La revalorisation énergétique concerne quant à elle les emballages et films de plastique souple (les fameux « sacs de sacs »); ils sont récupérés au centre de tri de la Ville, mais puisqu’il n’existe actuellement aucun débouché significatif pour cette matière très hétérogène, ils sont vendus pour de la revalorisation énergétique, tel que le Dr Fortin l’explique : « la matière est utilisée pour l’énergie qu’elle peut produire; le plastique est brûlé au lieu d’être enfoui, alors au moins, l’énergie est récupérée et utilisée dans un procédé industriel. Et les entreprises brûleraient du pétrole s’ils n’avaient pas cette matière, ce qui serait bien pire. »
Au Québec, en ce moment, le manque de débouchés et de filières ainsi que le coût élevé du transport de la matière restent d’ailleurs les principaux freins aux projets de récupération et de recyclage des matières.
Un projet fédérateur autour d’un enjeu commun
Mme Carignan et le Dr Fortin constatent que leur projet de récupération est positif et rassembleur, et que les équipes sont prêtes à en faire beaucoup plus. Éventuellement, toujours avec l’aide du conseiller en développement durable du CHU, le projet du bloc opératoire pourrait s’étendre à la salle de réveil ainsi qu’à la chirurgie d’un jour.
Mais Mme Carignan et le Dr Fortin s’entendent pour dire que l’idéal serait de pouvoir réduire à la source, puisque les fournitures sont souvent suremballées – il peut parfois y avoir jusqu’à quatre emballages pour un seul et même article! –, et elles le sont presque toujours dans des matières qui sont peu, voire pas du tout, recyclables. Une manière d’y parvenir est d’ajuster les appels d’offres en conséquence, mais encore faut-il que l’industrie suive et soit en mesure de répondre à ces exigences.
Du côté de l’Hôpital Saint-François d’Assise, la situation ressemble beaucoup à celle de l’Hôpital de l’Enfant-Jésus : depuis janvier 2024, ce sont essentiellement le carton et le plastique qui sont récupérés et envoyés au recyclage.
C’est Gabrielle Séguin, monitrice clinique périopératoire, et Isabelle Dubé, inhalothérapeute, qui coordonnent le projet, avec le soutien de Stéphane Schaal, mais également avec la collaboration de leurs collègues Serge Fecteau, chef de l’hygiène et salubrité, de France Grenier et Simon Faucher Parent, préposés à l’hygiène et salubrité, et des Drs Laurélie Harvey et Paul-André Malenfant, anesthésistes.
« La clef, c’est qu’on a préparé nos équipes, puis on y est allé une salle à la fois. Et autant les infirmières que les préposés à l’hygiène ont vraiment embarqué! Ce sont les préposés à l’hygiène qui installent les sacs de recyclage sur les poubelles, et les infirmières n’ont qu’à déposer les articles dans le bon sac, selon la liste qui est affichée dans chaque salle d’opération. Puis l’hygiène salubrité vient chercher les sacs », précise Mme Séguin.
Et ses collègues sont tellement intéressés et impliqués dans le projet qu’elle songe à organiser une visite du centre de tri au cours des prochains mois.
L'équipe qui recycle au bloc opératoire de l'Hôpital Saint-François d'Assise. De gauche à droite : Isabelle Dubé, inhalothérapeute, Gabrielle Séguin, infirmière monitrice clinique, Serge Fecteau, chef de service hygiène et salubrité, France Grenier, préposée à l'hygiène et salubrité, Audrey Turcotte, infirmière, François Dubé, infirmier, Paul-André Malenfant, anesthésiste, Véronique Gignac, infirmière. Absent de la photo : Simon Faucher Parent.
Récupérer pour réutiliser
Il y a déjà plusieurs années que Stéphanie Bouchard, coordonnatrice – bloc opératoire, salle de réveil, chirurgie d’un jour et clinique préopératoire au CHUL, a mis en place des projets pour récupérer les matières utilisées au bloc opératoire en collaboration avec le développement durable du CHU.
« C’est à petite échelle, mais il y a plein de choses que nous pouvons faire avec nos produits. Par exemple, nous avons déjà cousu des sacs réutilisables avec les champs opératoires; nous avions fait affaire avec une école de réinsertion pour les jeunes en difficulté pour la portion couture, mais avec la pandémie, tout s’est arrêté », explique Mme Bouchard.
Un sac réutilisable cousu avec des champs opératoires.
Parmi les projets de Stéphanie, il y avait un partenariat avec des écoles et des services de garde pour réutiliser du matériel, essentiellement des contenants de plastique et du carton. Mais encore une fois, avec l’arrivée de la pandémie et ses journées bien chargées, ce projet n’a pas vu le jour.
En ce moment, les emballages de plastique et le carton utilisés en salle d’opération sont tout de même récupérés par les préposés à l’hygiène et salubrité, puis envoyés au recyclage.
Et à la salle de réveil, les intervenants conservent les bouchons des fioles de médicaments pour les distribuer dans les services de garde et les écoles que leurs enfants fréquentent, où ils sont réutilisés pour faire des bricolages, jouer au bingo ou encore apprendre à compter.
Ceci dit, la capacité de récupération augmente petit à petit grâce à des changements d’outils : ainsi, à l’Hôpital Saint-François d’Assise, deux compacteurs à déchets ont été transformés en compacteurs pour le plastique, ce qui permet de récupérer plus de matières recyclables. La même opération pour le CHUL a dû être reportée, mais le changement sera opérationnel dans les prochaines semaines.
Le meilleur déchet, c’est celui que l’on ne produit pas
En février 2023, le ministère de l’Environnement et de la Lutte aux Changements climatiques, de la Faune et des Parcs (MELCCFP), en partenariat avec le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), a mandaté le Centre de recherche en comptabilité du développement durable (CerCeDD) de l’Université Laval pour faire une analyse du flux de matières dans un hôpital, et c’est L’Hôtel-Dieu de Québec qui a été sélectionné pour la réalisation de ce projet.
Puisqu’il serait trop ambitieux de vouloir analyser la consommation de ressources dans un hôpital complet, ce sont les secteurs qui en consomment le plus qui ont été ciblées, soit le bloc opératoire et l’unité de la chirurgie.
Photos : Centre de recherche en comptabilité et développement durable (CerCeDD)
« On regarde quelles matières sont utilisées, ce qui inclut la matière qui compose les articles et leur emballage. Ensuite, on regarde ce qui reste après la consommation : nous avons pesé et analysé les matières qui composent les déchets des deux unités. Et finalement, on fait des entrevues et de l’observation pour comprendre comment les articles sont consommés et s’il existe des enjeux particuliers, par exemple si ce sont les bons articles qui sont utilisés, s’il y a du gaspillage, etc. », détaille Marc Journeault, professeur en comptabilité de gestion à l’Université Laval, responsable du Centre de recherche en comptabilité du développement durable et cotitulaire du Réseau de recherche en économie circulaire du Québec.
Marc Journeault.
Les constats qui sont tirés de ces analyses permettent de mieux comprendre le cycle de consommation et, éventuellement, de trouver comment changer les façons de faire afin de réduire à la source, de mieux consommer (par exemple, utiliser moins de plastique à usage unique) et de valoriser les déchets au lieu de les jeter. « Nous ne sommes pas des spécialistes de la santé, alors on avait une équipe d’experts qui nous accompagnait pour nous assurer que ce qu’on fait est réaliste pour le domaine de la santé », ajoute M. Journeault.
À la fin de l’été, l’équipe multidisciplinaire (composée de gens spécialisés en comptabilité, génie de l’environnement, économie circulaire…) avait caractérisé plus de 1 300 articles consommés dans les deux unités de soins (ce qui représente 97 % du volume total des articles utilisés) ainsi que 100 % des déchets générés. Le rapport final de la première phase du projet a été remis au MELCCFP et au MSSS en septembre.
« Maintenant, nous savons par exemple quelle quantité de plastique numéro 3 est générée par un bloc opératoire dans une année. Et éventuellement, on pourrait extrapoler pour le Québec. Ce sont des données importantes qui permettent de savoir quel est le gisement potentiel, puis de développer des filières économiquement intéressantes en conséquence », explique M. Journeault.
Photo : Centre de recherche en comptabilité et développement durable (CerCeDD)
Et après?
La phase deux du projet d’analyse de flux de matières s’est entamée en septembre. Son objectif est de cibler les six articles les plus utilisés (par exemple, les poches de soluté) et d’en analyser le cycle, mais cette fois, pour un hôpital complet afin d’évaluer le plus précisément possible la consommation totale en une année et de comprendre les enjeux associés à leur utilisation.
En parallèle, le volet « projet solution » va réunir l’ensemble des parties prenantes dans des micro-laboratoires d’accélération, inspiré du dispositif des « labs d’accélération » mis en place par la Chaire de recherche en économie circulaire du Québec, pour discuter d’enjeux spécifiques vécus dans tous les établissements et tenter d’y trouver des solutions.
Ces projets vont fournir des données concrètes et des idées qui permettront éventuellement de transformer les pratiques. Selon les personnes rencontrées, les intervenants sont tous conscients des enjeux environnementaux et veulent réellement changer les choses.
Les équipes du CHU pourront ainsi s’inspirer de ces projets pour explorer de nouvelles pistes d’amélioration en matière de développement durable. D’ailleurs, un nouveau plan d’action de gestion des matières résiduelles est en cours d’élaboration; il prévoit notamment le développement de nouvelles filières de revalorisation pour les plastiques souples, les divers contenants et les métaux précieux (aluminium, cuivre…) et une plus grande collaboration avec l’équipe de prévention et contrôle des infections pour réviser les procédures en matière de désinfection et de classification de certaines matières.
Pour en savoir plus sur le sujet, consultez la page de la gestion des matières résiduelles sur Le SPOT!