Par Marine El Hajj – 1er décembre 2021
Je ne peux rien te donner qui n'ait déjà son existence à l'intérieur de toi.
Je ne peux te proposer d'images que les tiennes.
Je t'aide à rendre visible ton propre univers.
C'est tout... (Hermann Hesse, le poète chinois)
Cet article présente une proposition de premiers soins spirituels dans une approche globale de soins. La proposition s’adresse à toute personne curieuse à l’égard de la spiritualité, même si elle n’est pas familière en matière de compréhension de sa propre vie spirituelle. Les lignes suivantes suggèrent quelques éléments de soutien spirituel, pouvant également servir de repères dans une démarche d’accompagnement.
Ça va bien?
« Ça va bien? » Voilà une question facile et légère, une formule utile et commode lorsque l’on rencontre quelqu’un. La réponse courte à cette question est « ça va ». C’est la réponse qui est généralement attendue… Et si notre interlocuteur commence à partager ses états d’âme, on va généralement commencer à s’impatienter et regretter d’avoir posé cette question!
Pourtant, à la base, la question « ça va bien? » est une bonne question. Rien ne devrait être plus important et plus agréable que de constater que l’autre se soucie de notre bien. Mais il faut alors envisager que cette question n’est pas simplement une question rhétorique ou une formule de politesse. La réponse « ça va » devrait refléter le véritable état de la personne. Une version plus longue de la réponse pourrait alors comporter beaucoup d’éléments et supposer une démarche minimale d’introspection. On peut imaginer que la question « Ça va bien ? » résonne autrement à nos oreilles, qu’elle constitue une vraie question, nous obligeant à nous demander comment on est vraiment.
Être bien, c’est un état. C’est un état de bien-être. Être bien ne se résume pas à un seul aspect de la vie. Si l’on a un bon boulot, cela veut dire simplement que notre vie professionnelle va bien. Si l’on a de l’argent, cela veut dire qu’on a une vie aisée. Si l’on a une belle famille, cela veut dire qu’on est bien entouré. Mais est-on bien simultanément à tous ces niveaux? Mais aussi : y a-t-il d’autres aspects de notre existence à prendre en considération? Certaines personnes, dont la vie nous semble parfaite ou irréprochable, sont néanmoins en état de détresse. Si ces personnes ont « tout » pour être heureuses … mais ne le sont pas, c’est bien qu’il leur manque quelque chose!
Le bien-être spirituel
Peut-on savoir si on est vraiment bien alors qu’on n’a pas pris en considération tout notre être : corps, psychique et esprit? Il est assez aisé de connaître son état physique. De plus en plus l’on est sensibilisé à l’importance de prendre soin de notre corps. Il est également réjouissant de constater que beaucoup de gens sont soucieux de leur santé psychique et n’hésitent pas à recourir à diverses thérapies pour aller mieux. Le côté spirituel est peut-être un peu négligé. Beaucoup de recherches et de pratiques dans le monde des soins mettent en relief l’effet positif de la vie spirituelle ou religieuse sur la santé physique et mentale des gens1. C’est très bien. Mais la dimension spirituelle ne demande-t-elle pas d’être valorisée pour elle-même? Lorsque cette dimension n’est pas entretenue avec le corps et le psychique, la personne n’est-elle pas « handicapée »? On peut se penser infaillible, mais une moindre déstabilisation révélera une fragilité intérieure ou une vulnérabilité inattendue! Et l’on se posera alors les grandes questions, les questions existentielles. On se sentira impuissant, incapable de contrôler la situation. Qu’est-ce qui ne va pas? Pourquoi? Comment traverser l’épreuve et trouver les forces nécessaires pour avancer? On se sentira mal. Manque d’espoir, valeurs ébranlées, perte de la paix. Comment retrouver la paix et son équilibre intérieur si ce n’est pas en favorisant son bien-être spirituel? On peut définir le bien-être spirituel comme la capacité de ressentir et d’intégrer le sens et le but de la vie à travers les liens avec soi, les autres, l’art, la musique, la littérature, la nature, ou une force supérieure2. Il s’agit donc d’une certaine capacité, d’une force, d’un pouvoir. La personne a besoin de ses forces, de ses ressources pour retrouver et réintégrer le sens de sa vie à travers ses différents repères.
Les premiers soins spirituels : MA-SPI
Le principe de base, me semble-t-il, est de ne pas chercher les réponses en dehors de soi, même si l’on peut profiter des ressources extérieures tant que celles-ci nous aideront dans notre quête intérieure. Comme le corps dispose de moyens pour retrouver un état d’équilibre, l’esprit a ses propres facultés, sans lesquelles on ne peut vraiment être en bien-être spirituel. Les cinq outils ci-dessous sont proposés comme des moyens permettant à la vie spirituelle de s’épanouir. Ils sont présentés sous l’acronyme MASPI (MA-SPI) désignant Ma spiritualité.
M - Méditation
A - Amour
S - Significations
P - Pragmatisme
I - Insouciance
Méditation
D’abord, il est important de se déposer. Prendre le temps d’être avec soi. Le mot méditation renvoie étymologiquement à l’attention, à l’action de penser avec une grande concentration d’esprit3. Certains pensent que la méditation est un exercice réservé à une élite ou une activité exigeante, nécessitant la maîtrise de techniques compliquées: des exercices respiratoires, des capacités de concentrations, etc. Mais la méditation est surtout un moment que l’on s’accorde. On médite quand on peut déposer la tête entre les mains, pleurer, crier, ne rien dire, dormir même! Méditer, c’est être proche de son cœur, de son être intérieur. C’est entrer en contact avec soi, ici et maintenant, peu importe ce qui se passe autour. On peut l’être à sa propre manière. C’est se découvrir pour s’aimer.
Amour
Il est important de chercher l’essentiel à l’intérieur de soi, là où siègent les émotions, les croyances, les valeurs, les forces et les faiblesses. Comment attendre, comprendre et apprécier l’amour des autres ou les aimer si l’on n’est pas capable de s’aimer? S’aimer soi-même, c’est faire preuve de compassion et d’empathie envers soi. C’est se donner la dignité et la sentir. Être aimant peut être la manière la plus spirituelle d’un soutien4. Cet amour fait appel à une capacité de compréhension lorsqu’on est confronté à des épreuves existentielles. L’amour bienveillant envers soi est une compréhension de soi lors de périodes difficiles. Il faut aimer même ses faiblesses, ses fragilités, accepter son être tel quel. On est unique. Cette qualité d’amour permet d’accéder à soi, à ses ressources intérieures. Ce qui redonne sens à la vie. Cet amour de soi n’équivaut pas à un repli sur soi, à une fermeture à l’autre. Mais il n’y a pas d’amour de l’autre sans l’amour de soi. Si l’on croit l’apôtre Paul, l’amour de soi-même est même le modèle de l’amour du prochain: « Car toute la loi est accomplie dans une seule parole, dans celle-ci: Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » (Ga 5,14)
Significations
Perdre le goût est un signe de maladie. Goûter de bons aliments réjouit l’être humain. À quoi sert un bon repas si personne n’est là pour l’apprécier? À quoi servent la belle nature, le beau temps, les relations, les richesses, le confort si l’on n’est pas apte à les sentir, si l’on ne sait pas ce qu’on aime, ce qui nous fait du bien. Carl Gustav Jung avance que … la plus belle vérité ne sert à rien - comme l'histoire l'a mille fois montré - tant qu'elle n'est pas devenue l'expérience première, profonde de l'individu. Toute réponse univoque, celle que l'on dit « claire », reste cependant toujours fixée dans la tête, et il est extrêmement rare qu'elle pénètre jusqu'au cœur5.
Le bien-être spirituel est conçu dans une perspective similaire, comme la capacité de ressentir et d’intégrer le sens et le but de la vie. C’est le cœur du spirituel. Qu’est-ce qui contribue à son bonheur? Quelles relations? Quelles personnes? Quels engagements, valeurs, pratiques ou croyances? Qu’est-ce qui permet de garder espoir6? Il est peut-être temps de faire un ménage en soi, pour s’attacher à l’essentiel et dégager le nuisible.
Entamer un petit régime spirituel. Quand on est malade dans son corps, on change notre alimentation. C’est pareil pour notre être intérieur. Il faudra vérifier sa nourriture sur les niveaux mentionnés plus haut, ces niveaux qui constituent des portes d’entrée à son soi profond. Finalement, quand son être profond va mieux, on se retrouve beaucoup plus fort pendant les épreuves (qui sont malheureusement ou heureusement inévitables), car on est bien ancré dans ses forces stables, car on a pris conscience de ses vérités. Plus on est dans la prise de conscience de soi, plus on est dans un bien-être spirituel, dans la capacité de ressentir ces vérités, de goûter certains moments ou certaines choses à travers ses sensations. Retrouver le goût reflète également son état intérieur, car la vie spirituelle c’est quelque chose de réel, de concret.
Pragmatisme
La vie spirituelle doit se traduire dans la réalité concrète. Comment une spiritualité fantaisiste ou abstraite pourrait-elle bénéficier à un être humain? Elle se déconnectera de la réalité. Étant une dimension intrinsèque de l’être humain, la spiritualité se vit et s’exprime en harmonie avec la totalité de l’être (dans le corps et le psychique) et dans tous les aspects de la vie (social, économique, environnemental, etc.).
Quand ça ne va pas bien, la question à poser est surtout : « Qu’est-ce que je peux faire ici et maintenant? » Fuir ou chercher en dehors de soi risque de causer une rechute. Ce n’est pas sage. La méditation, l’amour de soi, l’exercice de compréhension de soi sont des actions qui auront des conséquences pratiques positives. Faire appel à la raison dans la vie spirituelle favorise l’harmonie en soi. C’est comme une vision globale de soi qu’on s’applique. La raison et les émotions sont employées dans cet exercice intérieur pour le bien de l’être dans sa globalité. Le pragmatisme dans une vie spirituelle a besoin de la douceur de l’insouciance.
Insouciance
L’insouciance spirituelle permet de se débarrasser des soucis et des tracas. Pourquoi s’inquiéter autant aujourd’hui de demain au lieu de vivre pleinement le moment présent? C’est une leçon évangélique : « demain s'inquiétera de lui-même. Chaque jour suffit sa peine ». (Mt 6,34) L’insouciance appelle un exercice de détachement, de lâcher-prise. Vouloir tout contrôler empêche la personne d’être libre, de s’avancer et d’accueillir le nouveau dans la vie. On peut se battre et s’épuiser pour défendre un point de vue, pour obtenir une chose, un poste ou autre. Mais dans ce combat, loin de son cœur, on nourrit la peur et l’insécurité à l’intérieur de soi. L’insouciance est une attitude de confiance en soi et en notre contribution à la vie, c’est une attitude d’autonomie. L’insouciance permet une certaine distance avec le réel et ses épreuves, une objectivité nécessaire produisant paix et tranquillité d’esprit.
La trousse spirituelle MA-SPI n’est qu’une proposition. La Méditation, l’Amour, les Significations, le Pragmatisme et l’Insouciance peuvent être des jalons utiles. Mais chacun est libre d’adapter cette trousse ou d’en concevoir une autre. Un tel travail constitue peut-être un exercice spirituel incontournable, le premier pas de l’aventure extraordinaire que constituent le retour à soi-même et l’exploration de ses ressources intérieures.
Ce chemin vers soi ne va pas de soi, il est exigeant, mais il est pourtant nécessaire pour rencontrer l’Autre, en soi et hors de soi.
Notes
1 Voir H. G. Koenig, M. E. McCullough et D. B. Larson, Handbook of religion and health, Oxford University Press, 2001. Voir aussi Ingela C. Thuné-Boyle et al., Do religious/spiritual coping strategies affect illness adjustment in patients with cancer? A systematic review of the literature, Social Science & Medicine 63/ 1 (2006), p. 151-164.
2 Voir NANDA International, Diagnostics infirmiers. Définitions et classification 2018-2020, Issy-les-Moulineaux, Elsevier-Masson, 2019, p. 434.
3 Centre national des ressources textuelles et lexicales.
4 Voir Fischer, Gustave-Nicolas, Cyril Tarquinio, et Virginie Dodeler. Chapitre 8. Psychologie, spiritualité et santé, les bases de la psychologie de la santé. Concepts, applications et perspectives, sous la direction de Fischer Gustave-Nicolas, Tarquinio Cyril, Dodeler Virginie. Dunod, 2020, pp. 237-254.
5 Voir Carl Gustav Jung, L'âme et la vie, Paris, Buchet/Chastel, 1963, p. 319-320.
6 La spiritualité est définie comme « un aspect dynamique et intrinsèque de l’humanité à travers lequel les personnes recherchent le sens, le but et la transcendance ultimes, et expérimentent des relations avec soi-même, la famille, les autres, la communauté, la société, la nature et le significatif ou le sacré. La spiritualité s’exprime à travers les croyances, les valeurs, les traditions et les pratiques ». Voir Christina M. Puchalski et autres, Improving the Spiritual Dimension of Whole Person Care: Reaching National and International Consensus, Journal of Palliative Medicine Jun 1, 17/6 (2014), p. 642–656.
Marine El Hajj est agente de planification, programmation et recherche au Centre Spiritualitésanté de la Capitale-Nationale – CHU de Québec – Université Laval. Elle est également professeure associée à la faculté de théologie et de science religieuse de l’Université Laval. Marine détient un doctorat en théologie et un diplôme en accompagnement spirituel ignatien du Centre Manrèse de Québec.