Nourrir l’esprit

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Un guide d’activités sensori-émotionnelles au banc d’essai


Par Maude Viens, Gina Bravo et Jean-François Therrien - 1 décembre 2019

Avec le vieillissement de la population, le nombre de personnes atteintes de troubles neurocognitifs augmente sans cesse. Comme ces personnes ont perdu partiellement ou totalement l’usage de la parole, l’accompagnement spirituel suscite de nombreuses questions. Maude Viens a conduit une recherche sur l’usage d’un outil proposé aux proches et visant à nourrir la vie spirituelle de cette clientèle. L’article propose les grandes lignes de ses résultats.


La qualité de vie des résidents constitue une préoccupation constante en centre d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD) et dans les résidences privées pour aînés. Cette qualité de vie passe d’abord par des soins holistiques, c’est-à-dire centrés sur l’ensemble des dimensions d’une personne. La réalité des aînés atteints de démence — maintenant appelée troubles neurocognitifs — n’est pas étrangère aux centres d’hébergement privés pour personnes âgées ainsi qu’aux centres d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD). Les aînés atteints de démence représentent une proportion importante de la population des CHSLD et des centres d’hébergement privés1; cette proportion ne fera qu’augmenter avec le vieillissement démographique attendu et l’absence de thérapie pour prévenir ou enrayer la maladie.
 

... même si une personne atteinte de démence sévère perd la capacité à communiquer verbalement, elle éprouve des besoins équivalents à ceux d’une personne communicative.


La démence est un syndrome caractérisé par la progression graduelle de symptômes neurocognitifs2. Dans les stades plus avancés de la pathologie, l’atteinte des fonctions cognitives et physiques devient plus marquée, touchant l’autonomie de la personne2. Il est évident que même si une personne atteinte de démence sévère perd la capacité à communiquer verbalement, elle éprouve des besoins équivalents à ceux d’une personne communicative. Ces personnes possèdent tout autant une dimension spirituelle et peuvent éprouver des besoins particuliers à cet égard3.

La spiritualité peut être définie comme la quête individuelle de sens, d’authenticité, d’universalité et d’harmonie4. La spiritualité est à l’essence même de l’expérience humaine; elle définit donc son identité et transcende toute capacité intellectuelle3. Dans le cadre de ce projet, la définition de la spiritualité utilisée est celle du modèle d’intervention ST-VIAR5. Ce modèle offre une conceptualisation de la spiritualité et des besoins spirituels. Les domaines de la spiritualité sont le sens, la transcendance, les valeurs, l’identité, l’appartenance et le rituel5. Le modèle ST-VIAR propose aussi deux différentes approches d’intervention : cogito-émotionnelle et sensori-émotionnelle. Lorsqu’une personne est atteinte de démence avancée, l’intervention à privilégier est de nature sensori-émotionnelle.

Namaste CareMC propose un programme d’intervention qui vise à soutenir la spiritualité de personnes atteintes de démence sévère à l’aide de stimulation sensori-émotionnelle6. Selon la philosophie de soins du programme Namaste CareMC, le domaine spirituel d’une personne ayant perdu la capacité de communiquer verbalement peut être nourri en pratiquant avec elle des « activités significatives » de nature sensorielle6. Les activités sensorielles significatives peuvent être regroupées en quatre différents types (tableau 1). Les activités sont d’abord classées selon leur intention manifeste : par exemple, un soin de corps ou la célébration d’une fête. Par contre, l’essence de l’activité sensorielle significative réside dans l’intention principale de l’activité, c’est-à-dire nourrir la vie spirituelle de la personne. Selon son essence, l’activité sensorielle significative va donc rejoindre différentes sphères de la spiritualité.

 

Tableau 1 : Types d’activité sensorielle significative – définitions et exemples d’activités sensorielles significatives


 

L’essence de l’activité significative réside dans l’intention principale de l’activité : nourrir au moins une des sphères de la spiritualité…


Suivant les recommandations du programme Namaste CareMC, un guide d’activités sensorielles (figure 1) a été créé par la première auteure pour outiller les proches d’aînés atteints de démence sévère habitant en centre d’hébergement. Le guide introduit brièvement les proches à la philosophie et à la mission du programme Namaste CareMC. Principalement, le guide propose des activités sensorielles significatives à faire lors des visites. A priori, une activité sensorielle significative stimule un des cinq sens. L’essence de l’activité significative réside dans l’intention principale de l’activité : nourrir au moins une des sphères de la spiritualité, selon le modèle ST-VIAR. Par exemple, pour une résidente pour qui sa coiffure était centrale à son identité, une visite chez le coiffeur est une activité sensorielle significative qui soutient son besoin de conserver son identité.

L’objectif de ce projet est d’évaluer, de façons quantitative et qualitative, l’utilité du guide d’activités conçu pour les proches en observant l’impact du guide sur les activités pratiquées lors des visites par les proches.

 

Figure 1 : Guide d’activités sensorielles significatives – guide d’activités présenté aux participants



 

Méthodologie

Les proches ont été recrutés dans trois différents centres d’hébergement pour aînés : deux résidences privées et un CHSLD. Une entrevue d’environ 20 minutes sur la fréquence et la nature des activités pratiquées lors des visites a d’abord eu lieu avec le participant. Cette première entrevue a aussi servi à établir son portrait sociodémographique ainsi que celui du résident.

Par la suite, l’étudiante responsable du projet a introduit le guide d’activités sensorielles significatives. S’échelonnant sur une période de huit semaines, la participation des proches consistait à noter ce qu’ils faisaient durant leurs visites. La fréquence des activités significatives lors des visites a été recueillie à l’aide d’un calendrier hebdomadaire (figure 2).

Comme complément à la collecte de données des calendriers, une entrevue a été réalisée pour connaître l’opinion des participants sur l’utilité du guide et les activités proposées.

 

Figure 2 : Calendrier hebdomadaire – calendrier de collecte de données

 

Résultats

Huit participants ont été recrutés. Ceux-ci étaient majoritairement des femmes (6 sur 8), avec une moyenne d’âge de 68 ans. Les proches s’identifient comme catholiques, mais non pratiquants; ils s’engagent dans peu d’activités associées à leur identité religieuse. L’échantillon de résidents contient autant d’hommes que de femmes, âgés en moyenne de 83 ans. Les liens qui les unissent avec les participants sont variés : époux/épouse, mère/père, ami. Les résidents sont atteints de divers sous-types de démence : maladie d’Alzheimer, maladie vasculaire, lésion cérébrale traumatique.

Le but principal de l’entrevue initiale était d’établir un portrait général des activités lors des visites. En entrevue, les participants rapportent réaliser typiquement les mêmes activités d’une visite à l’autre; ils ont une routine de visite. Les activités sensorielles significatives les plus rapportées sont liées aux soins du corps et aux activités offertes au centre d’hébergement.

Les calendriers de collecte remplis par les participants ont servi à recueillir des informations sur les activités réalisées lors des visites. La figure 3 permet d’observer la fréquence des activités sensorielles significatives pratiquées par les huit participants sur une période de huit semaines.

Les participants ont finalement été sondés sur leur perception de l’utilité du guide. Le guide n’a pas été perçu comme étant utile, car il n’a pas modifié les activités pratiquées lors des visites. Les extraits des verbatims ont permis d’identifier des facteurs déterminant la nature des activités lors des visites. Pour quatre des participants, le choix d’activités repose en partie sur une routine de visite qui s’est établie au fil du temps. Les activités réalisées sont aussi personnalisées : trois des huit participants rapportent l’importance de toujours prendre en compte la personne de façon holistique, dans le moment présent. Le thème de la valeur de l’accompagnement est ressorti des verbatims; certains participants soulignent la valeur intrinsèque d’offrir une présence.


Figure 3. Pratique d’activités sensorielles significatives – nombre d’activités sensorielles significatives rapportées dans les calendriers de collecte

 

Discussion

Le guide d’activités s’avère peu efficace pour augmenter le nombre d’activités sensorielles significatives lors des visites. Certains éléments ont été identifiés par les participants comme étant des freins à l’utilisation du guide, c’est-à-dire des raisons pour lesquelles le guide n’a pas changé les activités lors des visites.

Le premier élément soulevé par les participants est la routine de visite. Les participants s’engagent dans des activités faisant partie d’une routine de visite; ils réalisent les mêmes activités à chaque visite. Cette routine de visite peut être perçue comme positive. Comme note le participant 05 : « Je pense que, dans le cas des démences, plus ils sont dans leur routine, plus c’est sécurisant. Par exemple, quand on est sorti sur le balcon, j’ai eu l’impression que je la sortais de sa routine. La routine, c’est sécurisant. » Cette routine est perçue comme nécessaire et donc difficile à modifier. Les soins d’hygiène, la nutrition et la participation aux activités de physiothérapie sont des activités intégrantes de la routine de visite.

En plus d’être circonscrites dans une routine, les activités sont choisies par le participant en s’adaptant à la personne, dans le moment présent. Des caractéristiques, comme les préférences de la personne, ses capacités et son humeur ainsi que son environnement sont des facteurs qui affectent la nature des activités réalisées lors des visites. De plus, ces caractéristiques varient dans le temps. Les activités réalisées lors des visites sont donc spécifiquement adaptées à la personne, au moment de la visite. Par exemple, le participant 03 remarque : « Chaque patient a sa particularité, je fais des choses avec [résident 03] que je ne pourrais pas faire avec d’autres. » La perspective holistique est la base du processus de décision des proches lors des visites. Cette approche est basée sur la reconnaissance de l’humain comme une entité possédant plusieurs facettes reliées et dynamiques7 : physique, cognitive, émotionnelle, spirituelle, etc. Les facettes d’une personne ne sont pas des éléments statiques distincts; elles interagissent et sont en constante évolution.

La valeur intrinsèque de l’accompagnement est aussi un élément d’importance. Les participants qui s’engagent dans des activités sensorielles significatives mettent de l’avant la valeur intrinsèque de la connexion humaine. Les participants priorisent la valeur de la présence, et non les activités réalisées. Le participant 05 note : « Je crois que ce qui est important, c’est ma présence. » C’est l’essence de l’activité, ou l’intention qu’on lui porte, qui a de l’importance lors des visites.
 

Forces et limites

Comme tout projet de recherche, cette étude contient certaines limites. Bien que la réalité des proches de personnes atteintes de démence avancée comporte des similitudes, la généralisation des résultats est limitée étant donné entre autres le petit échantillon circonscrit à la municipalité de Sherbrooke, majoritairement catholique. En revanche, ce projet présente plusieurs forces. Il offre un regard intime sur les habitudes de visite en centre d’hébergement et de soins. L’entrevue initiale et la collecte hebdomadaire des calendriers ont permis à l’étudiante responsable du projet d’apprendre à connaître les participants et les résidents. En plus d’avoir réalisé la collecte de données dans un milieu de vie de type CHSLD, le projet a eu lieu dans deux centres d’hébergement privés. La variété des milieux de vie a permis de recruter des participants et des résidents avec des portraits sociodémographiques hétérogènes.
 

L’hébergement ainsi que les soins en résidence doivent être de plus en plus adaptés à une clientèle atteinte d’un stade avancé de la démence.

 

Conclusion

Le vieillissement de la population entraîne une réorientation des soins et services dans les centres d’hébergement et les résidences pour aînés. L’hébergement ainsi que les soins en résidence doivent être de plus en plus adaptés à une clientèle atteinte d’un stade avancé de la démence. Une approche de soins centrée sur la personne atteinte de démence signifie d’offrir une réponse aux besoins d’une personne en respectant son identité et ses capacités. De plus, des professionnels de soins de santé voulant offrir des soins holistiques doivent prendre en compte toutes les dimensions interreliées qui composent une personne.

Bien que la fréquence d’activités sensorielles significatives n’ait pas augmenté durant le projet, celui-ci a permis d’en connaître davantage sur les activités réalisées lors des visites en centre d’hébergement. Il a aussi été possible d’observer l’essence des visites : l’accompagnement de la personne.

L’utilisation du modèle ST-VIAR permet de solidifier le cadre opérationnel de ce projet. Il permet de tisser les liens entre la pratique d’activités significatives sensorielles et la spiritualité, c’est-à-dire, le lien entre les sens et le « Sens ». Le modèle ST-VIAR a permis de comprendre davantage l’essence derrière ces activités.

Au centre de l’intervention spirituelle dans la démence se situe l’accompagnement de la personne et de ses proches. Des activités de nature sensori-
émotionnelle basées sur la personne peuvent offrir un accompagnement holistique dans la maladie et nourrir la spiritualité. <
 

Références

1   Ogilvie, K. K. et Eggleton, A. (2016). La démence au Canada : Une stratégie nationale pour un Canada sensible aux besoins des personnes atteintes de démence. Repéré à www.senate-senat.ca/social.asp.

2   Rosenberg, R.S. et Kosslyn, S.M. (2014). Abnormal Psychology (2nd ed.). New York, NY: Worth Publishers.

3   Kevern, P. (2015). “The spirituality of people with late-stage dementia : a review of the research literature, a critical analysis and some implications for person-centred spirituality and dementia care”. Mental Health, Religion & Culture, 18(9), 765-776.

4   Jobin, G. (2012). Des religions à la spiritualité : Une appropriation biomédicale du religieux dans l’hôpital. Bruxelles, Belgique : Lumen Vitae.

5   Lévesque, L. (2013). « L’accompagnement spirituel de personnes atteintes de déficits cognitifs : exploration de l’approche sensori-émotionnelle ». La Gérontoise, 24(2).

6   Simard, J. (2013). The end-of-life Namaste CareMC program for people with dementia. Baltimore, MD : Health Professions Press Inc.

7   Papathanasiou, I., Sklavou, M., & Kourkouta, L. (2013). “Holistic nursing care: theories and perspectives”. American Journal of Nursing Science, 2(1), 1-5.
 



Maude Viens, B.A., est étudiante à la maîtrise en gérontologie au Centre de recherche sur le vieillissement de l’Université de Sherbrooke. L’étude de la psychologie et de différents mouvements spirituels et religieux l’ont menée à se pencher sur la spiritualité dans le vieillissement et la proche aidance.

Gina Bravo, Ph. D, chercheure principale, détient un doctorat en mathématiques de l’Université de Sherbrooke ainsi qu’une formation postdoctorale en épidémiologie clinique de l’Université McGill. Professeure titulaire au Département des sciences de la santé communautaire de l’Université de Sherbrooke, elle dirige actuellement le Centre de recherche sur le vieillissement du CIUSSS de l’Estrie-CHUS où elle effectue ses travaux depuis 1990. Ses intérêts de recherche comprennent la qualité des soins dispensés aux personnes âgées en perte d’autonomie et la réponse aux besoins spirituels des personnes incapables de communiquer verbalement dû à un trouble neurocognitif majeur.

Jean-François Therrien, M. A. conseiller interne au projet, est intervenant en soins spirituels au CIUSSS de l’Estrie-CHUS depuis plus de 10 ans. Travaillant en CHSLD, il a acquis une expertise gériatrique – avec des usagers présentant des symptômes comportementaux et psychologiques de la démence (SCPD) – et d’accompagnement des familles avec un proche en fin de vie. Il détient un baccalauréat en histoire, mineure en théologie (Université de Sherbrooke), une maîtrise en sciences humaines des religions (Université Laval) et a effectué deux stages cliniques en soins spirituels à l’Université de Sherbrooke. Ouvert aux paramètres existentiels des communautés culturelles de sa région, il poursuit sa vocation dans le domaine communautaire.


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