La solitude heureuse | comprendre et s’adapter

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Par Michel Giroux- 1er avril 2014

Si certaines personnes cherchent la solitude, d’autres en revanche la subissent et en souffrent profondément. Pourtant dans bien des cas, la solitude peut devenir la voie royale pour cultiver son jardin personnel. L’auteur propose, dans cet article, diverses stratégies pour que la solitude « permette à l’être humain de devenir un bon compagnon pour lui-même ».

 
La solitude peut découler d’un choix ou être la conséquence d’un changement dans notre vie. La solitude lumineuse de l’artiste passionné devant sa toile contraste avec la sombre solitude d’un chagrin d’amour. La solitude est un lieu pour se construire soi-même et trouver un bonheur profond et durable. Les stratégies pour s’adapter à la solitude sollicitent des habiletés variées : s’engager dans une action, s’apaiser émotionnellement, créer des liens sociaux ou se distraire joyeusement. De plus, méditer en pleine conscience aide la personne à créer de la sérénité en elle-même.
 

Réflexion : la solitude heureuse

Les mots « bonheur » et « solitude » forment un couple maudit; la solitude fait surgir davantage d’images de malheur que d’images de bien-être. Nous sommes alors en droit de nous demander quels sont les effets positifs de la solitude.
 
La solitude est nécessaire à la découverte d’un bonheur profond et durable. L’apprentissage de la solitude est à la fois le fruit d’un renoncement et celui d’une décision. Notre vision ambiguë de la solitude provient du fait qu’elle peut être choisie ou subie. Alors que l’écrivain se retire volontairement pour se consacrer à son œuvre, le deuil, le divorce et la retraite engendrent un isolement qu’il faut apprivoiser.
 

Un bon compagnon pour soi-même

La solitude permet à l’être humain de devenir un bon compagnon pour lui-même. Fuir notre solitude nous condamne à rester un étranger pour nous-mêmes, à ne jamais nous rencontrer, à ne pas connaître nos besoins ni les richesses qui nous habitent. Choisir de vivre la solitude devient une décision enrichissante à partir du moment où elle nous permet de jouir de la richesse de notre être et d’accueillir la profondeur de notre humanité. La solitude nous permet de visiter l’île que nous sommes et la multitude des espaces intérieurs qui nous constituent. Le fait d’être seul nous permet d’explorer notre île, une île remplie de richesses et de beautés. Toutefois, une condition est nécessaire pour l’apprivoiser : partir seul pour l’explorer et l’habiter. Nous pouvons passer notre existence cramponnés au rivage de notre île, le regard tourné vers l’horizon, à attendre quelque voilier ou bateau qui viendrait nous sauver, et ce, sans jamais nous retourner et visiter l’île que nous sommes. La décision de partir explorer notre île nous permet de découvrir qu’elle est immense, peuplée d’images vivantes et d’indices de vie.
 
Chaque personne possède des ressources insoupçonnées qu’elle laisse souvent dormir. Or, elles constituent des richesses à exploiter afin d’augmenter son potentiel de bonheur. En lisant un roman par exemple, je fais appel à mes ressources pour imaginer, sentir les émotions des personnages, m’investir dans la compréhension de l’histoire; les romans, nous révèlent les multiples personnages qui nous habitent et les scénarios de vie que nous traversons.
 

Cultiver son jardin personnel

La solitude est l’espace en soi qui n’est accessible à personne d’autre. Chaque personne est constituée de différents « je », comparables à des jardins : l’espace public, l’espace social, l’espace des amis, l’espace de la famille, l’espace intime, mais aussi l’espace privé et personnel, qui est le centre de l’être.
 
L’espace privé de notre Moi est le lieu d’une solitude fondamentale dans lequel se trouve le noyau de notre identité. Il s’y trouve une énergie à la fois chaude et vivante, qui prend la forme d’images nous permettant de saisir la personne unique que nous sommes. L’image de la source profonde ou du puits au cœur de notre jardin en traduit la profondeur et l’effet dynamisant. Le contact avec cette dimension fondamentale de notre être est la source d’un bonheur profond qui dépend peu des conditions de notre environnement, mais davantage du simple fait d’être vivant. Cette source émane de notre élan vital; nous pouvons la répandre dans le jardin de notre existence afin de le faire verdir, le faire fleurir et se transformer en fruits nourrissants pour nous-mêmes, pour autrui et pour la société.
 

Vertus de la solitude

La plus pénible solitude est celle qui consiste à ne pas être en contact avec soi-même, alors que la bonne solitude permet de créer un pont avec son Moi profond, celui qui contient les matières premières pour vivre heureux.
 
Les temps de solitude nous donnent l’occasion de répondre aux questions suivantes : ce que je veux, ce que j’aime, comment vivre un moment agréable, comment prendre soin de la vie, comment créer des ponts avec la vie autour de soi… La solitude requiert de devenir un sourcier, une personne attentive à dégager les sources de vie : se laisser bercer par les murmures de la musique, s’émerveiller du chant des oiseaux, se réjouir du jeu des écureuils, dessiner avec plaisir ce que l’on voit, apprivoiser son être par le yoga, etc. La solitude exige une attitude active et contemplative : provoquer la vie, la chercher activement et garder nos sens en éveil pour accueillir les sources de bonheur en soi et autour de soi.
 
Le bonheur et la solitude sont de précieux complices. La solitude permet au bonheur de se révéler comme une source profonde qui irrigue le jardin de notre existence et nous permet de vibrer à la joie d’être vivant. Nous pouvons passer notre vie à éviter la solitude et nous priver d’un l’élan vital qui dynamise toute notre existence.
 

Stratégies d’adaptation à la solitude ou comment transformer la solitude douloureuse en solitude heureuse

Devant la souffrance l’être humain utilise souvent la fuite comme autoprotection. L’isolement peut faire très peur; il représente la peur fondamentale de l’abandon et du rejet. Les émotions suscitées par la solitude nous conduisent à développer des stratégies de protection – évitement, dénigrement de soi, pensée magique et abus compulsifs; celles-ci nous apaisent sur le moment, mais nous enlisent à long terme dans notre problème.
 
L’évitement des émotions inconfortables – peur, colère, tristesse, honte, impuissance ou jalousie – est au cœur de la solitude douloureuse. Cette mise à distance émotionnelle prolonge indûment notre douleur. L’évitement agit comme une solution cosmétique : il soulage à court terme, mais maintient à long terme nos inconforts émotionnels et freine la mise en place d’actions efficaces et durables. Les émotions et pensées suivantes peuvent nous torturer : une immense colère suite à un rejet subit, la détresse de l’abandon, la tristesse de la perte, la honte sociale de se retrouver seul, la pensée de rester seul à jamais, l’horrible image du téléphone silencieux pour l’éternité, etc. Notre anxiété peut nous faire vivre des pensées catastrophiques – comme la peur de mourir seul – des malaises physiques, des déferlements émotionnels de peur, de rage, de tristesse et des comportements de retrait ou de fuite.

Le dénigrement de soi nous ronge lorsque notre colère se retourne contre nous et nous culpabilise. La pensée magique réveille notre enfant intérieur et son sentiment d’impuissance. Cet enfant en nous attend passivement que se présente une solution extérieure, une solution de conte de fées dans lequel un simple baiser métamorphoserait le dégoutant crapaud en prince charmant, comme si notre solitude douloureuse devenait, par la magie d’un souhait, une solitude heureuse.
 
Les abus et les compulsions de tous acabits – alcool, jeu, dépenses effrénées, nourriture, Internet, sexualité – gèlent les émotions douloureuses de notre solitude.
 
Lorsqu’en prenant du recul, nous constatons que nous tournons en rond dans l’évitement, nous réalisons que nous devons agir pour modifier notre situation, devenir actifs et affronter le problème au lieu de le contourner. L’adaptation active à la solitude douloureuse requiert des stratégies diversifiées. L’être humain s’adapte en utilisant des ressources variées qui découlent des forces de résilience propres à son être et à ses capacités d’action. Pour la solitude, il est en de même; pour avancer, il faut utiliser des stratégies créatrices, des solutions concrètes et originales.
 

1) S’engager dans une action planifiée pour se dégager d’une paralysie douloureuse

Je cherche des solutions concrètes pour contrer mon isolement. Par exemple, je dresse une liste d’activités diversifiées et utiles à réaliser aujourd’hui, demain et les jours suivants. Je m’investis dans le travail ou d’autres formes d’activités utiles, pour apaiser mon inconfort et redonner de la valeur à ma vie. Je rédige une liste d’activités et de personnes avec qui je prévois les vivre et je passe à l’action : appels, courriels, messages textes. J’épluche les journaux en quête d’activités stimulantes pour l’intellect : conférences, discussions, cours, ateliers de langues ou de philosophie. Je suis actif et prévoyant afin d’éviter le piège des journées creuses qui alourdissement indûment mon isolement.
 

2) S’apaiser émotionnellement et s’exprimer pour créer de l’espace intérieur

L’évitement émotionnel peut être contré par la reconnaissance de mes émotions inconfortables. Je laisse mon émotion se déployer dans mon corps, sans la retenir ni la contrôler; cet exercice contribue à dénouer mes craintes. Je prends note de mes émotions, je leur associe des mots ou des images. Je dessine mes émotions avec vigueur. J’écoute des chansons ou des films tristes pour aborder mon émotion. Je consacre une heure à pleurer et je réalise ensuite une activité agréable. Je confie mes sentiments à une personne de confiance, un ami, un parent ou à un service d’écoute téléphonique.
 

3) Se relier aux autres : aller vers autrui et cultiver nos habiletés relationnelles

Je vais activement à la rencontre des autres. Je m’engage dans le bénévolat, je mise sur l’altruisme et la compassion pour favoriser une solidarité humaine au temps de la solitude douloureuse. Je participe à un regroupement de personnes seules, je brise l’isolement, je partage mon fardeau et j’échange mes recettes pour vivre mieux.
 

4) Se distraire positivement : meubler sa solitude d’une touche de plaisir

 Au temps de la solitude douloureuse, je reprends contact avec des distractions nourrissantes et stimulantes. J’écoute tous les jours des chansons joyeuses. Je cultive des plantes, je lis un roman captivant, je réécoute mes films préférés.
 

5) Stratégies méditatives : élargir sa conscience de l’instant présent

S’ouvrir à l’espoir et transcender l’inconfort. L’optimisme est la caricature de l’espoir; elle est une joie cosmétique. Je nourris mon sentiment d’espoir par les souvenirs, par des moments de bonheur et le rappel de mes victoires en périodes difficiles. Je crois au bonheur comme on peut croire au retour du soleil, lorsqu’il se dissimule derrière de sombres nuages.   Méditer : se décrisper de sa douleur, s’ouvrir au bonheur de l’instant présent. Image et pensée : j’accepte ma solitude, je fais comme une algue dans les vagues inconfortables. Je me dépasse en dégageant une valeur spirituelle qui anime ma vie. Je me visualise comme un nageur, j’avance une brassée à la fois.
 
Je m’inscris à un atelier de méditation ou de yoga où la solitude prend un sens positif. J’écoute un CD de méditation ou je lis un livre sur ce sujet. Je crée un coin d’intériorité à la maison : chandelles, coussins, musique et encens. Je passe une journée dans un spa pour relaxer. Je fais le bilan de ma vie et je dégage mes projets essentiels pour vivre un avenir heureux.
 
La solitude est nécessaire à la découverte de notre bonheur personnel et conjugal. Dans nos moments solitaires, nous nourrissons les dimensions de notre être. Notre solitude devient heureuse si elle est habitée de la richesse des réflexions de notre intelligence, de la chaleur de notre sagesse, de la vitalité de nos émotions et de la conscience de nos sensations corporelles. Devenir soi-même requiert de nous rencontrer souvent et intimement dans la solitude. Celle-ci est un guide précieux sur le chemin de la sagesse et de la compassion. Bienheureuse solitude…
 

Notes

1   Bureau privé au 444, boulevard René-Lévesque, tél. : 418 529-5041 www.michelgiroux.net

2   Cette réflexion sur la solitude heureuse est tirée du livre Psychologie des gens heureux de Michel Giroux.
 
  ANDRÉ, Christophe. Méditer jour après jour, Éditions de l’iconoclaste, 2011 ou Les états d’âme; un apprentissage de la sérénité, Éditions Odile Jacob, 2009.
 



Psychologue depuis 1987 et conférencier, Michel Giroux pratique la psychothérapie individuelle et conjugale. Il est l’auteur de Psychologie des gens heureux (2010) et Les valeurs religieuses en psychothérapie (2008) publiés chez Québécor. Ses champs d’intérêt sont le traitement de la dépression et de l’anxiété, la thérapie des schémas personnels et relationnels, la méditation psychothérapeutique ainsi que la supervision clinique.
 




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