Par Claudine Papin et Claudie Pouliot – 1er août 2014
Les auteures sont impliquées au Centre de rétablissement en santé mentale du Programme d’encadrement clinique et d’hébergement (PECH). Dans cet article, elles proposent un bref récit d’une exploration collective de la dimension spirituelle dans une perspective de rétablissement.
Hommage aux visionnaires
Par ce bref récit, nous voulons rendre hommage aux visionnaires de PECH qui ont osé, en réponse aux besoins et aux aspirations des utilisateurs, intégrer dans leurs pratiques et dans leur programmation la dimension spirituelle de l’existence. Honorer aussi les participants qui ont dit oui à cette première aventure de maturation spirituelle.
La place de la dimension spirituelle dans l’univers de Sherpa pourra s’élargir dans la prochaine année grâce au projet « Un chantier de sens à contre-courant » soutenu par la Fondation.
Cette initiative est la réponse au besoin exprimé par la direction de Sherpa lors de notre rencontre qui a fait converger le soin et le sens, la santé et la spiritualité. Toutes deux sensibles à l’intangibilité qui pimente la condition humaine, nous avons reconnu, à Sherpa/Pech, une communauté de valeurs, de recherche et de pratiques pour offrir une exploration de la dimension spirituelle dans une perspective de rétablissement.
Ils étaient trente pèlerins à la recherche de leur roi. La route était longue et traversait sept vallées : Talab, la Demande, Ishq, l’Amour, Ma’refat, la Connaissance, Isteghnâ, Se suffire à soi-même, Tawhid, l’Unicité de Dieu, Hayrat, la Stupéfaction, Faqr et Fana, la Pauvreté et l’Anéantissement. Un à un, plusieurs abandonnèrent, trébuchant sur leurs faiblesses singulières, incapables de supporter le voyage. Les plus simples persévérèrent. Réalisant la vérité, ils se rendirent au sommet de la montagne. « Qui es-tu? » crièrent-ils. S’avançant dans le silence, ils découvrirent un grand miroir. S’avançant encore, ils virent la figure qu’à eux tous, sans le savoir, ils formaient : celle d’un oiseau géant, prêt à s’envoler!
Un sherpa pour la communauté
Nous pouvons apercevoir dans cette histoire soufie du XIIe siècle1, un chemin pour la quête du soi profond. Cette allégorie donne à voir l’ultime destination d’une série d’ateliers sur la spiritualité conduite depuis janvier 2014 à Sherpa, centre de rétablissement en santé mentale du Programme d’encadrement clinique et d’hébergement (PECH)2. Depuis 1993, PECH accompagne des milliers de personnes vivant des difficultés dans la réalisation de leurs projets de vie, en raison d’un problème de santé mentale.
Le Centre de rétablissement Sherpa, situé dans le centre-ville de Québec, constitue une initiative d’avant-garde en Amérique du Nord. Se retrouvent sous un même toit soixante-dix-sept logements sociaux, les bureaux de PECH, l’Espace galerie et des salles pour les différentes activités en lien avec le rétablissement.
À PECH, on se définit comme des « aideurs de mal pris » qui cherchent et donnent du sens au non-sens. On y considère qu’une personne est rétablie lorsqu’elle se sent bien, qu’elle trouve une certaine satisfaction dans les aspects physiques, émotionnels ou spirituels de sa vie et qu’elle a un sentiment d’appartenance à une communauté. On y considère aussi que nous sommes tous, à différentes étapes, en rétablissement.
S’inspirant des pratiques progressistes de la côte est des États-Unis, PECH a adopté un modèle de soutien communautaire axé sur les forces des individus. Cette approche d’intervention vise la réactivation du sens à la vie et la réappropriation du pouvoir d’agir. Elle met l’accent sur les aspirations, les intérêts et les capacités des personnes plutôt que sur le diagnostic. La qualité de la relation est la clef de voûte du processus de soutien qui privilégie l’accompagnement dans les contextes de vie en société. La communauté au sens large est considérée comme une source de possibilités inexploitées pouvant être sollicitée dans le projet de changement. Il y a quelques années, devant les constats formulés par les utilisateurs, PECH a pris l’initiative d’ajouter la dimension spirituelle à son approche.
Cochercheurs de sens
Les difficultés de santé mentale précipitent les gens dans une forme d’errance solitaire quant au sens et au bon sens. La série d’ateliers hebdomadaires intitulée « Quête de sens, quête de présence » est comme une façon, pour les participants, de gravir la montagne avec leurs questions et d’y trouver refuge avec d’autres chercheurs. Pas à pas, ils y découvrent une image plus vaste d’eux-mêmes et des autres.
Cheminer spirituellement, c’est devenir conscient qu’on est un mystère pour soi-même, et c’est tenter de découvrir peu à peu qui on est et comment on est devenu ce qu’on est, c’est tenter de comprendre ce qu’on porte comme questions et comme appels3.
Dans ces ateliers, les participants sont des cochercheurs. Rassemblés en cercle, dans une dynamique de recherche de sens, nous nous adonnons à des explorations faisant place à la dimension spirituelle. Le retour du sens commence par une transformation des affres d’un silence imposé en une découverte avec soulagement qu’un silence habité ou une prise de parole ritualisée peut devenir un espace sécurisé pour tendre l’oreille à l’intérieur de soi. Cette simple découverte permet de trouver la confiance nécessaire pour sortir de chez soi, de son isolement, de « sa cassette » et se découvrir autre que sa situation souffrante.
Rétablir l’esprit convivial
Chaque atelier propose un contenu nouveau dans un contenant répétitif. Le climat participatif, joyeux et sacré, se construit au fur et à mesure. En tant qu’animatrices, nous adoptons une posture de guide sur fond de mutualité. L’atelier type débute par un temps d’accueil convivial; suit une pratique de présence. Cette étape, tel un sas, permet de se distancer de nos vies ordinaires et d’entrer dans un espace qui privilégie l’attention à ce qui est. Ensuite, le thème abordé dans l’expérience est présenté dans une perspective élargie, soit sa dimension anthropologique, philosophique, religieuse ou son lien avec une tradition spirituelle. Le cœur de l’atelier est une expérimentation à la fois individuelle et collective. L’exploration est suivie d’un temps d’intégration à l’aide d’un journal de bord permettant d’envisager des passerelles entre cette expérience et la vie quotidienne. Une brève prise de parole et un temps de gratitude bouclent l’atelier.
Un itinéraire de sens
La série de dix ateliers est conçue de manière à susciter la découverte de son itinéraire de sens. Un itinéraire qui relève d’une « composition personnelle dont la logique n’est plus celle des institutions du sens, celles des dogmatiques, mais une logique «affective», renvoyant aux besoins sentis et appréhendés par les individus, c’est-à-dire à la façon dont chacun est affecté par les expériences qui s’imposent à lui. »4
Pour faire la route ensemble, nous nous sommes initiées à l’écoute et à la prise de parole du cœur et à la ritualisation de passage de vie. Nous avons cherché de quoi se nourrit l’âme, mis en commun nos grandes questions existentielles et revisité nos croyances spirituelles. Par la porte des sens, nous avons activé notre quête de sens. Nous avons exploré la gratitude, la bienveillance, l’altérité, la vérité, l’intégrité et la célébration.
En marchant vers la montagne
Comme les héros du conte soufi, nous avons consenti, en tant qu’animatrices, à l’initiation pour nous-mêmes que comportait l’initiative que nous proposions. Tout en assumant la responsabilité de la direction du groupe, nous conservons une posture de cochercheurs comme les participants. Dans une perspective constructiviste, nous guidons le chemin, mais nous le découvrons aussi chemin faisant. Le groupe est complice de cette option.
Les participants ont également été nos enseignants. Ce sont eux qui nous ont appris comment les accueillir au début de chaque atelier en leur servant bien simplement une tasse de thé. À travers chacun des ateliers, nous avons réalisé et accepté avec un sourire intérieur que nos grandes aspirations trouvaient leurs aboutissements dans des gestes simples, dans la sobriété et la présence habitée. Nous avons appris également que l’exploration de la dimension spirituelle est délicate et intime, particulièrement pour des personnes blessées. L’expérience spirituelle peut relier et amener à relire les parties éparses de nos histoires de vie dissociées et contribuer à remettre les morceaux ensemble. Cette puissance à l’œuvre demande d’être guidée dans un juste amalgame de défi et de sécurité. Trop de l’un ou pas assez de l’autre peut susciter de la diversion et de la dispersion.
Nous avons constaté que la profondeur de l’empreinte de l’expérience spirituelle, et, pourrait-on avancer, la joie qu’elle procure est le fait que chacun est responsable d’en discerner un sens pour lui-même. Pour préserver cette liberté, notre guidance soutient un regard bienveillant sur soi, sur les autres et sur ce qui se passe, attire l’attention sur les composantes de l’expérience et son impact, permet d’apprendre à l’accueillir et à trouver des mots pour la nommer. Même si nous avons déployé des thèmes accrocheurs et que nous avons mobilisé nos talents d’animatrices, les participants nous ont reflété que ce qui était déterminant pour leur ouverture et leur constance dans l’expérience, reposait sur l’authenticité, le naturel et la mutualité de nos interactions entre nous et avec eux.
Dans le miroir
Et au bout du compte, après avoir pris le risque de s’aventurer dans une dimension intime et parfois encore souffrante, que voit-on dans ce grand miroir de moins en moins déformant? La découverte ou encore l’apaisement de sentir qu’on n’est pas seul à porter des questionnements universels et des espérances spirituelles. Que cette quête nous rassemble, brise le sentiment d’isolement, redonne le désir de poursuivre son itinéraire de sens, se sachant appartenir à une communauté qui, elle aussi, cherche et cherche encore.
Nous avons pu constater que ces plongées courageuses dans l’exploration de la dimension spirituelle de la vie engendrent :
- une relation rétablie à soi;
- la perspective de trouver du neuf dans son histoire de souffrances qui semblait une condamnation;
- une relation plus confiante avec les autres;
- le droit de ressentir la joie d’être;
- le goût retrouvé du silence, de la lenteur;
- le plaisir à être dans un état de présence où il n’y a rien à réussir, juste être là et trouver la force ou le désir d’y rester et de s’ouvrir à plus grand que soi.
De l’autre cote du miroir
Nous nous sommes émerveillées devant la profondeur et la beauté des différents itinéraires de sens des participants. Chacune des démarches rétablissait des liens entre la dimension psychique et la dimension mystique de leur vie. Les cochercheurs, dans leur sagesse, ont fait la démonstration que la spiritualité est un besoin naturel et universel; qu’il est possible d’avoir accès à une vie spirituelle significative, qu’elle s’exprime de manière laïque ou religieuse, pour peu que liberté et créativité soient au rendez-vous. C’est ainsi que l’oiseau prend son envol.
Notes
1 Histoire inspirée de la Conférence des oiseaux de Farid Attar.
2 Pour en savoir plus sur le volet Sherpa et sur PECH : http://infopech.org
3 Hétu, Jean-Luc, L’humain en devenir : une approche profane de la spiritualité, Fides, 2001, page 30.
4 LEMIEUX, Raymond, Les croyances des Québécois, Conférence prononcée au Centre St-Charles de Sherbrooke le 15 octobre 2002 et dans le cadre des Grandes Conférences de l’Université Laval, à Québec, le 27 octobre 2002.
Depuis 30 ans, Claudine Papin se passionne pour les groupes en marche et les accompagne. Formée en récréologie, en psychoreligiologie, en travail rituel et détenant un DESS en soins spirituels en milieu de santé, elle conjugue l’univers de l’engagement, du réenchantement et du dévouement qu’elle met au service de la quête de sens et des aspirations des personnes et des groupes.
Psychiatre en milieu communautaire, collaboratrice à Pech, Claudie Pouliot est au service des personnes en souffrance psychique. Sa pratique de soin de proximité est axée sur le respect de la souveraineté personnelle, l’inclusion sociale et la culture de la différence.