L’Intrus

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Par Diane Giard – 1er août 2022
 
L’intrus, un passager à bord dont on cherche à se défaire par des traitements inhumains, mais pour certains cet « intrus » est là pour de bon malgré tout. J’en suis et c’est mon histoire. 
 
Je m’appelle Diane. On m’a diagnostiqué un cancer incurable, myélome multiple, en janvier 2022. Je l’appelle « l’intrus », car c’est bien ce qu’il est! Retraitée de l’Université Laval depuis 2020, j’avais la tête pleine de projets…
 
À l’ère des médias sociaux, j’ai d’abord choisi d’écrire mon histoire afin que toute ma communauté reçoive les informations les plus justes me concernant. Puis, après quelques publications, j’ai compris que la majorité manifestait un intérêt certain pour ce qu’implique une pareille nouvelle. De près ou de loin, nous avons tous été en contact avec le cancer, mais qu’en savons-nous avant de l’avoir vécu? Je partage donc mon expérience des différentes étapes que j’ai dues et que je dois encore traverser…
 
Tout a commencé en novembre 2021. Mon conjoint et moi avions entrepris les travaux automnaux sous la grisaille et la brume. Au cours des jours qui ont suivi, j’ai ressenti des douleurs « impossibles » à la cage thoracique. J’ai d’abord cru à des douleurs musculosquelettiques simplement dues à l’humidité. Divers médicaments et quelques consultations en physiothérapie n’ont donné aucun résultat. J’ai quand même poursuivi mes activités quotidiennes non sans difficulté et de nombreux moments d’arrêts. Je n’osais pas consulter, craignant que ce soit inutile. De plus, obtenir un rendez-vous en ligne, en temps de pandémie, c’est comme gagner à la loterie! Nous y sommes tout de même arrivés et le 30 décembre, j’ai enfin pu rencontrer un médecin. J’avais établi mon propre diagnostic : côtes cassées ou zona. 
 
Pourtant, rien de concluant à l’examen et on me réfère immédiatement en radiologie. À première vue, il semble qu’il y a une compression de la vertèbre dorsale 10, rien de grave. La radiologiste confirmera sous peu et d’ici là, je dois prendre des Tylénols©. Bon, c’est réglé… 
 
Je rentre à la maison, nullement soulagée, mais le cœur plus léger, c’est presque le jour de l’an! Quelques minutes après mon arrivée, le téléphone se fait entendre, c’est le médecin qui m’informe d’une très mauvaise nouvelle. Mes radiographies démontrent une fracture pathologique en D10, sans équivoque une métastase ou un myélome a rongé ma vertèbre. Ça devient une véritable urgence, on craint pour des problèmes neurologiques majeurs, en raison de la rupture possible de la colonne vertébrale.
 
Cette médecin, qui jusque-là, était une parfaite étrangère, a pris les choses en main. Elle organise avec la centrale des rendez-vous une tomodensitométrie, une imagerie par résonance magnétique, des prélèvements sanguins et une rencontre avec une équipe d’hématooncologues. Voilà le brutal début d’une très mauvaise aventure…
 

Chirurgie

À la suite d’une panoplie d’examens et de rendez-vous, j’ai été opérée en neurochirurgie à l’hôpital de l’Enfant-Jésus le lundi 31 janvier 2022. On m’a installé deux tiges de métal et dix vis dans le but de stabiliser ma colonne vertébrale. J’ose à peine regarder en arrière, il s’en est passé des choses en quelques semaines! Jours d’irréalité, de brume, de souffrances, de peurs et de pleurs. Jours de doute. Des jours à ne pas savoir quelle sera ma vie dorénavant… j’ai pensé au pire comme au meilleur, les vagues se succèdent. J’ai rencontré un grand nombre de personnes que je ne saurais reconnaître, la tête embrumée par la médication, le cœur fragile. J'étais trop émue par l’attention et les soins, qu’elles me prodiguent, leur dévouement est manifeste malgré l’état actuel de la situation dans les centres hospitaliers. Les lieux sont vétustes et restreints, toutefois, je n’ai jamais douté de la qualité des soins et du professionnalisme du personnel. Je me suis laissée aller. Avais-je le choix?
 
Le 5 février, je quitte l’hôpital. Il fait très froid sous un soleil magnifique. Dieu que l’air est bon! Je ferme les yeux et je respire! Mon conjoint et son frère, deux forces tranquilles, m’accompagnent, je suis en sécurité. Le Carnaval de Québec bat son plein ainsi que des manifestations. C’est tout ce que je sais du monde extérieur depuis le 27 janvier, premier jour de mon hospitalisation. À l’hôpital, les principaux sujets de conversation se résument à l’essentiel; boire, manger, respirer et évacuer.
 
Je rentre chez-moi porteuse d’une bonne nouvelle que je veux préserver par crainte qu’elle ne m’échappe. La Tomographie par émission de positrons (TEP) démontre la présence de 15 à 20 % de myélomes multiples dans la moelle osseuse et, sauf pour la vertèbre dorsale 10, aucune autre lésion osseuse. Bien sûr, ce n’est que le début d’un long processus de radiothérapie, de chimiothérapie, de suivis et de divers examens, mais je dois m’accrocher aux bonnes nouvelles, aussi petites soient-elles. Ma foi qui avait été lourdement ébranlée au cours des dernières années s’est de nouveau manifestée, je l’ai vue dans le regard des autres et je l’ai sentie dans les gestes posés à mon endroit. 
 

Radiothérapie

La première étape ayant été de stabiliser la colonne vertébrale, le moment est maintenant venu de détruire « l’intrus » en dorsale 10. Cette masse qui a commencé à remplir la cavité de la moelle et à déborder du côté avant, près de l’estomac et de l’œsophage est tout de même assez importante et surtout menaçante en raison des problèmes neurologiques qu’elle pourrait entraîner, comme la paralysie. Ainsi, la radiothérapie commence le 15 février. Une série de 10 traitements consécutifs, précédée d’une rencontre préparatoire: connaissance des lieux, des intervenants et marquages en vue de la radiothérapie. On m’a dit que je n’aurais aucun effet secondaire, ni fatigue, ni douleur, ni perte de cheveux. Ce n’est qu’en partie vrai… 
 
Après une semaine de radiothérapie, c’est le week-end et c’est congé de traiteurs. Je me lève tôt, courbaturée, je tire les tentures et le café me presse. Depuis la retraite c’est un de mes moments préférés. Je l’ai gagné, je l’apprécie et le savoure. Je suis chez-moi, dans ma maison, ce lieu de calme et de réconfort. Mais, bêtement, ce matin, je réalise qu’il y a bel et bien un lit d’hôpital au salon et que je porte une culotte d’aisance. Les quelques pas qui me séparent du lit au fauteuil sont pénibles, je me sens d’une telle lassitude. 
 
Je m’installe au lit, j’y serai pour presque toute la journée. Je navigue entre deux eaux, mon conjoint est toujours là. Je ne suis pas bien. J’ai la nette impression de me consumer par en dedans, mes joues sont écarlates, j’ai chaud, j’ai froid, mon estomac est douloureux et je n’arrive pas à reprendre le second souffle, celui qui me propulserait en avant, mais non, toute la journée, je décline. Ce n’est pas une bonne journée. J’espérais tant de ce court répit entre deux périodes de traitements. 
 
J’ai beaucoup pleuré, à chaudes larmes, sans trop savoir pourquoi ou plutôt si, pour tout ce qui m’arrive si rapidement, pour ce samedi qui ne ressemble en rien à ceux d’avant et pour la peur de ne pas retrouver ces autres samedis, dimanches, lundis, comme avant…
 
J’ai pleuré quand j’ai soumis mon corps aux mains douces et agiles de mon conjoint pour qu’il me crème. Les changements sont notables, je ne suis pas dupe, j’en ai vu d’autres, voilà que c’est ma peau qui, comme un ballon dégonflé, s’affaisse et se ride en si peu de temps. Mon bel amour tente de me rassurer en me disant qu’il y en aura d’autres journées comme celle-ci et qu’il y en aura qui seront bien meilleures, qui me permettront de le voir danser et de m’entendre rire, comme avant. Mon Dieu que j’aimerais le croire! Mais aujourd’hui, ce sera difficile de me convaincre.
 
Depuis novembre, je suis souffrante et j’ai réduit mes activités. J’ai été opérée il y a trois semaines. Je subis la radiothérapie et la chimiothérapie suivra. C’est beaucoup exiger à ce corps et malgré cette suite de traitements, je ne peux oublier que c’est incurable… quelle sera l’échéance, dans quelles conditions, dans quelles souffrances physiques et mentales? Oui, j’ai beaucoup pleuré en ce samedi.
 
Si le but des larmes est de purifier l’âme, ça devrait être réglé, du moins, pour quelque temps. À moins que le corps n’ait un système de sprintler intégré pour apaiser le feu en réponse à la radiothérapie. Si tel est le cas, c’est bien organisé, mais ça devrait venir avec un guide d’utilisation et un avis de perte de contrôle possible. 
 
Pour une « contrôlante », vaut mieux savoir ces choses à l’avance, histoire de ne pas décompenser.
 
Perdre le contrôle! Lâcher prise! Excellents conseils, mais actuellement, force est d’admettre que je contrôle très peu de choses : ni mes émotions, ni mes humeurs, ni mon sommeil et à peine mes urines… Les effets secondaires des corticostéroïdes font le reste insidieusement et malheureusement… Irritabilité, troubles du sommeil, nervosité et agitation. Une dure mise à l’épreuve pour moi et pour mes proches, j’en suis désolée. Ce n’est pas le souvenir que je souhaite laisser, moi qui sais être tout à fait charmante et attachante!
 
Par ailleurs, pour une passionnée d’ordre, de propreté, d’organisation de l’espace et du home staging comme moi, perdre le contrôle c’est comme remettre les clés de la ville à des invités bienveillants qui feront de leur mieux pour maintenir l’organisation des lieux. Au cours des jours suivants, quelques bienveillants sont venus prendre le relais de mon conjoint. C’est nécessaire. 
 
La radiothérapie se poursuit. En salle de traitements, je prends davantage le temps de regarder autour de moi et aujourd’hui, j’ai remarqué les étagères remplies de nombreux masques identifiés et faits sur mesure pour d’autres formes de cancer. Nous sommes des centaines à circuler, dans les dix salles d’accélérateur par jour et chacune comporte ses casiers. Ça donne une idée!
 
Quand cette lourde porte se referme, nous sommes seuls au combat. Mon avis, rendu là, c’est qu’il n’y a pas de pire ou de moindre cancer…les quelques minutes que nous passons dans cette salle, nous y sommes tous égaux, fragiles et vulnérables. Nos peurs, nos doutes, nos larmes se valent. Nous nous battons pour rester en vie, un tant soit peu pour certains et un peu plus longtemps pour d’autres.
 
On peut faire de ce lieu un « abîme » ou un lieu « espoir »! Cela dépend des jours… 
 
Je ne taris pas d’éloges pour les technologues qui, chaque jour, me reçoivent, m’installent, me complimentent, me réconfortent, comme elles le font assurément pour tous les autres. Ce n’est que compassion et gentillesse! Je leur suis très reconnaissante de faciliter ce court séjour.
 
Au fil des traitements, tout se passe bien et j’arrive à circuler sans aide et sans fauteuil roulant. La guérison postopératoire fait son œuvre et, à n’en pas douter, la radiothérapie diminuant la grosseur de la masse, la compression de celle-ci sur toutes les terminaisons nerveuses est moins importante, c’est donc moins souffrant. Mes gestes sont plus habiles, bien qu’il faut comprendre qu’avec deux tiges de métal de près de dix pouces et dix vis au centre du dos, les flexions avant et arrière sont modifiées, voire impossibles.
 
Par exemple, l’extension des bras vers l’avant pour ouvrir les robinets est difficile en raison de la flexion qui n’est pas possible. Tout comme se pencher au-dessus du lavabo pour se laver les dents ou faire un brin de toilette. On s’habitue à tout, donc je trouve d’autres moyens de contrer cet obstacle. Pour arriver à vider le lave-vaisselle, je dois d’abord me mettre à genoux et déposer les choses sur le comptoir, n’en prendre qu’une petite charge maximale de dix livres maximum, le temps de la convalescence de trois mois) et tout ranger. À peu près le même stratagème pour effectuer le lavage. Mais déjà, tout ça, après trois semaines, m’encourage grandement!
 
Un certain jour, j’ai décrété que c’était la Saint-Valentin pour tous patients du pavillon Carlton-Auger de L’Hôtel-Dieu de Québec. Une « petite douceur », pourquoi pas? Ne serait-ce que pour leur tirer un sourire, les sortir de leur prostration, de leurs réflexions quelques secondes? Plus les jours passent, plus je reconnais les visages, on commence à peine à se saluer et à échanger quelques mots. Dans quelques jours, je ne les reverrai plus et je ne saurai rien de leur destinée, comme ils ne sauront rien de la mienne. J’ai presque autant de peine de ce qui leur arrive que j’ai de la peine pour moi. Je sais que la pitié n’est pas un bon sentiment, mais c’est celui qui m’habite quand je les croise en fauteuil roulant, sur une civière ou debout dignes et fiers. J’entends dire que nous sommes courageux… je ne crois pas! Nous n’avons guère le choix. Chacun a ses raisons de poursuivre : conjoint, enfants, petits-enfants, amis, projets de retraite, voyages, etc. 
 
Ou tout simplement avoir le privilège de voir le soleil se lever chaque jour, fermer les yeux et le sentir sur sa peau, goûter la pluie, mettre les mains dans la terre, semer, arroser, récolter, savourer, partager un repas entre amis, prendre la main d’un autre, déposer un baiser sur une joue, s’entendre rire à nouveau. Pour dire à quel point l’humain a une infinie capacité d’adaptation et de résilience!
 
Au moment où j’écris ces lignes, j’en suis à mon troisième traitement de chimiothérapie et entre la radiothérapie et la chimiothérapie, j’ai vécu des moments difficiles. Je n’ai pu éviter la COVID, j’ai fait deux infections urinaires et j’ai été hospitalisée de nouveau pour une brûlure à l’œsophage due à la radiothérapie. J’ai parfois cru avoir atteint mes limites, mais le meilleur conseil que j’ai reçu est le suivant : « lorsque l’envie d’abandonner te viendra, il faudra te dire : OK, je lâche… mais demain seulement… Et que le lendemain, tu réévalues ton désir ou non de continuer. Demain, c’est demain! »


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23 août 2022

Votre témoignage rejoint en partie mon expérience avec l'intrus....Bon courage.Je vous invite à lire mon histoire par mon livre électronique gratuit: Du caillou au séquoia .quand serrent les maux. par mon site www.nicolibri.ca

Par Nicole Hamel
23 août 2022

Ma chère Diane
Quel plaisir de te lire , tu as fais un magnifique témoignage de ta réalité depuis l’annonce de cet intrus dans ton corps … et bon courage à tous ceux qui se battent contre cet intrus .

Par Sylvie Provencher
10 août 2022

Quel beau texte, quel courage. Tu as une façon d’expliquer les choses tout en douceur ma belle amie. Merci de ton témoignage et aussi de ton appréciation du personnel de notre système de santé.

Par Ghislaine Laurendeau
9 août 2022

Magnifique témoignage, Diane. Ils sont la preuve que parfois aussi les mots peuvent aider aux traitements. Bon courage pour la suite. Et bon courage aussi à toutes celles et ceux qui en ce moment-même affrontent un intrus.

Par Martin RICHARD

Dernière révision du contenu : le 27 juillet 2022

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